Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-09-03
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 03 septembre 1868 03 septembre 1868
Description : 1868/09/03 (A3,N868). 1868/09/03 (A3,N868).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717870b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
S CeRt. le numéro . - JOURNAL QUOTIDIEN S cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois, Six mois. uit ID.
Paris Si-. tp fr. :as fr. -
Départements.. 8 il se
Administrateur : E. DELSÀUX.
. 3me année. — JEUDI 3 SEPTEMBRE t 1868. — IV 868
Directeur- Propriétaire : J A N N I N.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAG"El.ûNNI.'
BUREAUX D'ABONNEMENT : Ot rue Drors »t.
ADMINISTRATION '. 13, place Breda.
PARIS, 2 SEPTEMBRE 1868
CAUSERIE
L'Institution des bègues. — Les fêtes de
Tournus. — La famille Greuze. — L'as-
sociation des Comptables. — Lettre d'un
employé.
Certains chiffres effrayent. En dix ans, 6773
conscrits ont été exemptés du service mili-
taire pour cause de bégayement. Cela fait 3
1, (>00. Comment tant d'enfants, nés avec
une bonite conformation de la langue et du
palais, deviennent-ils bègues en grandissant?
Je crois que la meilleure raison en a été
donnée par J. J. Rousseau.
CI Je désapprouve que la nourrice étour-
disse l'enfant d'une multitude de paroles aux-
quelles il ne comprend rien... On se presse
trop de faire parler les enfants, ils en parlent
plus tard plus confusément : l'extrême atten-
tion qu'on donne à tout ce qu'ils disent les
dispense de bien articuler; et,comme ils dai-
gnent à peine ouvrir la bouche, plusieurs
d'entre eux en conservent toute leur vie un
vice de prononciation... Dans les écoles, ils
s'habituent à barbouiller, à prononcer négli-
gemment et mal. En récitant, c'est pis encore;
ils recherchent leurs mots avec efforl, ils traî-
nent et allongent leurs syllabes: il n'est pas
possible que,quand la mémoire vacille, la lan-
gue ne balbutie aussi. Ainsi se contractent ou
se conservent les vices de la prononciation.
» Les enfants qui ont parlé tard ne parlent
jamais si distinctement que les autres, parce
qu'on s'est tourmenté beaucoup plus à les
faire balbutier que ceux qui ont articulé de
meilleure heure ; et cet empressement mal
entendu peut contribuer beaucoup à rendre
confus leur parler, tandis qu'avec moins de
précipitation ils auraient eu le temps de le
perfectionner davantage. »
Joignez à ces vices d'éducation la crainte, la
timidité, une chute, une frayeur, un mauvais
traitement. La nuit tombe, une servante dit
à un enfant : — Voilà le diable... L'enfant
recule, saisi de terreur. Quand il essaye de
parler, il bégaye. Un gamin joue dans la rue,
un cheval le renverse. On le relève. — Tiens,
il n'a rien ! s'écrie-t-on avec joie... Il n'a
rien de cassé, en enet, mais il est bègue. Un
écolier ou un apprenti s'amuse à contrefaire
un de ses camarades qui est bp.£!lle. Au bout j
quelque tenaps il es' atteint de la mê-ne ;
infirmité. Telles sont les principales causes
d'il bégayement, une des choses les plus at-
ttÎ5tnntes dan? le commerce de la vie, pt. des
, pins douloureuses au point dn vue de l'amour
propre. Tout le monde connaît ces deux anec-
dotes sur Louis Xt!L qui était à la fois timide
et bègue :
Un jour, un marquis de Mauny, récemment
arrivé à la Cour, se trouvant avec d'autres
seigneurs dans l'appartement, du monarque,
répond en bégayant ? une question que lui
avait adressée le roi. Celui-ci se persuade que
le marquis le contrefait; il entre en fureur, et
veut l'aire tuer de Mauny par ses gardes. Le
pauvre gentilhomme essaye de se justifier; il
bredouille tout à fait. C'en est fait de lui... Il
fallut que le cardinal de Richelieu, tout-puis-
sant, intervint pour expliquer le cas de M. de i
Mauny, et prouver qu'il n'était pas coupable
de lèse-majesté.
Un autre jour, dans une chasse au faucon,
le même Louis XIII demande au maréchal de
Thoiras :
— Où est l'ai... l'oi... l'oiseau.
— Si... sire, le voi... voi... voici, répond
le maréchal.
Le roi, indigné, jette son gant à la tête de
son malheureux interlocuteur, par qui il se
croit insulté. Il convient de dire qu'il s'em-
pressa de réparer cet outrage, dès qu'il fut
instruit que le maréchal était hors d'état de
s'exprimer différemment.
On ne plaint pas les bègues, et l'on a tort.
Cir le bégayement, obstacle au succès des
etudes et au choix d'un état, a en outre le
triste privilége de paralyser absolument l'ac-
tivité de celui qui en est affligé.
Dans l'antiquité, on le considérait comme
un mal incurable. Puis, sont venus les chi-
rurgiens contemporains, dont le principal mé-
rite est de ne douter de rien, et qui ont em-
ployé tous les moyens que leur fournis-
saient la science et l'art, les opérations et les
instruments. Depuis les cailloux de Démos-
thènes jusqu'aux boules de caoutchouc de
M. Morin, on mit tout en œuvre pour donner
au public une espérance que le résultat ne
confirmait pas.
Sur ces entrefaites, quelques hommes se
sont présentés, disciples de Rousseau pour la
plupart, assez intelligents pour avoir compris
que la guérison des bègues ne demanderait
ni moyen mécanique, ni remède.
L'un d'eux, M. Chervin, est venu me voir,
il y n quelque temps. M. Chervin est mon 1
compatriote. Il appartient à l'Université. A
ce double titré je lui devais d'examiner la mé-
thode qu'il emploie :
Cette éducation peut se diviser en deux
périodes.
La première est employée à faire oublier
aux èlèvés l'ancienne manière de parler. Pour
cela, ils doivent faire usage d'une pronon-
ciation lente, mesurée, qui conduit à une dic-
tion monotone.
Dans la seconde, on nuance la voix et on
augmente graduellement la vitesse du dis-
eau rs.
Voilà bien un système qui s'éloigne des
autres. Vaut-il mieux? Du moins il est plus
rationnel. On pourrait le comparer à la gym-
nastique, dans un ordre plus élevé.
M. Chervin raconte que les Allemands ont
voulu raccourcir la langue, au moyen de l'ex-
cision d'une pièce triangulaire. Les Français,
au contraire, ont voulu l'allonger en coupant
certains muscles. De là, des tentatives déses-
pérées dont l'expérience a fait justice...
Avec M. Chervin, plus d'opérations, plus
d'instruments, plus rien qui restreigne et. qui
entrave. Entraver serait gêner, et les bègues,
au contraire, ont besoin de se mettre à l'aise,
afin que leurs organes puissent acquérir tout
eur développement. Mettre l'élève, par un
exercice de quelques jours, à même de s'ap-
proprier la diction du professeur, tel est le
but qu'a atteint l'ancien professeur de Lyon.
Mais ce n'est rien que d'apporter une décou-
verte utile, résultat de l'observation et de
l'expérience. Il faut encore répandre et popu-
lariser cette découverte. lU. Chervin est
jeune, actif, ambitieux peut-être, — ce qui
lui serait bien permis. Il a mis au service de
son idée une force de volonté et une persévé-
rance que rien n'a lassée.
Aujourd'hui, il. dirige deux institutions :
l'une à Paris, avenue d'Eylau ; l'autre, à
Lyon. Cette année, il a eu i 05 élèves, et les
inscriptions ne s'arrêtent pas. Mais qu'est-ce
que 105 bègues sur 100,OoO? Et il y a 100,000
bègues en France. Aussi, ce n'est pas une, ni
deux, ni trois écoles, qui seraient nécessaires,
mais cent, mais une au moins par départe-
ment.
Il y aurait quelque chose de préférable en-
co-re. Ce serait que les parents et les maîtres
d'école pussent retenir, à défaut de la mé-
thode de M. Chervin, ces paroles de M. le
docteur Voisin :
« La meilleure méthode pour apprendre à
parler aux enfanta, est de n'employer jamais ;
devant eux des expressions vogues or, impro-
pres, de ne jamais altérer la prononciation
des mots sous le prétexte de la leur endre
plus facile. Afin qu'ils sachent tou.ioirs ce
qu'ils disent en parlant, il faut qu'ils a lâchent
des idées claires et précises aux moî ' d >nt ils
se servent, et, pour obtenir ce rériv-pat, on
doit se borner à leur apprendre à co maître
d'abord un petit nombre d'objets sensibles
dont les qualités soient facilement apprécia-
bles. »
Guérir le mal est bien, mais le prévenir
serait mieux.
Quoiqu'il erf soit, voilà un prog?>« qu'il
m'appartenait de signaler. Si vos enflais sont
bègues, menez-les à M. Chervin, <> [ue la
question d'argent ne vous arrête p i . Car,
pendant les vacances, trois cours gro.'u ifs ont
été ouverts par notre professeur. C •- cours
justifient l'appui de la presse et la sympathie:
dont le médecin des bègues est l'objet
Les fêtes de Tournus ont été- éclairées par
un magnifique soleil. Samedi soir, M. Arsène
Houssaye, direct» ur des Beaux-Art'; (t, bio-
graphe deGrenze, est arrivé pour pi-Aûïer aux
pompes du lendemain. Dimanche, entre deux
bauquets, le voile qui recouvrait h : ; tue est
tombé, et les Sociétis musicales de F,."on, de
Chaton, de Cuisery et de Pont-do-V: (x ont
donné un magnifique concert dans h c our du
collége. Au pied de la statue, on ê. prononcé ,
des discours. A table, on a porté des feasts.
Tournus est un sol propice aux arêtes, et
son maire, M. Charmont, a fait avec rnison
le rapprochement de ces trois noms: le grand
Greuze, le statuaire Rougelet, — dont on
inaugurait l'œuvre, — et cet autre ' Moteur,
Descïiamps, mort à l'âge où l'on ei die en-
core,et qui a cependant laissé une OÎUV; - char-
mante et durable, le Discobole.
La place me manque pour donn!; r "ms ces
toasts et tous ces discours. Mais j--.: 'lis à
dire que la Petite Presse a sur ■ : Saône,
comme sur le Rhône, bien des Vàeurs et
bien des amis. Mon article sur O; n m'a
valu plusieurs lettres, dont la cordialité m'a
vivement touché. Une de ces lettre contenait
sur l'ami de Diderot des détails que je crois
inédits ei dont je remercie l'auteur, M. .!acob,.
avocat à Châlon.
J'avais dit que Greuze était de I-ussy et
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXIV
77
Un deuxième coup de cloche se fit entendre'
et une seconde porte s'ouvrit aussitôt.
Alors, la lumière devint plus éblouissante.
Le margrave, entraîné par Mme Edwige.venait
d'entrer dans une petite salle ronde, éclairée
par de vastes globes de différentes couleur s et
dont les murs étaient tendus d'étoffes orientales
aux tons chauds et chatoyants. Des divans à. la
turque, des piles de coussins, des narghilés à
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
longs tuyaux flexibles terminés par un bout
d'ambre, poses à terre, en composaient tout l'a-
meublement.
Deux négrillons de taille microscopique, de
véritables nains vêtus de rouge, étaient immo-
biles aux deux côtés de la porte.
On eût dit deux lampadaires d'ébène, car ils
tenaient chacun un flambeau.
Une draperie se souleva dans le fond et un
vieillard à barbe blanche, vêtu d'une longue robe
brune, entra en même temps.
On eût dit un de ces eunuques respectables
qui peuplent le sérail du grand seigneur.
11 s'avança lentement, avec une grande ma-
jesté, au devant du margrave, se plia en deux
pour saluer et dit :
— Salut à celui qui attend la femme céleste
dont je suis l'iîumble esclave et qui m'est aussi
supérieure que l'étoile l'est au ver de terre.
Ce langage oriental plein d'images rassura un
peu le margrave.
Mais son cœur battait toujours avec force, et
ses oreilles bourdonnaient encore de l'infernal
clapottement de l'eau dans le canal souter-
rain.
— La fille céleste qui a franchi les mers pour
venir au devant de toi, poursuivit le vieillard,
va bientôt venir éblouir tes yeux de sa beauté
incomparable.
Mais elle désire auparavant que tu te reposes
un peu des fatigues du voyage.
Le margrave était encore si ému qu'il se laissa
tomber sur un divan.
Mme Edwige se tint debout auprès de lui.
Le vieillard s'approcha d'un timbre d'argent
auprès duquel était une baguette d'ébène, et
prenant cette baguette, il frappa deux coups.
A ce bruit, la draperie se souleva de nouveau
et deux autres nains, aussi noirs que les pre-
miers, entrèrent portant un plateau sur lequel
le margrave vit des confitures, des sorbets et
des pâtes d'Orient.
Sur un signe du vieillard, ils vinrent présen-
ter le plateau au margrave.
Celui-ci hésitait.
N'était-il pas chez Janine qui, pour se ven-
ger, le voulait empoisonner!
Mais Mme Edwige lui dit en langue alle-
mande :
— Prenez donc, monseigneur.
Et pour lui donner l'exemple, elle prit un
sorbet et l'avala d'un trait.
Alors le margrave l'imita.
Soudain les battements désordonnés de son
cceur s'apaisèrent et un bien-être souverain
s'empara de tout son corps.
Il sentit son front baigné de sueur subitement
rafraîchi et comme une vigueur Rouvi- s circu-
ler dans ses veines.
Les négrillons posèrent le plateau devant lui
et allèrent chercher un narghilé, (jH'ii.- lui ap-
portèrent.
— Fumez! ordonna encore la Mme..
Edwige.
Et le margrave, docile, prit le tuyau qu'on lui
présentait et le pressa de ses lèvres.
Alors il fut pris de cet enivrement n compa-
rable, il se trouva plongé dans cette latitude
céleste qui s'emparent des fumeurs a-? litchis à
la troisième bouffée, et il s'écria :
— Où est-elle? où est-elle?
— Me voici, dit une voix harmonieux comme
le soupir de la brise dans les pins qu; cordent
les rivages méditerranéens.
Et la draperie s'étant soulevée une troisième
fois. une femme entra.
Mais cette femme était masquée.
Seulement sa taille onduleuse, ses 1 — che-
veux noirs tombant en boucles épnrs. - ='ir ses
blanches épaules, demi nues, et 1'; <' et vo-
luptueux regard qui brillait au trav' s - ; : masque
disaient éloquemment qu'elle était
Mais la vue de ce masque arracha ; P moment
le margrave à l'état extatique, où i1 es 'mencait
àfêtre plongé, ses souvenirs lassrsnt et il
s'écria :
S CeRt. le numéro . - JOURNAL QUOTIDIEN S cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois, Six mois. uit ID.
Paris Si-. tp fr. :as fr. -
Départements.. 8 il se
Administrateur : E. DELSÀUX.
. 3me année. — JEUDI 3 SEPTEMBRE t 1868. — IV 868
Directeur- Propriétaire : J A N N I N.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAG"El.ûNNI.'
BUREAUX D'ABONNEMENT : Ot rue Drors »t.
ADMINISTRATION '. 13, place Breda.
PARIS, 2 SEPTEMBRE 1868
CAUSERIE
L'Institution des bègues. — Les fêtes de
Tournus. — La famille Greuze. — L'as-
sociation des Comptables. — Lettre d'un
employé.
Certains chiffres effrayent. En dix ans, 6773
conscrits ont été exemptés du service mili-
taire pour cause de bégayement. Cela fait 3
1, (>00. Comment tant d'enfants, nés avec
une bonite conformation de la langue et du
palais, deviennent-ils bègues en grandissant?
Je crois que la meilleure raison en a été
donnée par J. J. Rousseau.
CI Je désapprouve que la nourrice étour-
disse l'enfant d'une multitude de paroles aux-
quelles il ne comprend rien... On se presse
trop de faire parler les enfants, ils en parlent
plus tard plus confusément : l'extrême atten-
tion qu'on donne à tout ce qu'ils disent les
dispense de bien articuler; et,comme ils dai-
gnent à peine ouvrir la bouche, plusieurs
d'entre eux en conservent toute leur vie un
vice de prononciation... Dans les écoles, ils
s'habituent à barbouiller, à prononcer négli-
gemment et mal. En récitant, c'est pis encore;
ils recherchent leurs mots avec efforl, ils traî-
nent et allongent leurs syllabes: il n'est pas
possible que,quand la mémoire vacille, la lan-
gue ne balbutie aussi. Ainsi se contractent ou
se conservent les vices de la prononciation.
» Les enfants qui ont parlé tard ne parlent
jamais si distinctement que les autres, parce
qu'on s'est tourmenté beaucoup plus à les
faire balbutier que ceux qui ont articulé de
meilleure heure ; et cet empressement mal
entendu peut contribuer beaucoup à rendre
confus leur parler, tandis qu'avec moins de
précipitation ils auraient eu le temps de le
perfectionner davantage. »
Joignez à ces vices d'éducation la crainte, la
timidité, une chute, une frayeur, un mauvais
traitement. La nuit tombe, une servante dit
à un enfant : — Voilà le diable... L'enfant
recule, saisi de terreur. Quand il essaye de
parler, il bégaye. Un gamin joue dans la rue,
un cheval le renverse. On le relève. — Tiens,
il n'a rien ! s'écrie-t-on avec joie... Il n'a
rien de cassé, en enet, mais il est bègue. Un
écolier ou un apprenti s'amuse à contrefaire
un de ses camarades qui est bp.£!lle. Au bout j
quelque tenaps il es' atteint de la mê-ne ;
infirmité. Telles sont les principales causes
d'il bégayement, une des choses les plus at-
ttÎ5tnntes dan? le commerce de la vie, pt. des
, pins douloureuses au point dn vue de l'amour
propre. Tout le monde connaît ces deux anec-
dotes sur Louis Xt!L qui était à la fois timide
et bègue :
Un jour, un marquis de Mauny, récemment
arrivé à la Cour, se trouvant avec d'autres
seigneurs dans l'appartement, du monarque,
répond en bégayant ? une question que lui
avait adressée le roi. Celui-ci se persuade que
le marquis le contrefait; il entre en fureur, et
veut l'aire tuer de Mauny par ses gardes. Le
pauvre gentilhomme essaye de se justifier; il
bredouille tout à fait. C'en est fait de lui... Il
fallut que le cardinal de Richelieu, tout-puis-
sant, intervint pour expliquer le cas de M. de i
Mauny, et prouver qu'il n'était pas coupable
de lèse-majesté.
Un autre jour, dans une chasse au faucon,
le même Louis XIII demande au maréchal de
Thoiras :
— Où est l'ai... l'oi... l'oiseau.
— Si... sire, le voi... voi... voici, répond
le maréchal.
Le roi, indigné, jette son gant à la tête de
son malheureux interlocuteur, par qui il se
croit insulté. Il convient de dire qu'il s'em-
pressa de réparer cet outrage, dès qu'il fut
instruit que le maréchal était hors d'état de
s'exprimer différemment.
On ne plaint pas les bègues, et l'on a tort.
Cir le bégayement, obstacle au succès des
etudes et au choix d'un état, a en outre le
triste privilége de paralyser absolument l'ac-
tivité de celui qui en est affligé.
Dans l'antiquité, on le considérait comme
un mal incurable. Puis, sont venus les chi-
rurgiens contemporains, dont le principal mé-
rite est de ne douter de rien, et qui ont em-
ployé tous les moyens que leur fournis-
saient la science et l'art, les opérations et les
instruments. Depuis les cailloux de Démos-
thènes jusqu'aux boules de caoutchouc de
M. Morin, on mit tout en œuvre pour donner
au public une espérance que le résultat ne
confirmait pas.
Sur ces entrefaites, quelques hommes se
sont présentés, disciples de Rousseau pour la
plupart, assez intelligents pour avoir compris
que la guérison des bègues ne demanderait
ni moyen mécanique, ni remède.
L'un d'eux, M. Chervin, est venu me voir,
il y n quelque temps. M. Chervin est mon 1
compatriote. Il appartient à l'Université. A
ce double titré je lui devais d'examiner la mé-
thode qu'il emploie :
Cette éducation peut se diviser en deux
périodes.
La première est employée à faire oublier
aux èlèvés l'ancienne manière de parler. Pour
cela, ils doivent faire usage d'une pronon-
ciation lente, mesurée, qui conduit à une dic-
tion monotone.
Dans la seconde, on nuance la voix et on
augmente graduellement la vitesse du dis-
eau rs.
Voilà bien un système qui s'éloigne des
autres. Vaut-il mieux? Du moins il est plus
rationnel. On pourrait le comparer à la gym-
nastique, dans un ordre plus élevé.
M. Chervin raconte que les Allemands ont
voulu raccourcir la langue, au moyen de l'ex-
cision d'une pièce triangulaire. Les Français,
au contraire, ont voulu l'allonger en coupant
certains muscles. De là, des tentatives déses-
pérées dont l'expérience a fait justice...
Avec M. Chervin, plus d'opérations, plus
d'instruments, plus rien qui restreigne et. qui
entrave. Entraver serait gêner, et les bègues,
au contraire, ont besoin de se mettre à l'aise,
afin que leurs organes puissent acquérir tout
eur développement. Mettre l'élève, par un
exercice de quelques jours, à même de s'ap-
proprier la diction du professeur, tel est le
but qu'a atteint l'ancien professeur de Lyon.
Mais ce n'est rien que d'apporter une décou-
verte utile, résultat de l'observation et de
l'expérience. Il faut encore répandre et popu-
lariser cette découverte. lU. Chervin est
jeune, actif, ambitieux peut-être, — ce qui
lui serait bien permis. Il a mis au service de
son idée une force de volonté et une persévé-
rance que rien n'a lassée.
Aujourd'hui, il. dirige deux institutions :
l'une à Paris, avenue d'Eylau ; l'autre, à
Lyon. Cette année, il a eu i 05 élèves, et les
inscriptions ne s'arrêtent pas. Mais qu'est-ce
que 105 bègues sur 100,OoO? Et il y a 100,000
bègues en France. Aussi, ce n'est pas une, ni
deux, ni trois écoles, qui seraient nécessaires,
mais cent, mais une au moins par départe-
ment.
Il y aurait quelque chose de préférable en-
co-re. Ce serait que les parents et les maîtres
d'école pussent retenir, à défaut de la mé-
thode de M. Chervin, ces paroles de M. le
docteur Voisin :
« La meilleure méthode pour apprendre à
parler aux enfanta, est de n'employer jamais ;
devant eux des expressions vogues or, impro-
pres, de ne jamais altérer la prononciation
des mots sous le prétexte de la leur endre
plus facile. Afin qu'ils sachent tou.ioirs ce
qu'ils disent en parlant, il faut qu'ils a lâchent
des idées claires et précises aux moî ' d >nt ils
se servent, et, pour obtenir ce rériv-pat, on
doit se borner à leur apprendre à co maître
d'abord un petit nombre d'objets sensibles
dont les qualités soient facilement apprécia-
bles. »
Guérir le mal est bien, mais le prévenir
serait mieux.
Quoiqu'il erf soit, voilà un prog?>« qu'il
m'appartenait de signaler. Si vos enflais sont
bègues, menez-les à M. Chervin, <> [ue la
question d'argent ne vous arrête p i . Car,
pendant les vacances, trois cours gro.'u ifs ont
été ouverts par notre professeur. C •- cours
justifient l'appui de la presse et la sympathie:
dont le médecin des bègues est l'objet
Les fêtes de Tournus ont été- éclairées par
un magnifique soleil. Samedi soir, M. Arsène
Houssaye, direct» ur des Beaux-Art'; (t, bio-
graphe deGrenze, est arrivé pour pi-Aûïer aux
pompes du lendemain. Dimanche, entre deux
bauquets, le voile qui recouvrait h : ; tue est
tombé, et les Sociétis musicales de F,."on, de
Chaton, de Cuisery et de Pont-do-V: (x ont
donné un magnifique concert dans h c our du
collége. Au pied de la statue, on ê. prononcé ,
des discours. A table, on a porté des feasts.
Tournus est un sol propice aux arêtes, et
son maire, M. Charmont, a fait avec rnison
le rapprochement de ces trois noms: le grand
Greuze, le statuaire Rougelet, — dont on
inaugurait l'œuvre, — et cet autre ' Moteur,
Descïiamps, mort à l'âge où l'on ei die en-
core,et qui a cependant laissé une OÎUV; - char-
mante et durable, le Discobole.
La place me manque pour donn!; r "ms ces
toasts et tous ces discours. Mais j--.: 'lis à
dire que la Petite Presse a sur ■ : Saône,
comme sur le Rhône, bien des Vàeurs et
bien des amis. Mon article sur O; n m'a
valu plusieurs lettres, dont la cordialité m'a
vivement touché. Une de ces lettre contenait
sur l'ami de Diderot des détails que je crois
inédits ei dont je remercie l'auteur, M. .!acob,.
avocat à Châlon.
J'avais dit que Greuze était de I-ussy et
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
XXXIV
77
Un deuxième coup de cloche se fit entendre'
et une seconde porte s'ouvrit aussitôt.
Alors, la lumière devint plus éblouissante.
Le margrave, entraîné par Mme Edwige.venait
d'entrer dans une petite salle ronde, éclairée
par de vastes globes de différentes couleur s et
dont les murs étaient tendus d'étoffes orientales
aux tons chauds et chatoyants. Des divans à. la
turque, des piles de coussins, des narghilés à
Voir les numéros parus depuis le 21 juin.
longs tuyaux flexibles terminés par un bout
d'ambre, poses à terre, en composaient tout l'a-
meublement.
Deux négrillons de taille microscopique, de
véritables nains vêtus de rouge, étaient immo-
biles aux deux côtés de la porte.
On eût dit deux lampadaires d'ébène, car ils
tenaient chacun un flambeau.
Une draperie se souleva dans le fond et un
vieillard à barbe blanche, vêtu d'une longue robe
brune, entra en même temps.
On eût dit un de ces eunuques respectables
qui peuplent le sérail du grand seigneur.
11 s'avança lentement, avec une grande ma-
jesté, au devant du margrave, se plia en deux
pour saluer et dit :
— Salut à celui qui attend la femme céleste
dont je suis l'iîumble esclave et qui m'est aussi
supérieure que l'étoile l'est au ver de terre.
Ce langage oriental plein d'images rassura un
peu le margrave.
Mais son cœur battait toujours avec force, et
ses oreilles bourdonnaient encore de l'infernal
clapottement de l'eau dans le canal souter-
rain.
— La fille céleste qui a franchi les mers pour
venir au devant de toi, poursuivit le vieillard,
va bientôt venir éblouir tes yeux de sa beauté
incomparable.
Mais elle désire auparavant que tu te reposes
un peu des fatigues du voyage.
Le margrave était encore si ému qu'il se laissa
tomber sur un divan.
Mme Edwige se tint debout auprès de lui.
Le vieillard s'approcha d'un timbre d'argent
auprès duquel était une baguette d'ébène, et
prenant cette baguette, il frappa deux coups.
A ce bruit, la draperie se souleva de nouveau
et deux autres nains, aussi noirs que les pre-
miers, entrèrent portant un plateau sur lequel
le margrave vit des confitures, des sorbets et
des pâtes d'Orient.
Sur un signe du vieillard, ils vinrent présen-
ter le plateau au margrave.
Celui-ci hésitait.
N'était-il pas chez Janine qui, pour se ven-
ger, le voulait empoisonner!
Mais Mme Edwige lui dit en langue alle-
mande :
— Prenez donc, monseigneur.
Et pour lui donner l'exemple, elle prit un
sorbet et l'avala d'un trait.
Alors le margrave l'imita.
Soudain les battements désordonnés de son
cceur s'apaisèrent et un bien-être souverain
s'empara de tout son corps.
Il sentit son front baigné de sueur subitement
rafraîchi et comme une vigueur Rouvi- s circu-
ler dans ses veines.
Les négrillons posèrent le plateau devant lui
et allèrent chercher un narghilé, (jH'ii.- lui ap-
portèrent.
— Fumez! ordonna encore la Mme..
Edwige.
Et le margrave, docile, prit le tuyau qu'on lui
présentait et le pressa de ses lèvres.
Alors il fut pris de cet enivrement n compa-
rable, il se trouva plongé dans cette latitude
céleste qui s'emparent des fumeurs a-? litchis à
la troisième bouffée, et il s'écria :
— Où est-elle? où est-elle?
— Me voici, dit une voix harmonieux comme
le soupir de la brise dans les pins qu; cordent
les rivages méditerranéens.
Et la draperie s'étant soulevée une troisième
fois. une femme entra.
Mais cette femme était masquée.
Seulement sa taille onduleuse, ses 1 — che-
veux noirs tombant en boucles épnrs. - ='ir ses
blanches épaules, demi nues, et 1'; <' et vo-
luptueux regard qui brillait au trav' s - ; : masque
disaient éloquemment qu'elle était
Mais la vue de ce masque arracha ; P moment
le margrave à l'état extatique, où i1 es 'mencait
àfêtre plongé, ses souvenirs lassrsnt et il
s'écria :
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