Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-07-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 juillet 1868 20 juillet 1868
Description : 1868/07/20 (A3,N823). 1868/07/20 (A3,N823).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717825h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent. le numéro
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. - Trois mois. Six moisi ', Un an.
.-i Paris 5 fr. 9 fr* IS fr.
~~ ~ ! , Départements.. 6 lt ne
~ ~ . , . Administrateur : E. DELSAUX* :
.âuào- année. — LUNDI 20 JUILLET 48G8. ^rJj# 823
Directeur- PrûpriétairC : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAGELONNB. -
' : BUREAUX D'ABONNEMENT : 9; rue OroOOL".
ADMINISTRATION *. 13, place Breda. -
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LE GRAND SEIGNEUR D'AUJOURD'HUI
Le grand seigneur d'autrefci§^ (fgsjLdpii
Juan. ^
Lorsque Molière eut écrit ce nom én tête
'd'une page blanche, il n'alla point chercher
Bon héros à Sévi!!e, il le prit à Paris.
C'était un homme que sa 'naissance Oiçftait.
à l'abri des lois, son éducation au-dessus des
préjugée, brave parce que son père et son
!grand-père -l'avaient été et qu'il avait de leur
sang dans les veines, en proie à mille désirs,
parce qu'il n'avait rien à faire.
Tous ces désirs, il les satisfera.
Musset lui reproche de n'être qu'un pauvre
'géduc.teur, parce qu'il épouse toutes les
femmes. Qu'importe! Ce qu'ils veut, c'est les
posséder, et, s'il prend par l'église, c'est que
c'est le chemin le plus court. Son originalité
n'est pas là. Elle estd-ans la Fcène où, comme
OIocaster en face de, la veuve d'Edouard IV,
il trouve Elvire plus belle, parce qu'elle
pleure; dans cette autre scène. où, voyant un
homme attaqué par des brigands,, il metl'ér
pée à la main et court d'instinct à son aide;
dans cette autre où il offre au mendiant de
lui payer un blasphème; elle est dans la scène
avec M. Dimanche, et dans cette admirable ,
conversation avec son père, où Ressaye de
l'hypocrisie. Pour Sganare!!e, dofl Juan est
un scélérat; pour Molière, c'était un grand
seigneur libertin ; pour nous, c'est un Pomme
hardi et bien doué, dont les mauvaises actions
ont pour explication et pour excuse l'état ■
'si il viVai^ _ A :y - > j
'» ■,iitnti il
Voici quel est le grand seigneur d'aujour-
d'hui :
Une charmante femme, qui est m'a cousine
parce qu'elle a épousé mon cousin, me disait
un jour :
— Figurez-vous que, quand j'étais petite,
je voulais absolument un noble pour mari.
Un noble ou le cloître! On se moquait de
moi, mais rien n'y faisait. Une de mes amies
de pension avait un parent marquis, et ce
marquis devait venir la visiter. Nous allions
voir un ma-rquis ! Dieu! Fut-il attendu, celui- j
là! Nous n'en dormions plus. Il était l'unique J
obiet de nos conversations. Nous faisions son j
portrait : il devait être grand, mince, avec les
.cheveux blonds ou châtain clair, l'œil bleu
' '-é oite et fine; joignez à cela une élégance
Suprême et un air hautain, qui contrasterait
' ajvec la douceur de son sourire, quand il sou-
frait, ce qui ne pouvait manquer d'arriver.,
Enfin, le grand jour se leva. Nous vîmes
entrer au parloir un homme de taille moyenne,
gros, trapu, aux yeux jaunes, aux cheveux
bruns, qui gantait huit et demi et chaussait
{les bateaux. C'était le marquis. Quelle dé-
o ception !.,. '
Et voilà pourquoi je suis votre cousine. De
rage, j'ai épousé mon mari qui est notaire. j
— Et vous en voulez beaucoup aux nO-Ji
blés? y
— Je leur en veux de ma déception, maie*
c'est tout. Au fond, je suis convaincue que ce
sont des hommes comme les autres.
— Pas tout à fait, et, si vous avez le temps
de m'écouter, j'essayerai de vous les faire
connaître.
r- A votre aise, mon cousin.
j — L'homme, ma. cousine, ou plutôt le ca-
! ractère de l'homme, est le produit de trois
; choses : la nature, l'éducation et le's circon-
stances.
j La. nature crée des tempéraments nerveux
! ou lymphatiques, bilieux ou sanguins; mais
je ne crois pas qu'elle établisse 'de différence
; entre les babys du faubourgSaint-Germain et'
ceux du faubourg Saint-Denis, et je crois
que le hasard seul préside à la répartition des
cheveux blonds et des petits pieds.
Pour l'éducation, c'est une autre chose.
Ees-htmwnesfaubourg Sai"epmain @
ont été élevés comme tout le monde devrait
l'être, c'est-à-dire qu'ils ont fait de la gym-,
nastique et de l'équitation, qu'ils ont eu un
maître d'armes et un maître à danser. Je n'at-
tache pas plus d'importance qu'il ne faut au
mens sana in corpore sano, mais je reconnais
hautement que monter à cheval et faire des
armes sont des exercices excellents qui déve-
loppent et assouplissent les membres.
Ce qu'on appelle l'air comme il faut n'est
pas autre chose que le résultat de ces exer-
cices joint à une certaine façon de se vêtir.
Les enfants, vous le savez, sont tous imita-
teurs comme les singes. Devenus grands, ils
s'habillent comme ils ont vu s'habiller les
grandes personnes qui les entouraient quand
ils étaient Detits. La COUDE des vêtements
peut varier, ils ont retenu cette harmonie des '
étoffes et êps couleurs qui est toute la science
du costui^. Ils savent assortir des nuances
presque toujours sombres, et composer un
tout élégant qui ne frappe pas le redyjd : sa-
vez-vous pourquoi ? c'est qu'il ne Te blesse
Jamall." .. a
Ceci est commun aux gentilshommes et aux
gentlemen.
Ce qui est propre aux premiers, c'est la
consriénçe~ qu'its ont de la valeur que leur
donne lent'. naissance. Ti),;jt à l'heure, vous
me disiez les imaginations que ce seul mot de
« marqua » avait éveillées dans des cervelles
de pensionnaires. Tout le monde est un peu
pensionnaire sous ce rapport-là. Le fils du
marquis s'entend appeler monsieur le comte,
à l'âge de quatre ans. Il entend raconter, à
huit, quft son cousin, qui n'avait pas le sou,
a épouse la fille d'un banquier riche à mil-
lions. Il demeurera convaincu qu'il est d'une
autre essence que les drôles qui l'appellent
I monsieur le comte et que les banquiers.
[ Ce qui frappe le plus chez les gens nés (une
de leurs locutions ; il parait que les autres ne
le sont pts), c'est leur parfaite indulgence.
Parlez .devant eux d'un marchand coupable
[ d'atroces: canailleries commises dans l'espoir
d'un gaiA : « Le pauvre diable ! vous répon-
dront-ils; il voulait s'enrichir, que voulez-
vous dopé 1,]) Nulle indignation. Je les ai en-
tendus vingt fois. S'il s'agit de quelqu'un de
leur monde qui ait mal agi, il est excusé par
cela seul qu'il est de'leur monde. Le a Elle
est si grande dame! » a son pendant naturel :
« Iî est,d-e si bonne maison! »
Il n'y i^guère que les gens de la cour qu'ils
traitent 'mal. Et encore dans leurs salons ; car,
au club. ils sont la plupart du temps en co-
quetterie avec eux. Quelque gentilhomme que
l'on soit, on n'est jamais complètement insen-
sible aux politesses d'un ministre ou d'un gé-
néral d'armée ; pas plus, du reste, que le gé-
néral et le ministre ne le sont à l'accueil du
gentilhomme.
Eh bien? qu'est-ce, au fond, que cette in-
dulgence universelle, sinon l'indifférence,
et l'égoïsme de caste dans toute !eur naïyeté?
Cet égoïsme-là est particulier au faubourg
Saint-Germain, et c'est un trait distinctif,
convenez-en !
Un autre trait signale le gentilhomme, sans 1
qu'il en ait le monopole, toutefois ; il cause
bien.
Cela tient surtout à ce qu'il est oisif.
, Rien d'absorbant comme une spécialité.
Qu'il soit industriel ou savant, qu'il s)btcupe
de commerce ou de politique, qu'il poursuive
le pouvoir ou la fortune, l'homme qui pour-
suit un but est, par cela seul, indifférent,
étranger à tout le reste, « barbare », disaient
les Latins. Mettez-le sur son terrain, il sera
éloquent; ôtez l'en, il paraîtra stupide.
Le gentilhomme, an contraire, étranger aux
affaires publiques depuis plus de trente ans,
observateur par désœuvrement, comme le
poëte comique et le romancier le sont par
goût, triomphe comme eux sur le terrain de
la conversation...-
Il a, de plus qu'eux, l'acquit que donnent
les voyages, l'aplomb que donne la naissance,
et le tact qui s'acquiert dans les salons ; il a
de moins la hardiesse des aperçus, l'origina-
lité des tournures, et la verve, fille de la pas-
sion, car il est trop indifférent pour se pas-
sionner.
Ce trait est la part des circonstances, dans
son caractère. Les circonstances, c'est la ri-
chesse dont il jouit. Un gentilhomme pauvre,
forcé de faire son chemin, rentre dans la ca:1
tégorie des gens à spécialités. -
— Comment vivent les hommes du fau^
bourg Saint-Germain ?
— A peu près comme tous les hommes qui
vivent de leurs rentes : chacun obéit à sa fa-
culté maîtresse. L'un s'occupe d'agriculture,
l'autré court les ventes, un troisième court les
filles et .n quatrième .fait courir. Presque
tous sont de deux ou trois .cercles. ,Ce qni les
distingue des rares oisifs plébéiens, c'est leur
assiduité aux courses et leur connaissance du
blason. Ceux qui ne vont, pas fumer au club,
' après dîner, ont un fumoir chez eux. Le soir,
après avoir conduit ieur femme à l'Opéra ou
en visite, ils retournent une demi-heure au
club, savoir les nouvelles de la journée. Entre
eux, ils se tutoient rarement, et, à moins
d'être nés de-1809 à 1822, ils ne tutoient pas
leur père et leur mère.
Ils ne causent pas avec leurs domestiques,
mais ils causent devant eux, sans se soucier
aucunement d'être entendus. Quelques-uns,,
le matin, se livrent devant leur valet de
chambre à des monologues, auxquels le valet
répond par des a parte. Au fond, c'est un dia-
logue, mais cel-a n'en a pas l'air, et tout est
pour le mieux.
TONY RÉVILLON.
LA
FEMME IMMORTELLE
mess=""30 PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XXXI
Mais si terrible que fut cette reprise d'armes,
elle n empêcha pas néanmoins les deux adver-
saires d échanger quelques mots,
Vous m avez reconnu,, disait le marquis,
mais je vous ai reconnu aussi, moi. Vous êtes le
chevalier d'Esparron. l'amant de la sorcière, du
vampire qui fait de l 'or avec du sang humain.
Voir; les nuia&#s parus depuis Je 21 juin. ;
— En vérité, ricana l'homme au masque, vous
savez trop de choses, marquis.
— Ah ! vous trouvez ?
— On dit que les enfants précoces vivent peu,
poursuivit l'homme au masque, mais les vieil-
lards qui ont trop de mémoire finissent mal.
— C'est ce quo nous verrons bien, dit le mar-
quis avec rage.
Et son épée se tordait et sifflait comme une
couleuvre, cherchant toujours le chemin de la
poitrine de son adversaire, et rencontrant sans
,cesse, le fer.
— Je ne m'étonne pas, disait encore celui-ci,
que vous ayez conservé des passions de jeune
homme, marquis
Tudieu! vous ètes une rude lame.
— J'espère bien vous tuer, vociféra M. de la
Roche-Lambert qui perdait tout rang froid.
— Bon ! parlons-en...
— Et quand je vous aurai tué...
— Ah ! oui, quand vous m'aurez tué, que fe-
rez-vous ?
— J'entrerai dans cette maison.
— Et puis ?
— Et puis je mettrai sur la gorge du bon-
homme, avec qui je causais tout à l'heure,
mon épée toute ruisselante de sang, et il faudra
bien qu'il parle.
— Que voudriez-TOUS donc Qu'il vous dît ?
il ' 1
— Je veux qu'il m'indique le passage souter-
rain qui mène chez Janine.
— La femme immortelle?
— Oui.
— Vous y croyez donc?
— Si j'y crois !... mais, vous aussi, vous y
croyez.
— Peut-être...
— Puisque vous êtes son amant.
L'adversaire du marquis continuait à ricaner
à travers son masque.
— Mais, que lui voulez-vous done, à: cette
femme ? dit-il. r
— Je veux la voir. - 1
Pourquoi ?
— Je l'aime.
— Encore?
— Et je veux l'épouser.
— Marquis, vous êtes foui..
— Que vous importe ?
Et M. de la Roche-Lambert pressait de plus
en plus son adversaire.
Mais celui-ci parait toujours et semblait in-
vulnérable.
— Marquis, disait-il encore, vraiment à votre
âge, c'est de la pure folie. Vous n'avez plus
vingt ans, comme au temps où vous dénonçâtes
la pauvre sorcière qui vous aimait et la livrâtes
|au bûcher. Croyez-moi. entra la femme que
*
vous cherchez et celle dont vous avez ca"sé la
mort, il n'y a aucun rapport.
— C'est la même ! hurla le marquis.
— Soit, admettons-le. Mais alors, cotte fem-
me ne vous aime plus.
— Oh !
— Elle vous hait même...
— Pourtant, reprit M. de la Roche-Lambert,
je ne suis pas le plus coupable, moi.
Ces mots arrachèrent un cri d'étonnement à
l'homme au masque.
— Vraiment ? dit-il.
— Non, celui qui a véritablement perdu Ja-
nine, c'est le prince margrave de Lansbourg
Nassau.
— Vous savez cela ?
— Oui. -
— Ah 1 ah ! vous savez bien d.es choses.
— Je sais encore que le prince est à Pans.
L'homme au masque tressaillit de nou-
veau.
— Et que ses gens, sinon lui, ont renoué des
relations avec la rue de l'Hirondelle, acheva le
marquis.
— Ah! cette fois, vous en savez trop, dit
l'homme au masque, et changeant subitement
de jeu, laissant la défensive pour l'attaque, il sa
mit tout à coup à presser le marquis, le forçant
à rompre et il le poussa ainsi jusqu'au mac.
JOURNAL QUOTIDIEN
S cent. le numéro
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. - Trois mois. Six moisi ', Un an.
.-i Paris 5 fr. 9 fr* IS fr.
~~ ~ ! , Départements.. 6 lt ne
~ ~ . , . Administrateur : E. DELSAUX* :
.âuào- année. — LUNDI 20 JUILLET 48G8. ^rJj# 823
Directeur- PrûpriétairC : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER-BRAGELONNB. -
' : BUREAUX D'ABONNEMENT : 9; rue OroOOL".
ADMINISTRATION *. 13, place Breda. -
PHYSIONOMIES PARISIENNES
LE GRAND SEIGNEUR D'AUJOURD'HUI
Le grand seigneur d'autrefci§^ (fgsjLdpii
Juan. ^
Lorsque Molière eut écrit ce nom én tête
'd'une page blanche, il n'alla point chercher
Bon héros à Sévi!!e, il le prit à Paris.
C'était un homme que sa 'naissance Oiçftait.
à l'abri des lois, son éducation au-dessus des
préjugée, brave parce que son père et son
!grand-père -l'avaient été et qu'il avait de leur
sang dans les veines, en proie à mille désirs,
parce qu'il n'avait rien à faire.
Tous ces désirs, il les satisfera.
Musset lui reproche de n'être qu'un pauvre
'géduc.teur, parce qu'il épouse toutes les
femmes. Qu'importe! Ce qu'ils veut, c'est les
posséder, et, s'il prend par l'église, c'est que
c'est le chemin le plus court. Son originalité
n'est pas là. Elle estd-ans la Fcène où, comme
OIocaster en face de, la veuve d'Edouard IV,
il trouve Elvire plus belle, parce qu'elle
pleure; dans cette autre scène. où, voyant un
homme attaqué par des brigands,, il metl'ér
pée à la main et court d'instinct à son aide;
dans cette autre où il offre au mendiant de
lui payer un blasphème; elle est dans la scène
avec M. Dimanche, et dans cette admirable ,
conversation avec son père, où Ressaye de
l'hypocrisie. Pour Sganare!!e, dofl Juan est
un scélérat; pour Molière, c'était un grand
seigneur libertin ; pour nous, c'est un Pomme
hardi et bien doué, dont les mauvaises actions
ont pour explication et pour excuse l'état ■
'si il viVai^ _ A :y - > j
'» ■,iitnti il
Voici quel est le grand seigneur d'aujour-
d'hui :
Une charmante femme, qui est m'a cousine
parce qu'elle a épousé mon cousin, me disait
un jour :
— Figurez-vous que, quand j'étais petite,
je voulais absolument un noble pour mari.
Un noble ou le cloître! On se moquait de
moi, mais rien n'y faisait. Une de mes amies
de pension avait un parent marquis, et ce
marquis devait venir la visiter. Nous allions
voir un ma-rquis ! Dieu! Fut-il attendu, celui- j
là! Nous n'en dormions plus. Il était l'unique J
obiet de nos conversations. Nous faisions son j
portrait : il devait être grand, mince, avec les
.cheveux blonds ou châtain clair, l'œil bleu
'
Suprême et un air hautain, qui contrasterait
' ajvec la douceur de son sourire, quand il sou-
frait, ce qui ne pouvait manquer d'arriver.,
Enfin, le grand jour se leva. Nous vîmes
entrer au parloir un homme de taille moyenne,
gros, trapu, aux yeux jaunes, aux cheveux
bruns, qui gantait huit et demi et chaussait
{les bateaux. C'était le marquis. Quelle dé-
o ception !.,. '
Et voilà pourquoi je suis votre cousine. De
rage, j'ai épousé mon mari qui est notaire. j
— Et vous en voulez beaucoup aux nO-Ji
blés? y
— Je leur en veux de ma déception, maie*
c'est tout. Au fond, je suis convaincue que ce
sont des hommes comme les autres.
— Pas tout à fait, et, si vous avez le temps
de m'écouter, j'essayerai de vous les faire
connaître.
r- A votre aise, mon cousin.
j — L'homme, ma. cousine, ou plutôt le ca-
! ractère de l'homme, est le produit de trois
; choses : la nature, l'éducation et le's circon-
stances.
j La. nature crée des tempéraments nerveux
! ou lymphatiques, bilieux ou sanguins; mais
je ne crois pas qu'elle établisse 'de différence
; entre les babys du faubourgSaint-Germain et'
ceux du faubourg Saint-Denis, et je crois
que le hasard seul préside à la répartition des
cheveux blonds et des petits pieds.
Pour l'éducation, c'est une autre chose.
Ees-htmwnesfaubourg Sai"epmain @
ont été élevés comme tout le monde devrait
l'être, c'est-à-dire qu'ils ont fait de la gym-,
nastique et de l'équitation, qu'ils ont eu un
maître d'armes et un maître à danser. Je n'at-
tache pas plus d'importance qu'il ne faut au
mens sana in corpore sano, mais je reconnais
hautement que monter à cheval et faire des
armes sont des exercices excellents qui déve-
loppent et assouplissent les membres.
Ce qu'on appelle l'air comme il faut n'est
pas autre chose que le résultat de ces exer-
cices joint à une certaine façon de se vêtir.
Les enfants, vous le savez, sont tous imita-
teurs comme les singes. Devenus grands, ils
s'habillent comme ils ont vu s'habiller les
grandes personnes qui les entouraient quand
ils étaient Detits. La COUDE des vêtements
peut varier, ils ont retenu cette harmonie des '
étoffes et êps couleurs qui est toute la science
du costui^. Ils savent assortir des nuances
presque toujours sombres, et composer un
tout élégant qui ne frappe pas le redyjd : sa-
vez-vous pourquoi ? c'est qu'il ne Te blesse
Jamall." .. a
Ceci est commun aux gentilshommes et aux
gentlemen.
Ce qui est propre aux premiers, c'est la
consriénçe~ qu'its ont de la valeur que leur
donne lent'. naissance. Ti),;jt à l'heure, vous
me disiez les imaginations que ce seul mot de
« marqua » avait éveillées dans des cervelles
de pensionnaires. Tout le monde est un peu
pensionnaire sous ce rapport-là. Le fils du
marquis s'entend appeler monsieur le comte,
à l'âge de quatre ans. Il entend raconter, à
huit, quft son cousin, qui n'avait pas le sou,
a épouse la fille d'un banquier riche à mil-
lions. Il demeurera convaincu qu'il est d'une
autre essence que les drôles qui l'appellent
I monsieur le comte et que les banquiers.
[ Ce qui frappe le plus chez les gens nés (une
de leurs locutions ; il parait que les autres ne
le sont pts), c'est leur parfaite indulgence.
Parlez .devant eux d'un marchand coupable
[ d'atroces: canailleries commises dans l'espoir
d'un gaiA : « Le pauvre diable ! vous répon-
dront-ils; il voulait s'enrichir, que voulez-
vous dopé 1,]) Nulle indignation. Je les ai en-
tendus vingt fois. S'il s'agit de quelqu'un de
leur monde qui ait mal agi, il est excusé par
cela seul qu'il est de'leur monde. Le a Elle
est si grande dame! » a son pendant naturel :
« Iî est,d-e si bonne maison! »
Il n'y i^guère que les gens de la cour qu'ils
traitent 'mal. Et encore dans leurs salons ; car,
au club. ils sont la plupart du temps en co-
quetterie avec eux. Quelque gentilhomme que
l'on soit, on n'est jamais complètement insen-
sible aux politesses d'un ministre ou d'un gé-
néral d'armée ; pas plus, du reste, que le gé-
néral et le ministre ne le sont à l'accueil du
gentilhomme.
Eh bien? qu'est-ce, au fond, que cette in-
dulgence universelle, sinon l'indifférence,
et l'égoïsme de caste dans toute !eur naïyeté?
Cet égoïsme-là est particulier au faubourg
Saint-Germain, et c'est un trait distinctif,
convenez-en !
Un autre trait signale le gentilhomme, sans 1
qu'il en ait le monopole, toutefois ; il cause
bien.
Cela tient surtout à ce qu'il est oisif.
, Rien d'absorbant comme une spécialité.
Qu'il soit industriel ou savant, qu'il s)btcupe
de commerce ou de politique, qu'il poursuive
le pouvoir ou la fortune, l'homme qui pour-
suit un but est, par cela seul, indifférent,
étranger à tout le reste, « barbare », disaient
les Latins. Mettez-le sur son terrain, il sera
éloquent; ôtez l'en, il paraîtra stupide.
Le gentilhomme, an contraire, étranger aux
affaires publiques depuis plus de trente ans,
observateur par désœuvrement, comme le
poëte comique et le romancier le sont par
goût, triomphe comme eux sur le terrain de
la conversation...-
Il a, de plus qu'eux, l'acquit que donnent
les voyages, l'aplomb que donne la naissance,
et le tact qui s'acquiert dans les salons ; il a
de moins la hardiesse des aperçus, l'origina-
lité des tournures, et la verve, fille de la pas-
sion, car il est trop indifférent pour se pas-
sionner.
Ce trait est la part des circonstances, dans
son caractère. Les circonstances, c'est la ri-
chesse dont il jouit. Un gentilhomme pauvre,
forcé de faire son chemin, rentre dans la ca:1
tégorie des gens à spécialités. -
— Comment vivent les hommes du fau^
bourg Saint-Germain ?
— A peu près comme tous les hommes qui
vivent de leurs rentes : chacun obéit à sa fa-
culté maîtresse. L'un s'occupe d'agriculture,
l'autré court les ventes, un troisième court les
filles et .n quatrième .fait courir. Presque
tous sont de deux ou trois .cercles. ,Ce qni les
distingue des rares oisifs plébéiens, c'est leur
assiduité aux courses et leur connaissance du
blason. Ceux qui ne vont, pas fumer au club,
' après dîner, ont un fumoir chez eux. Le soir,
après avoir conduit ieur femme à l'Opéra ou
en visite, ils retournent une demi-heure au
club, savoir les nouvelles de la journée. Entre
eux, ils se tutoient rarement, et, à moins
d'être nés de-1809 à 1822, ils ne tutoient pas
leur père et leur mère.
Ils ne causent pas avec leurs domestiques,
mais ils causent devant eux, sans se soucier
aucunement d'être entendus. Quelques-uns,,
le matin, se livrent devant leur valet de
chambre à des monologues, auxquels le valet
répond par des a parte. Au fond, c'est un dia-
logue, mais cel-a n'en a pas l'air, et tout est
pour le mieux.
TONY RÉVILLON.
LA
FEMME IMMORTELLE
mess=""30 PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE
XXXI
Mais si terrible que fut cette reprise d'armes,
elle n empêcha pas néanmoins les deux adver-
saires d échanger quelques mots,
Vous m avez reconnu,, disait le marquis,
mais je vous ai reconnu aussi, moi. Vous êtes le
chevalier d'Esparron. l'amant de la sorcière, du
vampire qui fait de l 'or avec du sang humain.
Voir; les nuia&#s parus depuis Je 21 juin. ;
— En vérité, ricana l'homme au masque, vous
savez trop de choses, marquis.
— Ah ! vous trouvez ?
— On dit que les enfants précoces vivent peu,
poursuivit l'homme au masque, mais les vieil-
lards qui ont trop de mémoire finissent mal.
— C'est ce quo nous verrons bien, dit le mar-
quis avec rage.
Et son épée se tordait et sifflait comme une
couleuvre, cherchant toujours le chemin de la
poitrine de son adversaire, et rencontrant sans
,cesse, le fer.
— Je ne m'étonne pas, disait encore celui-ci,
que vous ayez conservé des passions de jeune
homme, marquis
Tudieu! vous ètes une rude lame.
— J'espère bien vous tuer, vociféra M. de la
Roche-Lambert qui perdait tout rang froid.
— Bon ! parlons-en...
— Et quand je vous aurai tué...
— Ah ! oui, quand vous m'aurez tué, que fe-
rez-vous ?
— J'entrerai dans cette maison.
— Et puis ?
— Et puis je mettrai sur la gorge du bon-
homme, avec qui je causais tout à l'heure,
mon épée toute ruisselante de sang, et il faudra
bien qu'il parle.
— Que voudriez-TOUS donc Qu'il vous dît ?
il ' 1
— Je veux qu'il m'indique le passage souter-
rain qui mène chez Janine.
— La femme immortelle?
— Oui.
— Vous y croyez donc?
— Si j'y crois !... mais, vous aussi, vous y
croyez.
— Peut-être...
— Puisque vous êtes son amant.
L'adversaire du marquis continuait à ricaner
à travers son masque.
— Mais, que lui voulez-vous done, à: cette
femme ? dit-il. r
— Je veux la voir. - 1
Pourquoi ?
— Je l'aime.
— Encore?
— Et je veux l'épouser.
— Marquis, vous êtes foui..
— Que vous importe ?
Et M. de la Roche-Lambert pressait de plus
en plus son adversaire.
Mais celui-ci parait toujours et semblait in-
vulnérable.
— Marquis, disait-il encore, vraiment à votre
âge, c'est de la pure folie. Vous n'avez plus
vingt ans, comme au temps où vous dénonçâtes
la pauvre sorcière qui vous aimait et la livrâtes
|au bûcher. Croyez-moi. entra la femme que
*
vous cherchez et celle dont vous avez ca"sé la
mort, il n'y a aucun rapport.
— C'est la même ! hurla le marquis.
— Soit, admettons-le. Mais alors, cotte fem-
me ne vous aime plus.
— Oh !
— Elle vous hait même...
— Pourtant, reprit M. de la Roche-Lambert,
je ne suis pas le plus coupable, moi.
Ces mots arrachèrent un cri d'étonnement à
l'homme au masque.
— Vraiment ? dit-il.
— Non, celui qui a véritablement perdu Ja-
nine, c'est le prince margrave de Lansbourg
Nassau.
— Vous savez cela ?
— Oui. -
— Ah 1 ah ! vous savez bien d.es choses.
— Je sais encore que le prince est à Pans.
L'homme au masque tressaillit de nou-
veau.
— Et que ses gens, sinon lui, ont renoué des
relations avec la rue de l'Hirondelle, acheva le
marquis.
— Ah! cette fois, vous en savez trop, dit
l'homme au masque, et changeant subitement
de jeu, laissant la défensive pour l'attaque, il sa
mit tout à coup à presser le marquis, le forçant
à rompre et il le poussa ainsi jusqu'au mac.
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