Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-04-26
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 26 avril 1868 26 avril 1868
Description : 1868/04/26 (A3,N738). 1868/04/26 (A3,N738).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717740v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
& cent. le numéro
5 cent, !e numéro-
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 48 fr.
Départements.. 8 11 ee
Administrateur : E. DELSAUX.
gme année. — DIMANCHE 26 AVRIL 1868. — N° 738
Directeur-Propriétaire : JAN N t N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX I)'ABONNEMENT : 9, rue Drouot-
| [ ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 25 AVRIL 1868.
LES MOINEAUX
I
Voyez Paris d'en haut par un^oûr, de 'bodu'
temps. Des milliers et des milliefS"de toits
baignent dans une vapeur d'or. C'est comme
une immense plaine aux teintes indécises, se
rapprochant tour à tour du rouge, du noir et
du gris.
Au-dessous, s'agitent les hommes.
Ce ne sont qu'allées et venues, cris, plain-
tes, discussions et murmures.
Au-dessus, dans le ciel sans bornes, les oi-
seaux chantent, comme pour railler tout ce
qui se passe en bas.
Ici, là-bas, plus loin, sur les tuiles pen-
chées, sur les tuyaux droits, sont des bandes
de petits piaillards, qui s'amusent à la fran-
çaise, c'est-à-dire en faisant du bruit.
Ces bandes éparses appartiennent toutes à
l'innombrable armée des moineaux,
II
I
Les savants n'aiment pas les moineaux. Ils
leur reprochent d'avoir un plumage terne et
de manquer de grâce. —Avec celà qu'ils sont
brillants et graciepx, les savants!
Ils leur reprochent encore de -se familiari-
ser avec l'homme sans l'aimer. — Qu'en
Bavez-vous et qui vous a permis de sonder la
cor science et les reins des moineaux?
Ils sont voraces. — C'est qu'ils ont bon ap-
pétit.
Ils sont ingrats. — Pourquoi?... Parce que,
lorsqu'ils sont repus, ils prennent leur volée?
Voudriez-vous donc qu'ils fissent tourner
leurs pattes l'une autour de l'autre, comme
un bonnetier du faubourg Saint-Martin?
Non, non. Les moineaux valent mieux que
cela.
Ces hôtes populaires des toits, des fenêtres
et des rues, méritent leur popularité. S'ils vi-
vent avec nous, c'est qu'ils nous aiment, et
nous devons leur en faire un mérite.
S'ils nous quittent, c'est qu'ils font des
ailes, et nous ne saurions leur en faire un re-
proche.
III
« Des ailes ! des ailes ! » s'écriait le Fan-
tasio de Musset.
Jane, — on se marie beaucoup dans la
; quinzaine qui suit Pâques, et vous avez sans
doute vu passer quelqu'une de ces belles no-
ces, qui font la joie du bois de Boplogne et
des restaurants de la banlieue.
Il y a d'abord la mariée, tout en blanc,
donnant le bras au marié, tout en noir. Puis,
viennent 1MS jeunes filles endimanchées, qui
chuchotent en les montrant du doigt...
Ils sont là en tout une trentaine, ' petits
bourgeois, ouvriers aisés, dans leurs habits
des grands jours. On sent que les mères
ont recommandé à leurs filles de ne pas
trop sauter, de crainte de froisser ou de
déchirer leurs belles toilettes ; mais on sent
aussi que les filles ne tiendront aucun compte
de la recommandation et que les mères ne
les gronderont pas. A dîner, il y aura deux
verres devant chaque assiette. C'est un peu
moins qu'à l'hôtel-de-ville ; mais ici ce sera
un de plus que d'habitude, et le se-cond vou-.
dra dire festin.
Comme tous ces gens-là vont s'amuser,
Jane !... Bah ! les soucis auront assez tôt leur
tour.
Assez tôt le mari saura combien de jour-
nées de travail il faut pour payer un loyer,
des robes et les mois de nourrice d'un en-
fant.
Assez tôt aussi, la femme apprendra par
combien d'efforts et de veilles s'achète le
beau titre de mère de famille qu'elle va'
porter.
Ce matin, qu'elle chante en plein air, et
qu'elle lève vers l'azur son front uni, qùe
des ennuis imprévus ne tarderont pas à
plisser 1
Ne possède-t-elle pas deux des trois meil-
leures choses qui soient au monde :
La jeunesse et l'amour.
La troisième, c'est la liberté.
Et nous revenons aux moineaux.
Quand vous avez mangé notre pain et
chanté sur nos toits, vous étendez vos ailes,
drôles indépendants, et vous allez où vous
voulez dans le ciel !..
IV
La plus belle musique est celle qui charme
toutes les oreilles. La plus belle poésie est
celle qui fait battre tous les cœurs...
Les plus beaux oiseaux sont les oiseaux de
tout le monde.
Tu es le premier de ceux-là, petit moineau,
à tête de velours, qui promènes partout ton
insouciance, ta bonne humeur et ta gaieté.
Ta beauté est une beauté plébéienne. C'est
surtout dans la rue qu'éclatent ta gentillesse et
ton charme.
Gest toi que les chevaux n'effrayent pas.
C'est toi qui te fiches un peu des roues des
charrettes. A peine si tu te déranges pour les
hommes....
Vraiment, tu es là comme chez toi. Tu fré-
tilles, lu piailles et tu pilles. Tu prends tout;
tout t'appartient.
Il y a de gros messieurs qui prétendent que
le pavé est à eux, des sénateurs qui croient
posséder le Luxembourg, un empereur qui
croit posséder les Tuileries. Erreur ! les Tui-
leries, le Luxembourg et le pavé sont à toi.
Que si on te les dispute, tu t'envoles; mais tu
reviens, comme les dynasties. »
Tu règnes enfin. Et si l'on te demandait le
mot de ta souveraineté, tu répondrais comme
Danton :
....:à L'audace.
f
V
Le docteur Auzias-Turenne raconte ce qui
suit :
« A peine âgé de douze ans, j'avais une
vive passion pour les moineaux. Je faisais
nicher ces panvres oiseaux dans des pots à
fleurs^ dont le trou avait été agrandi, et que
j e sus pend aïs, sùTvàri [ Pusage"Ta grande "ou-
verture appliquée contre le mur, près d'une
fenêtre.
« On sait que, lorsque le nid est installé et
que la ponte a été faite, les moineaux ne sont
pas faciles à déconcerter. On peut alors, sans
beaucoup de précautions, visiter le nid de
temps en temps et examiner les œufs.
« Voici ce que j'ai fait : une femelle cou-
vait ses œufs, depuis environ huit jours, avec
une grande assiduité ; pendant.la nuit, je mis
une main sur le trou du pot et glissai l'autre
contre la muraille, dans le pot lui-même. Je
m'emparai de l'oiseau, que je plaçai immédia-
tement dans une cage.
» Le lendemain, dès le point du jour, je
vis le-mâle dans une inquiétude et une agita-
tion extrêmes, parcourant tout le voisinage
et poussant des cris perçants. Puis il s'e per-
chait sur le nid et redoublait son vacarme.
Cela mettait en mouvement et attirait les
moineaux d'alentour, qui venaient en bop.
nombre, comme par curiosité, et s'en allaient
aussitôt ; quelques-uns se présentaient plu-
sieurs fois de suite. Enfin, vers dix heures,
, une femelle se décida à rester, et entra dans
le nid après avoir reçu quelques caisses.
ï A partir de ce moment cette femelle se
conduisit tout à fait comme si elle était la
véritable mère.
» Quant à cette dernière, elle mourut au
bout de quelques jours de faim et de tris-
tesse... »
L'expérience de ce médecin est peut-être
très-intér.essante pour les naturalistes, mais,
pour ma part, je voudrais qu'on mit un peu
aussi dans une cage celui qui l'a faite.
VI
[ Je sais une bien plus belle histoire. C'est
celle d'un perroquet qu'on laissait en li-
berté se reposer dans sa cage, chanter sur
son perchoir, ou se promener dans le jardin.
Ce perroquet avait fait la connaissance d'un
moineau, auquel il laissait prendre chaque
jour une part des graines et des fruits qu'on
lui donnait.
Le perroquet était vieux ; il avait perdu la
moitié de ses plumes, et ses yeux tout érail-
lés projetaient des lueurs sanglantes. C'était
un perroquet de l'autre siècle. Il avait vu la
prise de la Bastille, et il avait' dépassé l'âge
de raison depuis longtemps, quand Pie VII
vint sacrer Napoléon à Notre-Dan^e. Combien
de fois avait-il changé de maître? Lui seul eût
pu le dire; mais il était au-dessus des chan-
gements et des révolutions. Il raillait même
les agitations des hommes à sa manière ,
s'amusant à redire chacun des airs qu'on lui
avait appris. Madame Veto, le Çà ira, la Mar-
seillaise, le Chant du départ, Veillons au
salut de l'Empire, Partant'pour la Syrie,
Vive Henri IV, la belle Bourbonnaise et la
Parisienne sortaient tour à tour de son bec
centenaire.
Quand il avait fini, son œil rond interrogeait
l'œil du moineau :
— Répète ce que je viens de dire !
Le moineau sauti!lait, et ne répétait pas.
Alors l'autre, branlant sa tête déptumée,
gloussait sur un ton de dépit.
— Eh ! quoi, moi, vieux professeur de ré-
volutions, je me donne la peine de t'instruire
ROCAMBOLE
LES
MISÈRE DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXX
Miss Ellen eu.t un élan de générosité, alors.
Elle avait pris le portefeuille dans ses mains
convulsives. Au lieu de le jeter au feu, elle le
posa sur la table.
— Non, dit-ellè, vous vous méprenez sur
moi, à votre tour, et je ne veux pas frapper un
'Voir le Duméro du 22 novembre.
ennemi désarmé. Reprenez ces lettres, la lutte
engagée entre nous n'en sera" que plus ardente
et plus acharnée.
L'homme gris souriait toujours.
— Ecoutez-moi encore, dit-il. Tout à l'heure,
je vous ai dit que si je ne reparaissais pas au
club de votre père avant quatre heures du ma-
tin, lord Palmure, en en sortant, serait poi-
'gnardé.
— Oui, vous,m'avez dit cela.
— Eh bien, je mentais. Je n'ai pas vu votre
père, je ne sais pas s'il est au club, je n'ai donné
aucun ordj-e et il ne court pas le moindre
danger.
Miss Ellen étouffa un cri. j
— Enfin, reprit Phomme gris en rejetant tout
à fait la robe de chambre lie lord Palmure, vous
le voyez, je suis sans armes. Donc, vous avez
vos lettres, votas ne craignez pas pour la vie de
votre père, et rien ne vous empêche de sonner
vos g'''IS, de me faire arrêter par eux et d'avertir
Scowu'iad-yard que vous -tenez enfin cet homme
après qui toute la police de Londres court inu-
tilement cfepuis huit jours.
Et toujours calme, toujours souriant, l'homme
gris avait croisé ses bras sur sa poitrine et
regardait miss Ellen.
Mi; s Ellen avait les narines frémissantes »
l'œil en feuj et tout son corps était agité d'un
tremblement convulsif.
— Monsieur, lui dit-elle, vous êtes bien hardi
ou bien imprudent de me parler ainsi.
- Vous trouvez?
— J'ai juré de vous livrera la justice anglaise,
continua mi&s Ellen,^vous le savez, et vous ve-
nez vous mettre à ma discrétion.
, Oui, fit-il d'un signe de tête.
Ellen eut un éclat de rire fiévreux.
— Eh bien! oui, dit-elle, vous avez raison,
après tout. Je veux votre perte, mais je ni la
veux pas par une trahison. Vous avez eu raison
de vous désarmer devant moi, car je ne vous
frapperai pas.
Emportez mes lettres, si bon vous semble,
allez-vous en librement dans tous les cas ; ce
n'est -,as soua le toit de lord Palmure que les
policemen vous viendront arrêter.
Le sourire abandonna les lèvre6 de l'homme
gris. Y
— Miss Ellen, dit-il, vous n'êtes pas encore
la femme que je rêve, mais vous avez déjà fait
un ffas vers mon but."
— En vérité! fit-elle avec ironie.
— Votre haine devient pkis loyale.
— Oui, dit-elle, mais cette haine est féaoce,
eroyez-le.
— Soit, dit-il, mais elle sert mes projets dans
l'avenir.
— Vraiment, vous avez des projets qui me
concernent? fit la patricienne avec un accent de
dédain suprême.
— Oui.
— Peut-on les connaître?
— Je suis venu ici pour vous en parler.
— Eh bien! je vous écoute...
Et une fois encore elle supporta son regard.
Cela tenait peut-être, du reste, à ce que cet
homme étrange chargeait plus ou, moins ce re-
gard de ce fluide électrique et fascinateur qui
était. en son pouvoir.
Elle s'était assise en face de la cheminée, et
l'homme gris, qui s'y était adossé, demeurait
debout.
N'eût été l'heure avancée de la nuit, on eût
pu croire que miss Ellen recevait la visite d'un
gentleman, son parent, son ami ou son fiancé.
— Miss Ellen, reprit-il avec cet accent de
courtoisie parfaite et cette aisance de manières
qui faisaient de lui, à l'occa^on, un gentil-
homme accompli, vous êtes jeune,, vous êtes
belle, vous êtes douée d'une haute intelligence
et d'une rare énergie; vous serez une^des plus
riches héritières du Royaume-Uni.
— Passons, fit-elle avec dédain.
— La cause que vous servirez triompheffc»
JOURNAL QUOTIDIEN
& cent. le numéro
5 cent, !e numéro-
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 48 fr.
Départements.. 8 11 ee
Administrateur : E. DELSAUX.
gme année. — DIMANCHE 26 AVRIL 1868. — N° 738
Directeur-Propriétaire : JAN N t N.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX I)'ABONNEMENT : 9, rue Drouot-
| [ ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 25 AVRIL 1868.
LES MOINEAUX
I
Voyez Paris d'en haut par un^oûr, de 'bodu'
temps. Des milliers et des milliefS"de toits
baignent dans une vapeur d'or. C'est comme
une immense plaine aux teintes indécises, se
rapprochant tour à tour du rouge, du noir et
du gris.
Au-dessous, s'agitent les hommes.
Ce ne sont qu'allées et venues, cris, plain-
tes, discussions et murmures.
Au-dessus, dans le ciel sans bornes, les oi-
seaux chantent, comme pour railler tout ce
qui se passe en bas.
Ici, là-bas, plus loin, sur les tuiles pen-
chées, sur les tuyaux droits, sont des bandes
de petits piaillards, qui s'amusent à la fran-
çaise, c'est-à-dire en faisant du bruit.
Ces bandes éparses appartiennent toutes à
l'innombrable armée des moineaux,
II
I
Les savants n'aiment pas les moineaux. Ils
leur reprochent d'avoir un plumage terne et
de manquer de grâce. —Avec celà qu'ils sont
brillants et graciepx, les savants!
Ils leur reprochent encore de -se familiari-
ser avec l'homme sans l'aimer. — Qu'en
Bavez-vous et qui vous a permis de sonder la
cor science et les reins des moineaux?
Ils sont voraces. — C'est qu'ils ont bon ap-
pétit.
Ils sont ingrats. — Pourquoi?... Parce que,
lorsqu'ils sont repus, ils prennent leur volée?
Voudriez-vous donc qu'ils fissent tourner
leurs pattes l'une autour de l'autre, comme
un bonnetier du faubourg Saint-Martin?
Non, non. Les moineaux valent mieux que
cela.
Ces hôtes populaires des toits, des fenêtres
et des rues, méritent leur popularité. S'ils vi-
vent avec nous, c'est qu'ils nous aiment, et
nous devons leur en faire un mérite.
S'ils nous quittent, c'est qu'ils font des
ailes, et nous ne saurions leur en faire un re-
proche.
III
« Des ailes ! des ailes ! » s'écriait le Fan-
tasio de Musset.
Jane, — on se marie beaucoup dans la
; quinzaine qui suit Pâques, et vous avez sans
doute vu passer quelqu'une de ces belles no-
ces, qui font la joie du bois de Boplogne et
des restaurants de la banlieue.
Il y a d'abord la mariée, tout en blanc,
donnant le bras au marié, tout en noir. Puis,
viennent 1MS jeunes filles endimanchées, qui
chuchotent en les montrant du doigt...
Ils sont là en tout une trentaine, ' petits
bourgeois, ouvriers aisés, dans leurs habits
des grands jours. On sent que les mères
ont recommandé à leurs filles de ne pas
trop sauter, de crainte de froisser ou de
déchirer leurs belles toilettes ; mais on sent
aussi que les filles ne tiendront aucun compte
de la recommandation et que les mères ne
les gronderont pas. A dîner, il y aura deux
verres devant chaque assiette. C'est un peu
moins qu'à l'hôtel-de-ville ; mais ici ce sera
un de plus que d'habitude, et le se-cond vou-.
dra dire festin.
Comme tous ces gens-là vont s'amuser,
Jane !... Bah ! les soucis auront assez tôt leur
tour.
Assez tôt le mari saura combien de jour-
nées de travail il faut pour payer un loyer,
des robes et les mois de nourrice d'un en-
fant.
Assez tôt aussi, la femme apprendra par
combien d'efforts et de veilles s'achète le
beau titre de mère de famille qu'elle va'
porter.
Ce matin, qu'elle chante en plein air, et
qu'elle lève vers l'azur son front uni, qùe
des ennuis imprévus ne tarderont pas à
plisser 1
Ne possède-t-elle pas deux des trois meil-
leures choses qui soient au monde :
La jeunesse et l'amour.
La troisième, c'est la liberté.
Et nous revenons aux moineaux.
Quand vous avez mangé notre pain et
chanté sur nos toits, vous étendez vos ailes,
drôles indépendants, et vous allez où vous
voulez dans le ciel !..
IV
La plus belle musique est celle qui charme
toutes les oreilles. La plus belle poésie est
celle qui fait battre tous les cœurs...
Les plus beaux oiseaux sont les oiseaux de
tout le monde.
Tu es le premier de ceux-là, petit moineau,
à tête de velours, qui promènes partout ton
insouciance, ta bonne humeur et ta gaieté.
Ta beauté est une beauté plébéienne. C'est
surtout dans la rue qu'éclatent ta gentillesse et
ton charme.
Gest toi que les chevaux n'effrayent pas.
C'est toi qui te fiches un peu des roues des
charrettes. A peine si tu te déranges pour les
hommes....
Vraiment, tu es là comme chez toi. Tu fré-
tilles, lu piailles et tu pilles. Tu prends tout;
tout t'appartient.
Il y a de gros messieurs qui prétendent que
le pavé est à eux, des sénateurs qui croient
posséder le Luxembourg, un empereur qui
croit posséder les Tuileries. Erreur ! les Tui-
leries, le Luxembourg et le pavé sont à toi.
Que si on te les dispute, tu t'envoles; mais tu
reviens, comme les dynasties. »
Tu règnes enfin. Et si l'on te demandait le
mot de ta souveraineté, tu répondrais comme
Danton :
....:à L'audace.
f
V
Le docteur Auzias-Turenne raconte ce qui
suit :
« A peine âgé de douze ans, j'avais une
vive passion pour les moineaux. Je faisais
nicher ces panvres oiseaux dans des pots à
fleurs^ dont le trou avait été agrandi, et que
j e sus pend aïs, sùTvàri [ Pusage"Ta grande "ou-
verture appliquée contre le mur, près d'une
fenêtre.
« On sait que, lorsque le nid est installé et
que la ponte a été faite, les moineaux ne sont
pas faciles à déconcerter. On peut alors, sans
beaucoup de précautions, visiter le nid de
temps en temps et examiner les œufs.
« Voici ce que j'ai fait : une femelle cou-
vait ses œufs, depuis environ huit jours, avec
une grande assiduité ; pendant.la nuit, je mis
une main sur le trou du pot et glissai l'autre
contre la muraille, dans le pot lui-même. Je
m'emparai de l'oiseau, que je plaçai immédia-
tement dans une cage.
» Le lendemain, dès le point du jour, je
vis le-mâle dans une inquiétude et une agita-
tion extrêmes, parcourant tout le voisinage
et poussant des cris perçants. Puis il s'e per-
chait sur le nid et redoublait son vacarme.
Cela mettait en mouvement et attirait les
moineaux d'alentour, qui venaient en bop.
nombre, comme par curiosité, et s'en allaient
aussitôt ; quelques-uns se présentaient plu-
sieurs fois de suite. Enfin, vers dix heures,
, une femelle se décida à rester, et entra dans
le nid après avoir reçu quelques caisses.
ï A partir de ce moment cette femelle se
conduisit tout à fait comme si elle était la
véritable mère.
» Quant à cette dernière, elle mourut au
bout de quelques jours de faim et de tris-
tesse... »
L'expérience de ce médecin est peut-être
très-intér.essante pour les naturalistes, mais,
pour ma part, je voudrais qu'on mit un peu
aussi dans une cage celui qui l'a faite.
VI
[ Je sais une bien plus belle histoire. C'est
celle d'un perroquet qu'on laissait en li-
berté se reposer dans sa cage, chanter sur
son perchoir, ou se promener dans le jardin.
Ce perroquet avait fait la connaissance d'un
moineau, auquel il laissait prendre chaque
jour une part des graines et des fruits qu'on
lui donnait.
Le perroquet était vieux ; il avait perdu la
moitié de ses plumes, et ses yeux tout érail-
lés projetaient des lueurs sanglantes. C'était
un perroquet de l'autre siècle. Il avait vu la
prise de la Bastille, et il avait' dépassé l'âge
de raison depuis longtemps, quand Pie VII
vint sacrer Napoléon à Notre-Dan^e. Combien
de fois avait-il changé de maître? Lui seul eût
pu le dire; mais il était au-dessus des chan-
gements et des révolutions. Il raillait même
les agitations des hommes à sa manière ,
s'amusant à redire chacun des airs qu'on lui
avait appris. Madame Veto, le Çà ira, la Mar-
seillaise, le Chant du départ, Veillons au
salut de l'Empire, Partant'pour la Syrie,
Vive Henri IV, la belle Bourbonnaise et la
Parisienne sortaient tour à tour de son bec
centenaire.
Quand il avait fini, son œil rond interrogeait
l'œil du moineau :
— Répète ce que je viens de dire !
Le moineau sauti!lait, et ne répétait pas.
Alors l'autre, branlant sa tête déptumée,
gloussait sur un ton de dépit.
— Eh ! quoi, moi, vieux professeur de ré-
volutions, je me donne la peine de t'instruire
ROCAMBOLE
LES
MISÈRE DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXX
Miss Ellen eu.t un élan de générosité, alors.
Elle avait pris le portefeuille dans ses mains
convulsives. Au lieu de le jeter au feu, elle le
posa sur la table.
— Non, dit-ellè, vous vous méprenez sur
moi, à votre tour, et je ne veux pas frapper un
'Voir le Duméro du 22 novembre.
ennemi désarmé. Reprenez ces lettres, la lutte
engagée entre nous n'en sera" que plus ardente
et plus acharnée.
L'homme gris souriait toujours.
— Ecoutez-moi encore, dit-il. Tout à l'heure,
je vous ai dit que si je ne reparaissais pas au
club de votre père avant quatre heures du ma-
tin, lord Palmure, en en sortant, serait poi-
'gnardé.
— Oui, vous,m'avez dit cela.
— Eh bien, je mentais. Je n'ai pas vu votre
père, je ne sais pas s'il est au club, je n'ai donné
aucun ordj-e et il ne court pas le moindre
danger.
Miss Ellen étouffa un cri. j
— Enfin, reprit Phomme gris en rejetant tout
à fait la robe de chambre lie lord Palmure, vous
le voyez, je suis sans armes. Donc, vous avez
vos lettres, votas ne craignez pas pour la vie de
votre père, et rien ne vous empêche de sonner
vos g'''IS, de me faire arrêter par eux et d'avertir
Scowu'iad-yard que vous -tenez enfin cet homme
après qui toute la police de Londres court inu-
tilement cfepuis huit jours.
Et toujours calme, toujours souriant, l'homme
gris avait croisé ses bras sur sa poitrine et
regardait miss Ellen.
Mi; s Ellen avait les narines frémissantes »
l'œil en feuj et tout son corps était agité d'un
tremblement convulsif.
— Monsieur, lui dit-elle, vous êtes bien hardi
ou bien imprudent de me parler ainsi.
- Vous trouvez?
— J'ai juré de vous livrera la justice anglaise,
continua mi&s Ellen,^vous le savez, et vous ve-
nez vous mettre à ma discrétion.
, Oui, fit-il d'un signe de tête.
Ellen eut un éclat de rire fiévreux.
— Eh bien! oui, dit-elle, vous avez raison,
après tout. Je veux votre perte, mais je ni la
veux pas par une trahison. Vous avez eu raison
de vous désarmer devant moi, car je ne vous
frapperai pas.
Emportez mes lettres, si bon vous semble,
allez-vous en librement dans tous les cas ; ce
n'est -,as soua le toit de lord Palmure que les
policemen vous viendront arrêter.
Le sourire abandonna les lèvre6 de l'homme
gris. Y
— Miss Ellen, dit-il, vous n'êtes pas encore
la femme que je rêve, mais vous avez déjà fait
un ffas vers mon but."
— En vérité! fit-elle avec ironie.
— Votre haine devient pkis loyale.
— Oui, dit-elle, mais cette haine est féaoce,
eroyez-le.
— Soit, dit-il, mais elle sert mes projets dans
l'avenir.
— Vraiment, vous avez des projets qui me
concernent? fit la patricienne avec un accent de
dédain suprême.
— Oui.
— Peut-on les connaître?
— Je suis venu ici pour vous en parler.
— Eh bien! je vous écoute...
Et une fois encore elle supporta son regard.
Cela tenait peut-être, du reste, à ce que cet
homme étrange chargeait plus ou, moins ce re-
gard de ce fluide électrique et fascinateur qui
était. en son pouvoir.
Elle s'était assise en face de la cheminée, et
l'homme gris, qui s'y était adossé, demeurait
debout.
N'eût été l'heure avancée de la nuit, on eût
pu croire que miss Ellen recevait la visite d'un
gentleman, son parent, son ami ou son fiancé.
— Miss Ellen, reprit-il avec cet accent de
courtoisie parfaite et cette aisance de manières
qui faisaient de lui, à l'occa^on, un gentil-
homme accompli, vous êtes jeune,, vous êtes
belle, vous êtes douée d'une haute intelligence
et d'une rare énergie; vous serez une^des plus
riches héritières du Royaume-Uni.
— Passons, fit-elle avec dédain.
— La cause que vous servirez triompheffc»
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