Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-08-05
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 05 août 1868 05 août 1868
Description : 1868/08/05 (A3,N839). 1868/08/05 (A3,N839).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717841m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent le numéro
5 cent. le numéro -
/\l>ONNR.MENTS. — Trois mois. Six mois, Ul1 Iii.
l'ar^j S fr. 9 fr. - 18 fir.
Depa.rtfment.s.. G Il W9.'.'^. ,
Administrateur : E. DELSAUX. -, -
" .1 ^ Année. — MERCREDI .5 AOjjlT 4b6b. - 1..... *39
1
Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE llALATHIEI. BRAGELONNE.
BUREAUX D'AUON NE M"t NT: : !$, RASE Drouot. :
ADMINISTRATION : t3- dace Breda.
PARIS, 4 AOUT 1868
VOYAGE EN SUISSE
LES AVALANCHES
Tous, chers lecteurs, vous avez vu de vos
yeux le petit 'phénomène suivant : l'hiver, la,
neige qui tombe sur les toits glisse le long
de leurs pentes, grossit dans le trajet, s'accu-
mule sur le bord,, et déborde en surplomb,
jusqu'à ce que son poids la détache et la fasse
tomber.
Eh bien ! substituez à la petite pente d'un
loit la pente raide d'une montagne, un escar-
pement de quatre ou cinq cents mètres à la
nauteur d'une maison, et vous vous figure-
rez l'effet d'une avalanche, roulant d'Un som-
met dans une vallée....
Les avalanches sont des masses de neige
qui quittent brusquement les sommets des
Alpes, et, faisant boule sur leur chemin, ac-
quièrent un grand volume et se précipitent
avec une si effroyable rapidité qu'elles en-
traînent tout ce qui se trouve sur leur pas-
sage, les arbres, les rochers, les chalets et les
maisons.
« En hiver, — dit le dictionnaire univer-
sel, — ce sont les vents qui déterminent la
formation des avalanches. Un grand froid
peut produire le même effet : il saisit les ino-
¡écules de la neige, la réduit en poussière, et
'elle-ci, dans cet état, n'ayant plus d'adhé-
. ;ence avec les corps qu'elle couvre, glisse des
montagnes.
. » Au printemps, la fonte des neiges devient
la principale cause des avalanches. C'est à
cette époque aussi qu'elles sont plus redouta-
bles. Lorsque les rayons solaires commencent
à acquérir de la force, il semblerait que la
superficie des masses de neige devrait se fon-
dre en premier lieu ; il n'en est pas ainsi :
la terre s'échauffe, communique sa chaleur à
ces masses de neige, en diminue l'adhérence
avec le sol et les détache du flanc des mon-
tagnes. C'est alors qu'elles roulent avec fracas
et vont porter au loin l'épouvante et la des-
truction.... »
Parfois, les forêts qui couvrent les côtes
guffîééflt à arrêter la marche du fléau. Par-
fcws'atîçsi, un rien, le vol d'un oiseau, le saut
cFun chamois. un coup de pistolet, un cri, le
bruit d'une sonnette, enfin une petite pluie
doue,e,, peuvent détacher les neiges dans les
montagnes, et assaillir les passants comme
un tourbillon. C'est, pourquoi l'on recom-
mande soigneusement aux voyageurs de mar-
cher de boa • matin, ; dà :f«ÛFe Ip ; moins de
Toïïnt pôs'sTb'Ie'/ efp^fté plus prompte.
ment qu'ils pourront. Les voituriers remplis-
sent de foin les sonnettes de leurs bêtes, afin
de ne faire aucun bruit.
Dans quelques endroits, la république hel-
vétique entretient le long des routes des espè-
ces de caveaux, où les voyageurs peuvent se
retirer lorsqu'ils entendent le bruit des nei-
ges. Des gens à gages vont, après la chute des
avalanches, nettoyer les chemins, et chercher
les malheureux qui peuvent s'y trouver ense-
velis.
Vous avez tous lu ce fait divers :
Jeudi dernier, à cinq heures du matin, un
nuage s'étendit sur la vallée de Chamounix;
le tonnerre gronda, et l'on aperçut un nuage
de fumée sur le glacier du Pèlerins.
— Le glacier s'est entr'ouvert! s'écrièrent
les paysans.
Et ils s'empressèrent de mettre leurs bes-
tiaux en sûreté.
L'avalanche ne se fit pas attendre.
Elle arriva énorme, lourde, inévitable, en-
traînant tout sur son passage, les sapins, les
ponts, les habitations... lin torrent barrait sa
route. E?,,.e le franchit; elle passa sur les
champs de seigle et de pommes de-terre, et,
s'étendant dans la prairie, elle forma un
lac...
Les Anglais, qui visiteront la Suisse, cet
été, braqueront leur lorgnette sur cette masîe
d'eau, et feront entendre cet aohï intradui
sible, qui signifie l'étonnement sans enthou-
siasme et la froide admiration que leur inspi-
rent les grands spectacles de la nature et de
la vie.
Donc, puisque les avalanches sont une ac-
tualité, je veux vous raconter deux ou trois
anecdotes, demeurées légendaires, que j'ai
recueillies lorsque j'ai traversé la Suisse de
Bâle au Saint-Gothard, en passant par Lucerne
et le lac des Quatre-Cantons.
Le premier épisode a trois siècles et demi
de date. Un corps de deux mi1le Allemands
traversait une montagne de la Suisse. Une
avalanéhe fondit sur lui. Quatre cents soldats
furent enveloppés. On les crut perdus. Heu-
reusement la neige était fraîche, légère, et les
.quatre ^ûte Sommes sortirent, l'np après
l'autre,île l'ouragan qu'on avait cru devoir
être leur tombeau.
Deux'çiècles plus tard, une autre avalanche
couvrit une compagnie tout entière de sol-
dats suisses ; mais les nationaux, moins heu-
reux que les étrangers; demeurèrent ense-
velis.
En 1528, le chevalier Gaspard de Branden-
berg de Zug voyageait, au printemps, accom-
pagné de son domestique, et suivi d'un petit
chien q&'il aimait beaucoup.
Ils avaient depuis peu quitté l'hospice du
Saint-Gotbard, et se dirigeaient vers Airolo,
dont ils étaient déjà très-près, lorsqu'une ava
lanche, descendue des - alpes qui bordent le
chemin, les engloutit tous deux. Le petit
chien, quise trouvait alors assez éloigné d'eux,
les voyant disparaître tout à coup, se mit à
hurler et à gratter la neige de toutes ses forces.
Il resta longtemps à la même place, retourna
ensuite à l'hospice, et, aboyant autour .des
personnes de la maison, il semblait leur de-
mander de le suivre,; on ne fit pas d'abord
attention à cet animal, qui revint près de
l'avalanche, recommença ses hurlements, et
continua ainsi pendant tout le jour et la nuit
suivante à faire de fréquents voyages à l'hos-
pice, en cherchant à attirer l'attention par ses
avertissements répétés.
Cependant, les gens de l'hospice, instruits
le lendemain que personne n'avait passé à
Airolo la veille, et reconnaissant le chien pour
celui des deux voyageurs, le suivirent enfin,
et furent conduits par lui à l'endroit où son
maitre avait disparu. Là, ses cris recom-
mencèrent, et la vue d'une' avalanche toute
fraîche indiqua le malheur qui était arrivé.
On alla chercher les instruments nécessaires,
et, après beaucoup de peines et de fatigues, on
parvint à sauver ces infortunés qui, depuis
trente-six heures, étaient ensevelis sous cette
neige, où ils attendaient la mort au milieu des
souffrances les plus cruelles.
Ils eurent cependant quelque espérance,
lorsqu'ils entendirent la voix et le bruit des
travailleurs. « Car, dit un chroniqueur, la
s) neige, assez compacte pour leur ôter tout
) pouvoir de remuer, était assez poreuse pour
D laisser arriver à leurs oreilles la voix de
) ceux qui étaient venus à leur secours. »
On voit encore à Zug,dans l'église de Saint-
Oswald, la tombe de ce chevalier. Elle est
surmontée d'une statue qui le représente avec
son épagneul à ses pieds. Ce fut lui-même
qui ordonna ce monum(,,nt, pour conservetla. _
sancedu service qu'il en avait reçu.
è >
. La plus touchante de ces histoires remonte
à un siècle et demi.
Un chasseur de la montagne, marié depuis
un an avec une femme qu'il aimait, était
père depuis quinze jours. Un matin de février,
voulant profiter d'un rayon de soleil, il quitta
sa maisonnette , et s'en alla dans les rochers
courir le chamois. Sa poursuite ne finit qu'à
la nuit. La jeune femme inquiète attendait
son retour, attentive au moindre bruit. Tout
à coup, un fracas, pareil à celui du tonnerre,
la rend immobile de frayeur. Elle regarde,
jette un cri. Une avalanche , passant sur les
rochers voisins, ensevelissait sa maison sons
une masse de neige. Le chasseur, inquiet de
son côté, avait pressé le pas. Où était sa chau-
mière, il trouva un mur de glace, que. la lune ..
éclairait d'une lueur sinistre. Il courut au *
village voisin pour y chercher du secours.
Les habitants prirent des pelles, des pioches,
et le suivirent dans la nuit.
Par malheur, l'avalanche était composée
de vieilles neiges gelées, et le froid avait
rapproché les glaçons. On dut abandonner
l'entreprise.
Seul, le mari, le père, ne renonça pas à
sauver sa femme et son enfant. Pendant neuf
jours, sa pioche frappa les parois durcies. Le
matin du dixième, il aperçut la cime d'un
platane qui s'élevait près de son toit. Les
autres, revinrent. Une cheminée perça la
neige. Enfin, un passage fut ouvert, qui per-
mit d'entrer dans la cabane. On entendit des
cris faibles... L'homme, si fort et si brave,
n'eut pas la force de supporter son bonheur.
Il tomba évanoui.
Sa femme et son enfant vivaient encore....
TONY RÉVILLON.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
V
48
Jusque-là, toutes les femmes qui s'étaient
présentées étaient venues seules.
Le chevalier de Castirac, en formulant la
prétention d'accompagner sa soeur , inaugu-
rait donc une nouvelle manière de présenta-
tion.
Maître Conrad avait bien voulu l'empêcher
d'aller plus loin; mais le Gascon avait une épée
au coté, il parlait haut, se donnait des airs
'V'Qiî' les numéros parus depuis le 21 juin;
de matamore, et le pauvre intendant eut
peur.
— Voilà un gaillard, pensa-t-il, qui va
m'embrocher comme un poulet si je lui ré-
siste.
Et il avait commencé par lui livrer pas-
sage.
Mais, au moment où le chevalier et sa pré-
tendue sœur allaient franchir le seuil de ce
petit salon, d'où toutes les aspirantes étaient
jusques alors sorties si désappointées, Conrad
vit se dresser un fantôme devant lui.
Ce fantôme était celui de Mme Edwige, la
terrible Mme Edwige qui, faisant trembler le
margrave, devait faire bien plus ^ trembler encore
son mari.
_
Qu'allait-elle dire ? '
Conrad sentait ses jambes fléchir, un nuage
passa .devant ses yeux, et le cœur lui man-
qua.
Heureusement ce malaise universel n'eut
que la durée d'un éclair et fut suivi d'une inspi-
ration.
— Monsieur, dit-il en prenant le chevalier
par le bras, un mot, un seul.
— Soit, mon bonhomme, répondit le chevalier,
mais faisons vite, car ma soeur est pressée de
devenir princesse ' '."j~ *
Conrad sentit un flot d'éloquence monter à
ses lèvres.
— Mon gentilhomme, dit-il, non-seulement
je ne vois aucun inconvénient à ce que vous ac-
compagniez mademoiselle votre sœur...
— A la bonne heure, fit le Gascon.
— Mais encore je suis persuadé qu'une pa-
reille démarche préviendra Son Altesse en
votre faveur.
— Je le crois bien, dit le Gascon. Dans notre
famille, les demoiselles sont bien élevées, ne
sortent jamais seules, et on peut les prendre de
confiance.
— Vous êtes trop gentilhomme, poursuivit
Conrad, pour ne pas m'accorder une minute,
une seule.
— Pourquoi faire?
— Afin que je prévienne Son Altesse.
— Soit, dit le chevalier, qui ne vit à cela
aucun inconvénient.
— Attendez-moi là, je ne fais qu'entrer et
sortir.
Et Conrad se glissa dans le petit salon, lais-
sant le chevalier et Jeanne la Bayonnaise à la
porte.
Au moins aurait-il le temps de prévenir la
terrible Mme Edwige.
i Celle-ci en le Noyant entrer, devina qu'il se
passait quelque chose d'extraordinaire»
Et, fronçant le sourcil, elle vint au-devant de
Conrad et lui dit :
— Qu'est-ce donc ?
— Un diable d'homme, un Gascon qui a des
moustaches d'une -aune et une épée d une
lieue.
— Que veut-il ?
— Il veut entrer.
— Le prince n'a que faire d'un homme.
— Il accompagna sa sœur... et il dit que sa
sœur n'entrera pas sans lui.
— Eh bien! dit froidement Mme Edwige,
qu'ils s'en aillent 1
— Vous êtes folle, dit Conrad. Il biiseia tout
ici, et il nous pourfendra tous.
— Comment est sa sœur ?
— Eblouissante, et c'est bien pour cela que
je ne voudrais pas que le prince la vit,
— Tu es un niais, dit Mme Edwige. Oublies-
tu donc que la glace qui défigure est toujours
là T
— Non.
— Eh bien ! laisse-les entrer.
— Mais le prince ?
— Je vais le prévenir.
Et Mme Edwige souleva une draterie, ouvrit
une porte et passa dans le grand salop, où le
margrave n'avait point quitté son pOËN! d'ah-
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent le numéro
5 cent. le numéro -
/\l>ONNR.MENTS. — Trois mois. Six mois, Ul1 Iii.
l'ar^j S fr. 9 fr. - 18 fir.
Depa.rtfment.s.. G Il W9.'.'^. ,
Administrateur : E. DELSAUX. -, -
" .1 ^ Année. — MERCREDI .5 AOjjlT 4b6b. - 1..... *39
1
Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE llALATHIEI. BRAGELONNE.
BUREAUX D'AUON NE M"t NT: : !$, RASE Drouot. :
ADMINISTRATION : t3- dace Breda.
PARIS, 4 AOUT 1868
VOYAGE EN SUISSE
LES AVALANCHES
Tous, chers lecteurs, vous avez vu de vos
yeux le petit 'phénomène suivant : l'hiver, la,
neige qui tombe sur les toits glisse le long
de leurs pentes, grossit dans le trajet, s'accu-
mule sur le bord,, et déborde en surplomb,
jusqu'à ce que son poids la détache et la fasse
tomber.
Eh bien ! substituez à la petite pente d'un
loit la pente raide d'une montagne, un escar-
pement de quatre ou cinq cents mètres à la
nauteur d'une maison, et vous vous figure-
rez l'effet d'une avalanche, roulant d'Un som-
met dans une vallée....
Les avalanches sont des masses de neige
qui quittent brusquement les sommets des
Alpes, et, faisant boule sur leur chemin, ac-
quièrent un grand volume et se précipitent
avec une si effroyable rapidité qu'elles en-
traînent tout ce qui se trouve sur leur pas-
sage, les arbres, les rochers, les chalets et les
maisons.
« En hiver, — dit le dictionnaire univer-
sel, — ce sont les vents qui déterminent la
formation des avalanches. Un grand froid
peut produire le même effet : il saisit les ino-
¡écules de la neige, la réduit en poussière, et
'elle-ci, dans cet état, n'ayant plus d'adhé-
. ;ence avec les corps qu'elle couvre, glisse des
montagnes.
. » Au printemps, la fonte des neiges devient
la principale cause des avalanches. C'est à
cette époque aussi qu'elles sont plus redouta-
bles. Lorsque les rayons solaires commencent
à acquérir de la force, il semblerait que la
superficie des masses de neige devrait se fon-
dre en premier lieu ; il n'en est pas ainsi :
la terre s'échauffe, communique sa chaleur à
ces masses de neige, en diminue l'adhérence
avec le sol et les détache du flanc des mon-
tagnes. C'est alors qu'elles roulent avec fracas
et vont porter au loin l'épouvante et la des-
truction.... »
Parfois, les forêts qui couvrent les côtes
guffîééflt à arrêter la marche du fléau. Par-
fcws'atîçsi, un rien, le vol d'un oiseau, le saut
cFun chamois. un coup de pistolet, un cri, le
bruit d'une sonnette, enfin une petite pluie
doue,e,, peuvent détacher les neiges dans les
montagnes, et assaillir les passants comme
un tourbillon. C'est, pourquoi l'on recom-
mande soigneusement aux voyageurs de mar-
cher de boa • matin, ; dà :f«ÛFe Ip ; moins de
Toïïnt pôs'sTb'Ie'/ efp^fté plus prompte.
ment qu'ils pourront. Les voituriers remplis-
sent de foin les sonnettes de leurs bêtes, afin
de ne faire aucun bruit.
Dans quelques endroits, la république hel-
vétique entretient le long des routes des espè-
ces de caveaux, où les voyageurs peuvent se
retirer lorsqu'ils entendent le bruit des nei-
ges. Des gens à gages vont, après la chute des
avalanches, nettoyer les chemins, et chercher
les malheureux qui peuvent s'y trouver ense-
velis.
Vous avez tous lu ce fait divers :
Jeudi dernier, à cinq heures du matin, un
nuage s'étendit sur la vallée de Chamounix;
le tonnerre gronda, et l'on aperçut un nuage
de fumée sur le glacier du Pèlerins.
— Le glacier s'est entr'ouvert! s'écrièrent
les paysans.
Et ils s'empressèrent de mettre leurs bes-
tiaux en sûreté.
L'avalanche ne se fit pas attendre.
Elle arriva énorme, lourde, inévitable, en-
traînant tout sur son passage, les sapins, les
ponts, les habitations... lin torrent barrait sa
route. E?,,.e le franchit; elle passa sur les
champs de seigle et de pommes de-terre, et,
s'étendant dans la prairie, elle forma un
lac...
Les Anglais, qui visiteront la Suisse, cet
été, braqueront leur lorgnette sur cette masîe
d'eau, et feront entendre cet aohï intradui
sible, qui signifie l'étonnement sans enthou-
siasme et la froide admiration que leur inspi-
rent les grands spectacles de la nature et de
la vie.
Donc, puisque les avalanches sont une ac-
tualité, je veux vous raconter deux ou trois
anecdotes, demeurées légendaires, que j'ai
recueillies lorsque j'ai traversé la Suisse de
Bâle au Saint-Gothard, en passant par Lucerne
et le lac des Quatre-Cantons.
Le premier épisode a trois siècles et demi
de date. Un corps de deux mi1le Allemands
traversait une montagne de la Suisse. Une
avalanéhe fondit sur lui. Quatre cents soldats
furent enveloppés. On les crut perdus. Heu-
reusement la neige était fraîche, légère, et les
.quatre ^ûte Sommes sortirent, l'np après
l'autre,île l'ouragan qu'on avait cru devoir
être leur tombeau.
Deux'çiècles plus tard, une autre avalanche
couvrit une compagnie tout entière de sol-
dats suisses ; mais les nationaux, moins heu-
reux que les étrangers; demeurèrent ense-
velis.
En 1528, le chevalier Gaspard de Branden-
berg de Zug voyageait, au printemps, accom-
pagné de son domestique, et suivi d'un petit
chien q&'il aimait beaucoup.
Ils avaient depuis peu quitté l'hospice du
Saint-Gotbard, et se dirigeaient vers Airolo,
dont ils étaient déjà très-près, lorsqu'une ava
lanche, descendue des - alpes qui bordent le
chemin, les engloutit tous deux. Le petit
chien, quise trouvait alors assez éloigné d'eux,
les voyant disparaître tout à coup, se mit à
hurler et à gratter la neige de toutes ses forces.
Il resta longtemps à la même place, retourna
ensuite à l'hospice, et, aboyant autour .des
personnes de la maison, il semblait leur de-
mander de le suivre,; on ne fit pas d'abord
attention à cet animal, qui revint près de
l'avalanche, recommença ses hurlements, et
continua ainsi pendant tout le jour et la nuit
suivante à faire de fréquents voyages à l'hos-
pice, en cherchant à attirer l'attention par ses
avertissements répétés.
Cependant, les gens de l'hospice, instruits
le lendemain que personne n'avait passé à
Airolo la veille, et reconnaissant le chien pour
celui des deux voyageurs, le suivirent enfin,
et furent conduits par lui à l'endroit où son
maitre avait disparu. Là, ses cris recom-
mencèrent, et la vue d'une' avalanche toute
fraîche indiqua le malheur qui était arrivé.
On alla chercher les instruments nécessaires,
et, après beaucoup de peines et de fatigues, on
parvint à sauver ces infortunés qui, depuis
trente-six heures, étaient ensevelis sous cette
neige, où ils attendaient la mort au milieu des
souffrances les plus cruelles.
Ils eurent cependant quelque espérance,
lorsqu'ils entendirent la voix et le bruit des
travailleurs. « Car, dit un chroniqueur, la
s) neige, assez compacte pour leur ôter tout
) pouvoir de remuer, était assez poreuse pour
D laisser arriver à leurs oreilles la voix de
) ceux qui étaient venus à leur secours. »
On voit encore à Zug,dans l'église de Saint-
Oswald, la tombe de ce chevalier. Elle est
surmontée d'une statue qui le représente avec
son épagneul à ses pieds. Ce fut lui-même
qui ordonna ce monum(,,nt, pour conservetla. _
sancedu service qu'il en avait reçu.
è >
. La plus touchante de ces histoires remonte
à un siècle et demi.
Un chasseur de la montagne, marié depuis
un an avec une femme qu'il aimait, était
père depuis quinze jours. Un matin de février,
voulant profiter d'un rayon de soleil, il quitta
sa maisonnette , et s'en alla dans les rochers
courir le chamois. Sa poursuite ne finit qu'à
la nuit. La jeune femme inquiète attendait
son retour, attentive au moindre bruit. Tout
à coup, un fracas, pareil à celui du tonnerre,
la rend immobile de frayeur. Elle regarde,
jette un cri. Une avalanche , passant sur les
rochers voisins, ensevelissait sa maison sons
une masse de neige. Le chasseur, inquiet de
son côté, avait pressé le pas. Où était sa chau-
mière, il trouva un mur de glace, que. la lune ..
éclairait d'une lueur sinistre. Il courut au *
village voisin pour y chercher du secours.
Les habitants prirent des pelles, des pioches,
et le suivirent dans la nuit.
Par malheur, l'avalanche était composée
de vieilles neiges gelées, et le froid avait
rapproché les glaçons. On dut abandonner
l'entreprise.
Seul, le mari, le père, ne renonça pas à
sauver sa femme et son enfant. Pendant neuf
jours, sa pioche frappa les parois durcies. Le
matin du dixième, il aperçut la cime d'un
platane qui s'élevait près de son toit. Les
autres, revinrent. Une cheminée perça la
neige. Enfin, un passage fut ouvert, qui per-
mit d'entrer dans la cabane. On entendit des
cris faibles... L'homme, si fort et si brave,
n'eut pas la force de supporter son bonheur.
Il tomba évanoui.
Sa femme et son enfant vivaient encore....
TONY RÉVILLON.
LA FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIERE PARTIE
V
48
Jusque-là, toutes les femmes qui s'étaient
présentées étaient venues seules.
Le chevalier de Castirac, en formulant la
prétention d'accompagner sa soeur , inaugu-
rait donc une nouvelle manière de présenta-
tion.
Maître Conrad avait bien voulu l'empêcher
d'aller plus loin; mais le Gascon avait une épée
au coté, il parlait haut, se donnait des airs
'V'Qiî' les numéros parus depuis le 21 juin;
de matamore, et le pauvre intendant eut
peur.
— Voilà un gaillard, pensa-t-il, qui va
m'embrocher comme un poulet si je lui ré-
siste.
Et il avait commencé par lui livrer pas-
sage.
Mais, au moment où le chevalier et sa pré-
tendue sœur allaient franchir le seuil de ce
petit salon, d'où toutes les aspirantes étaient
jusques alors sorties si désappointées, Conrad
vit se dresser un fantôme devant lui.
Ce fantôme était celui de Mme Edwige, la
terrible Mme Edwige qui, faisant trembler le
margrave, devait faire bien plus ^ trembler encore
son mari.
_
Qu'allait-elle dire ? '
Conrad sentait ses jambes fléchir, un nuage
passa .devant ses yeux, et le cœur lui man-
qua.
Heureusement ce malaise universel n'eut
que la durée d'un éclair et fut suivi d'une inspi-
ration.
— Monsieur, dit-il en prenant le chevalier
par le bras, un mot, un seul.
— Soit, mon bonhomme, répondit le chevalier,
mais faisons vite, car ma soeur est pressée de
devenir princesse ' '."j~ *
Conrad sentit un flot d'éloquence monter à
ses lèvres.
— Mon gentilhomme, dit-il, non-seulement
je ne vois aucun inconvénient à ce que vous ac-
compagniez mademoiselle votre sœur...
— A la bonne heure, fit le Gascon.
— Mais encore je suis persuadé qu'une pa-
reille démarche préviendra Son Altesse en
votre faveur.
— Je le crois bien, dit le Gascon. Dans notre
famille, les demoiselles sont bien élevées, ne
sortent jamais seules, et on peut les prendre de
confiance.
— Vous êtes trop gentilhomme, poursuivit
Conrad, pour ne pas m'accorder une minute,
une seule.
— Pourquoi faire?
— Afin que je prévienne Son Altesse.
— Soit, dit le chevalier, qui ne vit à cela
aucun inconvénient.
— Attendez-moi là, je ne fais qu'entrer et
sortir.
Et Conrad se glissa dans le petit salon, lais-
sant le chevalier et Jeanne la Bayonnaise à la
porte.
Au moins aurait-il le temps de prévenir la
terrible Mme Edwige.
i Celle-ci en le Noyant entrer, devina qu'il se
passait quelque chose d'extraordinaire»
Et, fronçant le sourcil, elle vint au-devant de
Conrad et lui dit :
— Qu'est-ce donc ?
— Un diable d'homme, un Gascon qui a des
moustaches d'une -aune et une épée d une
lieue.
— Que veut-il ?
— Il veut entrer.
— Le prince n'a que faire d'un homme.
— Il accompagna sa sœur... et il dit que sa
sœur n'entrera pas sans lui.
— Eh bien! dit froidement Mme Edwige,
qu'ils s'en aillent 1
— Vous êtes folle, dit Conrad. Il biiseia tout
ici, et il nous pourfendra tous.
— Comment est sa sœur ?
— Eblouissante, et c'est bien pour cela que
je ne voudrais pas que le prince la vit,
— Tu es un niais, dit Mme Edwige. Oublies-
tu donc que la glace qui défigure est toujours
là T
— Non.
— Eh bien ! laisse-les entrer.
— Mais le prince ?
— Je vais le prévenir.
Et Mme Edwige souleva une draterie, ouvrit
une porte et passa dans le grand salop, où le
margrave n'avait point quitté son pOËN! d'ah-
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