Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-05-16
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 16 mai 1868 16 mai 1868
Description : 1868/05/16 (A3,N758). 1868/05/16 (A3,N758).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717760m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
6 cent. 4e numéro
i 1 JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent, le numéro ,
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. en an.
Paris 5 &. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 11 le
Administrateur : E. DELSAUX.
J>me année. — SAMEDI 16 MAI 1868. - N9 758
Directeur- Propriétaire: tare : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAG ELONNIB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13. nlace Breda.
PARIS, 14 MAI 1868
LA VIE A BON MARCHÉ
Ou donc ai-je lu cette charmante -lriM-oiré ?
-Je crois bien que c'est dans les Petites
Chroniques de la Science, de M. Henry Ber-
thoud. ,
Mlle Marguerite de Boistrancourt venait
d'épouser le vicomte Hector de Chastelet,
quand éclata la Révolution.
La mariée était riche, belle, amie de la
reine Ma rie-An toi nette. Le mari n'avait guère
que la cape et l'épée. Mais tous deux étaient
jeunes; ils s'aimaient. Quand on parla d'émi-
gration, ils partirent en riant, comme pour
un voyage de lune de miel. Une fois sur le
Rhin, le vicomte prit du service dans l'armée
de Condé; la vicomtesse vécut avec lui sous la
tente. Ce furent deux ans d'aventures, d'é-
motions, d'imprévu, de bonheur... Mais les
deux années écoulées, les jeunes mariés se
trouvèrent, en nombreuse compagnie, — ce
qui n'était pas une consolation, — réduits à
la plus affreuse pauvreté. Impossible de tirer
de l'argent de France. Pour s'en procurer à
l'étranger, il fallut travailler. L'officier se
mit à donner des leçons d'escrime, de langue
française, de dessin, de mathématiques; de
tout ce qu'on voulut; il en aurait donné de I
javanais, quoique le javanais ne fût pas en-
core inventé, à ce que je crois... Quant à
l'amie de Marie-Antoinette,elle se transforma
en ménagère, en cuisinière, en blanchis-
seuse. La poudre fut supprimée, et les che-
veux blonds relevés sur les tempes, les bras
nus, la jolie grande dame passa ses journées
à manier le fer, l'aiguille, la poêle, à mettre
tout en ordre dans le triste mobilier de sa
chambre garnie...
Un soir, le vicomte rentra au logis de très-
mauvaise humeur, las, découragé, l'esprit
tourné au noir... Il jeta un coup d'œil de
désolation autour de lui, et, voyant d'une
part la beauté et la jeunesse de sa femme, de
l'autre le milieu misérable dans lequel la
pauvreté le condamnait à vivre avec elle, il
se prit la tête à deux mains et fit un geste
désespéré. v
Mais elle, en riant, lui prit le bras et lui
dit :
— Nous changeons de logement; viens
voir, Hector, notre nouvel hôfelt...
On traversa la petite ville allemande. Dans
\m faubourg, presque à la campagne, devant
ulle maisonnette de petite apparence, la vi-
ccintesse s'arrêta.
• J- C'est ici, dit-elle; entrons!...
/Au second étage, — la maison n'en avait
4jue deux, — elle tira une clé de sa poche et
ouvrit une porte.
— Regarde! dit-elle en se retirant et en
battant des mains; regarde : n'est-ce pas un
vrai paradis?...
Le vicomte se trouvait sur le seuil d'une
chambre petite, il est vrai, mais éclatante de
propreté et de blancheur. Des rideaux à grands
ramages roses tamisaient le jour Je la fenêtre
et faisaient ainsi paraître plus gai le mobi-
lier de sapin blanc. Un lit, deux chaises, une
armoire, une table, des assiettes de faïence à
fleurs, la jeune femme n'avait rien oublié,
pas même un miroir, grand comme ses petites
mains, pas même un coucou duquel sortait,
aux heures, un petit Amour en bois... Le
pauvre professeur volontaire oublia ses fati-
gues:
— o\h! tu as raison, cria-t-il, c'est le
paradis !
— Un paradis, répondit-elle, qui coute cent,
francs Toutes mes économies y ont
passé!...
Pour terminer l'histoire, il faudrait ajouter
que les deux jeunes ger.s vécurent trois- an-
nées d'amour et de bonheur dans la belle
chambre de sapin.
il faudrait dire aussi qu'ils rentrèrent en
France, quJlÂ:..redevinrent riches et qu'ils re-
trouvèrènt un de leurs châteaux, dans lequel
la vicomtesse voulut installer son mobilier de
là-bas...
Tous deux, ralliés à l'Empire, vivaient à
lacour de Napoléon; mais, de temps en temps,
ils quittaient Paris; ils montaient en chaise
de poste ; ils arrivaient à la porte du vieux
château picard. A l'écurie les postillons, les
grelots, les chevaux!... A l'office, les domes-
tiques !... Inutile d'ouvrir les grands appar-
tements!... Non... Nos visiteurs se rendaient
tout de suite à la petite chambre Manche et
rose, et ils s'y enfermaient pour souper, par-
ler du passé, s'aimer, retrouver une heure
des joies d'autrefois...
Pouvais-je trouver, chers lecteurs, une
, meilleure entrée en matière pour vous parler
de la vie à bon marché?
Hélas! cette vie n'existe plus guère aujour-
d'hui, et les budgets privés sont plus lourds
encore que les budgets d'Etat. Cependant,
même dans la dépense, il y a un ordre. Il s'a-
git, avec l'argent dont on dispose, de satis-
faire au plus grand nombre de besoins possi-
ble.
Faire toucher les deux bouts est vite dit.
Mais la pratique journalière de la vie est
tout un art. •
La chambre en bois blanc, propre et bien
aérée de Mme de Chastelet donne la note pour
le logis.
Mais le logis n'est pas tout.
Il y a les provisions qu'on fait à la halle
et celles qu'on fait dans les boutiques, le vê-
tement, le blanchissage du linge, le chauf-
fage... Cela va à l'infini. -
Il faut que le père de famille et la ména-
gère soient au courant de cent choses diverses.
On a écrit de gros livres sur l'économie so-
ciale, et c'est très-bien.
L'économie domestique n'est pas non plus
à dédaigner. La recette se proportionne au
travail ; mais pour régler la dépense, il faut
presque du génie. L'avenir de la famille, sa
tranquillité, sa santé, sont intéressés à l'équi-
libre de son budget.
— Comment dois-je m'y prendre pour aé...
; rer ce logis?
— De quelle façon dois-je aménager ma
cheminée pour avoir très-chaud en brûlant
très-peu de charbon?
— Parmi les étoffes à bas prix, lesquelles
sont les plus chaudes pour l'hiver et les plus
fraîches pour Télé ? "
— Dans quelle saison telle viande est-
elle bonne? Dans quelle autre est-elle mau-
vaise ?
— Où dois-je m'approvisionner de tels lé-
gumes, de pommes de terre, par exemple? A
quelle époque ?
— Quelle est la meilleure recette pour faire
un bon pot au feu à mon mari ou des confi-
tures à mes enfants ?
— Ces derniers vont à l'école ou à l'atelier;
ils travaillent toute la semaine ; quels plaisirs
pourrai-je bien leur procurer le dimanche
sans dépenser trop d'argent?
Je viens de poser là une série de questions.
Il y en a bien d'autres. Toutes demandent
une réponse.
Les grands journaux vont, pendant trois
mois, discuter le budget de l'Etat ; ils con- '
tiendront de magnifiques discours et des en-
tassements de chiffres à dépasser le Mont
Blanc; cela ennuiera peut-être quelques lec-
teurs, mais cela emploiera beaucoup de pa-
pier... Pourquoi les petits journaux, surtout
ceux qui méritent d'être compris sous ce titre
» la presse populaire, » n'imiteraient-ils pas
les grands? Au lieu des finances publiques,
ils parleraient des finances privées. Chez eux,
le budget de l'Etat deviendrait, le budget du
ménage. Ils enseigneraient la vie à bon mar-
ché à l'individu, comme les discussions des
grandes assemblées enseignent l'économie à
l'Etat...
Vous avez dû le remarquer, chers lecteurs,
dès qu une idée pratique et féconde est dans
l 'air, la Petite Presse pense aussitôt à vous.
Elle veut que, dans un temps _doiiiié, vous
trouviez réunies dans son petit format toutes
les connaissances bonnes et utiles. Amuser,
distraire, reposer l'esprit des fatigues du jour
par des récits merveilleux, tel est son but.
Mais elle en a en même temps un autre, qui
est de moraliser et d'instruire.
Cet article est une préface. Son titre sera
celui d'une série que nous commencerons
dès demain.
LA VIE A BON MARCHÉ continuera cet ensemble
d 'innovations, LA PROMENADE DU DIMANCHE, LE
CONSEIL PAR JOUR., LE TEMPS PROBABLE... que
vous avez bien voulu accueillir et qui ont
contribué, dans une plus large mesure encore,
à faire de notre petit journal l'ami de la
maison. ;
Mon ami de Balathier vous expliquera,
mieux que je ne saurais le faire, !esprit et
l économie de notre nouvelle série d'articles.
Si j'ai tenu à l'annoncer, c'est que j'ai été
frappé comme lui de ce que cette idée a de
bon et d'ingénieux à la fois. La vie à bon
marché, grâce à la variété des sujets, ne fati.,
guera pas votre attention, et chaque jour elle
vous apprendra quelque chose que vous sercx
heureux de savoir.
Ce sera le chapitre par excellence des mé-
nagères, et je ne serais pas étonné que la plus
économe d'entre elles ne dise, dans quelque
temps, à son mari :
— Je te reprochais de dépenser un sou par
jour pour ton journal. Eh bien! non seule-
mentje ne te le reproche plus, mais je te.
conseillerais d'en dépenser deux s'il en était
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
L
Eo 193
Comment les pressentiments sinistres de.
l'homme gris l'emportaient-ils sur ses calculs?
Et comment pouvait-il se faire que le lord-
chief justice eût déjà signé un ordre d'arresta-
tion concernant l'abbé Samuel, alors que le ma-
gistrat de police avait à peine terminé son en-
quête, à cette heure-là?
Voir le numéro du 22 novembre.
C'était là ce qui paraissait incompréhensible
à l homme gris et ce que nous allons cependant
expliquer.
On se souvient qu'un homme s'était éclipsé,
dans le passage, au moment où Lisbeth accu-
sait formellement l'abbé Samuel du meurtre de
son époux, et q„e cet homme n'était autre que
le révérend Peters' Town.
Comment ce chef occulte de la religion an-
glicane, cet homme qui, du fond de sa maison-
nette d'Elgin Crescint, exerçait un pouvoir plus
grand peut-être que l'archevêque de Canterbury
à Lambeth Palace, se trouvait-il en ce moment-
là dans leSoutwark?
Etait, ce par hasard ?
Assurément non.
On se rappelle que Paddy avait fait à miss
Ellen la confidence que, selon lui, John Colden
était caché dans le clocher de Saint-Georges.
Miss Ellen ne s'y était pas trompée. L'hôte
mystérieux de la cathédrale catholique n'était
point John Colden, mais bien l'homme gris, et
elle avait fait part de cette découverte à son
mystérieux associé, le révérend Peters' Town.
Or, depuis le matin, ivre de rage, le prêtre
anglican, avait juré la perte du prêtre catho-
lique.
Pas plus que miss Ellen il ne doutait de la
complicité morale de l'abbé Samuel dans l'en-
* \
lèvement du condamné à mort; mais cette com-
plicité, il fallait la prouver.
Or le révérend Peters' Town avait fait ce rai-
sonnement, qui n'était pas dépourvu de sa-
gesse.
— Si l'homme qu'on accuse d'avoir coupé la-
corde du pendu avec une balle chassée par un
fusil à vent et que la police cherche vainement,
est réellement caché dans Saint-Georges, il est
probable que l'abbé Samuel le visite de temps
en temps, et plutôt la nuit que le jour.
Par conséquent, il faut établir une souricière
aux abords de Saint-Georges.
Cette résolution prise, le révérend était allé,
un peu avant la nuit, chez le lord-chief justice,
magistrat suprême dont les fonctions correspon-
dent à celles du procureur-général en France.
Le lord-chief justice savait quelle était l'im-
portance du révérend Peters' Town.
Cet homme, que les Anglais vulgaires regar-
daient passer dans les rues, longeant les murs
et marchant avec humilité, était l'égal, sinon le
supérieur, du primat d'Angleterre, et à de cer-
taines heures, dans la libre, Albion, l'autorité
religieuse force l'autorité civile à s'incliner.
Donc, le lord chief justice avait reçu le révé-
rend Petere Town avec empressement.
Celui-ci lui avait dit :
— Je puis vous livrer l'homme qu'on cherche
inutilement et qui est un des chefs irlandais ;
mais pour cela il faut que j'aie un ordre d'arres-
tation en blanc.
j Le lord-chief justice avait fait observer que
la loi anglaise n'autorise pas ces sortes d'équi-
pées, mais le révérend lui avait dit :
— Pour que l'homme gris soit arrêté, il faut
que l'un de ses complices le soit en même
temps. 3
— Quel est-il ? avait demandé le Ínagis-
trat.
— C'est un prêtre catholique: l'abbé SamueL
— Comment prouverez-vous sa complicité?
— Vous pensez bien, avait répondu le révé-
rend, que je ne m'embarque pas à Ja légère
dans cette aventure. Si je vous demande un or-
dre d'arrestation, c'est que je suis certain par
avance que cette arrestation sera légale.
Le lord-chief justice avait encore fuit remar-
quer au révérend que l'on ne pouvait arrêter un
prêtre dans son église qu'avec une autorisation
du lord chancelier, et qu'il y avait un dan-
ger très-grand d'impopularité à l'arrêter chez
lui.
A ' quoi le révérend avait répondu que la
chose aurait lieu dans la rue et qu'il s'en char-
gerait.
Pressé dans ses derniers retranchements. la
6 cent. 4e numéro
i 1 JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent, le numéro ,
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. en an.
Paris 5 &. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 11 le
Administrateur : E. DELSAUX.
J>me année. — SAMEDI 16 MAI 1868. - N9 758
Directeur- Propriétaire: tare : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAG ELONNIB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13. nlace Breda.
PARIS, 14 MAI 1868
LA VIE A BON MARCHÉ
Ou donc ai-je lu cette charmante -lriM-oiré ?
-Je crois bien que c'est dans les Petites
Chroniques de la Science, de M. Henry Ber-
thoud. ,
Mlle Marguerite de Boistrancourt venait
d'épouser le vicomte Hector de Chastelet,
quand éclata la Révolution.
La mariée était riche, belle, amie de la
reine Ma rie-An toi nette. Le mari n'avait guère
que la cape et l'épée. Mais tous deux étaient
jeunes; ils s'aimaient. Quand on parla d'émi-
gration, ils partirent en riant, comme pour
un voyage de lune de miel. Une fois sur le
Rhin, le vicomte prit du service dans l'armée
de Condé; la vicomtesse vécut avec lui sous la
tente. Ce furent deux ans d'aventures, d'é-
motions, d'imprévu, de bonheur... Mais les
deux années écoulées, les jeunes mariés se
trouvèrent, en nombreuse compagnie, — ce
qui n'était pas une consolation, — réduits à
la plus affreuse pauvreté. Impossible de tirer
de l'argent de France. Pour s'en procurer à
l'étranger, il fallut travailler. L'officier se
mit à donner des leçons d'escrime, de langue
française, de dessin, de mathématiques; de
tout ce qu'on voulut; il en aurait donné de I
javanais, quoique le javanais ne fût pas en-
core inventé, à ce que je crois... Quant à
l'amie de Marie-Antoinette,elle se transforma
en ménagère, en cuisinière, en blanchis-
seuse. La poudre fut supprimée, et les che-
veux blonds relevés sur les tempes, les bras
nus, la jolie grande dame passa ses journées
à manier le fer, l'aiguille, la poêle, à mettre
tout en ordre dans le triste mobilier de sa
chambre garnie...
Un soir, le vicomte rentra au logis de très-
mauvaise humeur, las, découragé, l'esprit
tourné au noir... Il jeta un coup d'œil de
désolation autour de lui, et, voyant d'une
part la beauté et la jeunesse de sa femme, de
l'autre le milieu misérable dans lequel la
pauvreté le condamnait à vivre avec elle, il
se prit la tête à deux mains et fit un geste
désespéré. v
Mais elle, en riant, lui prit le bras et lui
dit :
— Nous changeons de logement; viens
voir, Hector, notre nouvel hôfelt...
On traversa la petite ville allemande. Dans
\m faubourg, presque à la campagne, devant
ulle maisonnette de petite apparence, la vi-
ccintesse s'arrêta.
• J- C'est ici, dit-elle; entrons!...
/Au second étage, — la maison n'en avait
4jue deux, — elle tira une clé de sa poche et
ouvrit une porte.
— Regarde! dit-elle en se retirant et en
battant des mains; regarde : n'est-ce pas un
vrai paradis?...
Le vicomte se trouvait sur le seuil d'une
chambre petite, il est vrai, mais éclatante de
propreté et de blancheur. Des rideaux à grands
ramages roses tamisaient le jour Je la fenêtre
et faisaient ainsi paraître plus gai le mobi-
lier de sapin blanc. Un lit, deux chaises, une
armoire, une table, des assiettes de faïence à
fleurs, la jeune femme n'avait rien oublié,
pas même un miroir, grand comme ses petites
mains, pas même un coucou duquel sortait,
aux heures, un petit Amour en bois... Le
pauvre professeur volontaire oublia ses fati-
gues:
— o\h! tu as raison, cria-t-il, c'est le
paradis !
— Un paradis, répondit-elle, qui coute cent,
francs Toutes mes économies y ont
passé!...
Pour terminer l'histoire, il faudrait ajouter
que les deux jeunes ger.s vécurent trois- an-
nées d'amour et de bonheur dans la belle
chambre de sapin.
il faudrait dire aussi qu'ils rentrèrent en
France, quJlÂ:..redevinrent riches et qu'ils re-
trouvèrènt un de leurs châteaux, dans lequel
la vicomtesse voulut installer son mobilier de
là-bas...
Tous deux, ralliés à l'Empire, vivaient à
lacour de Napoléon; mais, de temps en temps,
ils quittaient Paris; ils montaient en chaise
de poste ; ils arrivaient à la porte du vieux
château picard. A l'écurie les postillons, les
grelots, les chevaux!... A l'office, les domes-
tiques !... Inutile d'ouvrir les grands appar-
tements!... Non... Nos visiteurs se rendaient
tout de suite à la petite chambre Manche et
rose, et ils s'y enfermaient pour souper, par-
ler du passé, s'aimer, retrouver une heure
des joies d'autrefois...
Pouvais-je trouver, chers lecteurs, une
, meilleure entrée en matière pour vous parler
de la vie à bon marché?
Hélas! cette vie n'existe plus guère aujour-
d'hui, et les budgets privés sont plus lourds
encore que les budgets d'Etat. Cependant,
même dans la dépense, il y a un ordre. Il s'a-
git, avec l'argent dont on dispose, de satis-
faire au plus grand nombre de besoins possi-
ble.
Faire toucher les deux bouts est vite dit.
Mais la pratique journalière de la vie est
tout un art. •
La chambre en bois blanc, propre et bien
aérée de Mme de Chastelet donne la note pour
le logis.
Mais le logis n'est pas tout.
Il y a les provisions qu'on fait à la halle
et celles qu'on fait dans les boutiques, le vê-
tement, le blanchissage du linge, le chauf-
fage... Cela va à l'infini. -
Il faut que le père de famille et la ména-
gère soient au courant de cent choses diverses.
On a écrit de gros livres sur l'économie so-
ciale, et c'est très-bien.
L'économie domestique n'est pas non plus
à dédaigner. La recette se proportionne au
travail ; mais pour régler la dépense, il faut
presque du génie. L'avenir de la famille, sa
tranquillité, sa santé, sont intéressés à l'équi-
libre de son budget.
— Comment dois-je m'y prendre pour aé...
; rer ce logis?
— De quelle façon dois-je aménager ma
cheminée pour avoir très-chaud en brûlant
très-peu de charbon?
— Parmi les étoffes à bas prix, lesquelles
sont les plus chaudes pour l'hiver et les plus
fraîches pour Télé ? "
— Dans quelle saison telle viande est-
elle bonne? Dans quelle autre est-elle mau-
vaise ?
— Où dois-je m'approvisionner de tels lé-
gumes, de pommes de terre, par exemple? A
quelle époque ?
— Quelle est la meilleure recette pour faire
un bon pot au feu à mon mari ou des confi-
tures à mes enfants ?
— Ces derniers vont à l'école ou à l'atelier;
ils travaillent toute la semaine ; quels plaisirs
pourrai-je bien leur procurer le dimanche
sans dépenser trop d'argent?
Je viens de poser là une série de questions.
Il y en a bien d'autres. Toutes demandent
une réponse.
Les grands journaux vont, pendant trois
mois, discuter le budget de l'Etat ; ils con- '
tiendront de magnifiques discours et des en-
tassements de chiffres à dépasser le Mont
Blanc; cela ennuiera peut-être quelques lec-
teurs, mais cela emploiera beaucoup de pa-
pier... Pourquoi les petits journaux, surtout
ceux qui méritent d'être compris sous ce titre
» la presse populaire, » n'imiteraient-ils pas
les grands? Au lieu des finances publiques,
ils parleraient des finances privées. Chez eux,
le budget de l'Etat deviendrait, le budget du
ménage. Ils enseigneraient la vie à bon mar-
ché à l'individu, comme les discussions des
grandes assemblées enseignent l'économie à
l'Etat...
Vous avez dû le remarquer, chers lecteurs,
dès qu une idée pratique et féconde est dans
l 'air, la Petite Presse pense aussitôt à vous.
Elle veut que, dans un temps _doiiiié, vous
trouviez réunies dans son petit format toutes
les connaissances bonnes et utiles. Amuser,
distraire, reposer l'esprit des fatigues du jour
par des récits merveilleux, tel est son but.
Mais elle en a en même temps un autre, qui
est de moraliser et d'instruire.
Cet article est une préface. Son titre sera
celui d'une série que nous commencerons
dès demain.
LA VIE A BON MARCHÉ continuera cet ensemble
d 'innovations, LA PROMENADE DU DIMANCHE, LE
CONSEIL PAR JOUR., LE TEMPS PROBABLE... que
vous avez bien voulu accueillir et qui ont
contribué, dans une plus large mesure encore,
à faire de notre petit journal l'ami de la
maison. ;
Mon ami de Balathier vous expliquera,
mieux que je ne saurais le faire, !esprit et
l économie de notre nouvelle série d'articles.
Si j'ai tenu à l'annoncer, c'est que j'ai été
frappé comme lui de ce que cette idée a de
bon et d'ingénieux à la fois. La vie à bon
marché, grâce à la variété des sujets, ne fati.,
guera pas votre attention, et chaque jour elle
vous apprendra quelque chose que vous sercx
heureux de savoir.
Ce sera le chapitre par excellence des mé-
nagères, et je ne serais pas étonné que la plus
économe d'entre elles ne dise, dans quelque
temps, à son mari :
— Je te reprochais de dépenser un sou par
jour pour ton journal. Eh bien! non seule-
mentje ne te le reproche plus, mais je te.
conseillerais d'en dépenser deux s'il en était
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
L
Eo 193
Comment les pressentiments sinistres de.
l'homme gris l'emportaient-ils sur ses calculs?
Et comment pouvait-il se faire que le lord-
chief justice eût déjà signé un ordre d'arresta-
tion concernant l'abbé Samuel, alors que le ma-
gistrat de police avait à peine terminé son en-
quête, à cette heure-là?
Voir le numéro du 22 novembre.
C'était là ce qui paraissait incompréhensible
à l homme gris et ce que nous allons cependant
expliquer.
On se souvient qu'un homme s'était éclipsé,
dans le passage, au moment où Lisbeth accu-
sait formellement l'abbé Samuel du meurtre de
son époux, et q„e cet homme n'était autre que
le révérend Peters' Town.
Comment ce chef occulte de la religion an-
glicane, cet homme qui, du fond de sa maison-
nette d'Elgin Crescint, exerçait un pouvoir plus
grand peut-être que l'archevêque de Canterbury
à Lambeth Palace, se trouvait-il en ce moment-
là dans leSoutwark?
Etait, ce par hasard ?
Assurément non.
On se rappelle que Paddy avait fait à miss
Ellen la confidence que, selon lui, John Colden
était caché dans le clocher de Saint-Georges.
Miss Ellen ne s'y était pas trompée. L'hôte
mystérieux de la cathédrale catholique n'était
point John Colden, mais bien l'homme gris, et
elle avait fait part de cette découverte à son
mystérieux associé, le révérend Peters' Town.
Or, depuis le matin, ivre de rage, le prêtre
anglican, avait juré la perte du prêtre catho-
lique.
Pas plus que miss Ellen il ne doutait de la
complicité morale de l'abbé Samuel dans l'en-
* \
lèvement du condamné à mort; mais cette com-
plicité, il fallait la prouver.
Or le révérend Peters' Town avait fait ce rai-
sonnement, qui n'était pas dépourvu de sa-
gesse.
— Si l'homme qu'on accuse d'avoir coupé la-
corde du pendu avec une balle chassée par un
fusil à vent et que la police cherche vainement,
est réellement caché dans Saint-Georges, il est
probable que l'abbé Samuel le visite de temps
en temps, et plutôt la nuit que le jour.
Par conséquent, il faut établir une souricière
aux abords de Saint-Georges.
Cette résolution prise, le révérend était allé,
un peu avant la nuit, chez le lord-chief justice,
magistrat suprême dont les fonctions correspon-
dent à celles du procureur-général en France.
Le lord-chief justice savait quelle était l'im-
portance du révérend Peters' Town.
Cet homme, que les Anglais vulgaires regar-
daient passer dans les rues, longeant les murs
et marchant avec humilité, était l'égal, sinon le
supérieur, du primat d'Angleterre, et à de cer-
taines heures, dans la libre, Albion, l'autorité
religieuse force l'autorité civile à s'incliner.
Donc, le lord chief justice avait reçu le révé-
rend Petere Town avec empressement.
Celui-ci lui avait dit :
— Je puis vous livrer l'homme qu'on cherche
inutilement et qui est un des chefs irlandais ;
mais pour cela il faut que j'aie un ordre d'arres-
tation en blanc.
j Le lord-chief justice avait fait observer que
la loi anglaise n'autorise pas ces sortes d'équi-
pées, mais le révérend lui avait dit :
— Pour que l'homme gris soit arrêté, il faut
que l'un de ses complices le soit en même
temps. 3
— Quel est-il ? avait demandé le Ínagis-
trat.
— C'est un prêtre catholique: l'abbé SamueL
— Comment prouverez-vous sa complicité?
— Vous pensez bien, avait répondu le révé-
rend, que je ne m'embarque pas à Ja légère
dans cette aventure. Si je vous demande un or-
dre d'arrestation, c'est que je suis certain par
avance que cette arrestation sera légale.
Le lord-chief justice avait encore fuit remar-
quer au révérend que l'on ne pouvait arrêter un
prêtre dans son église qu'avec une autorisation
du lord chancelier, et qu'il y avait un dan-
ger très-grand d'impopularité à l'arrêter chez
lui.
A ' quoi le révérend avait répondu que la
chose aurait lieu dans la rue et qu'il s'en char-
gerait.
Pressé dans ses derniers retranchements. la
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