Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-01-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 janvier 1868 20 janvier 1868
Description : 1868/01/20 (A3,N641). 1868/01/20 (A3,N641).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717643r
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN .
& cent. le numéro
- S cefit, le Bamép: ,
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un ID.
- Paris • ;m fr. 9 fr. 118 fr.
Départements,. a 11 3©
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. — LUNDI 20 JANVIER 1868. —W» 611
Directeur-Proprié taire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BHAGELONN.H.
BUREAUX D'ABONNEMENT : P, rue OPOUOT ' '
ADMINISTRATION : 13, place Brada.
PARIS, 19 JANVIER 1868.
L'EPÉDITION ANGLAISE
EN ABYSSINNE
II
L'empereur théodore
et M. Guillaume Lejean.
J'ai dit hier que Théodore savait parler à
son peuple, j'ajouterai qu'il ne néglige rien
df! ce qui peut en imposer.
Il aime, c'est M. Lejean qui le rapporte, il
aime à donner audience entouré de quatre
lions favoris, d'aspect aussi farouche., qu'ils
sont débonnaires au fond, malgré des noms
sonores et terribles. Ils frottent leurs tètes
énormes contre les genoux de leur maître,
avec les rugissements les plus câlins du
monde. -
En lions bien élevés,ils vont,au jour de l'au,
faire visite aux dignitaires du lieu sous la
conduite de leur gardien. — Nul besoin d'a- i
Jouter que cette Visite est intéressée.
L'histoire ne dit pas flue Théodore affecte
vis-à-vis de ses lions les sévérités du domp-
teur. Malgré leur excellente éducation, il
serait d'ailleurs peu prudent de surexciter leur
irritabilité nerveuse. Lorsque l'un d'eux, —
q ni. ai me à jouer, — pressait la cuisse de
51..Lejean entre ses pattes, celui-ci attendait
patiemment qu'il lui plût de le lâcher. Le
{norndre geste de résistance eut pu'provoquer
an accident.
Après les lions, ce que l'empereur d'Abys-
sinie préfère comme entourage officiel, ce
tout les petits enfants. Ce tyran sanguinaire,
ce coupeur de mains et de pieds, adore les
gamins/et, lorsque M. Lejean obtint sa pre-
nii,èTd audience, il eut pour tiers dans l'en-
tretien le petit Emile B..., fils d'un armurier
français au service de S. M. Abyssinienne,
qui l'avait fait asseoir à côté d-e lui sur un ta-
pis, avec des précautions de grand'mère.
Théodore affecte beaucoup moins d'égards
pour ses sujets, pour ses grands officiers
mêmes.
Ainsi, ,1\1. Lejean raconte qu'un jour il re-
çut l'ordre d'aller trouver je ne sais plus quel
personnage irfuportant du royaume.
« Va ! dit Théodore, appelle-le âne ! ,,Appelle-
le chien ! »
Triste commission que notre consul es-
quive en s'excusant avec adresse :
— Pour produire leur effet, dételles pa-
roles doivent passer par la bouche d'un offi-
cier de plus haut grade que le mien.
— Tu as raison 1 fit l'empereur et il envoya
le ras (colonel) de service au palais.
Malgré tant- dé férocité, malgré des ridi-
cules si complets, M. Lejean voit en Théodore
un homme remarquable et il le pcouve en
rapportant certains faits qui témoignent d'une
volonté supérieure. ~
Il s'agissait de commencer le réseau de
routes stratégiques qui couvre aujourd'hui
l'Abyssinie. JL'armée murmurait devant le
travail dont elle avait été chargée. Théodore
' descend de cheval, soulève une grosse pierre,
va la poser à la place prescrite, et se relève
en disant :
a Maintenant, celui d'entre vous qui croit
une telle besogne au-dessous de lui peut ve-
i nir me le dire. » or;
Ce qui augmente encore la sympathie de
M. Lejean pour le sort des Abyssin?, c'est,
comme il le dit très-bien, cet exemple unique,
remarquable, d'une nation de près de cinq
millions d'âmes restée seule, libre, agricole,
chrétienne, à sa manière il est vrai, mais en-
fin chrétienne, au milieu de l'Afrique abrutie
et dégénérée./Le type caucasique de cette
race suffirait au besoin pour prouver à l'Eu-
rope qu'elle compte là député bien des siècles
une colonie perdue digne de son intérêt.
La relation, si instructive, de M. Guillaume
Lejean fait, comme je l'ai- dit, toute'Ia force
des détails que je viens de consacrer à la per-
sonnalité si peu connue de Théodore. Mais
l'auteur de cette relation offre lui-même un
type que cette chronique reconnaissante ne
saurait dédaigner de mettre en lumière. -
Au point de vue physique, M. Lejean tient
un peu de l'ascète. Il est petit, grêle, bilieux et
j rien,sa.ns le feu de ses deux yeux noirs,ne tra-
hirait dans ces chétifs dehors Ja ténacité rare
-qui a distingué ses plus aventureuses entre-
prises.
Ce qui ra conduit au point ou il en est au-~
^ l'amour des sciences géogra-
phiques* e est son vif 'désir d'approfondir les
mystères qui obscurcissent encore l'histoire
des races humaines. Rien, au début de sa
vie, ne paraissait propre à favoriser cette vo-
cation..
Il fut d abord secrétaire de la mairie, puis
secrétaire de la préfecture de la petite ville de
Morlaix, où il consacrait une partie de ses
maigres appointements à commencer sa col-
lection de cartes. L'amour de la science ne
ta,rda pas à le conduire à Paris,où commença
pour lui cette série de jouissances intellec-
tuelles et de misères atroces qui éprouvent
tant d'autres héros inconnus sur le grand
champ de bataille-parisien. N'ayant pour sub-
.sister que le produit insignifiant de quelques
travaux de copie, il résolvait le problème de
vivre à quinze francs par mois, — ne man-
geant que du pain-, — buvant aux fontaines,
mais achetant toujours des cartes géogra-
phiques et copiant celles qui étaient trop rares
ou trop chères.
La passion des voyages était la conséquence
naturelle de cette préparation laborieuse.
Comme quelques travaux dans les recueils
périodiques avaient commencé à faire con-
naître son nom, on lui donne des lettres de
recommandation, et il part, léger de bourse,
comme toujours, pour lever les monts Bal-,
kan. A Bucharest, force lui est d'aller confier
ses embarras financiers à un Français, direc-
teur ées hôpitaux de la ville.
« Combien vous faut-il? demande celui-ci,
qui le connaissait et qui l'estimait.
— Une centaine de francs.
— Cent francs pour visiter les monts Bal-
kan ! Vous plaisantez, cher compatriote. Voici
mille francs, et s'ils ne suffisent point, je me
tiens à votre^disposition. »
Sa tournée faite, Lejean vient rembourser
son obligeant prêteur et lui dit :
« Vous aviez raison, cent francs ne pou-
vaieat suffire.
— Je le crois, parbleu, bien. 1
— Oui, répond Lejean..., j'ai dépensé cent j (
quarante-sept francs, D I
«
Ces cent quarante-sept francs peuvent faire
, juger l'homme.
Pour ne dépenser que ceb, il avait, fallu
l ^ impossible, mais .Dotre touriste savait lutter
en maître contre les obstacles.
Ainsi, un batelier lui avait demandé fM fr.
pour passer un lac. Ne voulant, pas'dépenser
cette somme et désefepérant de l'amener à ré-
duction, Lejean se déshabille sans dire mot,
,p!ace ses vêtements empaquetés sur sa tête et
fait le simulacre de se jeter à l'eau.
Le batelier, vaincu, transige.
Son second voyage fut fait au Monténégro
dans les mêmes conditions de bon marché.
Admis au retour'en audience particulière de
l'Empereur, 4^ reçoit vingt mille francs pour
aller, reconnaître les sources du Nil et part lp-
soir même sans autre bagage qtse son habit
noir de cérémonie sur le dos.
Ces subsides ne devaient point lui porter
bonheur.
Il tomba malade, se vit voler huit mille
francs et n'obtint appui de la police égyp-
tienne qu'en déclarant que cet argent était,
non le sien, mais celui du souverain de la
France. ■ <
C'est pendant ce voyage que l'inspecteur
I des pharmacies de la Haute-Egypte lui mon-
1 trait une caisse remplie de thermomètres, en
disant d'un air intrigué :•
a Vous qui êtes un savant, expliquez-moi
d'onc l'usage de ces petites choses-là. je -
Sa nomination-de consul français en Abys.
sinie devait faire courir à M. Lejean des ris-
ques d'un nouveau genre.
Dès son entrée dans le pays, la méfiance
des hommes auxquels il allait avoir affaire lui
était apparue sous un jour caractéristique.
N'ayant pas d'autorisation spéciale pour passer
fa frontière, il s'était vu consigné jusqu'à plus
ample informé du gouverneur de la pro-
vince. -
Ce gouverneur, M. Lejean prend le parti
d'aller le visiter. Il le trouve installé dans un
château-fort pittoresque, sur un petit plateau
plongeant de huit cents pieds sur les pays
environnants, et ne communiquant qu'avec
le rocher le plus voisin, au moyen d'un sen-
tier ou plutôt d'une arête vertigineuse, sur
laquelle deux hommes ne peuvent passer de
front. #
ROCAMBOLE
mess=""N° 72 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
VI
î&hr.irn étant la station de police la plus
éioi:;nÓt'. il était naturel qu'au greffe on cofii-
nioiirji par les prisonniers qui en arrivaient,
puisque J était parr elle qu'avait commencé la
voiture cellulaire. -
\dir..le ûuaaéro du 8 QQvarabra, .
Le policeman aux favoris roux poussa donc
le petit Irlandais dans le greffe.
'Le chef prit le registre, qu'il ouvrit', et fit les
questions d'usage.
Le policeman répondit en donnant le nom de
Ralph, son âge, et en exhibant une copie.par
minute du jugement, rendu par l'honorable
M. Booth.
Le greffier en chef inscrivait tout cela sur le
.livre - d'écrou avec une indifférence parfaite ;
puis il releva les besicles qu'il avait sur le nez,
regarda, sans leur secours, le policeman :
— Ah! dit-il. Si je ne me trompe, c'est une
nouvelle figure?
" — En effet,répondit le policeman avec calme,
c'est la première fois que je prends- ce service,
Votre Honneur.
L'appellation de Votre Honneur flatta le gref-
fier. -
C'était un petit homme entre deux âges, qui
avait commencé par être simple commis, et ami
depuis vingt ans n'avait pas plus quitté Bath
square qu'un colimaçon ne quitte sa carapace.
Si on l'eût transporté, les yeux bandés, au
milieu de Londres, il s'y fut inévitablement
perdu. -
. Il n'y avait pour lui que - deux espèces
d'hommes : des prisonniers et des gens qui
veillaient sur eux.
Le policeman qui accompagne une voiture
cellulaire et mène les prisonniers à l'écrou est
un brigadier de policemen.
Ce service est trop délicat pour qu'on le con-
fie au premier venu, et généralement de pareilles
fonctions sont remplies par les mêmes individus
pendant de longues années.
-
Le greffier en chef regarda - de nouveau
l'homme aux favoris roux et lui dit :
— En effet, c'est la première fois que j'ai
l'honneur de vous voir, gentleman.
- Une politesse en vaut une autre : le police-
man avait appelé le greffier : Votre Honneur;
le greffier lui accordait la titre courtois de gent-
leman.
,— Sternton est donc malade? reprit-il.
, ' Sternton était le policeman-chef qui faisait
ordinairement le service.-
— Oui, Votre Honneur.
— Et on vous a donné ses fonctions ?
En disant cela, le greffier regardait plus
attentivement encore l'homme aux favoris
roux. - -
— Je vois ce que c'est, répondit celui-ci ;
vous me trouvez peut-être un peu jeune, et
puis vous ne m'avez jamais vu... cela n'a rien
d'étonnant, j'ai été appelé de province à Londres
. il y a deux iours seulement.
— Ah! vous étiez dans la police de pro-
vince ? ' ' .
— Oui, Votre Honneur.
— Où cela?
— J'étais brigadier à Manchester, où je faisais
' également lé service des prisons.
—r Fort bien, dit le greffier.
Et comme sa curiosité était satisfaite, il dit :
— Passons à un autre.
— Pardon, Votre Honneur,dit encore le poli-
-ceman, mais j'ai un mot à vous dire de la pari
de M. Booth; le magistrat de police de Kil-
, burn.
— Ah! ah !
— Cet enfant, ce petit voleur que vous voy:a
là, est blessé.
— Où cela?
— A l'épaule. M. Booth, tov.t on le -condam-
nant, a exprimé le désir qu'il ne fut mis au mo i.
lin qu'après sa guérison, ce qu4 est une aCa¡"" .
de quelques jours.
— Cela ne me regarde pas, dit le greffier ;
mais le gardien chef qui va venir transmettra^ le
désir de M. Booth au directeur.
Le policeuJan s'inclina.
La salle du greffe était divisée en .deux par
une sorte de murage en bois qui montait à hau-
teur d'appui. Tant que le priso. nier c'était pas
inscrit sur le registre d'écrou. il dr.ueurait de
JOURNAL QUOTIDIEN .
& cent. le numéro
- S cefit, le Bamép: ,
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un ID.
- Paris • ;m fr. 9 fr. 118 fr.
Départements,. a 11 3©
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. — LUNDI 20 JANVIER 1868. —W» 611
Directeur-Proprié taire : JANNIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALATHIER BHAGELONN.H.
BUREAUX D'ABONNEMENT : P, rue OPOUOT ' '
ADMINISTRATION : 13, place Brada.
PARIS, 19 JANVIER 1868.
L'EPÉDITION ANGLAISE
EN ABYSSINNE
II
L'empereur théodore
et M. Guillaume Lejean.
J'ai dit hier que Théodore savait parler à
son peuple, j'ajouterai qu'il ne néglige rien
df! ce qui peut en imposer.
Il aime, c'est M. Lejean qui le rapporte, il
aime à donner audience entouré de quatre
lions favoris, d'aspect aussi farouche., qu'ils
sont débonnaires au fond, malgré des noms
sonores et terribles. Ils frottent leurs tètes
énormes contre les genoux de leur maître,
avec les rugissements les plus câlins du
monde. -
En lions bien élevés,ils vont,au jour de l'au,
faire visite aux dignitaires du lieu sous la
conduite de leur gardien. — Nul besoin d'a- i
Jouter que cette Visite est intéressée.
L'histoire ne dit pas flue Théodore affecte
vis-à-vis de ses lions les sévérités du domp-
teur. Malgré leur excellente éducation, il
serait d'ailleurs peu prudent de surexciter leur
irritabilité nerveuse. Lorsque l'un d'eux, —
q ni. ai me à jouer, — pressait la cuisse de
51..Lejean entre ses pattes, celui-ci attendait
patiemment qu'il lui plût de le lâcher. Le
{norndre geste de résistance eut pu'provoquer
an accident.
Après les lions, ce que l'empereur d'Abys-
sinie préfère comme entourage officiel, ce
tout les petits enfants. Ce tyran sanguinaire,
ce coupeur de mains et de pieds, adore les
gamins/et, lorsque M. Lejean obtint sa pre-
nii,èTd audience, il eut pour tiers dans l'en-
tretien le petit Emile B..., fils d'un armurier
français au service de S. M. Abyssinienne,
qui l'avait fait asseoir à côté d-e lui sur un ta-
pis, avec des précautions de grand'mère.
Théodore affecte beaucoup moins d'égards
pour ses sujets, pour ses grands officiers
mêmes.
Ainsi, ,1\1. Lejean raconte qu'un jour il re-
çut l'ordre d'aller trouver je ne sais plus quel
personnage irfuportant du royaume.
« Va ! dit Théodore, appelle-le âne ! ,,Appelle-
le chien ! »
Triste commission que notre consul es-
quive en s'excusant avec adresse :
— Pour produire leur effet, dételles pa-
roles doivent passer par la bouche d'un offi-
cier de plus haut grade que le mien.
— Tu as raison 1 fit l'empereur et il envoya
le ras (colonel) de service au palais.
Malgré tant- dé férocité, malgré des ridi-
cules si complets, M. Lejean voit en Théodore
un homme remarquable et il le pcouve en
rapportant certains faits qui témoignent d'une
volonté supérieure. ~
Il s'agissait de commencer le réseau de
routes stratégiques qui couvre aujourd'hui
l'Abyssinie. JL'armée murmurait devant le
travail dont elle avait été chargée. Théodore
' descend de cheval, soulève une grosse pierre,
va la poser à la place prescrite, et se relève
en disant :
a Maintenant, celui d'entre vous qui croit
une telle besogne au-dessous de lui peut ve-
i nir me le dire. » or;
Ce qui augmente encore la sympathie de
M. Lejean pour le sort des Abyssin?, c'est,
comme il le dit très-bien, cet exemple unique,
remarquable, d'une nation de près de cinq
millions d'âmes restée seule, libre, agricole,
chrétienne, à sa manière il est vrai, mais en-
fin chrétienne, au milieu de l'Afrique abrutie
et dégénérée./Le type caucasique de cette
race suffirait au besoin pour prouver à l'Eu-
rope qu'elle compte là député bien des siècles
une colonie perdue digne de son intérêt.
La relation, si instructive, de M. Guillaume
Lejean fait, comme je l'ai- dit, toute'Ia force
des détails que je viens de consacrer à la per-
sonnalité si peu connue de Théodore. Mais
l'auteur de cette relation offre lui-même un
type que cette chronique reconnaissante ne
saurait dédaigner de mettre en lumière. -
Au point de vue physique, M. Lejean tient
un peu de l'ascète. Il est petit, grêle, bilieux et
j rien,sa.ns le feu de ses deux yeux noirs,ne tra-
hirait dans ces chétifs dehors Ja ténacité rare
-qui a distingué ses plus aventureuses entre-
prises.
Ce qui ra conduit au point ou il en est au-~
^ l'amour des sciences géogra-
phiques* e est son vif 'désir d'approfondir les
mystères qui obscurcissent encore l'histoire
des races humaines. Rien, au début de sa
vie, ne paraissait propre à favoriser cette vo-
cation..
Il fut d abord secrétaire de la mairie, puis
secrétaire de la préfecture de la petite ville de
Morlaix, où il consacrait une partie de ses
maigres appointements à commencer sa col-
lection de cartes. L'amour de la science ne
ta,rda pas à le conduire à Paris,où commença
pour lui cette série de jouissances intellec-
tuelles et de misères atroces qui éprouvent
tant d'autres héros inconnus sur le grand
champ de bataille-parisien. N'ayant pour sub-
.sister que le produit insignifiant de quelques
travaux de copie, il résolvait le problème de
vivre à quinze francs par mois, — ne man-
geant que du pain-, — buvant aux fontaines,
mais achetant toujours des cartes géogra-
phiques et copiant celles qui étaient trop rares
ou trop chères.
La passion des voyages était la conséquence
naturelle de cette préparation laborieuse.
Comme quelques travaux dans les recueils
périodiques avaient commencé à faire con-
naître son nom, on lui donne des lettres de
recommandation, et il part, léger de bourse,
comme toujours, pour lever les monts Bal-,
kan. A Bucharest, force lui est d'aller confier
ses embarras financiers à un Français, direc-
teur ées hôpitaux de la ville.
« Combien vous faut-il? demande celui-ci,
qui le connaissait et qui l'estimait.
— Une centaine de francs.
— Cent francs pour visiter les monts Bal-
kan ! Vous plaisantez, cher compatriote. Voici
mille francs, et s'ils ne suffisent point, je me
tiens à votre^disposition. »
Sa tournée faite, Lejean vient rembourser
son obligeant prêteur et lui dit :
« Vous aviez raison, cent francs ne pou-
vaieat suffire.
— Je le crois, parbleu, bien. 1
— Oui, répond Lejean..., j'ai dépensé cent j (
quarante-sept francs, D I
«
Ces cent quarante-sept francs peuvent faire
, juger l'homme.
Pour ne dépenser que ceb, il avait, fallu
l ^ impossible, mais .Dotre touriste savait lutter
en maître contre les obstacles.
Ainsi, un batelier lui avait demandé fM fr.
pour passer un lac. Ne voulant, pas'dépenser
cette somme et désefepérant de l'amener à ré-
duction, Lejean se déshabille sans dire mot,
,p!ace ses vêtements empaquetés sur sa tête et
fait le simulacre de se jeter à l'eau.
Le batelier, vaincu, transige.
Son second voyage fut fait au Monténégro
dans les mêmes conditions de bon marché.
Admis au retour'en audience particulière de
l'Empereur, 4^ reçoit vingt mille francs pour
aller, reconnaître les sources du Nil et part lp-
soir même sans autre bagage qtse son habit
noir de cérémonie sur le dos.
Ces subsides ne devaient point lui porter
bonheur.
Il tomba malade, se vit voler huit mille
francs et n'obtint appui de la police égyp-
tienne qu'en déclarant que cet argent était,
non le sien, mais celui du souverain de la
France. ■ <
C'est pendant ce voyage que l'inspecteur
I des pharmacies de la Haute-Egypte lui mon-
1 trait une caisse remplie de thermomètres, en
disant d'un air intrigué :•
a Vous qui êtes un savant, expliquez-moi
d'onc l'usage de ces petites choses-là. je -
Sa nomination-de consul français en Abys.
sinie devait faire courir à M. Lejean des ris-
ques d'un nouveau genre.
Dès son entrée dans le pays, la méfiance
des hommes auxquels il allait avoir affaire lui
était apparue sous un jour caractéristique.
N'ayant pas d'autorisation spéciale pour passer
fa frontière, il s'était vu consigné jusqu'à plus
ample informé du gouverneur de la pro-
vince. -
Ce gouverneur, M. Lejean prend le parti
d'aller le visiter. Il le trouve installé dans un
château-fort pittoresque, sur un petit plateau
plongeant de huit cents pieds sur les pays
environnants, et ne communiquant qu'avec
le rocher le plus voisin, au moyen d'un sen-
tier ou plutôt d'une arête vertigineuse, sur
laquelle deux hommes ne peuvent passer de
front. #
ROCAMBOLE
mess=""N° 72 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
VI
î&hr.irn étant la station de police la plus
éioi:;nÓt'. il était naturel qu'au greffe on cofii-
nioiirji par les prisonniers qui en arrivaient,
puisque J était parr elle qu'avait commencé la
voiture cellulaire. -
\dir..le ûuaaéro du 8 QQvarabra, .
Le policeman aux favoris roux poussa donc
le petit Irlandais dans le greffe.
'Le chef prit le registre, qu'il ouvrit', et fit les
questions d'usage.
Le policeman répondit en donnant le nom de
Ralph, son âge, et en exhibant une copie.par
minute du jugement, rendu par l'honorable
M. Booth.
Le greffier en chef inscrivait tout cela sur le
.livre - d'écrou avec une indifférence parfaite ;
puis il releva les besicles qu'il avait sur le nez,
regarda, sans leur secours, le policeman :
— Ah! dit-il. Si je ne me trompe, c'est une
nouvelle figure?
" — En effet,répondit le policeman avec calme,
c'est la première fois que je prends- ce service,
Votre Honneur.
L'appellation de Votre Honneur flatta le gref-
fier. -
C'était un petit homme entre deux âges, qui
avait commencé par être simple commis, et ami
depuis vingt ans n'avait pas plus quitté Bath
square qu'un colimaçon ne quitte sa carapace.
Si on l'eût transporté, les yeux bandés, au
milieu de Londres, il s'y fut inévitablement
perdu. -
. Il n'y avait pour lui que - deux espèces
d'hommes : des prisonniers et des gens qui
veillaient sur eux.
Le policeman qui accompagne une voiture
cellulaire et mène les prisonniers à l'écrou est
un brigadier de policemen.
Ce service est trop délicat pour qu'on le con-
fie au premier venu, et généralement de pareilles
fonctions sont remplies par les mêmes individus
pendant de longues années.
-
Le greffier en chef regarda - de nouveau
l'homme aux favoris roux et lui dit :
— En effet, c'est la première fois que j'ai
l'honneur de vous voir, gentleman.
- Une politesse en vaut une autre : le police-
man avait appelé le greffier : Votre Honneur;
le greffier lui accordait la titre courtois de gent-
leman.
,— Sternton est donc malade? reprit-il.
, ' Sternton était le policeman-chef qui faisait
ordinairement le service.-
— Oui, Votre Honneur.
— Et on vous a donné ses fonctions ?
En disant cela, le greffier regardait plus
attentivement encore l'homme aux favoris
roux. - -
— Je vois ce que c'est, répondit celui-ci ;
vous me trouvez peut-être un peu jeune, et
puis vous ne m'avez jamais vu... cela n'a rien
d'étonnant, j'ai été appelé de province à Londres
. il y a deux iours seulement.
— Ah! vous étiez dans la police de pro-
vince ? ' ' .
— Oui, Votre Honneur.
— Où cela?
— J'étais brigadier à Manchester, où je faisais
' également lé service des prisons.
—r Fort bien, dit le greffier.
Et comme sa curiosité était satisfaite, il dit :
— Passons à un autre.
— Pardon, Votre Honneur,dit encore le poli-
-ceman, mais j'ai un mot à vous dire de la pari
de M. Booth; le magistrat de police de Kil-
, burn.
— Ah! ah !
— Cet enfant, ce petit voleur que vous voy:a
là, est blessé.
— Où cela?
— A l'épaule. M. Booth, tov.t on le -condam-
nant, a exprimé le désir qu'il ne fut mis au mo i.
lin qu'après sa guérison, ce qu4 est une aCa¡"" .
de quelques jours.
— Cela ne me regarde pas, dit le greffier ;
mais le gardien chef qui va venir transmettra^ le
désir de M. Booth au directeur.
Le policeuJan s'inclina.
La salle du greffe était divisée en .deux par
une sorte de murage en bois qui montait à hau-
teur d'appui. Tant que le priso. nier c'était pas
inscrit sur le registre d'écrou. il dr.ueurait de
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