Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-06-18
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 18 juin 1868 18 juin 1868
Description : 1868/06/18 (A3,N791). 1868/06/18 (A3,N791).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177930
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
S cent, le numéro \ "* JOURNAL QUOTIDIEN , 5 cent. le numero
ABONNEMENTS.. ». Trois mois. Six moisi en an.
s fr. 9 fr. i8 fr.
'. départements.. 6 tl
Administrateur : E. DELSAUX. -t e
i
0 !
j 3'" année. — JEUDI 18 JUIN 1868. c-- 1\70 79l,lggf
v Directeur- Propriétaire taire : J A N N I N.
Rédacteur■ eit chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.; -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.-l
ADMINISTRATION : i3. Dlace Breda.
PARIS, 17 JUIN 1868
LES BLÉS
Avez-vons remarqué cela?... Depuis-qrrêï-
ques jour s les gens s'abordent en se disant : —
Rien de nouveau !... Rien de nouveau, c'est-
à-dire ni guerre, ni peste, ni malheur public.
On devrait se réjouir. Pas du tout; on se
quitte d'un air désappointé. Eh bien! voici
du nouveau, mes chers amis. Ouvrez tous les
journaux de la province. Dans tous vous trou-
verez cette même, cette admirable phrase :
«La moisson sera superbe. » Voilà une nou-
velle qui vaut toutes les nouvelles. Com-
mentez-la, répandez-la, pensez et parlez : vos
-pensées seront consolantes, et vos paroles au-
'ront cette éloquence familière qui remonte le
cœur des bonnes gens.
D'où nous vient le blé?.;<
« Un Juif, disait Voltaire, m'a assuré que
le blé poussait tout seul, en Mésopotamie,
comme les pommes, les poires sauvages, les
châtaigniers, les nèfles dans l'Occident. Je le
veux croire jusqu'à ce que je sois sûr du con-
traire. Car enfin il faut bien que le blé croisse
quelque part... » , v.
Les Gaulois avaient du blé du temps de
César. Ils le tenaient des Espagnols auxquels
les marins de Tyr l'avaient apporté. Et de qui
les Tyriens le tenaient-ils? Des Grecs proba-
blement. Et les Grecs ? De Cérès, que leur
tradition faisait descendre du ciel exprès pour
donner aux hommes du froment, du seigle et
de l'orge. De cette origine divine et poétique
on peut conclure que le blé est, aussi vieux
que l'herbe,et qu'il a poussé comme elle dans
toutes les terres de l'Occident. Nous savons
que nous devons le vin àNoé. Mais nous igno-
rons le nom du bienfaiteur inconnu auquel
nous devons le pain.
L'histoire du blé, comme vous le voyez, est
fort simple.
On dit proverbialement : « manger son blé
en herbe, » pour : dépenser d'avance son re-
venu : « Je vous vois, monsieur, ne vous en
déplaise, dans le grand chemin que tenait Pa- ;
.,.nllrge pour se ruiner, prenant argent d'a-
vance, achetant cher, vendant à bon marché i
ci mangeant son blé en herbe. » Ainsi parle !
personnage de Modère. Autre anecdote :
Un Gascon, qui avait dissipé en très-peu de
LtempR sa fortune, tomba malade. Il fut sai- i
gné et pria son médecin de voir son sang.
Celui-ci, le regardant, dit : — Voilà du sang
qui est bien vert. — Il peut bien être vert,
répondit le Gascon, j'ai mangé mon blé en
herbe....
On dit aussi : a Crier famine sur un tas
de blé », pour exprimer la manie qu'ont les
riches de se plaindre. Mais le plus intéressant
de ces proverbes est celui-ci à l'adresse de
ceux qui gouvernent : « Ne nous remets pas
aux glands quand nous avons du blé, » c'est-
à. dire : a Ne t'inspire jamais du passé, mais
seulement de la justice, et marche toujours
en avant selon la loi souveraine du progrès.»
Jane, — je ne sais, rien de beau comme un
champ de blé.
C'est du. sillon, lorsqu'il est vert encore,
que part la fille de l'aurore, l'alouette gau-
loise.
Près du sol, elle-gazouille ; mais, à me-
sure qu'elle monte, son chant éclate. C'est
une fanfare de gaieté. — Vive le printemps,
l'amour, le soleil et le ciel libre! Je suis la
chanson du matin. J'annonce le réveil des
champs, et je symbolise le réveil des nations.
Voyez ! Autour de moi tout sourit dans l'aube.
La lumière est douce. L'herbe étincelle.
L'homme espère, le' regard perdu dans les
horizons bleus. Le sommeil a réparé ses for-
ces. Il se sent frais, dispos. Tout à l'heure
il agira. De même que le clairon appelle les
soldats hors de la tente, — de même mon
kiripioupiou sonne l'action bienfaisante et le
travail de l'humanité.
! Le blé a grandi. Quand le soleil luit dans
le ciel sans nuage, la plaine d'épis paraît une
plaine d'or. Bientôt, sur la terre qui brûle,
les moissonneurs se mettront à la besogne,
la face rougie par la réverbération des rayons,
la chemise collée aux reins, robustes et muets.
Suivez-les des yeux jusqu'au bout du champ.
Puis, retournez-vous et regardez, au-delà des
amas de gerbes et des charrettes, cet autre
peuple-qui attend.
Ce sont les pauvres du village qui viennent
glaner les épis laissés par les riches. Ils se
tiennent là, les jambes nues couleur de
bronze, vêtus de haillons décolorés, de mau-
vais çhapeaux déchirés sur la tête, convoitant
la petite part de richesses que la coutume
leur départit. Dans le groupe, les vieilles do-
minent. Elles tendent le cou, :et le regard qui,
passe sous leur paupière rouge semble avoir
retrouvé une expression jeune; leurs rides en
sont éclairées. Il y a là aussi des enfants sans
chemise, à peine couverts d'une blouse en
lambeaux, les cheveux blonds bouclés pleins
de paille, de foin et de brins de bois ; et d'au-
tres enfants encore, tout petits, que leurs
mèges traînent après elles, et qui roulent dans
les sillons...
i
Du blé ! du blé! — C'est-à-dire du pain !...
Tel est le cri de cette multitude.
. Si la récolte est mauvaise, le blé sera cher.
Comment les pauvres feront-ils pour vivre ?
Jane, — il y a eu des jours terribles dans
notre histoire, des années, que dis-je? des
années ! des périodes d'années, — cinq, dix,
quelquefois vingt, où neuf Français sur dix
avaient faim. Les grandes guerres avaient
pris les laboureurs. La mauvaise culture et
le mauvais temps avaient supprimé la récolte.
On faisait venir à grand'peine du blé de l'é-
tranger, et, quand il arrivait, ce blé était la
proie des accapareurs. Des misérables avaient
fait un pacte, le pacte de lamine. Ils ache-
taient tous les grains sur tous les marchés, et
ils les faisaient disparaître jusqu'au moment
où ils pouvaient les revendre au poids de
l'or. Des affamés couvraient les grands che-
mins, se dirigeant vers les villes, et le voya-
geur qui traversait les villages n'y trouvait
plus que des vieux prêts à mourir, et des
mères toutes pâles entourées de petits enfants
qui criaient : — Du pain !
Ces temps sont déjà loin de nous. Au-
jourd'hui les marchés sont libres, les moyens
de transport nombreux, la concurrence est
active, et la famine n'est pas à redouter en
France.
Et cependant,à quelques centaines de lieues,
— en Algérie, — quelques mauvaises récoltes
ont suffi pour réduire tout un peuple à la mi-
sère, et la terre de notre colonie recouvre
aujourd'hui les corps de deux cent mille mal-
heureux qui sont morts de faim !...
Lorsqu'on pense à ces choses, le coeur sai-
gne et l'on est vraiment heureux de voir jau-
nir les blés...
Quel poëme que celui du grain de blé !
On le jette en terre. Au bout de quelques
jours, on le retrouve, un peu enflé, la racine
en bas, la tête en haut. On distingue tour à
tour le germe, les petits filets blancs des raci-
nes, la matière laiteuse dont se composera la
farine, — tout cela avant que l'alouette ait
fait son nid dans l'herbe, avant le soleil. ;
avant les moissonneurs...
Le Courrier de Limoges nous apportait hi! **
un récit miraculeux.
Un propriétaire de là-bas a découvert, dans ./
son champ,TRENTE épis sur un seul pied de blé.
Aussitôt les statisticiens se sont mis à l'am-
vre, et voici à quels résultats ils sont arri-
vés : ?
Chaque épi de blé donne en moyenne ti3
grains ; donc la tige aux 30 épis a produit
1290 grains pour 1.
Continuons ce calcul merveilleux, .
Si pendant 3 ans encore, chaque grain aes
30 épis se multipliait ainsi, nous aurions pour
le total des 4 années 2,769,228,8W,OOOgrains
ou 2,769, 228 hectolitres de blé....
Le chiffre s'empare de l'imagination... On
a le vertige...
Jane, - si le beau temps continue, — on
moissonnera bientôt.
Quand ce moment-là sera venu, quittez
Paris pendant un jour, montez en voiture et ;
dites au cocher de n'arrêter que lorsqu'il aura
trouvé des gerbes sur son chemin.
, Vous descendrez alorf. Vous poserez vos;
petits pieds sur la terre brûlée, et vous irez;
bravement en faisant crier le chaume sous:
vos pas.
Vous regarderez, dans la plaine pareille à'
une fournaise, les moissonneurs, les gla-
neuses, les enfants, toute la ruche travailleuse
à laquelle nous devons le pain...
Rien de salutaire comme un tel spectacle.)
Toute tristesse personnelle disparaît; tout
chagrin vague se dissipe. Dans la nature'
ROCAMBOLE
mess=""N° 226 LES
MISÈRE DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXVI
i
En entendant sonner, Tom était allé ouvrir
sans défiance. •
Il était même persuadé que c'était le jeune
clergyman, le secrétaire du révérend Peters
Tovra qui entrait.. j
Quel n'avait pas été son étonnement en se
trouvant face à face avec M. Simouns, car ce |
i_.Yfi.irle numérç 4 22 novembre,
n'était pas la première fois qu'il voyait le pré-
tendu agent de police, celui-ci ayant eu affaire
la veille au révérend, qui s'était concerté avec
lui pour l'enlèvement du petit Irlandais.
M. Simouns était suivi d'un nègre, et la vue
de ce nègre effrayait quelque peu le valet de
chambre sacristain.
— Mon maître est sorti, disait-il.
— Oui, répondit M. Simouns en pénétrant
dans le vestibule, mais il y a en haut une femme
que nuus venons arrêter.
— Voilà ce que je ne souffrirai pas, répondit
Tom.
— En vérité !
— Je suis le serviteur fidèle de mon maître,
reprit Tom, et ce qu'il me commande je le
fais..
— Que vous a-t-il donc commandé, votre
maître, monsieur Tom ?
— De ne laisser la femme dont vous] parlez
sortir d'ici sous aucun prétexte.
— Ah ! dit M. Simouns.
— Et si vous ne me turz, ou ne me garrot-
tez....
—Mon cher monsieur Tom, dit M. Simouns, il
n'y a qu'un malheur à toutes vos belles résolu-
tions.
— Lequel? demanda Tom d'une voix. légère-
ment émue.
— C'est que c'est le révérend qui m'envoie.
— M. Peters Town?
— Lui-même.
— Alors, dit Tom, il vous a certainement
donné un mot de sa main ?
— Non, il a fait mieux que cela, il m'a donné
son portefeuille pour vous le remettre, en vous
priant de le serrer dans son secrétaire.
Et M. Simouns tendit à Tom, un peu inter-
dit, le portefeuille du révérend, duquel il avait
extrait, du reste, l'ordre d'arrestation signé par
le lord chief-justice.
Si Tom eût vu M. Simouns pour la première
fois, peut-être se fùt-il délié tout de même, et
fùt-il allé jusqu'à supposer que le révérend était
tombé aux mains d'une bande de voleurs.
Mais Tom avait déjà vu M. Simbuns en
grande conférence avec son maître.
En outre, le portefeuille renfermait des bank-
notes, et quel est le voleur qui rend un porte-
feuille ainsi meublé ?
Tom ajouta donc une foi pleine et entière aux
paroles de M. Simouns.
— Ah 1 fit-il, s'il en est ainsi, venez. Je vais
vous livrer la petite dame.
Mistress Fanoche, on le sait, avait entr'ou-
vert sa porte sans bruit et elle avait entendu une
partie de ce dialogue.
Alors, la peur s'était emparée d'ella, !
On venait l'arrêter 1
Et elle avait essayé de se traîner jusqu'à la fe-'
nêtre et de sauter dans le jardin.
Mais élle n'en avait pas eu la force et lorsque,
M. Simouns et le nègre, conduits par Tom qu£
s'était armé d'un flambeau, arrivèrent, ils la '
trouvèrent étendue sans connaissance sur le
parquet.
— Eh bien! dit M. Simouns, j'aime autant
cela. Nous n'aurons pas besoin de lui mettre un.
bâillon pour l'empêcher de crier.
Il fit un signe au nègre.
Shoking, — car on doit l'avoir reconnu, —
prit mistress Fanoche à bras le corps et la char.
gea sur son épaule.
— En route, dit M. Simouns.
Shoking et lui avaient laissé à la porte un
fiacre à quatre places.
Ils y déposèrent mistress Fanoche évanouie ; j
puis M. Simouns souhaita le bonsoir à Toro;!.'.;
l'engageant à se coucher, car, disait-il,le révérend j
; Peters Town ne devait pas rentrer, cette nuilj-!
là ; et ils montèrent dans le fiacre en disant au!
cabman :
, — Conduis-nous à la station de police.
— Mais, dit alors Shoking, je croyais çuejftoae
allions à Newgate, maître
— Sans douta
S cent, le numéro \ "* JOURNAL QUOTIDIEN , 5 cent. le numero
ABONNEMENTS.. ». Trois mois. Six moisi en an.
s fr. 9 fr. i8 fr.
'. départements.. 6 tl
Administrateur : E. DELSAUX. -t e
i
0 !
j 3'" année. — JEUDI 18 JUIN 1868. c-- 1\70 79l,lggf
v Directeur- Propriétaire taire : J A N N I N.
Rédacteur■ eit chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.; -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.-l
ADMINISTRATION : i3. Dlace Breda.
PARIS, 17 JUIN 1868
LES BLÉS
Avez-vons remarqué cela?... Depuis-qrrêï-
ques jour s les gens s'abordent en se disant : —
Rien de nouveau !... Rien de nouveau, c'est-
à-dire ni guerre, ni peste, ni malheur public.
On devrait se réjouir. Pas du tout; on se
quitte d'un air désappointé. Eh bien! voici
du nouveau, mes chers amis. Ouvrez tous les
journaux de la province. Dans tous vous trou-
verez cette même, cette admirable phrase :
«La moisson sera superbe. » Voilà une nou-
velle qui vaut toutes les nouvelles. Com-
mentez-la, répandez-la, pensez et parlez : vos
-pensées seront consolantes, et vos paroles au-
'ront cette éloquence familière qui remonte le
cœur des bonnes gens.
D'où nous vient le blé?.;<
« Un Juif, disait Voltaire, m'a assuré que
le blé poussait tout seul, en Mésopotamie,
comme les pommes, les poires sauvages, les
châtaigniers, les nèfles dans l'Occident. Je le
veux croire jusqu'à ce que je sois sûr du con-
traire. Car enfin il faut bien que le blé croisse
quelque part... » , v.
Les Gaulois avaient du blé du temps de
César. Ils le tenaient des Espagnols auxquels
les marins de Tyr l'avaient apporté. Et de qui
les Tyriens le tenaient-ils? Des Grecs proba-
blement. Et les Grecs ? De Cérès, que leur
tradition faisait descendre du ciel exprès pour
donner aux hommes du froment, du seigle et
de l'orge. De cette origine divine et poétique
on peut conclure que le blé est, aussi vieux
que l'herbe,et qu'il a poussé comme elle dans
toutes les terres de l'Occident. Nous savons
que nous devons le vin àNoé. Mais nous igno-
rons le nom du bienfaiteur inconnu auquel
nous devons le pain.
L'histoire du blé, comme vous le voyez, est
fort simple.
On dit proverbialement : « manger son blé
en herbe, » pour : dépenser d'avance son re-
venu : « Je vous vois, monsieur, ne vous en
déplaise, dans le grand chemin que tenait Pa- ;
.,.nllrge pour se ruiner, prenant argent d'a-
vance, achetant cher, vendant à bon marché i
ci mangeant son blé en herbe. » Ainsi parle !
personnage de Modère. Autre anecdote :
Un Gascon, qui avait dissipé en très-peu de
LtempR sa fortune, tomba malade. Il fut sai- i
gné et pria son médecin de voir son sang.
Celui-ci, le regardant, dit : — Voilà du sang
qui est bien vert. — Il peut bien être vert,
répondit le Gascon, j'ai mangé mon blé en
herbe....
On dit aussi : a Crier famine sur un tas
de blé », pour exprimer la manie qu'ont les
riches de se plaindre. Mais le plus intéressant
de ces proverbes est celui-ci à l'adresse de
ceux qui gouvernent : « Ne nous remets pas
aux glands quand nous avons du blé, » c'est-
à. dire : a Ne t'inspire jamais du passé, mais
seulement de la justice, et marche toujours
en avant selon la loi souveraine du progrès.»
Jane, — je ne sais, rien de beau comme un
champ de blé.
C'est du. sillon, lorsqu'il est vert encore,
que part la fille de l'aurore, l'alouette gau-
loise.
Près du sol, elle-gazouille ; mais, à me-
sure qu'elle monte, son chant éclate. C'est
une fanfare de gaieté. — Vive le printemps,
l'amour, le soleil et le ciel libre! Je suis la
chanson du matin. J'annonce le réveil des
champs, et je symbolise le réveil des nations.
Voyez ! Autour de moi tout sourit dans l'aube.
La lumière est douce. L'herbe étincelle.
L'homme espère, le' regard perdu dans les
horizons bleus. Le sommeil a réparé ses for-
ces. Il se sent frais, dispos. Tout à l'heure
il agira. De même que le clairon appelle les
soldats hors de la tente, — de même mon
kiripioupiou sonne l'action bienfaisante et le
travail de l'humanité.
! Le blé a grandi. Quand le soleil luit dans
le ciel sans nuage, la plaine d'épis paraît une
plaine d'or. Bientôt, sur la terre qui brûle,
les moissonneurs se mettront à la besogne,
la face rougie par la réverbération des rayons,
la chemise collée aux reins, robustes et muets.
Suivez-les des yeux jusqu'au bout du champ.
Puis, retournez-vous et regardez, au-delà des
amas de gerbes et des charrettes, cet autre
peuple-qui attend.
Ce sont les pauvres du village qui viennent
glaner les épis laissés par les riches. Ils se
tiennent là, les jambes nues couleur de
bronze, vêtus de haillons décolorés, de mau-
vais çhapeaux déchirés sur la tête, convoitant
la petite part de richesses que la coutume
leur départit. Dans le groupe, les vieilles do-
minent. Elles tendent le cou, :et le regard qui,
passe sous leur paupière rouge semble avoir
retrouvé une expression jeune; leurs rides en
sont éclairées. Il y a là aussi des enfants sans
chemise, à peine couverts d'une blouse en
lambeaux, les cheveux blonds bouclés pleins
de paille, de foin et de brins de bois ; et d'au-
tres enfants encore, tout petits, que leurs
mèges traînent après elles, et qui roulent dans
les sillons...
i
Du blé ! du blé! — C'est-à-dire du pain !...
Tel est le cri de cette multitude.
. Si la récolte est mauvaise, le blé sera cher.
Comment les pauvres feront-ils pour vivre ?
Jane, — il y a eu des jours terribles dans
notre histoire, des années, que dis-je? des
années ! des périodes d'années, — cinq, dix,
quelquefois vingt, où neuf Français sur dix
avaient faim. Les grandes guerres avaient
pris les laboureurs. La mauvaise culture et
le mauvais temps avaient supprimé la récolte.
On faisait venir à grand'peine du blé de l'é-
tranger, et, quand il arrivait, ce blé était la
proie des accapareurs. Des misérables avaient
fait un pacte, le pacte de lamine. Ils ache-
taient tous les grains sur tous les marchés, et
ils les faisaient disparaître jusqu'au moment
où ils pouvaient les revendre au poids de
l'or. Des affamés couvraient les grands che-
mins, se dirigeant vers les villes, et le voya-
geur qui traversait les villages n'y trouvait
plus que des vieux prêts à mourir, et des
mères toutes pâles entourées de petits enfants
qui criaient : — Du pain !
Ces temps sont déjà loin de nous. Au-
jourd'hui les marchés sont libres, les moyens
de transport nombreux, la concurrence est
active, et la famine n'est pas à redouter en
France.
Et cependant,à quelques centaines de lieues,
— en Algérie, — quelques mauvaises récoltes
ont suffi pour réduire tout un peuple à la mi-
sère, et la terre de notre colonie recouvre
aujourd'hui les corps de deux cent mille mal-
heureux qui sont morts de faim !...
Lorsqu'on pense à ces choses, le coeur sai-
gne et l'on est vraiment heureux de voir jau-
nir les blés...
Quel poëme que celui du grain de blé !
On le jette en terre. Au bout de quelques
jours, on le retrouve, un peu enflé, la racine
en bas, la tête en haut. On distingue tour à
tour le germe, les petits filets blancs des raci-
nes, la matière laiteuse dont se composera la
farine, — tout cela avant que l'alouette ait
fait son nid dans l'herbe, avant le soleil. ;
avant les moissonneurs...
Le Courrier de Limoges nous apportait hi! **
un récit miraculeux.
Un propriétaire de là-bas a découvert, dans ./
son champ,TRENTE épis sur un seul pied de blé.
Aussitôt les statisticiens se sont mis à l'am-
vre, et voici à quels résultats ils sont arri-
vés : ?
Chaque épi de blé donne en moyenne ti3
grains ; donc la tige aux 30 épis a produit
1290 grains pour 1.
Continuons ce calcul merveilleux, .
Si pendant 3 ans encore, chaque grain aes
30 épis se multipliait ainsi, nous aurions pour
le total des 4 années 2,769,228,8W,OOOgrains
ou 2,769, 228 hectolitres de blé....
Le chiffre s'empare de l'imagination... On
a le vertige...
Jane, - si le beau temps continue, — on
moissonnera bientôt.
Quand ce moment-là sera venu, quittez
Paris pendant un jour, montez en voiture et ;
dites au cocher de n'arrêter que lorsqu'il aura
trouvé des gerbes sur son chemin.
, Vous descendrez alorf. Vous poserez vos;
petits pieds sur la terre brûlée, et vous irez;
bravement en faisant crier le chaume sous:
vos pas.
Vous regarderez, dans la plaine pareille à'
une fournaise, les moissonneurs, les gla-
neuses, les enfants, toute la ruche travailleuse
à laquelle nous devons le pain...
Rien de salutaire comme un tel spectacle.)
Toute tristesse personnelle disparaît; tout
chagrin vague se dissipe. Dans la nature'
ROCAMBOLE
mess=""N° 226 LES
MISÈRE DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXVI
i
En entendant sonner, Tom était allé ouvrir
sans défiance. •
Il était même persuadé que c'était le jeune
clergyman, le secrétaire du révérend Peters
Tovra qui entrait.. j
Quel n'avait pas été son étonnement en se
trouvant face à face avec M. Simouns, car ce |
i_.Yfi.irle numérç 4 22 novembre,
n'était pas la première fois qu'il voyait le pré-
tendu agent de police, celui-ci ayant eu affaire
la veille au révérend, qui s'était concerté avec
lui pour l'enlèvement du petit Irlandais.
M. Simouns était suivi d'un nègre, et la vue
de ce nègre effrayait quelque peu le valet de
chambre sacristain.
— Mon maître est sorti, disait-il.
— Oui, répondit M. Simouns en pénétrant
dans le vestibule, mais il y a en haut une femme
que nuus venons arrêter.
— Voilà ce que je ne souffrirai pas, répondit
Tom.
— En vérité !
— Je suis le serviteur fidèle de mon maître,
reprit Tom, et ce qu'il me commande je le
fais..
— Que vous a-t-il donc commandé, votre
maître, monsieur Tom ?
— De ne laisser la femme dont vous] parlez
sortir d'ici sous aucun prétexte.
— Ah ! dit M. Simouns.
— Et si vous ne me turz, ou ne me garrot-
tez....
—Mon cher monsieur Tom, dit M. Simouns, il
n'y a qu'un malheur à toutes vos belles résolu-
tions.
— Lequel? demanda Tom d'une voix. légère-
ment émue.
— C'est que c'est le révérend qui m'envoie.
— M. Peters Town?
— Lui-même.
— Alors, dit Tom, il vous a certainement
donné un mot de sa main ?
— Non, il a fait mieux que cela, il m'a donné
son portefeuille pour vous le remettre, en vous
priant de le serrer dans son secrétaire.
Et M. Simouns tendit à Tom, un peu inter-
dit, le portefeuille du révérend, duquel il avait
extrait, du reste, l'ordre d'arrestation signé par
le lord chief-justice.
Si Tom eût vu M. Simouns pour la première
fois, peut-être se fùt-il délié tout de même, et
fùt-il allé jusqu'à supposer que le révérend était
tombé aux mains d'une bande de voleurs.
Mais Tom avait déjà vu M. Simbuns en
grande conférence avec son maître.
En outre, le portefeuille renfermait des bank-
notes, et quel est le voleur qui rend un porte-
feuille ainsi meublé ?
Tom ajouta donc une foi pleine et entière aux
paroles de M. Simouns.
— Ah 1 fit-il, s'il en est ainsi, venez. Je vais
vous livrer la petite dame.
Mistress Fanoche, on le sait, avait entr'ou-
vert sa porte sans bruit et elle avait entendu une
partie de ce dialogue.
Alors, la peur s'était emparée d'ella, !
On venait l'arrêter 1
Et elle avait essayé de se traîner jusqu'à la fe-'
nêtre et de sauter dans le jardin.
Mais élle n'en avait pas eu la force et lorsque,
M. Simouns et le nègre, conduits par Tom qu£
s'était armé d'un flambeau, arrivèrent, ils la '
trouvèrent étendue sans connaissance sur le
parquet.
— Eh bien! dit M. Simouns, j'aime autant
cela. Nous n'aurons pas besoin de lui mettre un.
bâillon pour l'empêcher de crier.
Il fit un signe au nègre.
Shoking, — car on doit l'avoir reconnu, —
prit mistress Fanoche à bras le corps et la char.
gea sur son épaule.
— En route, dit M. Simouns.
Shoking et lui avaient laissé à la porte un
fiacre à quatre places.
Ils y déposèrent mistress Fanoche évanouie ; j
puis M. Simouns souhaita le bonsoir à Toro;!.'.;
l'engageant à se coucher, car, disait-il,le révérend j
; Peters Town ne devait pas rentrer, cette nuilj-!
là ; et ils montèrent dans le fiacre en disant au!
cabman :
, — Conduis-nous à la station de police.
— Mais, dit alors Shoking, je croyais çuejftoae
allions à Newgate, maître
— Sans douta
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