Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-01-19
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 19 janvier 1868 19 janvier 1868
Description : 1868/01/19 (A3,N640). 1868/01/19 (A3,N640).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717642b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
a cent. le numéro
5 cent., le oum6r8
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. Un an.
Paris S Cr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 t 1 en
Administrateur : E. DELSAUX.
I •
< ' •:
aIDe année. — DIMANCHE 19 JANVUtR 3868, — N' 6i0
i . • ■. - • - -
Directeur-Propriétaire : JANNW*.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
.. BURlA UX D'ABON NSHÏNT : 9. RNE DRONOT. ~
ADMINISTRATION : 13. û!ace Breda. * « ,
PARIS, 18 JANVIER 1868.
L'EXPÉDITION ANGLAISE
EN ABYSSINE I
Le roi Théodore
Grâce à l'expédition anglaise, l'empereur
Théodore est toujours un dts lions du jour.
Je me sers 3fu mot lion, — qui paraîtra
sans doute passé de mode aux amatéurs de
néologisme, — parce qu'il est ici doublement
à sa place. Chez lui, dans sa capitale, à Gon-
dar, Théodore se prétend bien !icn, et il prend
pour lui toute allusion léonine.— Rien du
boulevard des Italiens.
Le fait qu'on va lire, — fait parfaitement
authentique, — en peut donner une idée.
Un jour, on croit faire grand plaisir au
souverain de l'Abyssinie en lui offrant un
tapis français, un de ces tapis-moquette re-
présentant le fameux tireur Jules Gérard,
couchant en joue un lion.
Théodore fronce le sourcil en s'écriant : '
« On me croit donc bien naïf en prétendant
ne faire agréer un tel don ! Cette image est
les plus offensantés....
Et comme on se récriait : ; '
— Eh ! sur qui donc tire cet infidèle, ce
Turc à tarbouch (Gérard portait la calotte des
chasseurs d'Afrique), sur qui fait-il feu, sinon
sur moi, qui suis le lion de l'Ethiopie!
On se tut et on cacha ap plus vite le tapis
séditieux, car il est dangereux d'être suspect
i l'empereur Théodore. j
'l
4 ^ I
Il est à Paris .uu homme, le seul sans
Joute, qui sait à quoi s'en tenir là-dessus.
Je veux parler de M. Guillaume Lejean, le
courageux voyageur, le savant intrépide. Il a.
franchi les mont; Ethiopiens, il a vu de très-
près l'homme qui a osé rompre en visière à
la plus orgueilleuse nation du monde, il a
même été mis aux fers puses ordres, et par
bonheur il a pu revenir sàihtt sauf. De telles
aventures réclamaient comme un droit les
honneurs de la publicité. Aussi la Revue des
deux Mondes s'est-elle empressée d'accueillir
leSMmpressions de voyage de M. Lejean, et,
pendant les trois apnées qui se sont écoulées
depuis, je ne pense pas qu'on ait vu paraître
rien de plus instructif sur une question qui
intéresse aujourd'hui l'Europe.
Nous laisserons de côté le point de vue in-
ternational que M. Lejean traite en connais-
sance de cause, et nous arrivons à l'homme.
\ «Théodore ne ressemble en rien à ce croque-
mitaine dont un petit journal offrait dernière-
ment la charge, — car la caricature elle-
même lui a payé tribut! — M. Lejean a vu
en lui un personnage de stature moyenne, à
la figure intelligente, à l'œil vif, au port im-
posant et sympathique à la fois. Nul ne sait
mieux parler au peuple. » j
On voit que l'ancien prisonnier de Théo- j
dore est sans rancune. !
Sa simplicité militaire est celle de plus
d'un fondateur d'empire. Il porte le pantalon
et la casaque du soldat, qu'il recouvre d'une
toge brodée, dans les grandes occasions seu-
lement; un sabre et une paire' de pistolets
passés dans la ceinture constituent ses seuls
insignes. A cheval, il conserve à ses côtés une
petité rondache noire pareille à celle de ses
soldats, laissant à un page le soin de porter
derrière lui- le bouclier impérial, couvert de
velours bleu fleurdelisé d'or.
En dehors de cette marque de souveraineté,
l'Abyssinie a plus d'un point de ressemblance
avec l'ancienne France. Son climat rappelle
les douceurs tempérées de celui de notre
Touraine. Sa religion est la religion chré-
tienne, catholique même, bien que fort défi-
gurée depuis longtemps par des pratiques
orientales. Quant à sa constitution, elle offre
également des préfets, des maires, des muni-
ci palités assez, indépendantes, et des grands
"fêissaux assez' remuants, vis-à-vis desquels
Théodore suit à sa manière la tradition du
cardinal de Richelieu, avec cette diflérence
qu'il coupe, je ne dirai pas beaucoup plus de
tètes, mais beaucoup plus de pieds. et de
mains.
Couper le pied et ta main est en effet son '
châtiment'préféré. La mort n'en est que plus
cruelle, car les malheureux ainsi mutilés res-
tent sans secours, en proie aux tourments de
la soif, jusqu'à ce que mort s'en suive.
Des deux fils de Théodore, l'un paraît fort
enclin à imiter ses cruautés. Chargé de plu-
sieurs exécutions sanglantes dans des pro-
vinces lointaines, il imagina de prouver son 1
I , ; -
zèle en expédiant à la cour des corbeilles, rem-
plies d'yèbx arrachés...
Un aijtre divertissement inventé par ce
jeune rmihstre est de mettre le feu à une car-
touche fourrée dans l'oreille du patient.
Il paraît que ce m oyen mérite,td'être recom-
mandé à ter là cervelle à moitié.
Le père de ce tigre n'a pas conservé le 1
droit d/luî faire beaucoup de morale, cap-
souvent il lui est arrivé de faire massacrer et
mutiler des milliers de prisonniers à la fois.
Et cependant, qui le croirait? il a ses heures
dejustice. •
Au defcut de son règne, lorsqu'il voulut
nettoyertles états des bandits qui désolaient
les rout^, — c'était en août 1855 — il or-
donna qlae tout soldat déposât les armés pour
retourn# à la profession de ses pères.
Ce décret rencontra quelque opposition.
Un Fra-Diavo!o du pays vint avec ses
hommes' protester sous la tente même de son
empereur. Il déclara, non sans une certaine
ironie, Qu'ils étaient tùus prêts à marcher sur
les briséjes paternelles, et que, précisément
pour cette cause, ils ne déposaient pas leurs
lances.
« Quel est donc votre état? demanda
Théodore.
— Valeur de père en fils.
— Cioyez-moi, reprit le monarque, l'agri-
culture vaut mieux pour vous. »
Et tireur promet bonnes terres, bœufs et
charrues. Mais la promesse ne séduit point
nos bandits, que Théodore juge prudent de
cenris autre "observation, caries pé-
titionnaires étaient armés jusqu'aux dents.
Ajoutons, pour les amateurs de morale,
qu'une fois en route, il les fit rejoindre et
tailler en pièces par un corps de cavalerie.
Sa haute cour de justice poussait la véna- !
lité jusqu'à l'impudence. Un juge, ayant ac-
cepté de deux plaideurs un pot de miel et une
mule, n'avait pas rougi de donner gain de
cause à celui qui avait donné la mule ; et il
avait fait à l'homme qui réclamait son pot de
miel cette réponse pleine d'à-propos :
« Que veux-tu, mon ami, ton pot de miel
a reçu un coup de pied de mule. »
——-W '
,
Théodore n'eut pas besoin d'entrer tout.
botté dans ce parlement pour le dissoudre, il,
fit plus encore que Louis XIV, il rendit la jus-^
tÍce lui-même, composant à lui seul sa cour .
d'appel et sa cour de cassation.
#
Rien de plus original: ^ue lït fàçon dont il
s'y prit pour mettre ses magistrats à la porte.
Feignant de les consulter sur l'interprétation
d'un texte" de loi, il les rassembla tous en de-
mandant leur avis.
— Mais, la loi, c'est vous, puissant monar-
que, imagina de dire un flatteur, —^peut-être :
un compère. :
Théodore prit la balle au bond et déclara '
que puisque de leur avis il représentait la loi,
son bon plaisir était désormais de se priver-
de leur concours.
Ainsi fit-il.
m
M. Lejean l'a vu écoutant les plaidoiries .
et rendant des arrêts qui en valaient bien
d'autres.
Un maire (tcheka) de village avait traité de '
donkoro (imbécile) l'un de ses administrés.
Le code de la politesse, qui est très-sévère en
Abyssinie, donnait à l'injurii le droit de
poursuivre.
« Tu payeras l'amende, dit Théodore à son
tcheka, il ne doit pas y avoir un seul donkoro
dans mes Etats.
Une autre fois, il s'agissait d'un soldat qui
avait assassiné deux marchands.
Pourquoi les as-tu tués? fait l'empo-
reur.
— J'avais faim.
— Mais ne pouvais-tu leur prendre seule-
ment ce qu'il te fallait pour manger?
-- Non, car ils se seraient défendus.
Pour trancher la discussion, Théodore or-
donne alors qu'on coupe les mains du meur-
trier et qu'on les place sur un plat devant lui,
Puis, il conclut en ces termes :
— Ah! tu avais faim? Eh bien ! mange !
Cette justice à la turque produisit son effet
et l'Abyssinie fut tranquille. Théodore poussa
même plus loin l'esprit d'ordre ; il proscrivit
ROCAMBOLE
mess=""N° 71
LES MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
V
Maintenant reportons-nous au moment où
Ralph, le petit Irlandais, cet enfant sur la tête
de qui, disait-on, reposait l'espoir de l'Irlande,
' était entré à Cold-bath-fields.
A Londres, tomme à Paris, le transport des
prisonniers se fait en voiture cellulaire,
\r©jr le numéro du. S novembre»,
Chaque jour une sorte d'omnibus à fenêtres
grillées et prenant le jour par en haut fait le tour
des cours de police et y prend les prisonniers,
pour laisser les unt à Both square, les autres à
Mil baak, ou à Clarcken-welcl, et ce qui est plus
grave à Newgate.
Après sa condamnation, Ralph n'aYait vu,
n'avait entendu, n'avait compris que trois cho-
ses :
D'abord que sa mère tombait à demi-morte
e a jetant un cri ;
Ensuite qu'on allait le séparer d'elle de nou-
veau ;
Enfin que quelque chose d'épouvantable l'at-
tendait, puisque, au mépris du respect de à la
justice en général et à M. Booth en particulier,
la foule qui se trouvait dans le prétoire avait-
murmuré hautement.
Cependant Ralph ne poussa pas un cri, ne
versa pas une larme.
L'héréïque enfant, les mains étendues vers sa
mère qu'un homme emmenait et qui lui jeta un
regard mourant, se laissa entraîner hors du pré-
toire par deux policemen qui le reconduisirent
dans son cachot.
ri Sur son passage, il trouva Katt toute en lar-
mes qui le prit dans ses bras avec effusion et t'y
nrassa. longtemps.,
i
A
Ce ne fut que lorsqu il se retrouva seul que
Ralph sentit ses nerfs se détendre et qu'il se
mit à fondre en larmes.
Puis une sorte de prostration morale et phy-
sique s'empara de lui, et il tomba épuisé sur la
paille de son cachot, où il s'endormit, peu après,
de ce sommeil profond qu'amène le désespoir
arrivé à sa limite suprême.
Quand le bruit 4^1a porte qui l'en
arracha, plnsieui^lf hèffcs s'étaient é^ouf^^
Ralph avait d^nii,Jfalph avait
Son rêve l'-aySf^^nsporté dans c^tç: Erin, sa patrie,' pour laquelle il.était <£éjà mar-
tvr.
i A avait retrouve sa pauvre chaumière, et sa
^êrî$ qui lui souriait, et le vieil Irlandais, pê-
cheur de morue, son aïeul, qui lui enseignait à
P'prier Dieu.
Tout le reste s'était évanoui comme un cau-
chemar.
Hélas! Ralph fut bientôt rendu au sentiment
de la réalité.
Les deux policemen -qui faisaient le service
de la cour de police de Kilburn se représentaient
à ses yeux d^ nouveau et, cette fois, l'un d'eux.
lui disait : #
— Allons, lève-toi, et suis-nous.
Ralph obéit sans mot dire.
Maintenant qu'on l'avais séparé de sa mère.
- .f" : '
que lui importait d'être en prison là où ail-
leurs?
On lui fit remonter les marches de cet esca-
lier tortueux et sombre qne le prétendu lord
Cornhill avait rempli la veille de ses exclama-
tions d'étonnement et d'admiration.
L'enfint eut un. dernier espoir, celui de ren-
contrer miss Katt, une dernière fois.
Mais M. Booth s'était laissé aller, par ex.
traordinaire, àgronder sa fillé, à l'issue de l'au-
dience, trouvant inconvenant qn'une personne
décente et bien élevée comme elle s'apitoyât
ainsi sur le bort d'un petit vagabond que la loi
venait2e frappe;.
• Mi était allée s'enfermer dans sa cham-
bre et yjpiginrer tout à son aise.
Com'r^et.Ralph traversait un des corridors, iL
rencontra Tobby, le secrétaire de M. Booth.
Tobby, pour plaire sans doute à miss Katt, ou
plutôt, par les ordres de cette dernière, lui jeta.
un plaid sur les épaules.
La nuit était venue, une bise aigre et fooide
se dégageait du brouillard que perçait la lueur
des deux fanaux de la voiture cellulaire.
- La libre Angleterre fait voyager ses prison- .
niers la nuit, autant qu'elle le peut.
Il est inutile de dire à un peuple qui se croit
le plus libre du monde qu'il y a chez lui du.
prisons, dsa bourreaux et "des z~e~llem
JOURNAL QUOTIDIEN
a cent. le numéro
5 cent., le oum6r8
ABONNEMENTS. — Trois mois. six mois. Un an.
Paris S Cr. 9 fr. 18 fr.
Départements.. 8 t 1 en
Administrateur : E. DELSAUX.
I •
< ' •:
aIDe année. — DIMANCHE 19 JANVUtR 3868, — N' 6i0
i . • ■. - • - -
Directeur-Propriétaire : JANNW*.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
.. BURlA UX D'ABON NSHÏNT : 9. RNE DRONOT. ~
ADMINISTRATION : 13. û!ace Breda. * « ,
PARIS, 18 JANVIER 1868.
L'EXPÉDITION ANGLAISE
EN ABYSSINE I
Le roi Théodore
Grâce à l'expédition anglaise, l'empereur
Théodore est toujours un dts lions du jour.
Je me sers 3fu mot lion, — qui paraîtra
sans doute passé de mode aux amatéurs de
néologisme, — parce qu'il est ici doublement
à sa place. Chez lui, dans sa capitale, à Gon-
dar, Théodore se prétend bien !icn, et il prend
pour lui toute allusion léonine.— Rien du
boulevard des Italiens.
Le fait qu'on va lire, — fait parfaitement
authentique, — en peut donner une idée.
Un jour, on croit faire grand plaisir au
souverain de l'Abyssinie en lui offrant un
tapis français, un de ces tapis-moquette re-
présentant le fameux tireur Jules Gérard,
couchant en joue un lion.
Théodore fronce le sourcil en s'écriant : '
« On me croit donc bien naïf en prétendant
ne faire agréer un tel don ! Cette image est
les plus offensantés....
Et comme on se récriait : ; '
— Eh ! sur qui donc tire cet infidèle, ce
Turc à tarbouch (Gérard portait la calotte des
chasseurs d'Afrique), sur qui fait-il feu, sinon
sur moi, qui suis le lion de l'Ethiopie!
On se tut et on cacha ap plus vite le tapis
séditieux, car il est dangereux d'être suspect
i l'empereur Théodore. j
'l
4 ^ I
Il est à Paris .uu homme, le seul sans
Joute, qui sait à quoi s'en tenir là-dessus.
Je veux parler de M. Guillaume Lejean, le
courageux voyageur, le savant intrépide. Il a.
franchi les mont; Ethiopiens, il a vu de très-
près l'homme qui a osé rompre en visière à
la plus orgueilleuse nation du monde, il a
même été mis aux fers puses ordres, et par
bonheur il a pu revenir sàihtt sauf. De telles
aventures réclamaient comme un droit les
honneurs de la publicité. Aussi la Revue des
deux Mondes s'est-elle empressée d'accueillir
leSMmpressions de voyage de M. Lejean, et,
pendant les trois apnées qui se sont écoulées
depuis, je ne pense pas qu'on ait vu paraître
rien de plus instructif sur une question qui
intéresse aujourd'hui l'Europe.
Nous laisserons de côté le point de vue in-
ternational que M. Lejean traite en connais-
sance de cause, et nous arrivons à l'homme.
\ «Théodore ne ressemble en rien à ce croque-
mitaine dont un petit journal offrait dernière-
ment la charge, — car la caricature elle-
même lui a payé tribut! — M. Lejean a vu
en lui un personnage de stature moyenne, à
la figure intelligente, à l'œil vif, au port im-
posant et sympathique à la fois. Nul ne sait
mieux parler au peuple. » j
On voit que l'ancien prisonnier de Théo- j
dore est sans rancune. !
Sa simplicité militaire est celle de plus
d'un fondateur d'empire. Il porte le pantalon
et la casaque du soldat, qu'il recouvre d'une
toge brodée, dans les grandes occasions seu-
lement; un sabre et une paire' de pistolets
passés dans la ceinture constituent ses seuls
insignes. A cheval, il conserve à ses côtés une
petité rondache noire pareille à celle de ses
soldats, laissant à un page le soin de porter
derrière lui- le bouclier impérial, couvert de
velours bleu fleurdelisé d'or.
En dehors de cette marque de souveraineté,
l'Abyssinie a plus d'un point de ressemblance
avec l'ancienne France. Son climat rappelle
les douceurs tempérées de celui de notre
Touraine. Sa religion est la religion chré-
tienne, catholique même, bien que fort défi-
gurée depuis longtemps par des pratiques
orientales. Quant à sa constitution, elle offre
également des préfets, des maires, des muni-
ci palités assez, indépendantes, et des grands
"fêissaux assez' remuants, vis-à-vis desquels
Théodore suit à sa manière la tradition du
cardinal de Richelieu, avec cette diflérence
qu'il coupe, je ne dirai pas beaucoup plus de
tètes, mais beaucoup plus de pieds. et de
mains.
Couper le pied et ta main est en effet son '
châtiment'préféré. La mort n'en est que plus
cruelle, car les malheureux ainsi mutilés res-
tent sans secours, en proie aux tourments de
la soif, jusqu'à ce que mort s'en suive.
Des deux fils de Théodore, l'un paraît fort
enclin à imiter ses cruautés. Chargé de plu-
sieurs exécutions sanglantes dans des pro-
vinces lointaines, il imagina de prouver son 1
I , ; -
zèle en expédiant à la cour des corbeilles, rem-
plies d'yèbx arrachés...
Un aijtre divertissement inventé par ce
jeune rmihstre est de mettre le feu à une car-
touche fourrée dans l'oreille du patient.
Il paraît que ce m oyen mérite,td'être recom-
mandé à
Le père de ce tigre n'a pas conservé le 1
droit d/luî faire beaucoup de morale, cap-
souvent il lui est arrivé de faire massacrer et
mutiler des milliers de prisonniers à la fois.
Et cependant, qui le croirait? il a ses heures
dejustice. •
Au defcut de son règne, lorsqu'il voulut
nettoyertles états des bandits qui désolaient
les rout^, — c'était en août 1855 — il or-
donna qlae tout soldat déposât les armés pour
retourn# à la profession de ses pères.
Ce décret rencontra quelque opposition.
Un Fra-Diavo!o du pays vint avec ses
hommes' protester sous la tente même de son
empereur. Il déclara, non sans une certaine
ironie, Qu'ils étaient tùus prêts à marcher sur
les briséjes paternelles, et que, précisément
pour cette cause, ils ne déposaient pas leurs
lances.
« Quel est donc votre état? demanda
Théodore.
— Valeur de père en fils.
— Cioyez-moi, reprit le monarque, l'agri-
culture vaut mieux pour vous. »
Et tireur promet bonnes terres, bœufs et
charrues. Mais la promesse ne séduit point
nos bandits, que Théodore juge prudent de
cenris autre "observation, caries pé-
titionnaires étaient armés jusqu'aux dents.
Ajoutons, pour les amateurs de morale,
qu'une fois en route, il les fit rejoindre et
tailler en pièces par un corps de cavalerie.
Sa haute cour de justice poussait la véna- !
lité jusqu'à l'impudence. Un juge, ayant ac-
cepté de deux plaideurs un pot de miel et une
mule, n'avait pas rougi de donner gain de
cause à celui qui avait donné la mule ; et il
avait fait à l'homme qui réclamait son pot de
miel cette réponse pleine d'à-propos :
« Que veux-tu, mon ami, ton pot de miel
a reçu un coup de pied de mule. »
——-W '
,
Théodore n'eut pas besoin d'entrer tout.
botté dans ce parlement pour le dissoudre, il,
fit plus encore que Louis XIV, il rendit la jus-^
tÍce lui-même, composant à lui seul sa cour .
d'appel et sa cour de cassation.
#
Rien de plus original: ^ue lït fàçon dont il
s'y prit pour mettre ses magistrats à la porte.
Feignant de les consulter sur l'interprétation
d'un texte" de loi, il les rassembla tous en de-
mandant leur avis.
— Mais, la loi, c'est vous, puissant monar-
que, imagina de dire un flatteur, —^peut-être :
un compère. :
Théodore prit la balle au bond et déclara '
que puisque de leur avis il représentait la loi,
son bon plaisir était désormais de se priver-
de leur concours.
Ainsi fit-il.
m
M. Lejean l'a vu écoutant les plaidoiries .
et rendant des arrêts qui en valaient bien
d'autres.
Un maire (tcheka) de village avait traité de '
donkoro (imbécile) l'un de ses administrés.
Le code de la politesse, qui est très-sévère en
Abyssinie, donnait à l'injurii le droit de
poursuivre.
« Tu payeras l'amende, dit Théodore à son
tcheka, il ne doit pas y avoir un seul donkoro
dans mes Etats.
Une autre fois, il s'agissait d'un soldat qui
avait assassiné deux marchands.
Pourquoi les as-tu tués? fait l'empo-
reur.
— J'avais faim.
— Mais ne pouvais-tu leur prendre seule-
ment ce qu'il te fallait pour manger?
-- Non, car ils se seraient défendus.
Pour trancher la discussion, Théodore or-
donne alors qu'on coupe les mains du meur-
trier et qu'on les place sur un plat devant lui,
Puis, il conclut en ces termes :
— Ah! tu avais faim? Eh bien ! mange !
Cette justice à la turque produisit son effet
et l'Abyssinie fut tranquille. Théodore poussa
même plus loin l'esprit d'ordre ; il proscrivit
ROCAMBOLE
mess=""N° 71
LES MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
DEUXIÈME PARTIE
UN MOULIN SANS EAU
V
Maintenant reportons-nous au moment où
Ralph, le petit Irlandais, cet enfant sur la tête
de qui, disait-on, reposait l'espoir de l'Irlande,
' était entré à Cold-bath-fields.
A Londres, tomme à Paris, le transport des
prisonniers se fait en voiture cellulaire,
\r©jr le numéro du. S novembre»,
Chaque jour une sorte d'omnibus à fenêtres
grillées et prenant le jour par en haut fait le tour
des cours de police et y prend les prisonniers,
pour laisser les unt à Both square, les autres à
Mil baak, ou à Clarcken-welcl, et ce qui est plus
grave à Newgate.
Après sa condamnation, Ralph n'aYait vu,
n'avait entendu, n'avait compris que trois cho-
ses :
D'abord que sa mère tombait à demi-morte
e a jetant un cri ;
Ensuite qu'on allait le séparer d'elle de nou-
veau ;
Enfin que quelque chose d'épouvantable l'at-
tendait, puisque, au mépris du respect de à la
justice en général et à M. Booth en particulier,
la foule qui se trouvait dans le prétoire avait-
murmuré hautement.
Cependant Ralph ne poussa pas un cri, ne
versa pas une larme.
L'héréïque enfant, les mains étendues vers sa
mère qu'un homme emmenait et qui lui jeta un
regard mourant, se laissa entraîner hors du pré-
toire par deux policemen qui le reconduisirent
dans son cachot.
ri Sur son passage, il trouva Katt toute en lar-
mes qui le prit dans ses bras avec effusion et t'y
nrassa. longtemps.,
i
A
Ce ne fut que lorsqu il se retrouva seul que
Ralph sentit ses nerfs se détendre et qu'il se
mit à fondre en larmes.
Puis une sorte de prostration morale et phy-
sique s'empara de lui, et il tomba épuisé sur la
paille de son cachot, où il s'endormit, peu après,
de ce sommeil profond qu'amène le désespoir
arrivé à sa limite suprême.
Quand le bruit 4^1a porte qui l'en
arracha, plnsieui^lf hèffcs s'étaient é^ouf^^
Ralph avait d^nii,Jfalph avait
Son rêve l'-aySf^^nsporté dans c^tç:
tvr.
i A avait retrouve sa pauvre chaumière, et sa
^êrî$ qui lui souriait, et le vieil Irlandais, pê-
cheur de morue, son aïeul, qui lui enseignait à
P'prier Dieu.
Tout le reste s'était évanoui comme un cau-
chemar.
Hélas! Ralph fut bientôt rendu au sentiment
de la réalité.
Les deux policemen -qui faisaient le service
de la cour de police de Kilburn se représentaient
à ses yeux d^ nouveau et, cette fois, l'un d'eux.
lui disait : #
— Allons, lève-toi, et suis-nous.
Ralph obéit sans mot dire.
Maintenant qu'on l'avais séparé de sa mère.
- .f" : '
que lui importait d'être en prison là où ail-
leurs?
On lui fit remonter les marches de cet esca-
lier tortueux et sombre qne le prétendu lord
Cornhill avait rempli la veille de ses exclama-
tions d'étonnement et d'admiration.
L'enfint eut un. dernier espoir, celui de ren-
contrer miss Katt, une dernière fois.
Mais M. Booth s'était laissé aller, par ex.
traordinaire, àgronder sa fillé, à l'issue de l'au-
dience, trouvant inconvenant qn'une personne
décente et bien élevée comme elle s'apitoyât
ainsi sur le bort d'un petit vagabond que la loi
venait2e frappe;.
• Mi était allée s'enfermer dans sa cham-
bre et yjpiginrer tout à son aise.
Com'r^et.Ralph traversait un des corridors, iL
rencontra Tobby, le secrétaire de M. Booth.
Tobby, pour plaire sans doute à miss Katt, ou
plutôt, par les ordres de cette dernière, lui jeta.
un plaid sur les épaules.
La nuit était venue, une bise aigre et fooide
se dégageait du brouillard que perçait la lueur
des deux fanaux de la voiture cellulaire.
- La libre Angleterre fait voyager ses prison- .
niers la nuit, autant qu'elle le peut.
Il est inutile de dire à un peuple qui se croit
le plus libre du monde qu'il y a chez lui du.
prisons, dsa bourreaux et "des z~e~llem
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