Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-01-08
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 08 janvier 1868 08 janvier 1868
Description : 1868/01/08 (A3,N629). 1868/01/08 (A3,N629).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717631j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
1 cent, le numéro
[texte illisible]
S cent. le jaumèw -
ABONNEMENTS. — Trois raois. six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. fi il se 1
1 Administrateur: E. DELSAUJ.
3me année.,— MERCREDI 8 JANVIER 4 808. — N' 629
Directeur-Propriétaire : jInnin,
Rédnotewr en chef : A. DE BAL,ATIIIF.R BRAGELdNNB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
- ADJHNISTRAWOS ; 13, place Breda.
PARIS, 7 JANVIER 1868.
UNE VISITE A M. DE MAUBREUIL
Un procès étrange quini,'.'a
jours,'la curiosité publique.
banlieue et sa femme 4emandcn fine
une pension alimentaire. Cette fille connue
dans le demi-monde sous le surnom de Mme
de Li Bruyère, porte aujourd'hui l'un des
plus grands noms de France,s celui de son
mari-, M. Armand, comte de (iJuerry d'e Mau-
breuil, marquis d'Orvault.
Tout le'monde connaissait le n,om de Mau-
breuil ; mais, depuis plus de trente anc, celui
qui portait ce noni. avait disparu, et "tout le
monde aussi le croyait mortLes plaidoiries des
Hocats remirent en lumière celte étonnante
et singulière personnalité ! Les journaux rap-
pelèrent le rôle qu'avait joué, en 1814 et en
1827, l'ennemi de M. de Talleyrand. On ra-,
conta les conciliabules' de M. de Maubreuil
avec les membres du'gouvernement provi-
soire, chargé de préparer la rentrée des Bour-
bons, l'arrestation des fourgons de la reine
de Westphalie, les prisons, le procès, la scène
de Saint-Denis. C'était, il faut le dire, à qui' 1
chargerait « le condottière politique » qui, à - ¡
quatre-vingt-deux'ans , avait terminé sa car- ■
rière par le scandale d'un mariage pareil à un '
marché.
Le meilleur du métier, pour qui tient une ,
plume , est de rechercher la vérité et de la ;
dire. Je relus les historiens de la Restauration, 1
je fis prendre des notes à la bibliothèque ; j
~uis, je résumai pour vous, chers lecteurs, la j
lie aventureuse du vieillard dont-le procès *1
Schumacher venait de révéler l'existence.
Deux jours après la publication de mon ar-
ticle, je reçus la lettre suivante, que je repro-
luis sans y changer un mot :
« Monsieur.
«Depuis dix mois, je suis très-malade; au
point de ne pouvoir sortir. C'est ce qui fait,
monsieur, que je ne puis aller chez vous,
comme je le devrais, pour vous remercier de
l'article que vous avez biea voulu publier sur
'noi, et daus lequel, vous' du' 'mmos, vous
seul, monsieur, avez dit la vérité.
» Dans l'impossibilité où je suis de bouger,
(le médecin me le défend,) je vienF1 vous pro-
poser de m'envnyer quelqu'un, -ligne fa votrs :
confiance si capable df, mo ?ompren(h'e. «i
qui je remettrai quelques pièces propres A
vous éclairer sur une affaire jamais expliquée.,
affaire "aes plus graves et tout exception-
nelle,affaire qui dure depuis cinquante-quatre
ans.
» Le détestable guêpier dans lequel_je suis
tombé à la fin d'une existence sans pareiMe,
les horribles traitements qui en ont été la
suite, des chagrins que je ne pouvais prévoir,
'ont tellement usé ma vie, que jè ne saurais
en avoir désormais pour bien dés jours. J'ai
cru qu'il vous sera:it agréable d'avoir des ren-
seignements positifs., authentiques, sur la plus
atroce et la pius injuste des persécutions, à
l'effet de tromper la nation française et l'Eu-
rope entière, et d'excuser de grands et incom-
parables traîtres.
» Si j'ai trop présumé, mon excuse sera
dans l'estime que vous m'inspirez. tfest cette
estime qui m'a déterminé à vous écrire.
t Dans ces sentiments, veuillez me croire,
monsieur, vnt''e obligé et dévoué servit^fc,
» Armand, comte de Guerry de Maubreuil,
marquis d'Orvault, le seul mandataire et por-
teur d'ordres, vivant aujourd'hui, de trois des
-cinq grandes .puissances de l'Europe.
» P. S. Il serait peut-être beaucoup mieux,
monsieur, que'vous vinssiez vous-même me
trouver. Car je vous dirais des choses que Je
ne peux guère dire qu'à vous-même.
S) Mais je n'ose pas vous prier-de prendre la
peine de venir ici, par le temps qu'il fait...
Enfin, voyez... — A. de G. »
Je me rendis à Y invitation de M. de Mau-
breuil.
Il m'avait donné son adresse dans sa let-
tre. 4
Asnières, grande rue.
La banlieue de Paris, si animée et si tapa-
geuse pendant l'été, est, pendant l'hiver,
d'une tristesse et d'une solitude indicibles.
Les terrains à d^mi-clos, les chantiers, les
maisons en construction, les cabarets entou-
rés de jardins, les buissons maigres, les che-
mins effondrés et pleins d'ornières, tout est
recouvert d'une mince couche de neige, qui
donne au paysage plus d'étendue et plus d'a-
ridité.
La Seine, d'un vert sombre, charriait des,
glaçons. / ,
À-r-vé à indiquée, je suivis une
alîée /!ÿ,f'n.jtf.\ an fond vie laquelle était la loge
(Ju concierge Une fe^mo s'y trouvait.
— Monsieur de Maubreuil?
La iemme réfléchit un instant, et me dit :
— C'est sans doute M. de Guerry que vous
demandez ? * -
— Précisément.
— Au second, la porte à droite.
Je montai. Une servante vint m'ouvrir la
porte, prit mon nom, et m'introduisit aussitôt.
J'étais dans une grande pièce, à peine
meublée. Un lit de repos dans un coin. Une
table à pupitre, une autre table , quelques
chaises dépareillées, une 'vieille guitare pen-
due au mur...,
Partout, sur le lit, sur les tables, sur les
chaises, sur le carreau, des papiers épar-s ou
en liasses, des brochures, des cahiers, des
journaux...
Un homme, assis dans un fauteuil au coin j
-de la cheminée, se leva pour me recevoir.
— "Je suis malade, dit-il, excusez-moi, I
monsieur.
Il portait, en effet, la livrée des malades,
un bonnet de coton et une double robe de
chambre en laine grise, soigneusèment fer-
mée sur la poitrine. 4t
C'était un vieillard de- haute taille, la face
brune, encadrée d'une barbe grise à poils
raides, les traits énergiques, l'œil bleu, fati-
gué, se relevant de temps en temps pour lan-
cer un regard clair. La voix était sonore, et
le geste avait de la fermeté, en dépit de l'âge
et de la convalescence.
L'aspect du maître de la maison, le milieu
dans lequel il m'apparaissai't, étaient déjà
une réponse aux propos des derniers jours.
Si M. de Maubreuil avait fait un déplorable
mariage, du moins il n'en tirait pas profit,
comme on l'avait prétendu.
Je me mis à'Ba disposition.
— Monsieur, me dit-il, le but de ma vie
tout entière, but que je commence à déses-
pérer d'atteindre, c'est la publication de mes
Mémoires. Je ne voudrais pas mourir, sans
avoir dit la vérité. Cette vérité, je la dirai,
comme on la dit, à mou âge, quand on n'a
plus rien i, espérer ni à craindre'. Par mal-
heur, *j'y vois à peine; écrire, est nu-dessus
de mes forces; il me faudrait quelqu'un qui
s'installât ici pendant quelques heures, cha-
que jour, et qui rédigeât, moi présent, ce que
je lui raconterais. J'ai déjà un volume prêt,
le premier. Les autres iraient très-vite.
— Je comprends, répondis-je ;\ NI,' de Mau-
breuil, ce qu'il vous faut : un éditeur et un
secrétaire Je ferai mes efforts pour vous
trouver l'un et l'autre. Mais, puisque vous
voulez bien m'honorer de votre confiance, .
laissez-moi vous parler, à mon tour, avee
franchise.
Il y a deux lîommes en vous. -
L'homme politique ; c'est celui»que vos Mé-
moires expliqueront et présenteront sous son
vrai jour.
Il y ^ ensuite I'botnme-.privé, celui qu'on
attaque aujourd'hui, et qu'il importe, avant
tout, de faire connaître. A l'heure qu'il est,
monsieur le marquis, tout le monde VOIJE '
croit avec votre femme, logé dans un somp-
tueux hôtel du faubourg Saint Honoré, vivant ,
dans le luxe, ayant des-domestiques, des voi-^
tures, des chevaux...
Je viens et je vous trouve dans un village
de la banlieue, dans une chambre nue, pau-
vre et malade.
Il faut qu'on sache cela.
Pour que l'homme poétique soit ('-coûtée il
faut que les accusations dont l'homme privé
est l'objet soient réfutées e-t détruites.
En 1827, vous, avez souffleté M. de Talley-
rand devant toute la cour. Vous avez été
condamné à cinq ans de prison. Puis, l'on
vous a perdu de vue. Qu'avez-vous fait de-
puis ? Comment avez-vous été amené à
épouser Mlle Catherine Schumacher ?...
Telles sont les' questi-ons qu'on se pose, et
qu'il importe à votre considération de ré-
soudre. Telle est la préface naturelle de vos
Mémoires.
M. de Maubreuil me tendit la main :
— Vous avez raison, me dit-il; rien .de ce
qui me concerne ne doit demeurer obscur.
Je'dois à mon nom et à 'mon-rôle politique
de ne rien taire, ni mes malheurs, ni mes
fautes. Ensuite, l'opinion prononcera.
Comment j'ai vécu depuis 1827? Comment
je me suis marié? Comment je suis ici? Je
vais vous le dire...
TONY RÉVILLON.
(La suite à demain.)
ROCAMBOLE
N° 60 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
L'ENFANT PERDU
XX
No 60
Retournons maintenant dans le Brook-street,
Il est nuit, un brouillard épais couvre Lon-
dres. Le Brook-street est désert, en apparence
au moins.
Voir le numéro du 8 novembre 1 -
C'est à huit heures en été, à six heures en
hiver que le Brook-street est bruyant.
C'est le moment où les voleurs se réunissent,
échangent un mot d'ordre et se répandent en-
suite dans la grande ville.
Dès lors, jusqu'au lendemain matin, cette pe-
tite rue, ces cours et oes passages infectes où. la
police n'ose pénétrer qu'en force, offriront l'as-
pect d'une nécropole. ,
A -peine, çà et là, rencontrera-t,on un inva-
lide du erime que ses enfants nourrissent et qui
est trop vieux pour aller en expédition ; une
femme qui allaite son marmot, un enfant dont
les parents sont en prisoa et qui pleure sous une
porte.
Ce soir-là, pourtant, le Brook-street présen-
tait une physionomie différente.
Certaines maisons étaient éclairées, et des
ombres glissaient silencieuses au travers-du
brouiUard. -
Quand elles passaient devant la maison- de
Bulton, elles montraient du doigt une fenêtre
d'où partait une vive lumière et semblaient se
dire :
- C'est là 't •
C'était là, en -effet, que Suzannah blessée et
peut-être agonisante était couchée sous la garde
d'une escorte de policemen. 1.
Le bandit parisien ne recule devant aucun»
extrémité et les habitués des carrières d'Amé-
rique jouent aisément du couteau.
Le voleut anglais est plus circonspect.
MilL fois plus sûr de son adresse que de son
courage, il a établi avec l'homme de police une
lutte d'ingéniosité, et on dirait volontiers de
courtoisie.
S'il est pris, il se soumet et n'engage pas un
combat inutÍle. \ Il sait,qu'il ira au moulin, mais
il vQit Newgate, et la seule chose que craigne
un Anglais, c'est !a potence.
Tout cela explique comment une demi-dou-
zaine de policemen avaient-pu s'fnstaller dans
la maison de Bulton, au milieu du Brook-street,
sans être inquiétés.
Quand les ombres mystérieuses dont nous
parlons s'étaient montrées à la fenêtre, elles
continuaient leur chemin.
Au bout du Brook street, à gauche, il y a
une cour noire, triste, déserte, dans laquelle
s'élève une petite maison depuis plus d'un
siècle.
Cette maison est un monument ; c'est la pa-
gede du Broôk-stieet, le temple de ' ce siagulier
quartier ; c'est la demeure du Cartouche anglais,
de Jak Sheppard, mort au champ d'honneur,
e'est-à-dire sur l'échafaud, il y a déjà plus d 'un
siècle.
T,PS voleurs l'ont, conservée M tact»
Ils se la montrent avec respect ; de génération >
en génération ils se transmettent la légende
historique de celui qui l'habi.ta. «■
Quand un enfant est né dans le Brook-street,
on le porte en grande pompe sous le porche de
la maison et les vieillards lui disent
— Puisses-tu ressembler à Jak Sheppard !
C'est là le baptême du voleur en herbes.
Cette nuit-là, c'était en cette maison que deus
par deux ou une par une se dirigeaient les om- '
bres qui traversaient le brouillard.
Elles arrivaient à le: 'T'°rte, frappaient trois
coups et la porte s'ouvrait et se refermait aus-
sitôt;
Le brouillard anglais, qui est rouge, donne à
toutes choses une forme fantastique.
On aurait donc pu croire que c'était, non dea
hommes, mais des fantômes.
- Les fantômes des compagnons de Jak Shep-
pard se réunissant la nuit dans sa demeure pour
lui faire quelque ovation d'outre tombe.
Ce qui eut pu compléter cette illusion, c'était
le silence qui régnait dans la cour,. l'absence de
lumière aux fenêtres veuves de leurs volets et de
leurs carreaux depuis nombre d'années. l',
Cependant c'étaient bien des hommes qui m
réusogal«ent.
Usa entrés dans la œaiMn.Ü! soutenaient
■ >i•..u: "..i. -■ ■ .1 ' ' w
1 cent, le numéro
[texte illisible]
S cent. le jaumèw -
ABONNEMENTS. — Trois raois. six mois. Un an.
Paris 5 fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. fi il se 1
1 Administrateur: E. DELSAUJ.
3me année.,— MERCREDI 8 JANVIER 4 808. — N' 629
Directeur-Propriétaire : jInnin,
Rédnotewr en chef : A. DE BAL,ATIIIF.R BRAGELdNNB.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Dronot.
- ADJHNISTRAWOS ; 13, place Breda.
PARIS, 7 JANVIER 1868.
UNE VISITE A M. DE MAUBREUIL
Un procès étrange quini,'.'a
jours,'la curiosité publique.
banlieue et sa femme 4emandcn fine
une pension alimentaire. Cette fille connue
dans le demi-monde sous le surnom de Mme
de Li Bruyère, porte aujourd'hui l'un des
plus grands noms de France,s celui de son
mari-, M. Armand, comte de (iJuerry d'e Mau-
breuil, marquis d'Orvault.
Tout le'monde connaissait le n,om de Mau-
breuil ; mais, depuis plus de trente anc, celui
qui portait ce noni. avait disparu, et "tout le
monde aussi le croyait mortLes plaidoiries des
Hocats remirent en lumière celte étonnante
et singulière personnalité ! Les journaux rap-
pelèrent le rôle qu'avait joué, en 1814 et en
1827, l'ennemi de M. de Talleyrand. On ra-,
conta les conciliabules' de M. de Maubreuil
avec les membres du'gouvernement provi-
soire, chargé de préparer la rentrée des Bour-
bons, l'arrestation des fourgons de la reine
de Westphalie, les prisons, le procès, la scène
de Saint-Denis. C'était, il faut le dire, à qui' 1
chargerait « le condottière politique » qui, à - ¡
quatre-vingt-deux'ans , avait terminé sa car- ■
rière par le scandale d'un mariage pareil à un '
marché.
Le meilleur du métier, pour qui tient une ,
plume , est de rechercher la vérité et de la ;
dire. Je relus les historiens de la Restauration, 1
je fis prendre des notes à la bibliothèque ; j
~uis, je résumai pour vous, chers lecteurs, la j
lie aventureuse du vieillard dont-le procès *1
Schumacher venait de révéler l'existence.
Deux jours après la publication de mon ar-
ticle, je reçus la lettre suivante, que je repro-
luis sans y changer un mot :
« Monsieur.
«Depuis dix mois, je suis très-malade; au
point de ne pouvoir sortir. C'est ce qui fait,
monsieur, que je ne puis aller chez vous,
comme je le devrais, pour vous remercier de
l'article que vous avez biea voulu publier sur
'noi, et daus lequel, vous' du' 'mmos, vous
seul, monsieur, avez dit la vérité.
» Dans l'impossibilité où je suis de bouger,
(le médecin me le défend,) je vienF1 vous pro-
poser de m'envnyer quelqu'un, -ligne fa votrs :
confiance si capable df, mo ?ompren(h'e. «i
qui je remettrai quelques pièces propres A
vous éclairer sur une affaire jamais expliquée.,
affaire "aes plus graves et tout exception-
nelle,affaire qui dure depuis cinquante-quatre
ans.
» Le détestable guêpier dans lequel_je suis
tombé à la fin d'une existence sans pareiMe,
les horribles traitements qui en ont été la
suite, des chagrins que je ne pouvais prévoir,
'ont tellement usé ma vie, que jè ne saurais
en avoir désormais pour bien dés jours. J'ai
cru qu'il vous sera:it agréable d'avoir des ren-
seignements positifs., authentiques, sur la plus
atroce et la pius injuste des persécutions, à
l'effet de tromper la nation française et l'Eu-
rope entière, et d'excuser de grands et incom-
parables traîtres.
» Si j'ai trop présumé, mon excuse sera
dans l'estime que vous m'inspirez. tfest cette
estime qui m'a déterminé à vous écrire.
t Dans ces sentiments, veuillez me croire,
monsieur, vnt''e obligé et dévoué servit^fc,
» Armand, comte de Guerry de Maubreuil,
marquis d'Orvault, le seul mandataire et por-
teur d'ordres, vivant aujourd'hui, de trois des
-cinq grandes .puissances de l'Europe.
» P. S. Il serait peut-être beaucoup mieux,
monsieur, que'vous vinssiez vous-même me
trouver. Car je vous dirais des choses que Je
ne peux guère dire qu'à vous-même.
S) Mais je n'ose pas vous prier-de prendre la
peine de venir ici, par le temps qu'il fait...
Enfin, voyez... — A. de G. »
Je me rendis à Y invitation de M. de Mau-
breuil.
Il m'avait donné son adresse dans sa let-
tre. 4
Asnières, grande rue.
La banlieue de Paris, si animée et si tapa-
geuse pendant l'été, est, pendant l'hiver,
d'une tristesse et d'une solitude indicibles.
Les terrains à d^mi-clos, les chantiers, les
maisons en construction, les cabarets entou-
rés de jardins, les buissons maigres, les che-
mins effondrés et pleins d'ornières, tout est
recouvert d'une mince couche de neige, qui
donne au paysage plus d'étendue et plus d'a-
ridité.
La Seine, d'un vert sombre, charriait des,
glaçons. / ,
À-r-vé à indiquée, je suivis une
alîée /!ÿ,f'n.jtf.\ an fond vie laquelle était la loge
(Ju concierge Une fe^mo s'y trouvait.
— Monsieur de Maubreuil?
La iemme réfléchit un instant, et me dit :
— C'est sans doute M. de Guerry que vous
demandez ? * -
— Précisément.
— Au second, la porte à droite.
Je montai. Une servante vint m'ouvrir la
porte, prit mon nom, et m'introduisit aussitôt.
J'étais dans une grande pièce, à peine
meublée. Un lit de repos dans un coin. Une
table à pupitre, une autre table , quelques
chaises dépareillées, une 'vieille guitare pen-
due au mur...,
Partout, sur le lit, sur les tables, sur les
chaises, sur le carreau, des papiers épar-s ou
en liasses, des brochures, des cahiers, des
journaux...
Un homme, assis dans un fauteuil au coin j
-de la cheminée, se leva pour me recevoir.
— "Je suis malade, dit-il, excusez-moi, I
monsieur.
Il portait, en effet, la livrée des malades,
un bonnet de coton et une double robe de
chambre en laine grise, soigneusèment fer-
mée sur la poitrine. 4t
C'était un vieillard de- haute taille, la face
brune, encadrée d'une barbe grise à poils
raides, les traits énergiques, l'œil bleu, fati-
gué, se relevant de temps en temps pour lan-
cer un regard clair. La voix était sonore, et
le geste avait de la fermeté, en dépit de l'âge
et de la convalescence.
L'aspect du maître de la maison, le milieu
dans lequel il m'apparaissai't, étaient déjà
une réponse aux propos des derniers jours.
Si M. de Maubreuil avait fait un déplorable
mariage, du moins il n'en tirait pas profit,
comme on l'avait prétendu.
Je me mis à'Ba disposition.
— Monsieur, me dit-il, le but de ma vie
tout entière, but que je commence à déses-
pérer d'atteindre, c'est la publication de mes
Mémoires. Je ne voudrais pas mourir, sans
avoir dit la vérité. Cette vérité, je la dirai,
comme on la dit, à mou âge, quand on n'a
plus rien i, espérer ni à craindre'. Par mal-
heur, *j'y vois à peine; écrire, est nu-dessus
de mes forces; il me faudrait quelqu'un qui
s'installât ici pendant quelques heures, cha-
que jour, et qui rédigeât, moi présent, ce que
je lui raconterais. J'ai déjà un volume prêt,
le premier. Les autres iraient très-vite.
— Je comprends, répondis-je ;\ NI,' de Mau-
breuil, ce qu'il vous faut : un éditeur et un
secrétaire Je ferai mes efforts pour vous
trouver l'un et l'autre. Mais, puisque vous
voulez bien m'honorer de votre confiance, .
laissez-moi vous parler, à mon tour, avee
franchise.
Il y a deux lîommes en vous. -
L'homme politique ; c'est celui»que vos Mé-
moires expliqueront et présenteront sous son
vrai jour.
Il y ^ ensuite I'botnme-.privé, celui qu'on
attaque aujourd'hui, et qu'il importe, avant
tout, de faire connaître. A l'heure qu'il est,
monsieur le marquis, tout le monde VOIJE '
croit avec votre femme, logé dans un somp-
tueux hôtel du faubourg Saint Honoré, vivant ,
dans le luxe, ayant des-domestiques, des voi-^
tures, des chevaux...
Je viens et je vous trouve dans un village
de la banlieue, dans une chambre nue, pau-
vre et malade.
Il faut qu'on sache cela.
Pour que l'homme poétique soit ('-coûtée il
faut que les accusations dont l'homme privé
est l'objet soient réfutées e-t détruites.
En 1827, vous, avez souffleté M. de Talley-
rand devant toute la cour. Vous avez été
condamné à cinq ans de prison. Puis, l'on
vous a perdu de vue. Qu'avez-vous fait de-
puis ? Comment avez-vous été amené à
épouser Mlle Catherine Schumacher ?...
Telles sont les' questi-ons qu'on se pose, et
qu'il importe à votre considération de ré-
soudre. Telle est la préface naturelle de vos
Mémoires.
M. de Maubreuil me tendit la main :
— Vous avez raison, me dit-il; rien .de ce
qui me concerne ne doit demeurer obscur.
Je'dois à mon nom et à 'mon-rôle politique
de ne rien taire, ni mes malheurs, ni mes
fautes. Ensuite, l'opinion prononcera.
Comment j'ai vécu depuis 1827? Comment
je me suis marié? Comment je suis ici? Je
vais vous le dire...
TONY RÉVILLON.
(La suite à demain.)
ROCAMBOLE
N° 60 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
L'ENFANT PERDU
XX
No 60
Retournons maintenant dans le Brook-street,
Il est nuit, un brouillard épais couvre Lon-
dres. Le Brook-street est désert, en apparence
au moins.
Voir le numéro du 8 novembre 1 -
C'est à huit heures en été, à six heures en
hiver que le Brook-street est bruyant.
C'est le moment où les voleurs se réunissent,
échangent un mot d'ordre et se répandent en-
suite dans la grande ville.
Dès lors, jusqu'au lendemain matin, cette pe-
tite rue, ces cours et oes passages infectes où. la
police n'ose pénétrer qu'en force, offriront l'as-
pect d'une nécropole. ,
A -peine, çà et là, rencontrera-t,on un inva-
lide du erime que ses enfants nourrissent et qui
est trop vieux pour aller en expédition ; une
femme qui allaite son marmot, un enfant dont
les parents sont en prisoa et qui pleure sous une
porte.
Ce soir-là, pourtant, le Brook-street présen-
tait une physionomie différente.
Certaines maisons étaient éclairées, et des
ombres glissaient silencieuses au travers-du
brouiUard. -
Quand elles passaient devant la maison- de
Bulton, elles montraient du doigt une fenêtre
d'où partait une vive lumière et semblaient se
dire :
- C'est là 't •
C'était là, en -effet, que Suzannah blessée et
peut-être agonisante était couchée sous la garde
d'une escorte de policemen. 1.
Le bandit parisien ne recule devant aucun»
extrémité et les habitués des carrières d'Amé-
rique jouent aisément du couteau.
Le voleut anglais est plus circonspect.
MilL fois plus sûr de son adresse que de son
courage, il a établi avec l'homme de police une
lutte d'ingéniosité, et on dirait volontiers de
courtoisie.
S'il est pris, il se soumet et n'engage pas un
combat inutÍle. \ Il sait,qu'il ira au moulin, mais
il vQit Newgate, et la seule chose que craigne
un Anglais, c'est !a potence.
Tout cela explique comment une demi-dou-
zaine de policemen avaient-pu s'fnstaller dans
la maison de Bulton, au milieu du Brook-street,
sans être inquiétés.
Quand les ombres mystérieuses dont nous
parlons s'étaient montrées à la fenêtre, elles
continuaient leur chemin.
Au bout du Brook street, à gauche, il y a
une cour noire, triste, déserte, dans laquelle
s'élève une petite maison depuis plus d'un
siècle.
Cette maison est un monument ; c'est la pa-
gede du Broôk-stieet, le temple de ' ce siagulier
quartier ; c'est la demeure du Cartouche anglais,
de Jak Sheppard, mort au champ d'honneur,
e'est-à-dire sur l'échafaud, il y a déjà plus d 'un
siècle.
T,PS voleurs l'ont, conservée M tact»
Ils se la montrent avec respect ; de génération >
en génération ils se transmettent la légende
historique de celui qui l'habi.ta. «■
Quand un enfant est né dans le Brook-street,
on le porte en grande pompe sous le porche de
la maison et les vieillards lui disent
— Puisses-tu ressembler à Jak Sheppard !
C'est là le baptême du voleur en herbes.
Cette nuit-là, c'était en cette maison que deus
par deux ou une par une se dirigeaient les om- '
bres qui traversaient le brouillard.
Elles arrivaient à le: 'T'°rte, frappaient trois
coups et la porte s'ouvrait et se refermait aus-
sitôt;
Le brouillard anglais, qui est rouge, donne à
toutes choses une forme fantastique.
On aurait donc pu croire que c'était, non dea
hommes, mais des fantômes.
- Les fantômes des compagnons de Jak Shep-
pard se réunissant la nuit dans sa demeure pour
lui faire quelque ovation d'outre tombe.
Ce qui eut pu compléter cette illusion, c'était
le silence qui régnait dans la cour,. l'absence de
lumière aux fenêtres veuves de leurs volets et de
leurs carreaux depuis nombre d'années. l',
Cependant c'étaient bien des hommes qui m
réusogal«ent.
Usa entrés dans la œaiMn.Ü! soutenaient
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