Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-06-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 juin 1868 20 juin 1868
Description : 1868/06/20 (A3,N793). 1868/06/20 (A3,N793).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717795t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
H cènt.. le numéro
3 cent, le nnméro
\PoNrçEbIFNTS. — Tfaïè mois. Six Ytiois. un an.
a ^aris 5 fr. 9 fr. 1.8 fr.
Mipatieme.nts.. G il
Administrateur : E. DelsàUX. ne
3xnC' année. — SAMEDI 20 JUIN 1868. ^ No 793
.--
Directeur- Propriétaire : .! A N ri i N.
Rédacteur en chef: A. de .Bai.atn»rii Bragelonne,
BURKA UX J) ABONNEMENT : 9. fOn\!'" SS>g4©iat!»t,
ADMINISTRATION: i3. place Broda.
PARIS, 19 JUIN 1868
LE VOYAGE ET LES VOYAGEURS
NL*
On descend un chemin entra aêt'iY pentes
Hboisées. Nul horizon. Tout à coup le chemin
tourne. A. droite, se dresse une falaise. Une
autre faJ.sïsepousse' à gauche. Devant vous,
à perte
Le f/bë'të s'arrête; la sensation de l'infini Je
pénèt1/!»; il demeure muet.
— Que-c'est grand !... s'écrie le bavard.
— • Que de choses à. voir de l'autre côté !...
sou pire le curieux.
Le Parisien cherche de l'œil s'il ne voit pas
.■quelque Normande, aux joues rouges, au cor-
sage. rebondi.
M. 'Prudhomme tire une bouteille de sa
çoç)bie«6t la remplit de l'eau de l'océan. ;
Xavier de Maistre, qui était né en Savoie,
î'est- à-dire dans un des plus beaux pays du
mon de, prétendait que la meil eure façon de
voyrager consistait à faire le tour de sa cham-
bre ....
, n Après mon fauteuil, en marchant vers le
)v,rd, on découvre nion lit, qui est placé au
;j,nd de ma chambre, et qui forme la plus
Agréable perspective. Il est situé de la manière
i plus heureuse : les premiers rayons du so-
iil viennent se jouer dans mes rideaux. — Je
■ les vois, dans les beaux jours d'été, s'avancer
le long l1e la muraille blanche, à mesure que
le soleil s'élève ; les ormes qui sont devant
ma fenêtre les divisent de mille manières et
les font balancer sur mon lit, couleur de' rose
et blanc, qui répand de tous côtés une teinte
charmante par leur réflexion. — J'entends le
gazouillement confus des hirondelles qui se
sont emparées du toit de la maison, et des
autres oiseaux qui habitent les ormes; alors
mille idées riantes occupent mon esprit, et,
dans l'univers entier, personne n'a un réveil
aussi agréable, aussi paisible que le nnen...\o
Pour voyager à la façon de Xavier de
Maistre, il faut avoir beaucoup d'imagina- 1
- . tion.
En général, le désir de voir des choses j
que nous n'avons pas vues nous possède j
tous.. j
Q. Je vis par curiosité, » dit l'Angély dans
Marion Delorme.
« La curiosité est naturelle à l'homme,
aux singes et aux petits chiens, » disait Vol-
taire. « Menez avec vous un petit chien dans
votre carrosse, il mettra continuellement les
pattes à la portière pour savoir ce qui se passe.
Un singe fouille partout. Pour l'homme,
vous savez comme il est fait. Rome, Londres,
Paris, passent leur temps à demander : —
Qu'y a-t-il de nouveau ? »
Cette curiosité s'alimentera de tous les spec-
tacles extérieurs; pays nouveaux;, figures nou-
velles.
De là, les voyages.
Quand vient l'été, il n'est personne qui ne
refasse à sa façon la vieille chanson maure :
c Si le soleil restait toujours sur l'horizon,
les peuples de la Perse et de l'Arabie se fati-
gueraient de sa clarté. Si le lion ne sortait pas
de la forêt, comment prendrait-il sa proie ? Si
la flèche ne s'éloignait pas, comment attein-
dr dt-elle le but? La poudre d'or, abandonnée
dans sa mine, n'est pas plus précieuse que de
la paille ; et l'aloès, dans son sol natal, est
regardé comme le bois le plus commun... »
Et l'on part.
On sait qu'on va s'exposer à des fatigues, à
des privations, à des ennuis. Il en coûte de
renoncer à ses habitudes, de quitter ses amis,
ses relations. Mais l'inconnu est là qui vous
attire.
L'idéal, c'est ce qu'on n'a pas.
i
— Toujours des arbres! Toujours de l'eau!
Toujours l'homme!...
Mais, avec les climats, les espèces des ar-
bres varient, l'eau revêt des teintes diffé-
rentes ; l'homme lui-même subit l'influence
des milieux.
Aussi les premiers voyageurs furent-ils sur-
tout des historiens. Ils allaient de ville en
ville, étudiant les mœurs, et demandant à la
tradition la succession des événements.
Aujourd'hui, -e'est moins pour s'instruire
que pour se distraire que l'on voyage. Autre-
fois, cent lieues étaient une affaire. On faisait
ses malles et son testament. Maintenant, on
prend un sac de nuit, on allume un cigare, on
i
monte en wgon, et tout, est dit. On va pins
facilement d<3 Paris'à Marseille avec le che-
min de fer qu'on n'allait de Paris à Noisy-le-
Sec avec les coucous.
Aussi les voyages sont-ils devenus un des
plaisirs de l'été, pour quiconque dispose de
cinq cents francs, comme les courses, les
bains froids ou une promenade dans les
Champs-Elysées.
Mai. — On se promène autour du lac du
bois de Bou'ogne : c'est la Saison.
Juin. — Où irez-vous, cet é,té? aux bains
de mer, dans les Pyrénées, en Suisse ou sur
le Rhin?...,
Juillet. —L La littérature des guides est en
pleine floraison. Guides-Joanne, Guides-
d'Auriac, Guides-Conty. On part On n'oublie
qu'une chose en partant, c'est de relire les
physiologies qui montrent les voyageurs sous
leurs vilains côtés.
- *
s
« Les gens oisifs, disait Sterne, qui quittent
leur pays natal pour aller chez les étrangers,
ont leurs irai sons : ces raisons .viennent de
l'une ou l'autre de ces trois causes géné-
rales : J
D Infirmités du corps,
» Faiblesse d'esprit,
» Nécessité inévitable.
» Les deux premières causes renferment
ceux que l'orgueil, la curiosité, la vanité, une
humeur sombre, excitent à s'expatrier, et cela
peut être combiné et subdivisé à l'infini.
» La troisième classe offre une armée de
pèlerins, ou plutôt de martyrs... »
Sterne>djii le sait, était le voyageur senti-
mental. Il cherchait des sensations nouvelles
dans des pays nouveaux.
M. Maurice Alhoy a essayé de diviser à son
tour les touristes contemporains :
Le touriste-artiste éprouve le besoin de
croquer tous les points de vue du monde. Il
part, s'arrête devant chaque site, allume sa
pipe, et se dit : Je reviendrai prendre cela
l'année prochainé.
Le touriste universitaire va d'école en
école. %
Le touriste-cawsmr est un bourgeois qui, ne
trouvant plus parmi ses connaissances. per-
sonne qui ait la patience de l'écouter, s'en va
chercher des oreilles complaisantes au loin.
Le touriste-humorique voyage pour être
mieux que chez lui. En route, il trouve tout
mal. M'ns, quand il revient, il exacte ce qu'il
i vu, afin de s'en servir pour déprécier ce
qu'il retrouve.
Le tonriste-viveur va chercher des truffes
dans le Périgord, et il est tout surpris
au retour d'en trouver de plus belles chez
Chevet.
Le touriste pleureur se plante devant les
ruines et immole le progrès au plaisir d'évo-
quer le moyen-âge, dont la poésie est lléces-
saire à sa digestion.
Le touriste-chasseur invente les beefsteaks
d'ours.
Le touriste-humanitaire ne songe qu'à vi-
sitpr les cachots et les bagnes. Il fait cent
lieues pour le plaisir de changer cinq ou six
fois de prison.
Le touriste-mendiant demande des échan-
tillons de tout ce qu'il voit. Si on les lui re-
fuse, il les vole. Mais il revient chargé.
Le touriste-controversiste compte un illus-
tre représentant, M. Prosper Mérimfe, ins-
pecteur des monuments.
Un soir, cet écrivain, se promenant dans les
rues de Perpignan, aperçoit des barreaux à
toutes les fenêtres basses ; il écrit :
« t.es fenêtres basses garnies de barreaux
de fer révèlent l'origine mauresque de cette
cité. » i
M. Henry, le bibliothécaire, répond quel-
ques jours après :
« Les barreaux de fer qu'on remarque dans
les rues basses de Perpignan ne prouvent pas
que cette cité soit d'origine maure-que ; nous
avons remarqué des barreaux pareils dans
presque toutes les villes du Midi et du Nord
où l'on craint les voleurs. »
En résumé, si l'on en excepte les gens qui
se déplacent pour affaires, et dont l'unique
souci est de quitter vite le point de départ et
d'être vite rendus au point d'arrivée, —toutes
les variétés de voyageurs peuvent se réduire
aux deux suivantes : ;
L'homme qui parcourt le monde sans s'at-
tacher ni aux choses ni aux gens, qui voit;
tous les spectacles du même œil indifférent,qui'
s'arrête un temps déterminé à l'avance dans
chaque endroit, et en repart à une heure dite,
qui voyage enfin comme on regarde dans une
lanterne magique, sans passion, uniquement
pour employer le temps à cela, fatigué qu'il
est de l'employer à d'autres choses. Cet
ROCAMBOLE
N° 228 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXVIII
L'homme gris ouvrit alors la caisse et y prit
une fiole qu'il fit miroiter à la bougie et qui con-
tenait une essence incolore.
Puis il la déboucha et en versa le contenu
dans le bain.
Aussitôt l'eau se colora en vert tendre et Sho-
king s'écria :
— Mais c'est un bain d'absinthe que vous me
faites prendre.
-... VoJr le numéro du 22 novembre.' j
— Attends, dit l'homme gris.
■ Il prit un second flacon qu'on eut dit plein de
vin, et il versa dans le bain.
L'eau, verte tout à l'heure, passa subitement
au rouge vif ; puis ce rouge devint écarlate,
s'assombrit un peu et Shoking épouvanté mur-
mura ■
— Bon voici que je suis dans le sang à
présent.
— Tu vas rester deux heures dans ce bain, dit
le maître.
— Et puis ?
— Et puis, ton valet de chambre te lèvera,
t'essuiera, t'enveloppera dans un peignoir bien
chaud et te mettra au li.t Comme tu es fatigué,
tu dormiras.
— Ca, dit Sh0king, c'est probable.
— Quand tu t'éveilleras, tu te feras apporter
un miroir.
— Et je me retrouverai blanc ?
— Non, mais tu t'apercevras que ton noir est
moins vif et que ta peau se marbre par
places.
— Et ce soir, je prendrai un autre bain?
— Oui.
L'homme gris s'approcha alors d'une table sur
laquelle il y avait de quoi écrire.
Puis il prit la plume et traça quelques mots
sur une feuille de papier.
Et, remettant ee papier au valet de chambre :
— Chaque jour, dit-il, tu iras chez le chimiste
du quartier et tu lui feras emplir ces deux fla-
cons de la composition que je vi.ens de prescrire,
puis tu les verseras l'un après l'autre dans le
bain de mylord.
Le valet s'inclina.
— Mais, dit Shoking, est-ce que je ne pourrai
pas sortir durant ces quinze jours?
— Non, car à mesure que le traitement opé-
rera, ton corps passera par toutes les couleurs
de l'arc-en-ciel, et tu seras hideux à voir. On
te jetterait des pierres, si tu te montrais dans
la rue.
Shoking soupira de nouveau.
— Mais au moins, dit-il, je redeviendrai blanc?
— Comme neige.
— Et mes cheveux ?
— Tes cheveux retourneront au roux, leur
couleur naturelle.
Alors l'homme gris laissa Shoking au bain,
et passa dans une pièce voisine, où il procéda,
lui aussi, à une nouvelle toilette.
Il se débarras sa de sa perruque de cheveux
blancs, de son crâne plissé, et de tout ce qui
constituait M. Simouns, pour redevenir ce
gentleman de tran'e-six: à trente-huit ans, à
l'œil bleu, au visage p île et distingué, au.£ favo-
ris châtain-clair, cet homme enfin d'une r i.r.e
distinction qu,- les dandys de Hyde-Park
avaient pris pour le gentilhomme russe amou-
reux de miss Ellen.
Quand il fut ainsi métamorphosé, il revint
dans la pièce où Shoking était toujours au
bain.
— Je viens te dire adieu, fit-il.
— Vous me quittez, maître ?
- Oui. /
— Mais où allez-vous?
— M'occuper de trouver au révérend une
prison digne de lui.
— Ah !
— Et plus sûre que la première.
Shoking, à qui l'homme gris avait raconté la.
manière dont le révérend Peters Town était
tomba en son pouvoir, ne put réprimer un éclat
de rire.
L'homme gris lui serra la main, puis il s'en- ;
veloppa de son waterproof et qu tta le cottage. ,
Comme il avait renvoyé le fiacre qui les avait,
amenés, il descendit Heath-mount à pied, fu-
mant son cigurp, et du pa. tranquille d'un bour-
geois de Lond'es qui quitte le club après une
partie de whist.
Il rentra ainsi dans Londrps, en moins d'una
hrvure et demie, et quelque chose qui ressem*
blait à un rayon de jour commençait à percer 13
brouillard lorsqu'il arriva dans la cité.
Une taverne qui avait une licence de nuit,
était ouverte dans Farringdon street, à peu près
en face de l'imprimerie du T mM.
Comme l'homme gris n'avait pas eu le temps
de manger depuis la veille au matin, il y entra,
s'installa dans le box des gontlemen et se fit
servir Ces sandwich et du vin de Porto. ;
Son repas fini, il s'aperçut que le jour gran-
dissait, et jetant une couronne sur le comptoir
il se remit en route, à petits pas, sans se pres-
ser, comme un homme qui roule de vastes pro,
jets dans sa tête.
Le. Blak Friards ou pont des Moines-Noirs OS-
au bout de Farringdon street.
L'homme gris le traversa et gagna ainsi I&:
rive droite de la Tamise i
Une fois là, il hâta tout à coup le pas. Sanst
doute il avait trouvé ce qu'il cherchait depuis;*
son départ de Hampsteadt, c'est-à-dire l'endroit
où il pourrait ,mettre le révérend Pétera Tow%
JOURNAL QUOTIDIEN
H cènt.. le numéro
3 cent, le nnméro
\PoNrçEbIFNTS. — Tfaïè mois. Six Ytiois. un an.
a ^aris 5 fr. 9 fr. 1.8 fr.
Mipatieme.nts.. G il
Administrateur : E. DelsàUX. ne
3xnC' année. — SAMEDI 20 JUIN 1868. ^ No 793
.--
Directeur- Propriétaire : .! A N ri i N.
Rédacteur en chef: A. de .Bai.atn»rii Bragelonne,
BURKA UX J) ABONNEMENT : 9. fOn\!'" SS>g4©iat!»t,
ADMINISTRATION: i3. place Broda.
PARIS, 19 JUIN 1868
LE VOYAGE ET LES VOYAGEURS
NL*
On descend un chemin entra aêt'iY pentes
Hboisées. Nul horizon. Tout à coup le chemin
tourne. A. droite, se dresse une falaise. Une
autre faJ.sïsepousse' à gauche. Devant vous,
à perte
Le f/bë'të s'arrête; la sensation de l'infini Je
pénèt1/!»; il demeure muet.
— Que-c'est grand !... s'écrie le bavard.
— • Que de choses à. voir de l'autre côté !...
sou pire le curieux.
Le Parisien cherche de l'œil s'il ne voit pas
.■quelque Normande, aux joues rouges, au cor-
sage. rebondi.
M. 'Prudhomme tire une bouteille de sa
çoç)bie«6t la remplit de l'eau de l'océan. ;
Xavier de Maistre, qui était né en Savoie,
î'est- à-dire dans un des plus beaux pays du
mon de, prétendait que la meil eure façon de
voyrager consistait à faire le tour de sa cham-
bre ....
, n Après mon fauteuil, en marchant vers le
)v,rd, on découvre nion lit, qui est placé au
;j,nd de ma chambre, et qui forme la plus
Agréable perspective. Il est situé de la manière
i plus heureuse : les premiers rayons du so-
iil viennent se jouer dans mes rideaux. — Je
■ les vois, dans les beaux jours d'été, s'avancer
le long l1e la muraille blanche, à mesure que
le soleil s'élève ; les ormes qui sont devant
ma fenêtre les divisent de mille manières et
les font balancer sur mon lit, couleur de' rose
et blanc, qui répand de tous côtés une teinte
charmante par leur réflexion. — J'entends le
gazouillement confus des hirondelles qui se
sont emparées du toit de la maison, et des
autres oiseaux qui habitent les ormes; alors
mille idées riantes occupent mon esprit, et,
dans l'univers entier, personne n'a un réveil
aussi agréable, aussi paisible que le nnen...\o
Pour voyager à la façon de Xavier de
Maistre, il faut avoir beaucoup d'imagina- 1
- . tion.
En général, le désir de voir des choses j
que nous n'avons pas vues nous possède j
tous.. j
Q. Je vis par curiosité, » dit l'Angély dans
Marion Delorme.
« La curiosité est naturelle à l'homme,
aux singes et aux petits chiens, » disait Vol-
taire. « Menez avec vous un petit chien dans
votre carrosse, il mettra continuellement les
pattes à la portière pour savoir ce qui se passe.
Un singe fouille partout. Pour l'homme,
vous savez comme il est fait. Rome, Londres,
Paris, passent leur temps à demander : —
Qu'y a-t-il de nouveau ? »
Cette curiosité s'alimentera de tous les spec-
tacles extérieurs; pays nouveaux;, figures nou-
velles.
De là, les voyages.
Quand vient l'été, il n'est personne qui ne
refasse à sa façon la vieille chanson maure :
c Si le soleil restait toujours sur l'horizon,
les peuples de la Perse et de l'Arabie se fati-
gueraient de sa clarté. Si le lion ne sortait pas
de la forêt, comment prendrait-il sa proie ? Si
la flèche ne s'éloignait pas, comment attein-
dr dt-elle le but? La poudre d'or, abandonnée
dans sa mine, n'est pas plus précieuse que de
la paille ; et l'aloès, dans son sol natal, est
regardé comme le bois le plus commun... »
Et l'on part.
On sait qu'on va s'exposer à des fatigues, à
des privations, à des ennuis. Il en coûte de
renoncer à ses habitudes, de quitter ses amis,
ses relations. Mais l'inconnu est là qui vous
attire.
L'idéal, c'est ce qu'on n'a pas.
i
— Toujours des arbres! Toujours de l'eau!
Toujours l'homme!...
Mais, avec les climats, les espèces des ar-
bres varient, l'eau revêt des teintes diffé-
rentes ; l'homme lui-même subit l'influence
des milieux.
Aussi les premiers voyageurs furent-ils sur-
tout des historiens. Ils allaient de ville en
ville, étudiant les mœurs, et demandant à la
tradition la succession des événements.
Aujourd'hui, -e'est moins pour s'instruire
que pour se distraire que l'on voyage. Autre-
fois, cent lieues étaient une affaire. On faisait
ses malles et son testament. Maintenant, on
prend un sac de nuit, on allume un cigare, on
i
monte en wgon, et tout, est dit. On va pins
facilement d<3 Paris'à Marseille avec le che-
min de fer qu'on n'allait de Paris à Noisy-le-
Sec avec les coucous.
Aussi les voyages sont-ils devenus un des
plaisirs de l'été, pour quiconque dispose de
cinq cents francs, comme les courses, les
bains froids ou une promenade dans les
Champs-Elysées.
Mai. — On se promène autour du lac du
bois de Bou'ogne : c'est la Saison.
Juin. — Où irez-vous, cet é,té? aux bains
de mer, dans les Pyrénées, en Suisse ou sur
le Rhin?...,
Juillet. —L La littérature des guides est en
pleine floraison. Guides-Joanne, Guides-
d'Auriac, Guides-Conty. On part On n'oublie
qu'une chose en partant, c'est de relire les
physiologies qui montrent les voyageurs sous
leurs vilains côtés.
- *
s
« Les gens oisifs, disait Sterne, qui quittent
leur pays natal pour aller chez les étrangers,
ont leurs irai sons : ces raisons .viennent de
l'une ou l'autre de ces trois causes géné-
rales : J
D Infirmités du corps,
» Faiblesse d'esprit,
» Nécessité inévitable.
» Les deux premières causes renferment
ceux que l'orgueil, la curiosité, la vanité, une
humeur sombre, excitent à s'expatrier, et cela
peut être combiné et subdivisé à l'infini.
» La troisième classe offre une armée de
pèlerins, ou plutôt de martyrs... »
Sterne>djii le sait, était le voyageur senti-
mental. Il cherchait des sensations nouvelles
dans des pays nouveaux.
M. Maurice Alhoy a essayé de diviser à son
tour les touristes contemporains :
Le touriste-artiste éprouve le besoin de
croquer tous les points de vue du monde. Il
part, s'arrête devant chaque site, allume sa
pipe, et se dit : Je reviendrai prendre cela
l'année prochainé.
Le touriste universitaire va d'école en
école. %
Le touriste-cawsmr est un bourgeois qui, ne
trouvant plus parmi ses connaissances. per-
sonne qui ait la patience de l'écouter, s'en va
chercher des oreilles complaisantes au loin.
Le touriste-humorique voyage pour être
mieux que chez lui. En route, il trouve tout
mal. M'ns, quand il revient, il exacte ce qu'il
i vu, afin de s'en servir pour déprécier ce
qu'il retrouve.
Le tonriste-viveur va chercher des truffes
dans le Périgord, et il est tout surpris
au retour d'en trouver de plus belles chez
Chevet.
Le touriste pleureur se plante devant les
ruines et immole le progrès au plaisir d'évo-
quer le moyen-âge, dont la poésie est lléces-
saire à sa digestion.
Le touriste-chasseur invente les beefsteaks
d'ours.
Le touriste-humanitaire ne songe qu'à vi-
sitpr les cachots et les bagnes. Il fait cent
lieues pour le plaisir de changer cinq ou six
fois de prison.
Le touriste-mendiant demande des échan-
tillons de tout ce qu'il voit. Si on les lui re-
fuse, il les vole. Mais il revient chargé.
Le touriste-controversiste compte un illus-
tre représentant, M. Prosper Mérimfe, ins-
pecteur des monuments.
Un soir, cet écrivain, se promenant dans les
rues de Perpignan, aperçoit des barreaux à
toutes les fenêtres basses ; il écrit :
« t.es fenêtres basses garnies de barreaux
de fer révèlent l'origine mauresque de cette
cité. » i
M. Henry, le bibliothécaire, répond quel-
ques jours après :
« Les barreaux de fer qu'on remarque dans
les rues basses de Perpignan ne prouvent pas
que cette cité soit d'origine maure-que ; nous
avons remarqué des barreaux pareils dans
presque toutes les villes du Midi et du Nord
où l'on craint les voleurs. »
En résumé, si l'on en excepte les gens qui
se déplacent pour affaires, et dont l'unique
souci est de quitter vite le point de départ et
d'être vite rendus au point d'arrivée, —toutes
les variétés de voyageurs peuvent se réduire
aux deux suivantes : ;
L'homme qui parcourt le monde sans s'at-
tacher ni aux choses ni aux gens, qui voit;
tous les spectacles du même œil indifférent,qui'
s'arrête un temps déterminé à l'avance dans
chaque endroit, et en repart à une heure dite,
qui voyage enfin comme on regarde dans une
lanterne magique, sans passion, uniquement
pour employer le temps à cela, fatigué qu'il
est de l'employer à d'autres choses. Cet
ROCAMBOLE
N° 228 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXVIII
L'homme gris ouvrit alors la caisse et y prit
une fiole qu'il fit miroiter à la bougie et qui con-
tenait une essence incolore.
Puis il la déboucha et en versa le contenu
dans le bain.
Aussitôt l'eau se colora en vert tendre et Sho-
king s'écria :
— Mais c'est un bain d'absinthe que vous me
faites prendre.
-... VoJr le numéro du 22 novembre.' j
— Attends, dit l'homme gris.
■ Il prit un second flacon qu'on eut dit plein de
vin, et il versa dans le bain.
L'eau, verte tout à l'heure, passa subitement
au rouge vif ; puis ce rouge devint écarlate,
s'assombrit un peu et Shoking épouvanté mur-
mura ■
— Bon voici que je suis dans le sang à
présent.
— Tu vas rester deux heures dans ce bain, dit
le maître.
— Et puis ?
— Et puis, ton valet de chambre te lèvera,
t'essuiera, t'enveloppera dans un peignoir bien
chaud et te mettra au li.t Comme tu es fatigué,
tu dormiras.
— Ca, dit Sh0king, c'est probable.
— Quand tu t'éveilleras, tu te feras apporter
un miroir.
— Et je me retrouverai blanc ?
— Non, mais tu t'apercevras que ton noir est
moins vif et que ta peau se marbre par
places.
— Et ce soir, je prendrai un autre bain?
— Oui.
L'homme gris s'approcha alors d'une table sur
laquelle il y avait de quoi écrire.
Puis il prit la plume et traça quelques mots
sur une feuille de papier.
Et, remettant ee papier au valet de chambre :
— Chaque jour, dit-il, tu iras chez le chimiste
du quartier et tu lui feras emplir ces deux fla-
cons de la composition que je vi.ens de prescrire,
puis tu les verseras l'un après l'autre dans le
bain de mylord.
Le valet s'inclina.
— Mais, dit Shoking, est-ce que je ne pourrai
pas sortir durant ces quinze jours?
— Non, car à mesure que le traitement opé-
rera, ton corps passera par toutes les couleurs
de l'arc-en-ciel, et tu seras hideux à voir. On
te jetterait des pierres, si tu te montrais dans
la rue.
Shoking soupira de nouveau.
— Mais au moins, dit-il, je redeviendrai blanc?
— Comme neige.
— Et mes cheveux ?
— Tes cheveux retourneront au roux, leur
couleur naturelle.
Alors l'homme gris laissa Shoking au bain,
et passa dans une pièce voisine, où il procéda,
lui aussi, à une nouvelle toilette.
Il se débarras sa de sa perruque de cheveux
blancs, de son crâne plissé, et de tout ce qui
constituait M. Simouns, pour redevenir ce
gentleman de tran'e-six: à trente-huit ans, à
l'œil bleu, au visage p île et distingué, au.£ favo-
ris châtain-clair, cet homme enfin d'une r i.r.e
distinction qu,- les dandys de Hyde-Park
avaient pris pour le gentilhomme russe amou-
reux de miss Ellen.
Quand il fut ainsi métamorphosé, il revint
dans la pièce où Shoking était toujours au
bain.
— Je viens te dire adieu, fit-il.
— Vous me quittez, maître ?
- Oui. /
— Mais où allez-vous?
— M'occuper de trouver au révérend une
prison digne de lui.
— Ah !
— Et plus sûre que la première.
Shoking, à qui l'homme gris avait raconté la.
manière dont le révérend Peters Town était
tomba en son pouvoir, ne put réprimer un éclat
de rire.
L'homme gris lui serra la main, puis il s'en- ;
veloppa de son waterproof et qu tta le cottage. ,
Comme il avait renvoyé le fiacre qui les avait,
amenés, il descendit Heath-mount à pied, fu-
mant son cigurp, et du pa. tranquille d'un bour-
geois de Lond'es qui quitte le club après une
partie de whist.
Il rentra ainsi dans Londrps, en moins d'una
hrvure et demie, et quelque chose qui ressem*
blait à un rayon de jour commençait à percer 13
brouillard lorsqu'il arriva dans la cité.
Une taverne qui avait une licence de nuit,
était ouverte dans Farringdon street, à peu près
en face de l'imprimerie du T mM.
Comme l'homme gris n'avait pas eu le temps
de manger depuis la veille au matin, il y entra,
s'installa dans le box des gontlemen et se fit
servir Ces sandwich et du vin de Porto. ;
Son repas fini, il s'aperçut que le jour gran-
dissait, et jetant une couronne sur le comptoir
il se remit en route, à petits pas, sans se pres-
ser, comme un homme qui roule de vastes pro,
jets dans sa tête.
Le. Blak Friards ou pont des Moines-Noirs OS-
au bout de Farringdon street.
L'homme gris le traversa et gagna ainsi I&:
rive droite de la Tamise i
Une fois là, il hâta tout à coup le pas. Sanst
doute il avait trouvé ce qu'il cherchait depuis;*
son départ de Hampsteadt, c'est-à-dire l'endroit
où il pourrait ,mettre le révérend Pétera Tow%
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