Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-06-23
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 23 juin 1868 23 juin 1868
Description : 1868/06/23 (A3,N796). 1868/06/23 (A3,N796).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177982
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN * -
H cEnt Iè numéro ;:
/ 1: u SiêC.k numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois, Un ta.
, Pans ... 5 fr. 9 fr. 118 fro
DépJ.l't6Ulcnt5 .. S 1 t et
Administrateur ; E. , DELSAUX.
: ~ :ync année. — MARDI 23 JUIN 1868. — Ng 796
Dîrecteur-Proptiétaire '. JANNIN.
Rédacteur en chef ; A. &E BALATHIER BR A G E L 0 NNlc<
BUREAUX D'ABONNEMENT 1 ©, PMO Drouot.
ADMINISTRATION fi3, place Breda.
PARIS, 22 JUIN 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LA CORDE DE PENDU
\
X . y
Lorsqu'on arrive.en AHomagne^-Gn trouve
d'abord deux Alluuands.
Le premier, bonhomme comme un person-
nage. d'Auguste Lafontaine, naïf, généreux,
prêt à s'amnser du moindre enfantillage, bu-
veu<\ fumeur, rêveur, vous apparaît dans un
jardin planté de houblon, sur le seuil d'une
maison pleine d'enfants, non loin d'une bras-
serie où l'on chante en chœur.
Le second, au contr-nre, m il leur comme le
Mcphistopliélès de Goethe, rusé, âpre au gain,
instruit, à s'ennuyer de n'avoir plus rièn à
apprendre, se tient dans un comptoir, près
d'une fenêtre à barreaux, occupé à faire des
chiffres. Son œil, comme celui du premier,
est d'un bleu limpide. Mais qu'il y passe un
éclair, et l'on croirait que le regard du diable
a lui.
Un trait commun : pas ou peu d'événe-
ments dans l'existence , des mondes dans
la pensée... ' -
Quelquefois, chers lecteurs, ces deux Alle-
mands sont réunis dans la même personne.
Alors vous avez l'Allemagne incarnée dans
un type original et vivant.
Tel était Fritz Graff de Francfort sur le }
Mein....
La maison Graff avait flori autrefois. Quand
Fritz fermait les yeux pour se recueillir et
essayait de retrouver son enfance dans ses
souvcriirp, il voyait son père signant des bor-
dereaux du cent mille francs, au milieu d'un
peuple de commis, d'employés et de clients.
Il entendait remuer t'or dans les grandes
salles basses et sombres du rez-de-chaussée.
En haut, sur la nappe blanche, mouée aux
coins comme dans les festins bibliques, les
serviteurs disposaient les fleurs et l'argen-
terie... - ,
Hélas! tout cela passait vite. Y ]
Le pauvre Fritz s'apercevait lui-même, les
pieds dans !a neige, suivant un cercueil... 1
Puis il se retrouvait dans un pays inconnu,
entre deux femmes vêtues de noir, — sa mère
et sa sœur,— qui pleuraient en le regar-
dant.
Le pays devenait familier. C'était Stras-
bourg, où triomphe la combinaison de l'esnrit
français et de la solidité germanique. Fritz
grandissait; il entrait dans une maison de
-banque; il arrivait à gagner deux cents francs
par mois après avoir, pendant cinq ans,
donné la preuve d'une capacité financière à
faire rêver les Rothschild...
Le soir, le jeune homme sortait de la ville.
il faisait une lieue et il arrivait à la maison-
nette qu'habitaient sa mère et sa sœur. On
soupait en famirc et l'on parlait du passé.
Le maigre appointement de Fritz suffisait
à peine aux frais d LI ménage. Les deux femmes
travaiUaient, de leur côté, pour gagner quel-
ques sous. La mère perdait ses yeux; la fille
ce se mariait pas; le fils cherchait...
— Il faut que je fasse fortune, il le faut
pour elles et pour moi!... -
Telle était l'idée fixe du pauvre garçon.
Parfois il lui semblait qu'elle se réalisait.
Sa mère avait de nouveau des domestiques ;
sa sœur se promenait dans la campagne en
donnant le bras à Karl Brunner, devenu son
mari; lui jouait avec ses nièces et ses lle-
veux....
De penser à tout cela, Fritz devenait fou.
Sa face rayonnait de plaisir, et de grosses
larmes remplissaient ses yeux.
C'était le bon Allemand.
Le mauvais venait ensuite, avec ses lèvres
serrées et son regard pareil à celui de Satan.
— Faire fortune! Comment? Par quel
moyen?
Fritz, en ces moments, ne regardait pas aux-
moyens.
Il passait en revue les diverses professions
ouvertes à son activité.
Avocat? -, Il fallait faire son droit ; .
Médecin ? — Suivre les cours de la Fa-
culté;
Négociant ? — Apprendre le commerce ;
Banquier ? — Posséder un capital.
Ainsi de tous les états.
Ceci se passait il y a dix ans. Quand on ne
savait que faire, on ne se faisait pas encore
homme de lettres, comme aujourd'hui.
Un soir de mai qu'on parlait de Bade - de-
vant lui, Fritz se dit : •
— Si je me faisais joueur!...
Le lendemain, le bon Allemand était sorti
de Frifz pour faire place au financier aigre et
froid qui calcule les chances d'une partie
comme un général celles d'une bataille.
Pour jouer, une mise de fonds est néces-
saire. Où trouver cette mise? 11 n'avait rien.
Le jeune homme s'adressa successivement
a chacun de ses amis et .de ses compagnons.
Sans leur dire ce qu'il voulait en faire, il
leur emprunta la somme dont ils pouvaient
disposer. Quand je vous aurai dit qu'il réunit
ainsi cinq mille francs, vous aurez la mesure
de son génie. Cinq mille francs, — à Stras-
bourg, — quand on n'offre d'autre garantie
qu'une place de commis dans une maison de
banque... Cela ne s'était jamais vu et ne se
reverra pas !..
— La somme est insuffisante L - ■- s
Fritz avait trouvé une marche; Il avait be-
soin de dix mille francs pour commencer.
Dix mille francs 1 Où prendre les cinq qui
manquaient encore ?
Les femmes possédaient quelques petits
bijoux, — rien. Ce rien fut engagé et pro-
duisit cinq cents francs.
Un juif prêta encore cent francs sur la re-
connaissance.
Fritz accomplissait toutes ces choses froi-
dement, sans discours inutiles, en banquier
qui fait argent de tout et qui s'en cache.
— Cinq mille six cents !...
Il regarda une dernière fois autour de lui;
Personne.
Alors il rentra dans les bureaux. Il se
plaça sans hâte devant son pupitre, et, de sa
-belle écriture correcte, il traça ces mots sur
un carré de papier :
« Pris quatre mille quatre cents francs à
valoir sur mes appointements. Strasbourg,
le.... » ■
Et il signa. -
Une heure après, ses dix mille francs en
portefeuille, impassible, résolu à tenter le
sort, Méphistophélès passait le Rhin..
— Je vais me promener à Bade, je revien-
drai lundi. "
La mère avait dit : — Va, mon enfant, et
amuse-toi bien.
— Rapporte-moi quelque chose de joli,
avait ajouté la sœur. J
Pendant toute la soirée du samedi et toute;
- — ' * - " 1 * ■■ " •
la journée du dimanche, elles n'av¡J.it5nt ps-rU :
que de leur Fritz. ■
Les oreilles d.ojvpnt .< lui tinter, à notre
VOYAGEUR!
— Ah ! je suis bien sûr qu'il pense à nous
de son côté.
En 'cpel ' il jouait pour elles!..
Le lundi, l'aiguille de l'horloge marcha
avec une lenteur singulière.
— Je n'aurais jamais cru, disait la mère,
que le temps pût me durer ainsi.
Le soir vist. Fritz ne rentra pas.
— Mon Dieu ! pourvu qu'il ne lui soit rien.
arrivé, Luisa !....
Lnisa se mit à trembler, mais elle affecta
de dire bien haut : '
— Que tu es enfant, mère ! Il aura manaue
le train, voilà tout !...
— C'est probable !
Ce qui est certain, c'est qu'on ne dorrm»
pas cette nuit-là dans la maisonndte.
— Luisa, quelle heure est-H ?
— Cinq hetires, @-inère.
— Comme il fait jour de bonne heure
maintenant ! Y'"""
— Non sommes au mois de jVin.
— Ton frère n'est pas Mntrc, par hasard?
— Non. Veux-tu'que. j'aille . à sa ren-
contre? .. '
— Cela te fera du 'bieii. Va, mon enfant, et
ramène-le pour déjeuner. Il fera attendre sa
banque pour aujourd'hui... Je vais me lever
et je vous préparerai une tarte aux fram-
boises. Ç'est ce qu'il aime le mieux.,.
Lé çoleil se.levaitsnr le Ilbin, à l'horizon
Se3 premiers rayons tremblaient SIl" la rouir -
entre les saules, les peupliers et les platane:
Ça et là, danses prés, passaient, nn panii
sur la tête, des femmes en jupon rouge raj
de noir. Les oiseaux commençaient leur con-
cert. Ce réveil de ia nature mit la joie et la
confiance au cœur de Luisa. :
Aussitôt arrivée à Strasbourg, elle-alla
droit à la maison de banque où travaillait
Fritz. La maison était fermée. Elle frappa;
une voix lui répondit de derrière les volets :
- A neuf heures!... Elle frappa encore.
Plus rien. L'homme s'était rendormi sans
doute.
V- #
La jeune fille suivit les rues dans la direc
tion de la place Kléber, écoutant, par inter-
valles, si elle n'entendra^pas rouler l'omnibus
du chemin de fer..
LA
FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE III
9
iLe ïMaftiIs de la B(Mje-Lafnberfe reprit : ?
— Vous tous qui m'écoatez ici, vous savez
quelle est l'éloquence âpre : et sauvage de la
passion. On aime parce qu'on aime, et l'amour
est sans excuse, comme il est sans remède. -
J'aimais un vampire, la chose était certaine,
et cependant je ne me ruai point sur mon épée,
Voir les numéros parus depuis le 21 juin»
que j'avais posée sur un guéridon, à la portée
de ma main.
Que se passa-t-il entre elle et moi? Dieu le
sait! .
Mais, quand le jour vint, j'étais à se-s, genoux,
priant, pleurant, suppliant, et elle me regardait
avec tendresse et me disait :
— Tu m'aimes, et cependant tu as horreur de
moi. Ah! si tu savais!
• Alors, comme je tenais ses mains dans les
miennes, les portant à mes lèvres avec une fré-
nésie furieuse, elle me fit le récit suivant :
— J'ai près de cent ans, me dit-elle, et ce-
pendant tu me trouves belle, et on dirait,- à me
voir, que je n'ai pas vingt ans. Sais-tu bien que
j'ai connu le roi. Henri IV et que je suis née
sous son -ràgn,e? Veux-tu savoir m n histoire!
Tu comprendras alors pourquoi'j'ai bu une gor-
gée de ton sang, cher mignon que j'adore.
Et je l'ëcotftâi's avec extase, à mesure qu'elle
pariait/"
— Je suis Italienne d'origine, me dit-elle. Ma
mère vint en France à la' suite de-la reine Marie
de Médicis, et elle était la favorite de la maré-
chale d'An ère; ■ .
Quand Eléonore Gaîigaï fut assassinée, ma
pauvre mère partagea son sort; et je ne crois
pas, mon mignon, que la politique et la fureur ,
du peuple fussent pour quelque chose dans cesi
terribles meurtres. !
Non, mais ma mère avait dédaigné l'amour
d'un gentilhomme, le chevalier de VIavicoiirt,-
et le chevalier se vengea.
Ce fut lui qui guida les assassins. J'avais (ijx
ans alors, mais je lé vois encore excitant les mi"!
sérables et se repaissant de la vue du cadavre
de ma pauvre mère. j
Celle-ci, en mourant, avait prononcé ces mots :
« Tu me vengeras ! t .. !
Quand je fus devenue une femme, je me sou-
vins de l'ordre que ma mère m'avait donner ^ i
Le meurtrier avait changé de nom; il avait
fait à la cour une immense fortune. et ; le roi
l'avait créé duc. ^ . j
Cependant ma vengeance le poursuivait dans
l'ombre. Pendant quinze ans, une main invisi-
ble le frappa dans sa fortune,' dans ses riffec..!
tions, dans son amour. Une nijif,'le'.chevalier]
fou de désespoir et ne sachant d'où lui venaient
tous ces coups terribles, prit la via.en dégoût et
se tua.....
Un autre aurait cru sa tache accomplie. Mais
l'ombre de ma mère me poursuivait, et je m'en
allai trouver un nécromancien de mon pays
qui passait pour avoir le pouvoir d'évoquer les
morts du fond de leur tombe.
Cet homme, qui logeait en un taudis, rue de
l'Arbre-Sec, accepta l'argent que je lui offrais,
traça sur le sol de sa.:chambre des cercles magi-
ques, prononça des paroles mystérieuses, et tout
à coup je me trouvai plongée dans une obscu-
rité profonde.....,» .........^ ...,, '
Alors, ma mère m'apparut. - ^
v r Elle était telle qtfe je l'avais vue le jour de sa
mort; yêtue d'une robe blanche et la poitrine
ensanglantée. \t;
— Je ne suis pas vengée, me dit-elle.
Et comme je m'inclinais devant cette ombre
redoutable et vénérée, elle. me dit:
— Pour que mes mânes soient satisfaites et
jouissent du repos éternel, il faut quo. tu puisses
frapper l'a.tribte- pêtit-fiîs de mon meurtrier,
lequel naîtra dans cent ans.
— Mais, ma mère, m'ecrai-jé" da^.s^çent ans,
il y aura bien longtemps que je serai morte.
- —Non, mâ dit:elle,..car je t'apporte le secret
dé ,vl,:vre,- sinon éternellement, du moins jusqu'au
jour où tu auras accompli mon œuvre.
-Je l'écoutais avec stupeur, elle poursuivit :
—Non-seulement tu ,-vivras, mais tu seras
jeune et belle jusqu'à l'heure dont je te parle, et
voici le moyen de conserver ta beauté.
Tout les dix asis, tu chercheras un homme
jeune et beau qt tu l'aimeras; puis, la nuit,
quand il dormira, tu lui feras au cou une légère,
JOURNAL QUOTIDIEN * -
H cEnt Iè numéro ;:
/ 1: u SiêC.k numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois, Un ta.
, Pans ... 5 fr. 9 fr. 118 fro
DépJ.l't6Ulcnt5 .. S 1 t et
Administrateur ; E. , DELSAUX.
: ~ :ync année. — MARDI 23 JUIN 1868. — Ng 796
Dîrecteur-Proptiétaire '. JANNIN.
Rédacteur en chef ; A. &E BALATHIER BR A G E L 0 NNlc<
BUREAUX D'ABONNEMENT 1 ©, PMO Drouot.
ADMINISTRATION fi3, place Breda.
PARIS, 22 JUIN 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LA CORDE DE PENDU
\
X . y
Lorsqu'on arrive.en AHomagne^-Gn trouve
d'abord deux Alluuands.
Le premier, bonhomme comme un person-
nage. d'Auguste Lafontaine, naïf, généreux,
prêt à s'amnser du moindre enfantillage, bu-
veu<\ fumeur, rêveur, vous apparaît dans un
jardin planté de houblon, sur le seuil d'une
maison pleine d'enfants, non loin d'une bras-
serie où l'on chante en chœur.
Le second, au contr-nre, m il leur comme le
Mcphistopliélès de Goethe, rusé, âpre au gain,
instruit, à s'ennuyer de n'avoir plus rièn à
apprendre, se tient dans un comptoir, près
d'une fenêtre à barreaux, occupé à faire des
chiffres. Son œil, comme celui du premier,
est d'un bleu limpide. Mais qu'il y passe un
éclair, et l'on croirait que le regard du diable
a lui.
Un trait commun : pas ou peu d'événe-
ments dans l'existence , des mondes dans
la pensée... ' -
Quelquefois, chers lecteurs, ces deux Alle-
mands sont réunis dans la même personne.
Alors vous avez l'Allemagne incarnée dans
un type original et vivant.
Tel était Fritz Graff de Francfort sur le }
Mein....
La maison Graff avait flori autrefois. Quand
Fritz fermait les yeux pour se recueillir et
essayait de retrouver son enfance dans ses
souvcriirp, il voyait son père signant des bor-
dereaux du cent mille francs, au milieu d'un
peuple de commis, d'employés et de clients.
Il entendait remuer t'or dans les grandes
salles basses et sombres du rez-de-chaussée.
En haut, sur la nappe blanche, mouée aux
coins comme dans les festins bibliques, les
serviteurs disposaient les fleurs et l'argen-
terie... - ,
Hélas! tout cela passait vite. Y ]
Le pauvre Fritz s'apercevait lui-même, les
pieds dans !a neige, suivant un cercueil... 1
Puis il se retrouvait dans un pays inconnu,
entre deux femmes vêtues de noir, — sa mère
et sa sœur,— qui pleuraient en le regar-
dant.
Le pays devenait familier. C'était Stras-
bourg, où triomphe la combinaison de l'esnrit
français et de la solidité germanique. Fritz
grandissait; il entrait dans une maison de
-banque; il arrivait à gagner deux cents francs
par mois après avoir, pendant cinq ans,
donné la preuve d'une capacité financière à
faire rêver les Rothschild...
Le soir, le jeune homme sortait de la ville.
il faisait une lieue et il arrivait à la maison-
nette qu'habitaient sa mère et sa sœur. On
soupait en famirc et l'on parlait du passé.
Le maigre appointement de Fritz suffisait
à peine aux frais d LI ménage. Les deux femmes
travaiUaient, de leur côté, pour gagner quel-
ques sous. La mère perdait ses yeux; la fille
ce se mariait pas; le fils cherchait...
— Il faut que je fasse fortune, il le faut
pour elles et pour moi!... -
Telle était l'idée fixe du pauvre garçon.
Parfois il lui semblait qu'elle se réalisait.
Sa mère avait de nouveau des domestiques ;
sa sœur se promenait dans la campagne en
donnant le bras à Karl Brunner, devenu son
mari; lui jouait avec ses nièces et ses lle-
veux....
De penser à tout cela, Fritz devenait fou.
Sa face rayonnait de plaisir, et de grosses
larmes remplissaient ses yeux.
C'était le bon Allemand.
Le mauvais venait ensuite, avec ses lèvres
serrées et son regard pareil à celui de Satan.
— Faire fortune! Comment? Par quel
moyen?
Fritz, en ces moments, ne regardait pas aux-
moyens.
Il passait en revue les diverses professions
ouvertes à son activité.
Avocat? -, Il fallait faire son droit ; .
Médecin ? — Suivre les cours de la Fa-
culté;
Négociant ? — Apprendre le commerce ;
Banquier ? — Posséder un capital.
Ainsi de tous les états.
Ceci se passait il y a dix ans. Quand on ne
savait que faire, on ne se faisait pas encore
homme de lettres, comme aujourd'hui.
Un soir de mai qu'on parlait de Bade - de-
vant lui, Fritz se dit : •
— Si je me faisais joueur!...
Le lendemain, le bon Allemand était sorti
de Frifz pour faire place au financier aigre et
froid qui calcule les chances d'une partie
comme un général celles d'une bataille.
Pour jouer, une mise de fonds est néces-
saire. Où trouver cette mise? 11 n'avait rien.
Le jeune homme s'adressa successivement
a chacun de ses amis et .de ses compagnons.
Sans leur dire ce qu'il voulait en faire, il
leur emprunta la somme dont ils pouvaient
disposer. Quand je vous aurai dit qu'il réunit
ainsi cinq mille francs, vous aurez la mesure
de son génie. Cinq mille francs, — à Stras-
bourg, — quand on n'offre d'autre garantie
qu'une place de commis dans une maison de
banque... Cela ne s'était jamais vu et ne se
reverra pas !..
— La somme est insuffisante L - ■- s
Fritz avait trouvé une marche; Il avait be-
soin de dix mille francs pour commencer.
Dix mille francs 1 Où prendre les cinq qui
manquaient encore ?
Les femmes possédaient quelques petits
bijoux, — rien. Ce rien fut engagé et pro-
duisit cinq cents francs.
Un juif prêta encore cent francs sur la re-
connaissance.
Fritz accomplissait toutes ces choses froi-
dement, sans discours inutiles, en banquier
qui fait argent de tout et qui s'en cache.
— Cinq mille six cents !...
Il regarda une dernière fois autour de lui;
Personne.
Alors il rentra dans les bureaux. Il se
plaça sans hâte devant son pupitre, et, de sa
-belle écriture correcte, il traça ces mots sur
un carré de papier :
« Pris quatre mille quatre cents francs à
valoir sur mes appointements. Strasbourg,
le.... » ■
Et il signa. -
Une heure après, ses dix mille francs en
portefeuille, impassible, résolu à tenter le
sort, Méphistophélès passait le Rhin..
— Je vais me promener à Bade, je revien-
drai lundi. "
La mère avait dit : — Va, mon enfant, et
amuse-toi bien.
— Rapporte-moi quelque chose de joli,
avait ajouté la sœur. J
Pendant toute la soirée du samedi et toute;
- — ' * - " 1 * ■■ " •
la journée du dimanche, elles n'av¡J.it5nt ps-rU :
que de leur Fritz. ■
Les oreilles d.ojvpnt .< lui tinter, à notre
VOYAGEUR!
— Ah ! je suis bien sûr qu'il pense à nous
de son côté.
En 'cpel ' il jouait pour elles!..
Le lundi, l'aiguille de l'horloge marcha
avec une lenteur singulière.
— Je n'aurais jamais cru, disait la mère,
que le temps pût me durer ainsi.
Le soir vist. Fritz ne rentra pas.
— Mon Dieu ! pourvu qu'il ne lui soit rien.
arrivé, Luisa !....
Lnisa se mit à trembler, mais elle affecta
de dire bien haut : '
— Que tu es enfant, mère ! Il aura manaue
le train, voilà tout !...
— C'est probable !
Ce qui est certain, c'est qu'on ne dorrm»
pas cette nuit-là dans la maisonndte.
— Luisa, quelle heure est-H ?
— Cinq hetires, @-inère.
— Comme il fait jour de bonne heure
maintenant ! Y'"""
— Non sommes au mois de jVin.
— Ton frère n'est pas Mntrc, par hasard?
— Non. Veux-tu'que. j'aille . à sa ren-
contre? .. '
— Cela te fera du 'bieii. Va, mon enfant, et
ramène-le pour déjeuner. Il fera attendre sa
banque pour aujourd'hui... Je vais me lever
et je vous préparerai une tarte aux fram-
boises. Ç'est ce qu'il aime le mieux.,.
Lé çoleil se.levaitsnr le Ilbin, à l'horizon
Se3 premiers rayons tremblaient SIl" la rouir -
entre les saules, les peupliers et les platane:
Ça et là, danses prés, passaient, nn panii
sur la tête, des femmes en jupon rouge raj
de noir. Les oiseaux commençaient leur con-
cert. Ce réveil de ia nature mit la joie et la
confiance au cœur de Luisa. :
Aussitôt arrivée à Strasbourg, elle-alla
droit à la maison de banque où travaillait
Fritz. La maison était fermée. Elle frappa;
une voix lui répondit de derrière les volets :
- A neuf heures!... Elle frappa encore.
Plus rien. L'homme s'était rendormi sans
doute.
V- #
La jeune fille suivit les rues dans la direc
tion de la place Kléber, écoutant, par inter-
valles, si elle n'entendra^pas rouler l'omnibus
du chemin de fer..
LA
FEMME IMMORTELLE
PAR
PONSON DU TERRAIL PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA MAISON ENCHANTÉE III
9
iLe ïMaftiIs de la B(Mje-Lafnberfe reprit : ?
— Vous tous qui m'écoatez ici, vous savez
quelle est l'éloquence âpre : et sauvage de la
passion. On aime parce qu'on aime, et l'amour
est sans excuse, comme il est sans remède. -
J'aimais un vampire, la chose était certaine,
et cependant je ne me ruai point sur mon épée,
Voir les numéros parus depuis le 21 juin»
que j'avais posée sur un guéridon, à la portée
de ma main.
Que se passa-t-il entre elle et moi? Dieu le
sait! .
Mais, quand le jour vint, j'étais à se-s, genoux,
priant, pleurant, suppliant, et elle me regardait
avec tendresse et me disait :
— Tu m'aimes, et cependant tu as horreur de
moi. Ah! si tu savais!
• Alors, comme je tenais ses mains dans les
miennes, les portant à mes lèvres avec une fré-
nésie furieuse, elle me fit le récit suivant :
— J'ai près de cent ans, me dit-elle, et ce-
pendant tu me trouves belle, et on dirait,- à me
voir, que je n'ai pas vingt ans. Sais-tu bien que
j'ai connu le roi. Henri IV et que je suis née
sous son -ràgn,e? Veux-tu savoir m n histoire!
Tu comprendras alors pourquoi'j'ai bu une gor-
gée de ton sang, cher mignon que j'adore.
Et je l'ëcotftâi's avec extase, à mesure qu'elle
pariait/"
— Je suis Italienne d'origine, me dit-elle. Ma
mère vint en France à la' suite de-la reine Marie
de Médicis, et elle était la favorite de la maré-
chale d'An ère; ■ .
Quand Eléonore Gaîigaï fut assassinée, ma
pauvre mère partagea son sort; et je ne crois
pas, mon mignon, que la politique et la fureur ,
du peuple fussent pour quelque chose dans cesi
terribles meurtres. !
Non, mais ma mère avait dédaigné l'amour
d'un gentilhomme, le chevalier de VIavicoiirt,-
et le chevalier se vengea.
Ce fut lui qui guida les assassins. J'avais (ijx
ans alors, mais je lé vois encore excitant les mi"!
sérables et se repaissant de la vue du cadavre
de ma pauvre mère. j
Celle-ci, en mourant, avait prononcé ces mots :
« Tu me vengeras ! t .. !
Quand je fus devenue une femme, je me sou-
vins de l'ordre que ma mère m'avait donner ^ i
Le meurtrier avait changé de nom; il avait
fait à la cour une immense fortune. et ; le roi
l'avait créé duc. ^ . j
Cependant ma vengeance le poursuivait dans
l'ombre. Pendant quinze ans, une main invisi-
ble le frappa dans sa fortune,' dans ses riffec..!
tions, dans son amour. Une nijif,'le'.chevalier]
fou de désespoir et ne sachant d'où lui venaient
tous ces coups terribles, prit la via.en dégoût et
se tua.....
Un autre aurait cru sa tache accomplie. Mais
l'ombre de ma mère me poursuivait, et je m'en
allai trouver un nécromancien de mon pays
qui passait pour avoir le pouvoir d'évoquer les
morts du fond de leur tombe.
Cet homme, qui logeait en un taudis, rue de
l'Arbre-Sec, accepta l'argent que je lui offrais,
traça sur le sol de sa.:chambre des cercles magi-
ques, prononça des paroles mystérieuses, et tout
à coup je me trouvai plongée dans une obscu-
rité profonde.....,» .........^ ...,, '
Alors, ma mère m'apparut. - ^
v r Elle était telle qtfe je l'avais vue le jour de sa
mort; yêtue d'une robe blanche et la poitrine
ensanglantée. \t;
— Je ne suis pas vengée, me dit-elle.
Et comme je m'inclinais devant cette ombre
redoutable et vénérée, elle. me dit:
— Pour que mes mânes soient satisfaites et
jouissent du repos éternel, il faut quo. tu puisses
frapper l'a.tribte- pêtit-fiîs de mon meurtrier,
lequel naîtra dans cent ans.
— Mais, ma mère, m'ecrai-jé" da^.s^çent ans,
il y aura bien longtemps que je serai morte.
- —Non, mâ dit:elle,..car je t'apporte le secret
dé ,vl,:vre,- sinon éternellement, du moins jusqu'au
jour où tu auras accompli mon œuvre.
-Je l'écoutais avec stupeur, elle poursuivit :
—Non-seulement tu ,-vivras, mais tu seras
jeune et belle jusqu'à l'heure dont je te parle, et
voici le moyen de conserver ta beauté.
Tout les dix asis, tu chercheras un homme
jeune et beau qt tu l'aimeras; puis, la nuit,
quand il dormira, tu lui feras au cou une légère,
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