Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-06-16
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 16 juin 1868 16 juin 1868
Description : 1868/06/16 (A3,N789). 1868/06/16 (A3,N789).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47177915
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
-
~,
- JOURNAL QÏTOTÎBIEM -
IS CÇÏIÎ; le ^éro -
S cent. le numéro
,,BoNriEMENTS. — Trois mois, Six mois. Un an.
fcris - a fr. 9 fr.. flg fr.
- ^parlements... - G n ..
Administrateur r E. DELSA UX.
, - • , «. , 1 -,
1
.
; JIDe- année. — MARDI 16 JUI!N 1868. ^ 789
„ Directeur-Propriétaire :* J A K N I N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BnAGELONNBi -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Ds*ou€»&,
ADMINISTRATION : 13, plaça Breda.
PARIS, 15 JUIN 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LE LOI
Le billet a bon dos. II a reçu
çignation, lé jugement, la signifieation, bref,
tous les sacrements. Le mobilier est en vente.
La concierge a voulu arracher l'affiche. —- À
quoi bon? a dit la femme. L'homme a dit : —
Je m'en fiche pas mal !... Le cri de là vanité.
Au fond, il est consterné. Le propriétaire ne
fait pas crédit. On ne lui doit qu'un terme :
il sera payé.
Le commissaire-priseur succède à l'huis-.
sier. Le crieur remplace les praticiens.
— A vingt francs, le lot! A vingt francs!
Personne ne dit mot? Personne ?...
— Vingt-et-un!
— Vingt-deux!
— Vingt-trois ! „
— Vingt-quatre I..»
A trente, on hésite. : '■
— Trente-et-un !
Le crieur cligne de l'œil.
— IVente-dtux !
Nouveau silence. Nouveau signe à une
autre adresse.
— Trente-trois! ; • ' •" L ~ "
— Trente-trois, messieurs! Trentè-trois
francs! C'est bien vu, bien entendu? Per-
sonne ne dit mot?.... Adjugé !... Quel nom?...
— Jérôme Bouteloup. Elje paye pour enle-
ver de suite 1..,
Jérôme s'avance avec sa femme. Deux
braves jeunes gens. L'homme a vingt ans, la
femme dix-neuf. Tous deux se mettent à
trimballer leur lot de l'appartement dans la
rue.
Lui, porte les grosses pièces. Elle, avec un
empressement qui n'est pas exempt de co-
quetterie, prend d'une main les objets d'un
demi-kilo et relève de l'autre sa jupe d'in-
dienne à petits pois sur fond blanc. Dame !
l'escalier n'est pas de la première propreté, et
l'on pourrait se tacher en descendant.
Un premier voyage, un second, un troi-
sième....
Enfin, le lot est sur le trottoir. ,j
il se compose : ;
' 1° De deux chaises passables ; ^
| 2° De trois chaises en mauvais état ; "
j 3° De- deux chaises en ruines^
/ 4° D'un comptoir à gaz ; 'f
/ 5° De deux parapluies, dont un bon 5 . :
t a frte arw res-f
! 7° De quatorze siphons d'eau de Seltz;
8° D'un berceau en fer;
* 9Q D'une bible ;
10Q D'un vaisseau de cent vingt canons, en
miniature ;
111, D'une année reliée du Monde illus-
tré ; ' ; ;1
12° D'un lot de bouteilles, — parfumerie,
pharmacie, magas:ns Champroux, (coquette-
rie, maladie, gourmandise ; )
13° D'une pipe, représentant la tête de
M. Havin ; (quel est donc cet empereur dont
le portrait est sur cette pipe ? )
14° D'une balance aussi douteuse que le
régime de poids qui raccompagnent ;
15° D'un seau en bois ; V®
- 16° D'une lampe-Carcel ;
17° De deux caisses, remplies, d'un fouillis
d'objets avarlës....
LA FEMME. — Je vas chercher une voiture
â bras.
JÉRÔME. ,- Que t'es bête ! Nous allons tout
vendre sur place. Tu vas voir.
Les oisifs du quartier guignent le lot. Les
commères s'approchent. Les ouvriers qui pas-
sent suri-êteiit 11t.... •• •-
Pour attirer la foule, le marchand com-
mence par distribuer en riant aux gamins des
bouchons de carafes, des cartes à jouer, des
fleurs artificielles, — quelles fleurs !... Il
laisse tomber une tringle sur l'épaule d'un ap-
prenti. (On rit.)
Quelques messieurs s'approchent pour
écouter le boniment et pour regarder la jolie
marchande bien plutôt que pour acheter...
-—Voyez! voyez ! voyez la vente ! Tous ob-
jets d'utilité ! Voyez la vente !...
Le lot se débite comme par enchantement.
Chaque objet se vend cinq, dix, quinze, vingt
sous. Mais il y en a tant que la moitié n'est
^pas encore partie, et qu'il y a déjà quarante-
"cinq francs dans le seau en bois transformé
en caisse.
LA FEMME. — Tant pis ! Il fait trop chaud !
Elle prend dix francs dans le seau, s'éloi-
gne, et revient, au bout de dix minutes avec
une,ombreIle neuve.
Pendant son absence, un jeune compagnon
a emporté 4e berGeau—q^iatre
francs. Et cela d'un air de triomphe, qui si-
gnifiait clair comme le jour :
Ma femme légitime va me donner un
enfant demain.
Une vieille dame marchande la lampe.
—Tiens, six francs! Tiens, cent sous!
TienF, quatre francs ! Tiens, trois francs cin-
quante...
Le Commissaire priseur fait l'enchère ascen-
dante^ le marchand fait la descendante. i
— Adjugée la lampe-Carcel !
La vieille dame a déjà un paquet. Mais
Mme Jérôme entortille un gamin, qui por-
tera pèur cinq sous la lampe à domicile.
Le Marchand est content. Les acheteurs
s'imaginent qu'ils ont trouvé la pie au nid.
Tout le monde rit et se frotte les mains...
Quelle journée!
Il y a soixante-dix francs dans le seau.
. —Jfe donne ce plat pour deux sous. Voyons,
deux Sous1 Non? Eh bien! Trois sous les
morceaux!...
Et Jérôme laisse tomber le plat à terre.
La foule rit à se tordre.
Tout à l'heure, il n'y aura plus rien à
vendue _
(jtiel malheur! On s'amusaftlant l Et puis
quelles occasions!..
UN AMATEUR DE FERRAILLE. — Dans un ma-
gasin, ces pincettes m'auraient coûté vingt
fois plus.
UNE MARCHANDE MERCIÈRE. — Je parie que je
revendrais ce plumeau à ma voisine avec dix
sous de bénéfice, si je voulais.
UN GARÇON DIt CAFÉ. — VOilà plus de six
mois que je cherchais des boucles de souliers
en imitation...
Jérôme vide le contenu du seau dans le ta-
[ blier de sa femme, et fait cadeau du conte-
nant à une marchande de journaux qui le con-
voitait depuis une heure d'un œil ardent.
LA FEMME. — Je pars devant, pour allumer
le feu et éplucher les légumes,
JÉRÔME. — Laisse-moi donc tranquille Il
Nous dînerons dehors aujourd'hui.
LA FEMME. — On étouffe chez le traiteur.
JÉROME. — Je te dis : dehors. C'est-à-dim»
à l'air, dans un jardin. Comprends-tu ?..
LA FEMME. — Oui, sous un berceau.
-----Iffi.-s!é-Ioigne-nt enchantés. ;
JÉRÔME. — Combien ton ombrelle?
LA FEMME. — Dix francs, juste.
JÉROME. — Elle est très-jolie. •
LA FEMME. — A la bonne heure ! Toi, tu ta' -
connais à tout... :
Pendant que le revendeur et sa; femme,
jeunes, heureux, de l'argent dans leurs
poches, remontent bras dessus bras dessous
la rue, un autre couple la descend, triste,
morne, silencieux.
L'homme est vieux, il porte un habit noir'
râpé, sur le collet duquel tombent'de longs;
cheveux gris mal tenus : la mine d'un musi-
cien ou d'un acteur qui boit plus qu'il ne
joue...
La femme est jeune encore, mais la misère
a flétri son visage, et ses yeux rougis attes-
tent des nuits passées dans l'insomnie et dans
les larmes.
Elle tient un petit enfant dans ses bras; un
autre marche devant, à peine vêtu.
Ce sont les pauvres gens dont le mobilier
a été vendu. Où vont-ils maintenant? Où
coucheront-ils ce soir? Dans quelque bouge, '
où on leur fera payer d'avance un grabat.,.
Q.ue deviendra cette famille désormais sans
foyer?... Les hasards de Paris sont grands,
et il y en d'effroyables dans le nombre...
Sans doute, il y a de l'inconduiie au fond
de ce dénûment. On s'en apercevait au mo-
bilier; on s'en aperçoit aux individus. Mais
en sont-ils moins à plaindre, et le remords,
au contraire, n'est-il pas une misère da;
plus?...
Tout à coup le mari s'approche do la fem-
me ; il lui prend la main ; il la regarde; son
geste désigne les enfants :
— Je travaillerai, dit-il, pour eux, pour
toi!...
Il a bien dit cela. On sent que c'est vrai.
La femme relève la tête. Un bon sourire '
l'éclairé et la rajeunit.
— Je n'ai jamais désespéré, dit-elle, car je
t'aime et je sais que tu m'aimes aussi.
ROCAMBOLE
mess=""N° 224 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXIV
ï-i'homnle gris, une fois dans le faux-pont,
jugea inutile de demeurer plus longtemps dans
l'obscurité.
Il tira de sa poche une boîte d'allumettes
et un rat de cave, et soudain une clarté
permit au révérend de voir enfin à l'aise le
visage de cet homme avec qui il luttait dans
Voirie numéro du 22 novembre.
l'ombre depuis longtemps, et au pouvoir de qui
il se trouvait en ce moment.
L'homme gris, on s'en souvient, avait dé-
pouillé, chez miss' Ellen, le front ridé et les
cheveux blancs du prétendu M. Simouns.
Il était redevenu l'homme jeune, élégant de
tournure et beau de visage, qui avait juré que la
fille de lord Palmure l'aimerait tôt ou tard.
Aussi, le révérend le regarda-t-il avec avidité,
comme pour graver à jamais ses traits dans son
souvenir.
Et il se disait, tandis que" les préparatifs de
sa captivité commençaient :
— J'aurai ma revanche quelque jour, et je
l'aurai terrible.
Ces préparatifs, dont nous parlons, étaient
d'une extrême simplicité.
Sur l'ordre de l'homme gris, l'Irlandais Harris
fourra son mouchoir en guise de bâillon dans
la bouche de Peters Town, qui n'opposa aucune
résistance.
Ensuite, il lui lia plus solidement les jam-
bes.
Après quoi, il le descendit dans la cale et l'y
coucha sur le dos.
Puis il remonta, après que l'homme gris se
fût assuré que la cale n'avait aucune issue.
Alors, ce dernier ferma le panneau, et dit à
, ijarria ! -
— Tu vas rester ici. Je t'enverrai des vivres
dans une heure.
Sous aucun prétexte, ne quitte la péniche; 1
au nom de l'Irlande, tu me réponds de ton pri-
sonnier.
Harris s'inclina.
— Cependant, dit-il, il faut tout prévoir.
— Parle.
— Il y a souvent des vagabonds qui viennent
coucher ici.
— Tu les assommeras, s'ils ne veulent pas
s'en aller.
— Ce n'est pas cela, fit Harris. Il arrive que
les po'icemen de la rivière viennent quelquefois
visiter la- péniche et emmènent à bord du Roya-
list tout ce qu'ils trouvent.
Si cela arrivait, que ferais-je? : '
— Tu étranglerais ton prisonnier avant qu'ils
ne fussent montés à bord.
— C'est bien, dit Harris, je ferai comme vous
me l'ordonnez.
Et il se coucha dans l'entrepont, juste au-
dessus du panneau qui fermait la cale, devenue
la prison du révérend Peters Town.
L'homme grisa monta sur le pont, après avoir
laissé un rat-de-cave à Harris, et se laissa glis-
ser ensuite, le long de la corde, dans la. barque
où l'autre Irlandais l'attendaii
— Où allons-nous? demanda celui-ci.en pous- :
sant au large.
— Nous remontons au pont de Londres ET;"
ensuite à la gare de Cannons-street.
L'Irlandais se mit à nager avec vigueur et la '
barque glissa de nouveau sur la Tamise.
Alors l'homme gris tira sa montre, une montra
à répétition, et la fit sonner.
Il était dix heures moins le quart.
Or, l'homme gris avait fait ce calcul :
Le steamer le Santa-Fi était parti à trois
heures de l'après-midi.
Il avait dû mettre, en chauffant à toute va-
peur, quatre heures pour sortir de la Tamise,
prendre la mer et doubler le cap de Douvres.
Il avait dû rencontrer, une heure plus tard, le
bateau-poste de Calais, et Shoking avait dû
passer à bord de ce dernier.
Il était donc probable que le faux nègre, ra-
mené à Douvres vers neuf heures du soir, y ..
prendrait aussitôt le train de Londres.
L'homme gris ne désespérait donc pas de le
revoir cette nuit-là même.
La barque remonta la Tamise et vint accoster
le ponton d'embarcation qui est auprès du pont
sur lequel passe le South Eastern railway, c'est-
à-dire le chemin de fer du Sud-Est. ;
L'homme gris enjoignit à son batelier de des»
"'îndre dans une taverne, d'y acheter du jaaiSj,
-
~,
- JOURNAL QÏTOTÎBIEM -
IS CÇÏIÎ; le ^éro -
S cent. le numéro
,,BoNriEMENTS. — Trois mois, Six mois. Un an.
fcris - a fr. 9 fr.. flg fr.
- ^parlements... - G n ..
Administrateur r E. DELSA UX.
, - • , «. , 1 -,
1
.
; JIDe- année. — MARDI 16 JUI!N 1868. ^ 789
„ Directeur-Propriétaire :* J A K N I N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BnAGELONNBi -
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Ds*ou€»&,
ADMINISTRATION : 13, plaça Breda.
PARIS, 15 JUIN 1868
HISTOIRES DU LUNDI
LE LOI
Le billet a bon dos. II a reçu
çignation, lé jugement, la signifieation, bref,
tous les sacrements. Le mobilier est en vente.
La concierge a voulu arracher l'affiche. —- À
quoi bon? a dit la femme. L'homme a dit : —
Je m'en fiche pas mal !... Le cri de là vanité.
Au fond, il est consterné. Le propriétaire ne
fait pas crédit. On ne lui doit qu'un terme :
il sera payé.
Le commissaire-priseur succède à l'huis-.
sier. Le crieur remplace les praticiens.
— A vingt francs, le lot! A vingt francs!
Personne ne dit mot? Personne ?...
— Vingt-et-un!
— Vingt-deux!
— Vingt-trois ! „
— Vingt-quatre I..»
A trente, on hésite. : '■
— Trente-et-un !
Le crieur cligne de l'œil.
— IVente-dtux !
Nouveau silence. Nouveau signe à une
autre adresse.
— Trente-trois! ; • ' •" L ~ "
— Trente-trois, messieurs! Trentè-trois
francs! C'est bien vu, bien entendu? Per-
sonne ne dit mot?.... Adjugé !... Quel nom?...
— Jérôme Bouteloup. Elje paye pour enle-
ver de suite 1..,
Jérôme s'avance avec sa femme. Deux
braves jeunes gens. L'homme a vingt ans, la
femme dix-neuf. Tous deux se mettent à
trimballer leur lot de l'appartement dans la
rue.
Lui, porte les grosses pièces. Elle, avec un
empressement qui n'est pas exempt de co-
quetterie, prend d'une main les objets d'un
demi-kilo et relève de l'autre sa jupe d'in-
dienne à petits pois sur fond blanc. Dame !
l'escalier n'est pas de la première propreté, et
l'on pourrait se tacher en descendant.
Un premier voyage, un second, un troi-
sième....
Enfin, le lot est sur le trottoir. ,j
il se compose : ;
' 1° De deux chaises passables ; ^
| 2° De trois chaises en mauvais état ; "
j 3° De- deux chaises en ruines^
/ 4° D'un comptoir à gaz ; 'f
/ 5° De deux parapluies, dont un bon 5 . :
t a frte arw res-f
! 7° De quatorze siphons d'eau de Seltz;
8° D'un berceau en fer;
* 9Q D'une bible ;
10Q D'un vaisseau de cent vingt canons, en
miniature ;
111, D'une année reliée du Monde illus-
tré ; ' ; ;1
12° D'un lot de bouteilles, — parfumerie,
pharmacie, magas:ns Champroux, (coquette-
rie, maladie, gourmandise ; )
13° D'une pipe, représentant la tête de
M. Havin ; (quel est donc cet empereur dont
le portrait est sur cette pipe ? )
14° D'une balance aussi douteuse que le
régime de poids qui raccompagnent ;
15° D'un seau en bois ; V®
- 16° D'une lampe-Carcel ;
17° De deux caisses, remplies, d'un fouillis
d'objets avarlës....
LA FEMME. — Je vas chercher une voiture
â bras.
JÉRÔME. ,- Que t'es bête ! Nous allons tout
vendre sur place. Tu vas voir.
Les oisifs du quartier guignent le lot. Les
commères s'approchent. Les ouvriers qui pas-
sent suri-êteiit 11t.... •• •-
Pour attirer la foule, le marchand com-
mence par distribuer en riant aux gamins des
bouchons de carafes, des cartes à jouer, des
fleurs artificielles, — quelles fleurs !... Il
laisse tomber une tringle sur l'épaule d'un ap-
prenti. (On rit.)
Quelques messieurs s'approchent pour
écouter le boniment et pour regarder la jolie
marchande bien plutôt que pour acheter...
-—Voyez! voyez ! voyez la vente ! Tous ob-
jets d'utilité ! Voyez la vente !...
Le lot se débite comme par enchantement.
Chaque objet se vend cinq, dix, quinze, vingt
sous. Mais il y en a tant que la moitié n'est
^pas encore partie, et qu'il y a déjà quarante-
"cinq francs dans le seau en bois transformé
en caisse.
LA FEMME. — Tant pis ! Il fait trop chaud !
Elle prend dix francs dans le seau, s'éloi-
gne, et revient, au bout de dix minutes avec
une,ombreIle neuve.
Pendant son absence, un jeune compagnon
a emporté 4e berGeau—q^iatre
francs. Et cela d'un air de triomphe, qui si-
gnifiait clair comme le jour :
Ma femme légitime va me donner un
enfant demain.
Une vieille dame marchande la lampe.
—Tiens, six francs! Tiens, cent sous!
TienF, quatre francs ! Tiens, trois francs cin-
quante...
Le Commissaire priseur fait l'enchère ascen-
dante^ le marchand fait la descendante. i
— Adjugée la lampe-Carcel !
La vieille dame a déjà un paquet. Mais
Mme Jérôme entortille un gamin, qui por-
tera pèur cinq sous la lampe à domicile.
Le Marchand est content. Les acheteurs
s'imaginent qu'ils ont trouvé la pie au nid.
Tout le monde rit et se frotte les mains...
Quelle journée!
Il y a soixante-dix francs dans le seau.
. —Jfe donne ce plat pour deux sous. Voyons,
deux Sous1 Non? Eh bien! Trois sous les
morceaux!...
Et Jérôme laisse tomber le plat à terre.
La foule rit à se tordre.
Tout à l'heure, il n'y aura plus rien à
vendue _
(jtiel malheur! On s'amusaftlant l Et puis
quelles occasions!..
UN AMATEUR DE FERRAILLE. — Dans un ma-
gasin, ces pincettes m'auraient coûté vingt
fois plus.
UNE MARCHANDE MERCIÈRE. — Je parie que je
revendrais ce plumeau à ma voisine avec dix
sous de bénéfice, si je voulais.
UN GARÇON DIt CAFÉ. — VOilà plus de six
mois que je cherchais des boucles de souliers
en imitation...
Jérôme vide le contenu du seau dans le ta-
[ blier de sa femme, et fait cadeau du conte-
nant à une marchande de journaux qui le con-
voitait depuis une heure d'un œil ardent.
LA FEMME. — Je pars devant, pour allumer
le feu et éplucher les légumes,
JÉRÔME. — Laisse-moi donc tranquille Il
Nous dînerons dehors aujourd'hui.
LA FEMME. — On étouffe chez le traiteur.
JÉROME. — Je te dis : dehors. C'est-à-dim»
à l'air, dans un jardin. Comprends-tu ?..
LA FEMME. — Oui, sous un berceau.
-----Iffi.-s!é-Ioigne-nt enchantés. ;
JÉRÔME. — Combien ton ombrelle?
LA FEMME. — Dix francs, juste.
JÉROME. — Elle est très-jolie. •
LA FEMME. — A la bonne heure ! Toi, tu ta' -
connais à tout... :
Pendant que le revendeur et sa; femme,
jeunes, heureux, de l'argent dans leurs
poches, remontent bras dessus bras dessous
la rue, un autre couple la descend, triste,
morne, silencieux.
L'homme est vieux, il porte un habit noir'
râpé, sur le collet duquel tombent'de longs;
cheveux gris mal tenus : la mine d'un musi-
cien ou d'un acteur qui boit plus qu'il ne
joue...
La femme est jeune encore, mais la misère
a flétri son visage, et ses yeux rougis attes-
tent des nuits passées dans l'insomnie et dans
les larmes.
Elle tient un petit enfant dans ses bras; un
autre marche devant, à peine vêtu.
Ce sont les pauvres gens dont le mobilier
a été vendu. Où vont-ils maintenant? Où
coucheront-ils ce soir? Dans quelque bouge, '
où on leur fera payer d'avance un grabat.,.
Q.ue deviendra cette famille désormais sans
foyer?... Les hasards de Paris sont grands,
et il y en d'effroyables dans le nombre...
Sans doute, il y a de l'inconduiie au fond
de ce dénûment. On s'en apercevait au mo-
bilier; on s'en aperçoit aux individus. Mais
en sont-ils moins à plaindre, et le remords,
au contraire, n'est-il pas une misère da;
plus?...
Tout à coup le mari s'approche do la fem-
me ; il lui prend la main ; il la regarde; son
geste désigne les enfants :
— Je travaillerai, dit-il, pour eux, pour
toi!...
Il a bien dit cela. On sent que c'est vrai.
La femme relève la tête. Un bon sourire '
l'éclairé et la rajeunit.
— Je n'ai jamais désespéré, dit-elle, car je
t'aime et je sais que tu m'aimes aussi.
ROCAMBOLE
mess=""N° 224 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
CINQUIÈME PARTIE
L'ENFER DE MISTRESS BURTON
XXIV
ï-i'homnle gris, une fois dans le faux-pont,
jugea inutile de demeurer plus longtemps dans
l'obscurité.
Il tira de sa poche une boîte d'allumettes
et un rat de cave, et soudain une clarté
permit au révérend de voir enfin à l'aise le
visage de cet homme avec qui il luttait dans
Voirie numéro du 22 novembre.
l'ombre depuis longtemps, et au pouvoir de qui
il se trouvait en ce moment.
L'homme gris, on s'en souvient, avait dé-
pouillé, chez miss' Ellen, le front ridé et les
cheveux blancs du prétendu M. Simouns.
Il était redevenu l'homme jeune, élégant de
tournure et beau de visage, qui avait juré que la
fille de lord Palmure l'aimerait tôt ou tard.
Aussi, le révérend le regarda-t-il avec avidité,
comme pour graver à jamais ses traits dans son
souvenir.
Et il se disait, tandis que" les préparatifs de
sa captivité commençaient :
— J'aurai ma revanche quelque jour, et je
l'aurai terrible.
Ces préparatifs, dont nous parlons, étaient
d'une extrême simplicité.
Sur l'ordre de l'homme gris, l'Irlandais Harris
fourra son mouchoir en guise de bâillon dans
la bouche de Peters Town, qui n'opposa aucune
résistance.
Ensuite, il lui lia plus solidement les jam-
bes.
Après quoi, il le descendit dans la cale et l'y
coucha sur le dos.
Puis il remonta, après que l'homme gris se
fût assuré que la cale n'avait aucune issue.
Alors, ce dernier ferma le panneau, et dit à
, ijarria ! -
— Tu vas rester ici. Je t'enverrai des vivres
dans une heure.
Sous aucun prétexte, ne quitte la péniche; 1
au nom de l'Irlande, tu me réponds de ton pri-
sonnier.
Harris s'inclina.
— Cependant, dit-il, il faut tout prévoir.
— Parle.
— Il y a souvent des vagabonds qui viennent
coucher ici.
— Tu les assommeras, s'ils ne veulent pas
s'en aller.
— Ce n'est pas cela, fit Harris. Il arrive que
les po'icemen de la rivière viennent quelquefois
visiter la- péniche et emmènent à bord du Roya-
list tout ce qu'ils trouvent.
Si cela arrivait, que ferais-je? : '
— Tu étranglerais ton prisonnier avant qu'ils
ne fussent montés à bord.
— C'est bien, dit Harris, je ferai comme vous
me l'ordonnez.
Et il se coucha dans l'entrepont, juste au-
dessus du panneau qui fermait la cale, devenue
la prison du révérend Peters Town.
L'homme grisa monta sur le pont, après avoir
laissé un rat-de-cave à Harris, et se laissa glis-
ser ensuite, le long de la corde, dans la. barque
où l'autre Irlandais l'attendaii
— Où allons-nous? demanda celui-ci.en pous- :
sant au large.
— Nous remontons au pont de Londres ET;"
ensuite à la gare de Cannons-street.
L'Irlandais se mit à nager avec vigueur et la '
barque glissa de nouveau sur la Tamise.
Alors l'homme gris tira sa montre, une montra
à répétition, et la fit sonner.
Il était dix heures moins le quart.
Or, l'homme gris avait fait ce calcul :
Le steamer le Santa-Fi était parti à trois
heures de l'après-midi.
Il avait dû mettre, en chauffant à toute va-
peur, quatre heures pour sortir de la Tamise,
prendre la mer et doubler le cap de Douvres.
Il avait dû rencontrer, une heure plus tard, le
bateau-poste de Calais, et Shoking avait dû
passer à bord de ce dernier.
Il était donc probable que le faux nègre, ra-
mené à Douvres vers neuf heures du soir, y ..
prendrait aussitôt le train de Londres.
L'homme gris ne désespérait donc pas de le
revoir cette nuit-là même.
La barque remonta la Tamise et vint accoster
le ponton d'embarcation qui est auprès du pont
sur lequel passe le South Eastern railway, c'est-
à-dire le chemin de fer du Sud-Est. ;
L'homme gris enjoignit à son batelier de des»
"'îndre dans une taverne, d'y acheter du jaaiSj,
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.81%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 87.81%.
- Collections numériques similaires Cozic Henri Cozic Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Cozic Henri" or dc.contributor adj "Cozic Henri")
- Auteurs similaires Cozic Henri Cozic Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Cozic Henri" or dc.contributor adj "Cozic Henri")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k47177915/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k47177915/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k47177915/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k47177915/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k47177915
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k47177915
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k47177915/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest