Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-01-01
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1868 01 janvier 1868
Description : 1868/01/01 (A3,N622). 1868/01/01 (A3,N622).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717624d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. le numéro *
ABONNEMENTS. — Trois noiî. Six mois. ' Un aa.
Paris... S ir. 9 fr. «S fr.
Départements.. S 11 2 e
Administrateur : IJ.. DELSAUX.
a™ année. - MERCREDI 4« JANVIER 1868. — NI) 623
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE RA LAT HIER BRAGELONNS.
BORÉAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot
ADMINISTRATION : 13. 'place Breda.
" ———— .. — —~r—
PARIS, 31 DÉCEMBRE 1867.
SCÈNES DU JOURS DE L'AN
I
En famille
Sept heures du makp. Les rideatyrsont
tirés. Tout le monde do
On sonne.
LA FEMME, (s'éveiîiant). — Mon ami, je te
souhaite une bonne année.
LE MARI. — Moi aussi. Va voir qui c'est 1
Il se rendort. La femme passe un jupon et
va ouvrir. Elle revient presque aussitôt.
— Mon ami, c'est le portier.
— Bien. Donne-lui dix francs.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
facteur.
LE MARI, — Très-bien. Donne-lui cent
sous
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
tambour de la garde nationale.
LE MARI. — Encore 1 Donne-lui trois
francs.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
porteur d'eau.
LE MARI. — Ah ! ça commence à devenir
embêtant... Donne-lui trente sous.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, s'est la
porteuse de pain.
LE MARI. — Que le diable l'emporte 1 Dix
sous. Ah î çà, me laissera-t-on dormir, oui ou
non?
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est l'ap-
prenti du fumiste. Faut-il lui donner aussi
dix sous?...
LE MARI. — Dix coups de pied dans le der-
rière...! Ne réponds plus.
Il s'enfonce la tête dans ses oreillers, en
fermant les poings.
Les coups de sonnette se succèdent sans in-
tervalle. C'est un véritable carillon. La porte
s'ouvre de nouveau.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, ce sont tes
snfants qui faisaient les étrangers pour rire.
Les voici.
LE MARI. - Une jolie idée !...
j LE PETIT GARÇON ET LA PETITE FILLE (sautant
sur le lit). — Cher papa, nous te souhai-
tons...
LE MARI. — Vous, si vous ne descendez pas
tout de suite, je vais vous donner le fouet !
LA FEMME. — Par exemple! Un jour comme
aujourd'hui ! Les pauvres petits! Tu n'y penses
pas...
LE MARI. - Allons l'je vois bien qu'il faut 1
me lever.
Il se lève et met son pantalon brusque-
ment. Le pantalon se déchire. Il jure..Les
enfants pleurent.
LA FEMME (d'une voix douce).— Mon ami...
Ils avaient appris un compliment.
LE MARI. — Un compliment... un compli-
ment...
Il regarde sa femme et ses enfants. Sa
voix faiblit...
— Un compliment... Eh bien! dites-le,
votre compliment!
Les enfants s'avancent timidement.
LA FEMME. — C'est qne tu les as grondés.
LE MARI. — Ah ! bah ! tout à l'heure, parce
I qu'on sonnait... S'ils veulent m'embrasser
maintenant...
II
En prison
Il est midi. Un détenu se promène de long
en large dans sa cellule. Quand il arrive au-
dessous de la fenêtre en tabatière, il lève la
tête, et regarde le ciel que les barreaux cou-
pent en trois. Les barreaux sont noirs, et le
ciel est gris.
On entend le bruit des pas de la sentinelle,
qui monte la garde dans le préau, avec un fu-
sil chargé.
LE PRISONNIER (pensant tout haut). — L'an
dernier, à pareille époque, je descendais l'es-
calier pour aller souhaiter la bonne année à
mon patron. Quand j'ai passé devant la loge
du portier, il a mis sa casquette à la main ; je
lui ai donné trois francs; et il m'a prédit que
je ne tarderais pas à m'établir à mon compte.
Il est joli, l'établissement !... Le soir, j'ai dîné
chez mon oncle. Je parierais bien qu'aujour-
d'hui il dira du mal de moi. Mais ma tante
me défendra, — si elle n'est pas alitée, la
pauvre femme !... Car elle toussait déjà bien
fort, la dernière fois que je l'ai vue.
Les parents devraient bien vous écrire,
quand on est en prison. Et Eugénie, qu'est-
elle devenue?... Tout le monde s'amuse au-
' jourd'hui... Elle ne sera pas restée chez elle
à m 'attendre... Un autre, peut-être François,
peut-être Antoine, l'aura emmenée promener
à Belleville. C'est toujours avec des amis que
ces choses-là arrivent. Des amis:... je n'ai pas
seulement reçu une lettre. Quand j'étais petit,
au jour de l 'an, tout le monde s'occupait de
,:mtfi. Quand j'ai été grand, je me suis occupé
des autres. Aujourd'hui, plus rien. Je suis en
prison, oublié, et seul, tout seul...
■ (Il reprend sa promenade, les yeux secs,
jes livres serrées, marquant le pas avec co-
gère. Une heure se passe.)
LE PRISONNIER.— Je savais bien qu'on ne
m'écrirait pas !...
La porte s'ouvre, et le geôlier paraît, tenant
à la main une lettre et un petit paquet.
LE PRISONNIER (prenant la lettre). — C'est
Eugénie!... (Prenant le paquet) C'est ma
tante !...
Il se jette sur son lit., et se met à pleurer, la
tête dans le traversin.
III
En mer
Le vent est ouest-nord-ouest.
Il fait un temps effroyable. Le bateau-pilote
est à deux lieues de Boulogne, et danse sur
les vagues, comme un bouchon dans la levée
d'une écluse. La pluie cingle comme une
poignée de gravier jetée en plein visage.
Dans le bateau se trouvent deux hommes
9t un enfant.. ,
PRÊ;MIZR PILOTE (à l'enzanu. — Va voir un
[•eu ce que fait mon matelot à la barre.
L'enfant part; il fait un faux pas ; il tombe.
PREMIER PILOTE. — Hardi, garçon !
L'enfant se relève, et s'achemine vers l'ar-
rière du bateau.
Il revient, et dit que tout va bien.
PREMIER PILOTE (se faisant un porte-voix de
ses mains). — Eh! Joseph !
DEUXIEME PILOTE (de même). — J'entends.
Après?..
PREMIER PILOTE. — Une bonne année,
vieux ....1
DEUXIÈME PILOTE. — Pareillement. Hé ! pe-
tit !
L'enfant retourne à la barre.
DEUXIÈME PILOTE (lui passant une bouteille).
— Tiens, porte ça au patron, et ne bois pas
tout en route.
Une minute se passe.
' '
j PREMIER PILOTE (criant). — A ta santé,
vieux !
DEUXIÈME PILOTE (de même). — Merci.
La pluie continue à; tomber. Le vent re-
double. 1
IV
Sur le boulevard
i
Un monsieur descend d'un coupé, sur Je,
portières duquel il y a des armoiries. Il entr.:
chez Tahan.
LE MONSIEUR. — Je voudrais quelque chose
de nouveau.
UNE DEMOISELLE DE MAGASIN. — Monsieur,
voici un porte-fleurs en cristal, supporté par
des amours. Remarquez, je vous prie, qu'il
a la forme d'une cloche. C'est la mode.
LE MONSIEUR. — Je le prends. Montrez-moi
autre chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Voici un por-
tefeuille en velours noir, avec une branche
d'acacias sur la couverture.
LE MONSIEUR. — Je prends cela aussi. Autre
chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Monsieur vou-
drait-il un bénitier avec incrustations ?
LE MONSIEUR. —Volontiers. Autre chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Une cave à
liqueurs?
LE MONSIEUR. — Certainement.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Un nécessaire
de voyage ?
LE MONSIEUR. — Oui...
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Ce nécessaire
contient des brosses, des ciseaux, des ra:soi1'3,
des flacons...
LE MONSIEUR.— Oh! celà m'est bien égal ; il
n'est pas pour moi.
Il paye et sort. Sa voiture a pris la file. Il
fait quelques pas pour la chercher. Une mar-
chande, assise au fond d'une baraque, vois
qu'il s'arrête. Elle l'interpelle :
LA MARCHANDE. — C'est ici la boutique à
treize sous! Treize sous les beaux porte.
monnaie ! Achetez-moi un porte-monnaie,
monsieur. Je n'ai pas encore étrenné aujour-
d'hui, et j'ai cinq petits enfants...
LE MONSIEUR. — Volontiers, ma brave
femme.
LA MARCHANDE. — Choisissez, monsieur.
LE MONSIEUR. — Oh! donnez-moi celui que
vous voudrez.
(Il va pour payer.) — Tiens! je n'ai plus
d'argent.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
mess=""N° 53 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
L'ENFANT PERDU
XIII
Le lendemain matin, comme huit heures son.
naient, la foule était compacte en la pauvre
église Saint-Giiles.
Les fidèles étaient pauvrement vètus, pour la
plupart, et quelques-uns étaient nu-pieds.
Femmes, enfants, hommes et vieillards age-
Voir * le jj»îûéro du S novembre.
nouillés sur les dalles froides, avaient les yeux
tournés vers le maître autel dont l'officiant
n'avait pas encore monté les degrés.
En dépit de la sainte majesté du lieu, il y
avait de sourds frémissements et de vagues
murmures parmi cette foule.
Anxieuse, elle semblait attendre quelque
grand événement.
C'est qu'un bruit s'était répandu depuis trois
jours dans le quartier Irlandais, un bruit qui
avait mis l'inquiétude et fait naître le doute dans
tous les cœurs.
On avait dit que ce jeune prêtre au front mys-
térieux, et qui semblait porter en lui les desti-
nées futures de la pauvre Irlande, avait été
arrêté et jeté en prison.
Tout à coup un frémissement parcourut l'é-
glise, tous les fronts se courbèrent, tous les
cœurs battirent.
La porte de la sacristie venait de s'ouvrir.
Le bedeau marchait le premier, faisant retentir
les dalles de sa longue canne.
Puis venaient les enfants de chœur vêtus de
rouge.
Enfin apparut le prêtre officiant revêtu de ses
habits sacerdotaux.
Et le frémissement redoubla, et tous les cœurs.
battirent de joie...
. Les fidèJes avaient reconnu l'abbé Samuel.
Le jeune prêtre monta à l'autel, célébra le
service divin au milieu d'un pieux recueillement;
puis quand il eut dit l'Evangile, il se dépouilla
de son étole et monta en chaire.
On eût entendu,sous les voûtes du temple, le
vol d'une hirondelle.
— Mes frères, dit alors le jeune prêtre, c'était,
il y a quatre jours, le vingt-six octobre.
A cette heure même, ce jour-là, je devais cé-
lébrer la iresse, et des frères que nous atten-
dons de pays lointains, qui ne sa connaissent
pas entre eux, mais qui ont au cœur le même
amour de Dieu et de la patrie absente, ces frè-
res, dis-je, devaient se trouver réunis ici.
Sont-ils venus ? Je l'ignore.
S'ils sont parmi vous, je les adjure de se pré-
senter, à l'issue de la messe, à la sacristie.
Et l'abbé Samuel ayant fait cet appel mysté-
rieux, commença son sermon.
Il parla du peuple de Dieu réduit en esclavage
et qu'un enfant exposé sur les eaux dans un
berceau d'osier avait rendu à la liberté.
II raconta ce long voyage d'Israël à travers le
désert, disant que ceux-là seuls qui avaient tou-
jours eu confiance en Dieu et dont la foi n'avait
point été ébranlée avaient vu enfin la terre
promise.
Et les fidèles écoutaient cette parole inspirée,
et ceux qui songeaient à l'Irlande comprenaient
que l'histoire du passé était comme une révéla-
tion de l'avenir et que le Moïse de ce nouveau
peuple de Dieu venait de naître.
Au pied de la chaire, courbée et sanglottante,
il y avait une femme jeune et belle, vêtue de
1 noir, qui écoutait la grave parole du prêtre et
attirait tous les regards par sa douloureuse atti-
tude.
! C'était, on le devine, la pauvre Irlandaise, la
mère de ce malheureux enfant dont nous racon-
tions naguère les poignantes aventures.
Auprès d'elle il y avait un autre homme que
l'on voyait à Saint-Grilles pour la première fois.
Il était vétu comme tous les autres; rien, en
lui, ne trahissait une condition différente, et ce-
pendant tous les regards qui rencontraient le
sien se baissèrent, et ceux qui le virent devi-
nèrent en lui, sur-le-champ, un des chefs mys-
térieax à qui l'Irlande obéissait.
Quand le sermon fut fini, lorsque le prêtra
fut remonté à l'autel, cet homme traversa la
foule, qui s'ouvrit respectueusement devant lui.
Il conduisait l'Irlandaise par la main et il la
mena au .seuil du sanctuaire, où elle s'agenouilla
de nouveau et continua à pleurer.
Quelle était cette femme? .
Nul ne le savait.
Mais au moment de la communion, on vit
l'abbé Samuel descendre du tabernacle, t&O&sf
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
5 cent. le numéro *
ABONNEMENTS. — Trois noiî. Six mois. ' Un aa.
Paris... S ir. 9 fr. «S fr.
Départements.. S 11 2 e
Administrateur : IJ.. DELSAUX.
a™ année. - MERCREDI 4« JANVIER 1868. — NI) 623
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE RA LAT HIER BRAGELONNS.
BORÉAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot
ADMINISTRATION : 13. 'place Breda.
" ———— .. — —~r—
PARIS, 31 DÉCEMBRE 1867.
SCÈNES DU JOURS DE L'AN
I
En famille
Sept heures du makp. Les rideatyrsont
tirés. Tout le monde do
On sonne.
LA FEMME, (s'éveiîiant). — Mon ami, je te
souhaite une bonne année.
LE MARI. — Moi aussi. Va voir qui c'est 1
Il se rendort. La femme passe un jupon et
va ouvrir. Elle revient presque aussitôt.
— Mon ami, c'est le portier.
— Bien. Donne-lui dix francs.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
facteur.
LE MARI, — Très-bien. Donne-lui cent
sous
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
tambour de la garde nationale.
LE MARI. — Encore 1 Donne-lui trois
francs.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est le
porteur d'eau.
LE MARI. — Ah ! ça commence à devenir
embêtant... Donne-lui trente sous.
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, s'est la
porteuse de pain.
LE MARI. — Que le diable l'emporte 1 Dix
sous. Ah î çà, me laissera-t-on dormir, oui ou
non?
On resonne.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, c'est l'ap-
prenti du fumiste. Faut-il lui donner aussi
dix sous?...
LE MARI. — Dix coups de pied dans le der-
rière...! Ne réponds plus.
Il s'enfonce la tête dans ses oreillers, en
fermant les poings.
Les coups de sonnette se succèdent sans in-
tervalle. C'est un véritable carillon. La porte
s'ouvre de nouveau.
LA FEMME (entrant). — Mon ami, ce sont tes
snfants qui faisaient les étrangers pour rire.
Les voici.
LE MARI. - Une jolie idée !...
j LE PETIT GARÇON ET LA PETITE FILLE (sautant
sur le lit). — Cher papa, nous te souhai-
tons...
LE MARI. — Vous, si vous ne descendez pas
tout de suite, je vais vous donner le fouet !
LA FEMME. — Par exemple! Un jour comme
aujourd'hui ! Les pauvres petits! Tu n'y penses
pas...
LE MARI. - Allons l'je vois bien qu'il faut 1
me lever.
Il se lève et met son pantalon brusque-
ment. Le pantalon se déchire. Il jure..Les
enfants pleurent.
LA FEMME (d'une voix douce).— Mon ami...
Ils avaient appris un compliment.
LE MARI. — Un compliment... un compli-
ment...
Il regarde sa femme et ses enfants. Sa
voix faiblit...
— Un compliment... Eh bien! dites-le,
votre compliment!
Les enfants s'avancent timidement.
LA FEMME. — C'est qne tu les as grondés.
LE MARI. — Ah ! bah ! tout à l'heure, parce
I qu'on sonnait... S'ils veulent m'embrasser
maintenant...
II
En prison
Il est midi. Un détenu se promène de long
en large dans sa cellule. Quand il arrive au-
dessous de la fenêtre en tabatière, il lève la
tête, et regarde le ciel que les barreaux cou-
pent en trois. Les barreaux sont noirs, et le
ciel est gris.
On entend le bruit des pas de la sentinelle,
qui monte la garde dans le préau, avec un fu-
sil chargé.
LE PRISONNIER (pensant tout haut). — L'an
dernier, à pareille époque, je descendais l'es-
calier pour aller souhaiter la bonne année à
mon patron. Quand j'ai passé devant la loge
du portier, il a mis sa casquette à la main ; je
lui ai donné trois francs; et il m'a prédit que
je ne tarderais pas à m'établir à mon compte.
Il est joli, l'établissement !... Le soir, j'ai dîné
chez mon oncle. Je parierais bien qu'aujour-
d'hui il dira du mal de moi. Mais ma tante
me défendra, — si elle n'est pas alitée, la
pauvre femme !... Car elle toussait déjà bien
fort, la dernière fois que je l'ai vue.
Les parents devraient bien vous écrire,
quand on est en prison. Et Eugénie, qu'est-
elle devenue?... Tout le monde s'amuse au-
' jourd'hui... Elle ne sera pas restée chez elle
à m 'attendre... Un autre, peut-être François,
peut-être Antoine, l'aura emmenée promener
à Belleville. C'est toujours avec des amis que
ces choses-là arrivent. Des amis:... je n'ai pas
seulement reçu une lettre. Quand j'étais petit,
au jour de l 'an, tout le monde s'occupait de
,:mtfi. Quand j'ai été grand, je me suis occupé
des autres. Aujourd'hui, plus rien. Je suis en
prison, oublié, et seul, tout seul...
■ (Il reprend sa promenade, les yeux secs,
jes livres serrées, marquant le pas avec co-
gère. Une heure se passe.)
LE PRISONNIER.— Je savais bien qu'on ne
m'écrirait pas !...
La porte s'ouvre, et le geôlier paraît, tenant
à la main une lettre et un petit paquet.
LE PRISONNIER (prenant la lettre). — C'est
Eugénie!... (Prenant le paquet) C'est ma
tante !...
Il se jette sur son lit., et se met à pleurer, la
tête dans le traversin.
III
En mer
Le vent est ouest-nord-ouest.
Il fait un temps effroyable. Le bateau-pilote
est à deux lieues de Boulogne, et danse sur
les vagues, comme un bouchon dans la levée
d'une écluse. La pluie cingle comme une
poignée de gravier jetée en plein visage.
Dans le bateau se trouvent deux hommes
9t un enfant.. ,
PRÊ;MIZR PILOTE (à l'enzanu. — Va voir un
[•eu ce que fait mon matelot à la barre.
L'enfant part; il fait un faux pas ; il tombe.
PREMIER PILOTE. — Hardi, garçon !
L'enfant se relève, et s'achemine vers l'ar-
rière du bateau.
Il revient, et dit que tout va bien.
PREMIER PILOTE (se faisant un porte-voix de
ses mains). — Eh! Joseph !
DEUXIEME PILOTE (de même). — J'entends.
Après?..
PREMIER PILOTE. — Une bonne année,
vieux ....1
DEUXIÈME PILOTE. — Pareillement. Hé ! pe-
tit !
L'enfant retourne à la barre.
DEUXIÈME PILOTE (lui passant une bouteille).
— Tiens, porte ça au patron, et ne bois pas
tout en route.
Une minute se passe.
' '
j PREMIER PILOTE (criant). — A ta santé,
vieux !
DEUXIÈME PILOTE (de même). — Merci.
La pluie continue à; tomber. Le vent re-
double. 1
IV
Sur le boulevard
i
Un monsieur descend d'un coupé, sur Je,
portières duquel il y a des armoiries. Il entr.:
chez Tahan.
LE MONSIEUR. — Je voudrais quelque chose
de nouveau.
UNE DEMOISELLE DE MAGASIN. — Monsieur,
voici un porte-fleurs en cristal, supporté par
des amours. Remarquez, je vous prie, qu'il
a la forme d'une cloche. C'est la mode.
LE MONSIEUR. — Je le prends. Montrez-moi
autre chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Voici un por-
tefeuille en velours noir, avec une branche
d'acacias sur la couverture.
LE MONSIEUR. — Je prends cela aussi. Autre
chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Monsieur vou-
drait-il un bénitier avec incrustations ?
LE MONSIEUR. —Volontiers. Autre chose.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Une cave à
liqueurs?
LE MONSIEUR. — Certainement.
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Un nécessaire
de voyage ?
LE MONSIEUR. — Oui...
LA DEMOISELLE DE MAGASIN. — Ce nécessaire
contient des brosses, des ciseaux, des ra:soi1'3,
des flacons...
LE MONSIEUR.— Oh! celà m'est bien égal ; il
n'est pas pour moi.
Il paye et sort. Sa voiture a pris la file. Il
fait quelques pas pour la chercher. Une mar-
chande, assise au fond d'une baraque, vois
qu'il s'arrête. Elle l'interpelle :
LA MARCHANDE. — C'est ici la boutique à
treize sous! Treize sous les beaux porte.
monnaie ! Achetez-moi un porte-monnaie,
monsieur. Je n'ai pas encore étrenné aujour-
d'hui, et j'ai cinq petits enfants...
LE MONSIEUR. — Volontiers, ma brave
femme.
LA MARCHANDE. — Choisissez, monsieur.
LE MONSIEUR. — Oh! donnez-moi celui que
vous voudrez.
(Il va pour payer.) — Tiens! je n'ai plus
d'argent.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
mess=""N° 53 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PREMIÈRE PARTIE
L'ENFANT PERDU
XIII
Le lendemain matin, comme huit heures son.
naient, la foule était compacte en la pauvre
église Saint-Giiles.
Les fidèles étaient pauvrement vètus, pour la
plupart, et quelques-uns étaient nu-pieds.
Femmes, enfants, hommes et vieillards age-
Voir * le jj»îûéro du S novembre.
nouillés sur les dalles froides, avaient les yeux
tournés vers le maître autel dont l'officiant
n'avait pas encore monté les degrés.
En dépit de la sainte majesté du lieu, il y
avait de sourds frémissements et de vagues
murmures parmi cette foule.
Anxieuse, elle semblait attendre quelque
grand événement.
C'est qu'un bruit s'était répandu depuis trois
jours dans le quartier Irlandais, un bruit qui
avait mis l'inquiétude et fait naître le doute dans
tous les cœurs.
On avait dit que ce jeune prêtre au front mys-
térieux, et qui semblait porter en lui les desti-
nées futures de la pauvre Irlande, avait été
arrêté et jeté en prison.
Tout à coup un frémissement parcourut l'é-
glise, tous les fronts se courbèrent, tous les
cœurs battirent.
La porte de la sacristie venait de s'ouvrir.
Le bedeau marchait le premier, faisant retentir
les dalles de sa longue canne.
Puis venaient les enfants de chœur vêtus de
rouge.
Enfin apparut le prêtre officiant revêtu de ses
habits sacerdotaux.
Et le frémissement redoubla, et tous les cœurs.
battirent de joie...
. Les fidèJes avaient reconnu l'abbé Samuel.
Le jeune prêtre monta à l'autel, célébra le
service divin au milieu d'un pieux recueillement;
puis quand il eut dit l'Evangile, il se dépouilla
de son étole et monta en chaire.
On eût entendu,sous les voûtes du temple, le
vol d'une hirondelle.
— Mes frères, dit alors le jeune prêtre, c'était,
il y a quatre jours, le vingt-six octobre.
A cette heure même, ce jour-là, je devais cé-
lébrer la iresse, et des frères que nous atten-
dons de pays lointains, qui ne sa connaissent
pas entre eux, mais qui ont au cœur le même
amour de Dieu et de la patrie absente, ces frè-
res, dis-je, devaient se trouver réunis ici.
Sont-ils venus ? Je l'ignore.
S'ils sont parmi vous, je les adjure de se pré-
senter, à l'issue de la messe, à la sacristie.
Et l'abbé Samuel ayant fait cet appel mysté-
rieux, commença son sermon.
Il parla du peuple de Dieu réduit en esclavage
et qu'un enfant exposé sur les eaux dans un
berceau d'osier avait rendu à la liberté.
II raconta ce long voyage d'Israël à travers le
désert, disant que ceux-là seuls qui avaient tou-
jours eu confiance en Dieu et dont la foi n'avait
point été ébranlée avaient vu enfin la terre
promise.
Et les fidèles écoutaient cette parole inspirée,
et ceux qui songeaient à l'Irlande comprenaient
que l'histoire du passé était comme une révéla-
tion de l'avenir et que le Moïse de ce nouveau
peuple de Dieu venait de naître.
Au pied de la chaire, courbée et sanglottante,
il y avait une femme jeune et belle, vêtue de
1 noir, qui écoutait la grave parole du prêtre et
attirait tous les regards par sa douloureuse atti-
tude.
! C'était, on le devine, la pauvre Irlandaise, la
mère de ce malheureux enfant dont nous racon-
tions naguère les poignantes aventures.
Auprès d'elle il y avait un autre homme que
l'on voyait à Saint-Grilles pour la première fois.
Il était vétu comme tous les autres; rien, en
lui, ne trahissait une condition différente, et ce-
pendant tous les regards qui rencontraient le
sien se baissèrent, et ceux qui le virent devi-
nèrent en lui, sur-le-champ, un des chefs mys-
térieax à qui l'Irlande obéissait.
Quand le sermon fut fini, lorsque le prêtra
fut remonté à l'autel, cet homme traversa la
foule, qui s'ouvrit respectueusement devant lui.
Il conduisait l'Irlandaise par la main et il la
mena au .seuil du sanctuaire, où elle s'agenouilla
de nouveau et continua à pleurer.
Quelle était cette femme? .
Nul ne le savait.
Mais au moment de la communion, on vit
l'abbé Samuel descendre du tabernacle, t&O&sf
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