Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-04-14
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 avril 1868 14 avril 1868
Description : 1868/04/14 (A3,N726). 1868/04/14 (A3,N726).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717728d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
S eent. le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. un an.
Paris .......... : à fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. O il se
Administrateur : E. DELSAUX.
3rne année. — MARDI 4 i AVRIL 1868. —M* 726
Direéteur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 13 AVRIL 1868.
L'OUVRIER
AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
I
Autrefois.
Il y a cinq ou six jours, chers lecteurs, je
vous parlais des crèches et des maisons ou-
vrières. J'ai reçu vingt lettres a ce sujet, les
unes me demandant des renseignements, les
autres m'apportant des encouragements ou me
soumettant des projets. Rien ne saurait me
faire plus de plaisir que de telles communi-
cations. Elles prouvent mieux que tout le.
reste l'utilité des journaux populaires. J'expose
une question. Mon exposé est naturellement
i incomplet ; mais il sert de point de départ à
, une sorte d'enquête, dont je publie ensuite le
résultat.
M. Menu de Saint-Mesmin, préfet des étu-
des au collège Chaptal et secrétaire-général
de l'association Polytechnique, avait étudié,
dans une conférence, les habitations écono-
' miques, et j'avais cette conférence sous les
' yeux lorsque j'ai abordé le même sujet. C'est
encore à une causerie de M. de Saiut-Mes-
min que j'emprunte le titre et les éléments
de cet article, en recommandant bien fort la
bibliothèque à 25 centimes le volume, que
publie la maison Hachette et où se trouvent
tant de travaux d'autant plus utiles qu'ils sont
plus élémentaires ; Lu$ç et Tl'avail,de M. Bau-
drilitart, ie$ Sociétés coopératives, de 9. Jules
. Duval, les Chemins de fer, de M. Perdonnet,
■ les Notions d'économie politique, de Wo-
lowski, etc., etc., etc.
*
L'histoire des classes laborieuses peut se
diviser en quatre grandes périodes : l'escla-
vage., le servage, la corporation, enfin l'ère
du travail libre, inaugurée vers la fin du dix-
huitième siècle.
Ce qui caractérise les travaux de l'antiquité,
c'est l'énormité et la grandeur. Nous avons
lu les descriptions des grandes villes de l'A-
: sie, auprès desquelles Paris eût semblé une
sous-préfecture. Ces immenses cités étaient
ceintes de murailles, assez larges pour que
plusieurs chariots menés de front pussent
circuler sur leur sommet...
Encore aujourd'hui, sur les bords du Nil,
une seule des pyramides restées debout four-
nirait les matériaux d'un mur aussi long que
le câble qui relie l'Europe à l'Amérique.
\ Pour édifier ces villes et ces murailles,
pur élever ces montagnes de pierres, les an-
ciens étaient loin de posséder une mécanique
comme ens celle de nos entrepreneurs. Ils con-
naissaient le levier, le plan incliné, et c'était
tout. L'homme faisait le reste.
Cent mille ouvriers travaillaient à la fois à
construire les pyramides. Cent vingt mille
creusaient le canal, retrouvé par M. F. de
Lesseps, destiné à joindre le Nil à la mer
Rouge; Ces agglomérations humaines cou-
chaient à la belle étoile, étaient à peine vê-
tues, et se nourrissaient de la façon la plus
grossière. Aussi les hommes périssaient-ils
par milliers pour le triomphe de l'œuvre.
Ces ouvriers, du reste, ne comptaient que
par leur nombre. C'étaient des esclaves. La
république la plus civilisée, celle d'Athènes,
se composait de quinze mille citoyens et de
quatre cent mille escbves. |
Les uns, les esclaves publics, achetés aux
frais du trésor, étaient chargés de la police
et de la garde de la cité; ils ramaient sur les
galères de l'Etat....
Les autres, les esclaves privés, travaillaient
à leur compte, à- la condition de donner au
maître la meilleure part de leur salaire, ou
bien ils remplissaient chez lui les fonctions
de domestiques. En Grèce un esclave em-
ployé aux mines gagnait une obole par
jour, c'est-à-dire à peu près trois sous de
notre monnaie.
On a du reste conservé les prix, non pas
de la journée des ouvriers de ce temps-là,
mais des ouvriers eux mêmes. Un armurier se
vendait environ cinquante francs ; un ébé-
niste cent quatre-vingts francs ; .mais un
musicien valait mille francs et plus.
A Rome, dans les premiers temps, toutes
les professions étaient exercées par des hom-
mes libres. Mais on fit la guerre, et les vain-
cus qu'on n'égorgea pas furent voués aux plus
durs travaux. Ce n'est pas tout ; on les con-
damna à faire souche d'esclaves. Il y eut
dans le. Latium des élèves d'hommes, comme
il y a aujourd'hui dans la Normandie des
élèves -de bestiaux : un logis et du pain,
comme une écurie et du foin, mais aussi le
droit pour le maître de vendre, de frapper et
1 de tuer son bétail humain.
« A Rome, — raconte M. Duruy — un
grand citoyen disait :
» — Les instruments de travail sont de deux
sortes : les uns muets: la charrue, le hoyau;
les autres ayant une voix: :Iebœuf, le cheval...
et l'esclave!
» Et encore :
» — Le bon propriétaire vend et n'achète
pas : qu'il vende les vieux bœufs, la vieille fer-
raille..., les vieuxesclaves et les esclaves ma-
lades.
Comme ceux-ci ne trouvaient guère d'a-
cheteurs, le maître le plus religieux faisait
porter l'esclave malade dans l'île du Tibre,
auprès du temple d'Esculape, et l'y aban-
donnait. Qu'il guérît ou qu'il mourût, c'était
lfaffaire du Dieu...
+ » Pour un délit léger, pour un caprice du
maître, l'esclave expirait sous les verges, sur
la croix,-ou suspendu en l'air par des cro-
chets de fer, livré tout vivant aux oiseaux de
proie...
» Et pourtant ce sont ces hommes qui ont '
commencé le travail industriel et la grande
lutte de l'esprit contre la matière — ce sont
ces mains calleuses, ces bras enchaînés et
livides qui, affranchis et dirigés par les métli-
tations puissantes de penseurs solitaires, ont
mis au front de l'homme sa couronne de
royauté! » ,
De temps en temps, un philosophe protes-
tait au nom de l'humanité. Mais on ne i'écou-
tait pas.
Enfin, dans un village le la Jutlée, le fils
d'un charpentier se leva, et dit à ceu* du
peuple qui l'entouraient :
?.. « — Aimez-vous les uns les autres. Tous
tes hommes sont égaux devant Dieu.e -
C'en était fait de l'esclavage.
L'ancien monde croula sous la parole du
prolétaire juif.
La grande unité romaine fit place, après
une longue lutte, aux groupes barbares.
Le servage remplace l'esclavage. L'esclave
était un instrument : le serf est une personne.
Il y a progrès ; mais il s'en faièt que le pro-
grès soit complet. Le serf est-attaché à la
terre sur laquelle il travaille. Elle ne peut
être vendue sans lui, et elle appartient au
maître. Quelquefois les serfs sont privilégiés :
on se contente de leur demander une rede-
vance. D'autres fois, ils achètent le droit de
se déplacer et de passer surunetem^oisine;
mais ce sont là des exceptions: ^L^Jiomnj^
libre, le bourgeois, est soumis lui-même au
droit du plus fort.
. Exemple, cette curieuse anecdote que j'em-
prunte à M. Menu de Saint-Mesmin :
« Le comte de Champagne, Henri-le-Large
(ou le libéral) se rendait chez un seigneur ae
ses amis. Un mendiant l'arrête et se recom-
mande à sa générosité. Le pomte se. retourne
vers son trésorier, bon bourgeois des- condi-
tion libre, et lui dit :
— Fouille dans ton escarcelle et donne ^
quelque aumône à ce malheureux.
— Sire comte, l'escarcelle s'est vidée c1 ne« <
min faisant: vous n'avez plus rien àdoTjner<
— Rien? fait le mendiant d'un air piteux.
— Rien, répond le trésorier.
— Rieft..., dit le comte dépité ; parbleu ! je
te montrerai, messire, qu'il me^, reste'encore
quelque chose. Manant, j6 te^donne... mon.
trésorier.
Le mendiant s'attachait déjà au bras du
pauvre homme et l'entraînait, comme un
paysan revenant du. m arché fait de sa bête. '
— Il fallut que notre bourgeois tirât «d'une
pochette cachée dans ses chausses une bourse
bien garnie. Et il s'estima trop heureux d'en
être quitte à si bon marché. »
Dans ce monde inique du moyen-âge, ie
serf devait cependant trouver un protecteur i
Le roi.
Le roi de France n'était guère alors que la
plus grand seigneur de son royaume, et cette
grandeur faisait souvent ombrage aux autres,
qui se liguaient contre lui. Un peu par esprit
, de justice, et beaucoup pour trouver un appui
Êâatm JLea ligues féodales, les rois s'avisèrent
de donner la liberté aux seris de leurs do-
maines. Quand les seigneurs furent battus,
le suzerain ne manqua jamais de leur imposer,
comme condition de leur défaite, l'affran-
chissement de leurs vassaux. C'était se faire
i des amis en pays conquis.
Cependant de lourdes charges continuèrent
s à peser sur les prolétaires, surtout sur ceux,
des campagnes. Le tableau de Labruyère est
! immortel : ' - . -,
M
« L'on voit certains animaux farouch.es, des
L mâles et des femelles, répandus par la cam-
t pagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil,
i attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils re-
: muent avec une opiniâtreté invincible. Ils
. ont comme une voix articulée-, et, quand ils
i se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une
ROCAMBOLE
mess=""t57 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XVIII
Shoking s'était gratté l'oreille ; mais il ne
faudrait pas en conclure qu'il fùt excessivement
embarrassé.
En Anglelerre, l'art oratoire est un jeu : le
peuple est convié aux meetings ; il entend par-
ler, il apprend à parler, il sait. parier au besoin.
L'éducation politique est universelle ; et pas-
conséquent, chacun sait exprimer sa pensée.
Voir le timért, du 22 novembre. ' :
Les uns vont droit tu but; les autres préfè-
rent le chemin fleuri des circonlocutions et
savent tourner les difficultés.
Shokîng appartenait à cette dernière école ;
la pensée de son discours n'était jamais que
dans le post-scriptum.
— Maître, dit-il, jamais l'Irlande n'a eu si
grand besoin d'être dirigée.
— Tu crois ? fit l'homme gris.
— La lutte existait dans l'ombre, poursuivit
Shoking. L'Angleterre savait bien que l'Irlande
conspirait, mais elle méprisait l'Irlande.
— Ah 1 vraiment ?
— Aujourd'hui, reprit Shoking, encouragé
par cette petite phraséologie qui avait son mé-
rite relatif, fldande est sortie des ténèbres.
— Ah ! ab !
— Elle a jeté le manque, elle a défié sa vieille
ennémie, elle a amené la lutte au soleil.-
— Après ? - ' '
__
— L'Irlande a osé. ravir u,, ' condamné à l'é-
chafaud, poursuiVit SllOking, qui 'lë prenait dé
plus en plus au sérieux. ' ' \
L'Irl -.nde est forte et l'Aoglèt\>rlle a peur.
,- Continue, continue'', dit" l'homme gris en
souriant ; tu parles comme feu O'CDnri'dt.
- rr- Elle est forte et elle est faible., ajput'a Smo-
king, usant des oppositions iamilières aux gr4hds
orateurs " " / ■
— Explique-toi.
-- Elle était forte hier, car ella avait un chef
qui la dirigeait, qui la conseillait, qui .pou-
vait.^.
— Et ce chef, interrompit l'homme gris, où
est-il donc mantenant?
— Il se cache, dit Shoking.
— Bon •
— Et c'était précisément à cela que j'en vou- •
lais venir. Pourquoi ce chef se cache-t-il?
— Parce que la police est à ses trousses,' et
que s'il était pris.,.
— Si John Colden était pris, se hâta de dire
Shoking, on le pendrait de nouveau.
— Et si le chef dont tu parles était pris, dit
l'homme gris, on le pendrait égaiement. ,
C'était là que Shuking attendait l'homme gris,
comme le chasseur attend le gibier au coin d'un
bois.
— Mais John .ColpEn ne sera pas pris, dit-il.
— Tu crois ?
— Ou si on le prend, on ne le reconnaîtra
pas u. - 1
— Eh bien ?..
— John Golden est donc plus heureux que ce
chef dont je parie, et qui peut être .Reconnu au
premier jour.
— Mon bon.. Shoking, dit .l'homme gris en
souriant, tu penses bien aue ie ne t'ai oas écouta
1 si longtemps, sanS deviner dès les premiers
I mots où tu en voulais venir?
A son tour, Shoking, q^f jusque-là avait
parlé les yeux baissés, regarda l'homme gris.
— Tu te d:s, poursuivit ce dernier, que du
moment où je puis rendre John Col Jen mécon-
i naissante et le soustraire, par conséquent, à
toute poursuite, je pourrais bien en faire autant
pour moi-même, »
— C'est la vérité pure, di. Shoking.
— Oui, et tu as raison en apparence, reprit
l'homme gris.
— N'est-ce pas ? lit naïvement Shoking.
— Mais tu as tort, en réalité.
— Ah !
— A ton :our, fuis donc mon raisonne
ment.
— Voyons? dit Smoking.
— Qu'est-ce que John Golden? Un pauvre
diable d'Inaodai's, qui était cordonnier de son
état, qui n'a jamais été beau et qui rit- perdra
pas grand' chose à troquer ses cheveux roux
contre des chf'vt'ux crépus.
— Ça, c'e>i \Tai, ,fit Shoking
— Moi, dit l'h';u:.1Ue grif>. tre-Ue-huit ans,
regarde- .-ci : -
; — Oh ! vous êtes beau, fit naïvement la mflA-
i iii%at. - • --- ' '
S eent. le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. un an.
Paris .......... : à fr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. O il se
Administrateur : E. DELSAUX.
3rne année. — MARDI 4 i AVRIL 1868. —M* 726
Direéteur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 13 AVRIL 1868.
L'OUVRIER
AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI
I
Autrefois.
Il y a cinq ou six jours, chers lecteurs, je
vous parlais des crèches et des maisons ou-
vrières. J'ai reçu vingt lettres a ce sujet, les
unes me demandant des renseignements, les
autres m'apportant des encouragements ou me
soumettant des projets. Rien ne saurait me
faire plus de plaisir que de telles communi-
cations. Elles prouvent mieux que tout le.
reste l'utilité des journaux populaires. J'expose
une question. Mon exposé est naturellement
i incomplet ; mais il sert de point de départ à
, une sorte d'enquête, dont je publie ensuite le
résultat.
M. Menu de Saint-Mesmin, préfet des étu-
des au collège Chaptal et secrétaire-général
de l'association Polytechnique, avait étudié,
dans une conférence, les habitations écono-
' miques, et j'avais cette conférence sous les
' yeux lorsque j'ai abordé le même sujet. C'est
encore à une causerie de M. de Saiut-Mes-
min que j'emprunte le titre et les éléments
de cet article, en recommandant bien fort la
bibliothèque à 25 centimes le volume, que
publie la maison Hachette et où se trouvent
tant de travaux d'autant plus utiles qu'ils sont
plus élémentaires ; Lu$ç et Tl'avail,de M. Bau-
drilitart, ie$ Sociétés coopératives, de 9. Jules
. Duval, les Chemins de fer, de M. Perdonnet,
■ les Notions d'économie politique, de Wo-
lowski, etc., etc., etc.
*
L'histoire des classes laborieuses peut se
diviser en quatre grandes périodes : l'escla-
vage., le servage, la corporation, enfin l'ère
du travail libre, inaugurée vers la fin du dix-
huitième siècle.
Ce qui caractérise les travaux de l'antiquité,
c'est l'énormité et la grandeur. Nous avons
lu les descriptions des grandes villes de l'A-
: sie, auprès desquelles Paris eût semblé une
sous-préfecture. Ces immenses cités étaient
ceintes de murailles, assez larges pour que
plusieurs chariots menés de front pussent
circuler sur leur sommet...
Encore aujourd'hui, sur les bords du Nil,
une seule des pyramides restées debout four-
nirait les matériaux d'un mur aussi long que
le câble qui relie l'Europe à l'Amérique.
\ Pour édifier ces villes et ces murailles,
pur élever ces montagnes de pierres, les an-
ciens étaient loin de posséder une mécanique
comme ens celle de nos entrepreneurs. Ils con-
naissaient le levier, le plan incliné, et c'était
tout. L'homme faisait le reste.
Cent mille ouvriers travaillaient à la fois à
construire les pyramides. Cent vingt mille
creusaient le canal, retrouvé par M. F. de
Lesseps, destiné à joindre le Nil à la mer
Rouge; Ces agglomérations humaines cou-
chaient à la belle étoile, étaient à peine vê-
tues, et se nourrissaient de la façon la plus
grossière. Aussi les hommes périssaient-ils
par milliers pour le triomphe de l'œuvre.
Ces ouvriers, du reste, ne comptaient que
par leur nombre. C'étaient des esclaves. La
république la plus civilisée, celle d'Athènes,
se composait de quinze mille citoyens et de
quatre cent mille escbves. |
Les uns, les esclaves publics, achetés aux
frais du trésor, étaient chargés de la police
et de la garde de la cité; ils ramaient sur les
galères de l'Etat....
Les autres, les esclaves privés, travaillaient
à leur compte, à- la condition de donner au
maître la meilleure part de leur salaire, ou
bien ils remplissaient chez lui les fonctions
de domestiques. En Grèce un esclave em-
ployé aux mines gagnait une obole par
jour, c'est-à-dire à peu près trois sous de
notre monnaie.
On a du reste conservé les prix, non pas
de la journée des ouvriers de ce temps-là,
mais des ouvriers eux mêmes. Un armurier se
vendait environ cinquante francs ; un ébé-
niste cent quatre-vingts francs ; .mais un
musicien valait mille francs et plus.
A Rome, dans les premiers temps, toutes
les professions étaient exercées par des hom-
mes libres. Mais on fit la guerre, et les vain-
cus qu'on n'égorgea pas furent voués aux plus
durs travaux. Ce n'est pas tout ; on les con-
damna à faire souche d'esclaves. Il y eut
dans le. Latium des élèves d'hommes, comme
il y a aujourd'hui dans la Normandie des
élèves -de bestiaux : un logis et du pain,
comme une écurie et du foin, mais aussi le
droit pour le maître de vendre, de frapper et
1 de tuer son bétail humain.
« A Rome, — raconte M. Duruy — un
grand citoyen disait :
» — Les instruments de travail sont de deux
sortes : les uns muets: la charrue, le hoyau;
les autres ayant une voix: :Iebœuf, le cheval...
et l'esclave!
» Et encore :
» — Le bon propriétaire vend et n'achète
pas : qu'il vende les vieux bœufs, la vieille fer-
raille..., les vieuxesclaves et les esclaves ma-
lades.
Comme ceux-ci ne trouvaient guère d'a-
cheteurs, le maître le plus religieux faisait
porter l'esclave malade dans l'île du Tibre,
auprès du temple d'Esculape, et l'y aban-
donnait. Qu'il guérît ou qu'il mourût, c'était
lfaffaire du Dieu...
+ » Pour un délit léger, pour un caprice du
maître, l'esclave expirait sous les verges, sur
la croix,-ou suspendu en l'air par des cro-
chets de fer, livré tout vivant aux oiseaux de
proie...
» Et pourtant ce sont ces hommes qui ont '
commencé le travail industriel et la grande
lutte de l'esprit contre la matière — ce sont
ces mains calleuses, ces bras enchaînés et
livides qui, affranchis et dirigés par les métli-
tations puissantes de penseurs solitaires, ont
mis au front de l'homme sa couronne de
royauté! » ,
De temps en temps, un philosophe protes-
tait au nom de l'humanité. Mais on ne i'écou-
tait pas.
Enfin, dans un village le la Jutlée, le fils
d'un charpentier se leva, et dit à ceu* du
peuple qui l'entouraient :
?.. « — Aimez-vous les uns les autres. Tous
tes hommes sont égaux devant Dieu.e -
C'en était fait de l'esclavage.
L'ancien monde croula sous la parole du
prolétaire juif.
La grande unité romaine fit place, après
une longue lutte, aux groupes barbares.
Le servage remplace l'esclavage. L'esclave
était un instrument : le serf est une personne.
Il y a progrès ; mais il s'en faièt que le pro-
grès soit complet. Le serf est-attaché à la
terre sur laquelle il travaille. Elle ne peut
être vendue sans lui, et elle appartient au
maître. Quelquefois les serfs sont privilégiés :
on se contente de leur demander une rede-
vance. D'autres fois, ils achètent le droit de
se déplacer et de passer surunetem^oisine;
mais ce sont là des exceptions: ^L^Jiomnj^
libre, le bourgeois, est soumis lui-même au
droit du plus fort.
. Exemple, cette curieuse anecdote que j'em-
prunte à M. Menu de Saint-Mesmin :
« Le comte de Champagne, Henri-le-Large
(ou le libéral) se rendait chez un seigneur ae
ses amis. Un mendiant l'arrête et se recom-
mande à sa générosité. Le pomte se. retourne
vers son trésorier, bon bourgeois des- condi-
tion libre, et lui dit :
— Fouille dans ton escarcelle et donne ^
quelque aumône à ce malheureux.
— Sire comte, l'escarcelle s'est vidée c1 ne« <
min faisant: vous n'avez plus rien àdoTjner<
— Rien? fait le mendiant d'un air piteux.
— Rien, répond le trésorier.
— Rieft..., dit le comte dépité ; parbleu ! je
te montrerai, messire, qu'il me^, reste'encore
quelque chose. Manant, j6 te^donne... mon.
trésorier.
Le mendiant s'attachait déjà au bras du
pauvre homme et l'entraînait, comme un
paysan revenant du. m arché fait de sa bête. '
— Il fallut que notre bourgeois tirât «d'une
pochette cachée dans ses chausses une bourse
bien garnie. Et il s'estima trop heureux d'en
être quitte à si bon marché. »
Dans ce monde inique du moyen-âge, ie
serf devait cependant trouver un protecteur i
Le roi.
Le roi de France n'était guère alors que la
plus grand seigneur de son royaume, et cette
grandeur faisait souvent ombrage aux autres,
qui se liguaient contre lui. Un peu par esprit
, de justice, et beaucoup pour trouver un appui
Êâatm JLea ligues féodales, les rois s'avisèrent
de donner la liberté aux seris de leurs do-
maines. Quand les seigneurs furent battus,
le suzerain ne manqua jamais de leur imposer,
comme condition de leur défaite, l'affran-
chissement de leurs vassaux. C'était se faire
i des amis en pays conquis.
Cependant de lourdes charges continuèrent
s à peser sur les prolétaires, surtout sur ceux,
des campagnes. Le tableau de Labruyère est
! immortel : ' - . -,
M
« L'on voit certains animaux farouch.es, des
L mâles et des femelles, répandus par la cam-
t pagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil,
i attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils re-
: muent avec une opiniâtreté invincible. Ils
. ont comme une voix articulée-, et, quand ils
i se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une
ROCAMBOLE
mess=""t57 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
QUATRIÈME PARTIE
UN DRAME DANS LE SOUTWARK
XVIII
Shoking s'était gratté l'oreille ; mais il ne
faudrait pas en conclure qu'il fùt excessivement
embarrassé.
En Anglelerre, l'art oratoire est un jeu : le
peuple est convié aux meetings ; il entend par-
ler, il apprend à parler, il sait. parier au besoin.
L'éducation politique est universelle ; et pas-
conséquent, chacun sait exprimer sa pensée.
Voir le timért, du 22 novembre. ' :
Les uns vont droit tu but; les autres préfè-
rent le chemin fleuri des circonlocutions et
savent tourner les difficultés.
Shokîng appartenait à cette dernière école ;
la pensée de son discours n'était jamais que
dans le post-scriptum.
— Maître, dit-il, jamais l'Irlande n'a eu si
grand besoin d'être dirigée.
— Tu crois ? fit l'homme gris.
— La lutte existait dans l'ombre, poursuivit
Shoking. L'Angleterre savait bien que l'Irlande
conspirait, mais elle méprisait l'Irlande.
— Ah 1 vraiment ?
— Aujourd'hui, reprit Shoking, encouragé
par cette petite phraséologie qui avait son mé-
rite relatif, fldande est sortie des ténèbres.
— Ah ! ab !
— Elle a jeté le manque, elle a défié sa vieille
ennémie, elle a amené la lutte au soleil.-
— Après ? - ' '
__
— L'Irlande a osé. ravir u,, ' condamné à l'é-
chafaud, poursuiVit SllOking, qui 'lë prenait dé
plus en plus au sérieux. ' ' \
L'Irl -.nde est forte et l'Aoglèt\>rlle a peur.
,- Continue, continue'', dit" l'homme gris en
souriant ; tu parles comme feu O'CDnri'dt.
- rr- Elle est forte et elle est faible., ajput'a Smo-
king, usant des oppositions iamilières aux gr4hds
orateurs " " / ■
— Explique-toi.
-- Elle était forte hier, car ella avait un chef
qui la dirigeait, qui la conseillait, qui .pou-
vait.^.
— Et ce chef, interrompit l'homme gris, où
est-il donc mantenant?
— Il se cache, dit Shoking.
— Bon •
— Et c'était précisément à cela que j'en vou- •
lais venir. Pourquoi ce chef se cache-t-il?
— Parce que la police est à ses trousses,' et
que s'il était pris.,.
— Si John Colden était pris, se hâta de dire
Shoking, on le pendrait de nouveau.
— Et si le chef dont tu parles était pris, dit
l'homme gris, on le pendrait égaiement. ,
C'était là que Shuking attendait l'homme gris,
comme le chasseur attend le gibier au coin d'un
bois.
— Mais John .ColpEn ne sera pas pris, dit-il.
— Tu crois ?
— Ou si on le prend, on ne le reconnaîtra
pas u. - 1
— Eh bien ?..
— John Golden est donc plus heureux que ce
chef dont je parie, et qui peut être .Reconnu au
premier jour.
— Mon bon.. Shoking, dit .l'homme gris en
souriant, tu penses bien aue ie ne t'ai oas écouta
1 si longtemps, sanS deviner dès les premiers
I mots où tu en voulais venir?
A son tour, Shoking, q^f jusque-là avait
parlé les yeux baissés, regarda l'homme gris.
— Tu te d:s, poursuivit ce dernier, que du
moment où je puis rendre John Col Jen mécon-
i naissante et le soustraire, par conséquent, à
toute poursuite, je pourrais bien en faire autant
pour moi-même, »
— C'est la vérité pure, di. Shoking.
— Oui, et tu as raison en apparence, reprit
l'homme gris.
— N'est-ce pas ? lit naïvement Shoking.
— Mais tu as tort, en réalité.
— Ah !
— A ton :our, fuis donc mon raisonne
ment.
— Voyons? dit Smoking.
— Qu'est-ce que John Golden? Un pauvre
diable d'Inaodai's, qui était cordonnier de son
état, qui n'a jamais été beau et qui rit- perdra
pas grand' chose à troquer ses cheveux roux
contre des chf'vt'ux crépus.
— Ça, c'e>i \Tai, ,fit Shoking
— Moi, dit l'h';u:.1Ue grif>. tre-Ue-huit ans,
regarde- .-ci : -
; — Oh ! vous êtes beau, fit naïvement la mflA-
i iii%at. - • --- ' '
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 95.28%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 95.28%.
- Collections numériques similaires Labrouste Henri Labrouste Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Labrouste Henri" or dc.contributor adj "Labrouste Henri")
- Auteurs similaires Labrouste Henri Labrouste Henri /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Labrouste Henri" or dc.contributor adj "Labrouste Henri")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k4717728d/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k4717728d/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k4717728d/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k4717728d/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k4717728d
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k4717728d
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k4717728d/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest