Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-04-23
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 23 avril 1868 23 avril 1868
Description : 1868/04/23 (A3,N735). 1868/04/23 (A3,N735).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717737c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
6 tenté le floméro
5 cent. le numêtyr
ABONNEMENTS. - Trois mois. sixmois. un an.
Paris 6 fir. 9 f 8 fr. -
Départements.. a il 99
.dàminiltrateur: E. DELSAtJX. 1
3ma année. — JEUDI 23 AVRHi 1'868. — N° 735
Directeur-Propriétaire : JANNiN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONN^.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Ds*ouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 22 AVRIL 1868.
LA CORDE ROMPUE
Vous avez tous lu, dans la )tyite iPres$f,
cette histoire pareille à un conte : ^--1'...-- ''
Un ouvrier plombier répare la gouttière
d'une maison à six étages. Assis sur une
planche, il travaille en chantant.
Tout à coup, une corde se rompt, et le tra-
vailleur est lancé dans le vide.
Mais, sur la cour, le propriétaire de la mai-
son a pris une pièce, qu'il a fait recouvrir
d'un châssis vitré. Pour éviter que ce châssis
ne soit brisé par les débris que les ouvriers
jettent du toit, des planches ont été placées
dessus et disposées en croix.
Le plombier rencontre ces planches, qui
rebondissent sous son corps et font l'office
d'un tremplin. Le châssis est enfoncé, et no-
fre voyageur malgré lui se trouve sur la table
d'une salle à manger, au milieu d'une famille
de sept personnes qui se disposaient à déjeu-
aer.
D'abord, on jette un cri; puis, l'on s'assure
qu'à part quelques écorchures le nouveau
venu n'a pas souffert de sa chute, et, se re-
tournant vers lui, la maîtresse de la maison
lui dit:
— C'est Dieu qui vous envoie, monsieur ;
voulez-vous déjeuner avec nous?...
On lit, et l'on sourit.
On est heureux de voir la chance merveil-
leuse du pauvre plombier.
Puis l'on se prend à réfléchir, et la longue
file des victimes et des invalides du travail
vous apparaît.
Quelquefois le décor est un atelier, où, dans
des profondeurs sans' fin, les machines ac-
complissent leur tâche régulière. Ce ne sont
que roues énormes, hélices géantes, turbines
aux proportions démesurées. La respiration
essoufflée des poumons de bronze halète dans
un ouragan formé de mille bruits, — gronde-
ments, grincements, sifflements, grandes et
petites voix de la vapeur, dont le travail mé-
thodique s'associe au travail de l'ouvrier.
Un cri. Un homme vient d'être pris dans
l'engrenage d'une machine...
Un second cri. C'est une chaudière qui
saute...
\ Un troisième. C'est l'arbre de couche qui
emporte une créature humainè dansson mou-
vement de rotation....
Un quatrième. C'est la poche d'une fonderie
qtfi laisse échapper le métal en ébullition
Qu'elle contient...
Et l'on voit les brancards qui s'acheminent
vers l'hôpital, chargés de mourants et de
blessés...
D'autres fois, le théâtre du drame, comme
celui de l'ancienne comédie, est une place pu-
blique.
De ce côté s'élève une maison en construc-
tion, sur le haut de laquelle les maçons ont
planté leur drapeau.
De l'autre, une vieille bâtisse a l'air de
chanceler sons son toit en pointe, que les
pluies ont noirci.
Nous sommes au printemps. C'est la saison
où les maisons qui ne sont pas neuves ai-
ment à se faire belles. Allons, que les pein-
tres quittent leur logis, où ils sont restés en-
fermés pendant l'hiver comme des marmot-
tes, qu'ils revêtent la blouse grise, qu'ils se
coiffent gaiement du bonnet de papier!....
L'heure du chantier est venue. Les cordes
crient. Les planches se balancent contre les
murailles. Le plâtre pleut sur les vitres. Ce
n'est pas assez du chant des oiseaux pour cé-
lébrer le réveil de la nature. Il faut encore
qu'il s'y mêle le chant des compagnons du.
balai à crins et du pinceau... I
A l'ouvrage, rt gare aux cordes cassées T...
Il y a quelques années, un ouvrier était de
passage dans une ville de province.
Il fut embauché: un travail à la corde sur
une façade ; ce travail devait durer deuxjours
et rapporter six francs.
L'ouvrier fit la visite de sa corde.
— Elle ne vaut pas le diable ! dit-il.
Le patron et les ouvriers du pays se ré-
crièrent.
Le compagnon, les entendant, prit son
parti, et se mit à la besogne. Il en était au
troisième étage, quand il s'aperçut que la
corde était complétement coupée dans. l'une
de ses trois parties, et cela précisément au
noeud au-dessous duquel ses crochets de
jambières étaient posés.
Bah ! il restait deux parties de cordage:'
Il les examina avec plus de soin que le matin.
Ces parties s'effilaient.
Des bouts de chanvre cassés attestaient
leur fatigue ; bientôt ces cordes rompraient
comble l'autre.
Le tpeintre descendit à la hâte, prit de la
grosse ficelle neuve, renforça la corde et re-
monta : il avait besoin du produit de sa
journée.
Le soir, il se plaignit.
— Bon! dit le maître ; vous avez eu
peur. i 11 y a quatorze ans que la corde sert
commç ça !...
L'année précédente, elle s'était rompue, et
un ouvrier avait eu les reins brisés.
Les cordes, disent en riant les ouvriers,
c ' est cpmme les bouteilles : ça ne s'use qu'en
se calant.
■ «ii .
Ces sortes de plaisanteries ont cours, je le
sais.
Pour acheter un cordage neuf, il faut dé-
penser quelque argent. Le patron est éco-
nome.
Pour ne pas se servir d'un cordage usé, il
faut l'examiner d'abord, et l'ouvrier s'ima-
gine que ce serait là du temps perdu ; dire
qu 'il est mauvais, vous ferait passer pour
poltron.
On se tait, et l'on monte, au risque de se
casseroles bras et les jambes. Et le patron
laisse monter, pour ne pas --rëïtô'nveler la
corde.
'
Il faut crier ces choses-là. Il faut les appeler
par leur nom : l'économie, crime; l'insou-
ciance et la fausse honte, bêtise.
Quand il arrive un accident, il y a toujours
un coupable. Il est juste que te coupable soit
flétri.
J 'ai là, dans mes mains, des lettres dont je
ne nomme pas les signataires.
Les unes accusent; les autres indiquent un
remède au mal: dans chaque ville, il y aurait
un expert, chargé de l'inspection des échafau-
dages fixes et volants...
Cette expertise serait peut-être une bonne •
chose. Mais une meilleure serait un peu de j
sens commun chez les patrons et les ouvriers.
Il faut savoir protéger soi-même sa vie et ■
celle des gens qu'on emploie.
1
Il y a d'excellents livres, comme l' Architec-
ture et la construction pratiques de Daniel
Ramée. Que les intéressés les lisent. 11 y a
surtout la pratique. A quoi servirait l'expé-
rience, sinon à éviter les accidents ?....
Les amis des travailleurs leur doivent la
vérité.
Je l'ai déjà dit.
Quel patron, si on mettait sur sa table une
somme d'argent, en lui désignant un ouvrier
et en disant : « — Cet argent est le prix de
cet homme ! » Quel patron ne refuserait un-
Semblable marché ?...
Quel ouvrier, si on lui parlait de sa femme
qu'il aime, de ses enfants qu'il nourrit, et si
1 on ajoutait : « — Eh quoi ! tu vas sacrifier
ton amour et ton devoir au plaisir de faire Je
brave ou de t'éviter un Dérangement ! Quel
ouvrier ne s'écrierait « — Moi! jamais de
la vie!... »
Et pourtant,, c'est ce que font trop souvent
ouvriers et patrons.
Il y a une belle légende dans là bâtisse.
Deux maçons sont occupés sur un échafau-
dage.
L'échafaudage rompt, à une poutre près, à
laquelle les deux ouvriers s'accrochent en dé-
sespérés.
Mais cette poutre est trop faible pour por-
ler le pdfds dé deux corps.
Les maçons s'en aperçoivent. Ils se jettént
l'un à l'autre un regard eflaré.
— Jean, dit le plus vieux, j'ai quatre -en-
fants à nourrir. ;
— Bien, lierre 1...
Et le compagnon se laisse tomber sur le
pavé.
Je ne sais pas, dans toute l'histoire, une
mort plus belle.
Mais si, — dans un élan de dévouement
sublime, — il esi*|fermis de mourir ainsi, en
revanche rien ft'éét plus coupable que de Vis*
Kpier sa vie .par négligence ou par vanité.
r v'v
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
N° 171 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXVII
A peine eut-il bu que Shoking éprouva une
bizarre sensation de froid.
On eût dit qu'on le prenait par les cheveux et
qu'on le plongeait sous la glace.
Puis à cette impression en succéda une autre
tout à fait opposée.
V r le numéro du 22 novembre.
' ■j
Après avoir eu froid, Shoking eut trop
chaud,
Cependant il ne perdit ni sa présence d'esprit,
ni son sang-froid.
— C'est la drogue qui agit, pensa-t-il.
En ce moment, Shoking ne pensait qu'à une
chose, devenir méconnaisable pour John, à ce
point que le rough ne pût jamais le reconnaître.
Depuis une heure que cette merveilleuse idée
lui était venue, de se servir pour lui-même de
cette fiole qu'il portait à John Colden quand il
était tombé aux mains de ses ennemis, Shoking
n'avait nullement songé à son physique, lequel,
si l'homme gris avait dit vrai, serait singulière-
ment modifié et probablement d'une façon peu
avantageuse.
D ailleurs Shoking était revenu des enthou-
siasmes de la jeunesse et de l'amour, et il esti-
mait qu 'uii morceau de roatsbeef, un pot de
bière et une bonne pipe auprès d'un poêle bien
chaud, valent mieux que toutes les femmes du
monde.
Donc, au premier abord, Shoking n'avait vu
aucun inconvénient à devenir noir.
La sensation de chaleur ayant succédé à la
sensation q,e froid, Shoking se rappela que
l'homme gris lui avait dit qu'il suffirait à John
L Colden de frotter sa barbo et ses cheveux avec
le reste de la mystérieuse liqueur pour vu chan-
ger la couleur.
Il versa donc dans le creux de sa main le
reste du liquide contenu dans le flacon. et se
frotta la tête en tous sens.
Shoking n'avait pas de barbe, en outre il com-
mençait à devenir chauve.
Il avait accompli tout cela dans les ténèbres
les plus profondes, n'entendant auprès de lui
que le souffle bruyant de l'Ecossais, son gar, <
dien.
De temps en temps ce dernier allongeait la <
main et touchait Shoking. *
Shoking n'avait rien dit tout d'abord, mais
quand il pensa que sa métamorphose ét¿Üt qpé- 1
rée, il s'écria : . - J
— Ah çà ! qu'est-ce que tu me veux, -cama.
rade? <
' — Rien, dit Macferson. Je m'assure que tu es
toujours là. 1
'
— Je suis là parce que ça me plaît, dit Sho-
king. i
— Et que je te garde, dit Macferson. 1
Shoking partit d'un éclat de rire. *
— Si je voulais m'en aller, dit-il, je m'en
irais. l
—Voilà ce que je voudrais voir pour le croire,
dit l'Ecossais.
g? Sais-tu qui je suis 7 reprit Shoking.. ;
*— Oui, tu t'appelles Shoking et tu te-fus
passer pour lord.
— Aujourd'hui, je suis Shoking en effet, de-
main je serai lord, et après-demain autre chose,
si ça me plaît, attendu, fit gravement Shoking,
que je ne suis pas un homme.
— Bah ! ricana l'Ecossais.
Je suis le diable, ajouta ShQking.
Macferson, nous l'avons dit, n'était pas pré-
cisément un homme intelligent.
" C'était un de ces épais montagnards d'Ecosse
qui viennent à Londres, comme les Auvergnats
viennent à Paris.
L'Ecossais est superstitieux, le diable joue
un assez grand rôle dans ses récits d'hiver, sous
le toit de sa chaumière.
Les fées, les witlis et les nains ne sont pas
étrangers à son éducation.
Maçferson;.dans son enfance, avait beaucoup
mt&ndu parler du diable.
S'il ne l'avait pas vu réellement, il 1:royait
léanmoins s'être trouvé avec lui, par une froide
luit de brouillard, dans un vallon des inonts
Hheviol, alors qu'il était berger.
Cependant Shoking, en disant être le diable,
le le convainquit point.
— Tu te moques de moi, lui dit-il. ; r...
— Tu crois ? " \ —
— Par Saint-George! oui, je le crois. 1 —
JOURNAL QUOTIDIEN
6 tenté le floméro
5 cent. le numêtyr
ABONNEMENTS. - Trois mois. sixmois. un an.
Paris 6 fir. 9 f 8 fr. -
Départements.. a il 99
.dàminiltrateur: E. DELSAtJX. 1
3ma année. — JEUDI 23 AVRHi 1'868. — N° 735
Directeur-Propriétaire : JANNiN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONN^.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Ds*ouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 22 AVRIL 1868.
LA CORDE ROMPUE
Vous avez tous lu, dans la )tyite iPres$f,
cette histoire pareille à un conte : ^--1'...-- ''
Un ouvrier plombier répare la gouttière
d'une maison à six étages. Assis sur une
planche, il travaille en chantant.
Tout à coup, une corde se rompt, et le tra-
vailleur est lancé dans le vide.
Mais, sur la cour, le propriétaire de la mai-
son a pris une pièce, qu'il a fait recouvrir
d'un châssis vitré. Pour éviter que ce châssis
ne soit brisé par les débris que les ouvriers
jettent du toit, des planches ont été placées
dessus et disposées en croix.
Le plombier rencontre ces planches, qui
rebondissent sous son corps et font l'office
d'un tremplin. Le châssis est enfoncé, et no-
fre voyageur malgré lui se trouve sur la table
d'une salle à manger, au milieu d'une famille
de sept personnes qui se disposaient à déjeu-
aer.
D'abord, on jette un cri; puis, l'on s'assure
qu'à part quelques écorchures le nouveau
venu n'a pas souffert de sa chute, et, se re-
tournant vers lui, la maîtresse de la maison
lui dit:
— C'est Dieu qui vous envoie, monsieur ;
voulez-vous déjeuner avec nous?...
On lit, et l'on sourit.
On est heureux de voir la chance merveil-
leuse du pauvre plombier.
Puis l'on se prend à réfléchir, et la longue
file des victimes et des invalides du travail
vous apparaît.
Quelquefois le décor est un atelier, où, dans
des profondeurs sans' fin, les machines ac-
complissent leur tâche régulière. Ce ne sont
que roues énormes, hélices géantes, turbines
aux proportions démesurées. La respiration
essoufflée des poumons de bronze halète dans
un ouragan formé de mille bruits, — gronde-
ments, grincements, sifflements, grandes et
petites voix de la vapeur, dont le travail mé-
thodique s'associe au travail de l'ouvrier.
Un cri. Un homme vient d'être pris dans
l'engrenage d'une machine...
Un second cri. C'est une chaudière qui
saute...
\ Un troisième. C'est l'arbre de couche qui
emporte une créature humainè dansson mou-
vement de rotation....
Un quatrième. C'est la poche d'une fonderie
qtfi laisse échapper le métal en ébullition
Qu'elle contient...
Et l'on voit les brancards qui s'acheminent
vers l'hôpital, chargés de mourants et de
blessés...
D'autres fois, le théâtre du drame, comme
celui de l'ancienne comédie, est une place pu-
blique.
De ce côté s'élève une maison en construc-
tion, sur le haut de laquelle les maçons ont
planté leur drapeau.
De l'autre, une vieille bâtisse a l'air de
chanceler sons son toit en pointe, que les
pluies ont noirci.
Nous sommes au printemps. C'est la saison
où les maisons qui ne sont pas neuves ai-
ment à se faire belles. Allons, que les pein-
tres quittent leur logis, où ils sont restés en-
fermés pendant l'hiver comme des marmot-
tes, qu'ils revêtent la blouse grise, qu'ils se
coiffent gaiement du bonnet de papier!....
L'heure du chantier est venue. Les cordes
crient. Les planches se balancent contre les
murailles. Le plâtre pleut sur les vitres. Ce
n'est pas assez du chant des oiseaux pour cé-
lébrer le réveil de la nature. Il faut encore
qu'il s'y mêle le chant des compagnons du.
balai à crins et du pinceau... I
A l'ouvrage, rt gare aux cordes cassées T...
Il y a quelques années, un ouvrier était de
passage dans une ville de province.
Il fut embauché: un travail à la corde sur
une façade ; ce travail devait durer deuxjours
et rapporter six francs.
L'ouvrier fit la visite de sa corde.
— Elle ne vaut pas le diable ! dit-il.
Le patron et les ouvriers du pays se ré-
crièrent.
Le compagnon, les entendant, prit son
parti, et se mit à la besogne. Il en était au
troisième étage, quand il s'aperçut que la
corde était complétement coupée dans. l'une
de ses trois parties, et cela précisément au
noeud au-dessous duquel ses crochets de
jambières étaient posés.
Bah ! il restait deux parties de cordage:'
Il les examina avec plus de soin que le matin.
Ces parties s'effilaient.
Des bouts de chanvre cassés attestaient
leur fatigue ; bientôt ces cordes rompraient
comble l'autre.
Le tpeintre descendit à la hâte, prit de la
grosse ficelle neuve, renforça la corde et re-
monta : il avait besoin du produit de sa
journée.
Le soir, il se plaignit.
— Bon! dit le maître ; vous avez eu
peur. i 11 y a quatorze ans que la corde sert
commç ça !...
L'année précédente, elle s'était rompue, et
un ouvrier avait eu les reins brisés.
Les cordes, disent en riant les ouvriers,
c ' est cpmme les bouteilles : ça ne s'use qu'en
se calant.
■ «ii .
Ces sortes de plaisanteries ont cours, je le
sais.
Pour acheter un cordage neuf, il faut dé-
penser quelque argent. Le patron est éco-
nome.
Pour ne pas se servir d'un cordage usé, il
faut l'examiner d'abord, et l'ouvrier s'ima-
gine que ce serait là du temps perdu ; dire
qu 'il est mauvais, vous ferait passer pour
poltron.
On se tait, et l'on monte, au risque de se
casseroles bras et les jambes. Et le patron
laisse monter, pour ne pas --rëïtô'nveler la
corde.
'
Il faut crier ces choses-là. Il faut les appeler
par leur nom : l'économie, crime; l'insou-
ciance et la fausse honte, bêtise.
Quand il arrive un accident, il y a toujours
un coupable. Il est juste que te coupable soit
flétri.
J 'ai là, dans mes mains, des lettres dont je
ne nomme pas les signataires.
Les unes accusent; les autres indiquent un
remède au mal: dans chaque ville, il y aurait
un expert, chargé de l'inspection des échafau-
dages fixes et volants...
Cette expertise serait peut-être une bonne •
chose. Mais une meilleure serait un peu de j
sens commun chez les patrons et les ouvriers.
Il faut savoir protéger soi-même sa vie et ■
celle des gens qu'on emploie.
1
Il y a d'excellents livres, comme l' Architec-
ture et la construction pratiques de Daniel
Ramée. Que les intéressés les lisent. 11 y a
surtout la pratique. A quoi servirait l'expé-
rience, sinon à éviter les accidents ?....
Les amis des travailleurs leur doivent la
vérité.
Je l'ai déjà dit.
Quel patron, si on mettait sur sa table une
somme d'argent, en lui désignant un ouvrier
et en disant : « — Cet argent est le prix de
cet homme ! » Quel patron ne refuserait un-
Semblable marché ?...
Quel ouvrier, si on lui parlait de sa femme
qu'il aime, de ses enfants qu'il nourrit, et si
1 on ajoutait : « — Eh quoi ! tu vas sacrifier
ton amour et ton devoir au plaisir de faire Je
brave ou de t'éviter un Dérangement ! Quel
ouvrier ne s'écrierait « — Moi! jamais de
la vie!... »
Et pourtant,, c'est ce que font trop souvent
ouvriers et patrons.
Il y a une belle légende dans là bâtisse.
Deux maçons sont occupés sur un échafau-
dage.
L'échafaudage rompt, à une poutre près, à
laquelle les deux ouvriers s'accrochent en dé-
sespérés.
Mais cette poutre est trop faible pour por-
ler le pdfds dé deux corps.
Les maçons s'en aperçoivent. Ils se jettént
l'un à l'autre un regard eflaré.
— Jean, dit le plus vieux, j'ai quatre -en-
fants à nourrir. ;
— Bien, lierre 1...
Et le compagnon se laisse tomber sur le
pavé.
Je ne sais pas, dans toute l'histoire, une
mort plus belle.
Mais si, — dans un élan de dévouement
sublime, — il esi*|fermis de mourir ainsi, en
revanche rien ft'éét plus coupable que de Vis*
Kpier sa vie .par négligence ou par vanité.
r v'v
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
N° 171 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XXVII
A peine eut-il bu que Shoking éprouva une
bizarre sensation de froid.
On eût dit qu'on le prenait par les cheveux et
qu'on le plongeait sous la glace.
Puis à cette impression en succéda une autre
tout à fait opposée.
V r le numéro du 22 novembre.
' ■j
Après avoir eu froid, Shoking eut trop
chaud,
Cependant il ne perdit ni sa présence d'esprit,
ni son sang-froid.
— C'est la drogue qui agit, pensa-t-il.
En ce moment, Shoking ne pensait qu'à une
chose, devenir méconnaisable pour John, à ce
point que le rough ne pût jamais le reconnaître.
Depuis une heure que cette merveilleuse idée
lui était venue, de se servir pour lui-même de
cette fiole qu'il portait à John Colden quand il
était tombé aux mains de ses ennemis, Shoking
n'avait nullement songé à son physique, lequel,
si l'homme gris avait dit vrai, serait singulière-
ment modifié et probablement d'une façon peu
avantageuse.
D ailleurs Shoking était revenu des enthou-
siasmes de la jeunesse et de l'amour, et il esti-
mait qu 'uii morceau de roatsbeef, un pot de
bière et une bonne pipe auprès d'un poêle bien
chaud, valent mieux que toutes les femmes du
monde.
Donc, au premier abord, Shoking n'avait vu
aucun inconvénient à devenir noir.
La sensation de chaleur ayant succédé à la
sensation q,e froid, Shoking se rappela que
l'homme gris lui avait dit qu'il suffirait à John
L Colden de frotter sa barbo et ses cheveux avec
le reste de la mystérieuse liqueur pour vu chan-
ger la couleur.
Il versa donc dans le creux de sa main le
reste du liquide contenu dans le flacon. et se
frotta la tête en tous sens.
Shoking n'avait pas de barbe, en outre il com-
mençait à devenir chauve.
Il avait accompli tout cela dans les ténèbres
les plus profondes, n'entendant auprès de lui
que le souffle bruyant de l'Ecossais, son gar, <
dien.
De temps en temps ce dernier allongeait la <
main et touchait Shoking. *
Shoking n'avait rien dit tout d'abord, mais
quand il pensa que sa métamorphose ét¿Üt qpé- 1
rée, il s'écria : . - J
— Ah çà ! qu'est-ce que tu me veux, -cama.
rade? <
' — Rien, dit Macferson. Je m'assure que tu es
toujours là. 1
'
— Je suis là parce que ça me plaît, dit Sho-
king. i
— Et que je te garde, dit Macferson. 1
Shoking partit d'un éclat de rire. *
— Si je voulais m'en aller, dit-il, je m'en
irais. l
—Voilà ce que je voudrais voir pour le croire,
dit l'Ecossais.
g? Sais-tu qui je suis 7 reprit Shoking.. ;
*— Oui, tu t'appelles Shoking et tu te-fus
passer pour lord.
— Aujourd'hui, je suis Shoking en effet, de-
main je serai lord, et après-demain autre chose,
si ça me plaît, attendu, fit gravement Shoking,
que je ne suis pas un homme.
— Bah ! ricana l'Ecossais.
Je suis le diable, ajouta ShQking.
Macferson, nous l'avons dit, n'était pas pré-
cisément un homme intelligent.
" C'était un de ces épais montagnards d'Ecosse
qui viennent à Londres, comme les Auvergnats
viennent à Paris.
L'Ecossais est superstitieux, le diable joue
un assez grand rôle dans ses récits d'hiver, sous
le toit de sa chaumière.
Les fées, les witlis et les nains ne sont pas
étrangers à son éducation.
Maçferson;.dans son enfance, avait beaucoup
mt&ndu parler du diable.
S'il ne l'avait pas vu réellement, il 1:royait
léanmoins s'être trouvé avec lui, par une froide
luit de brouillard, dans un vallon des inonts
Hheviol, alors qu'il était berger.
Cependant Shoking, en disant être le diable,
le le convainquit point.
— Tu te moques de moi, lui dit-il. ; r...
— Tu crois ? " \ —
— Par Saint-George! oui, je le crois. 1 —
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