Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-12-18
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 18 décembre 1867 18 décembre 1867
Description : 1867/12/18 (A2,N608). 1867/12/18 (A2,N608).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717610c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
JOURNAL QUOTIDIEN
. S cent. le ns.ncra
l
5 ccn'. k numéro
• ABONNEMENTS. — Trois mois. Six-mo!s. On m.
Paris.......... 5 fr. In fr. S. 'fr. 1
D,:.p.:lfLements.. » ,j 1 V3 - .
Ar!¡y,'¡nÙ.f.rafp''I'r - E. DelsAUX. -
5b année, — MERCREDI 48 DECEMBRE 4867. — Na Qü8
jLsirecieuT-i'rcprie taire : ,Î A n n ( ~ .
Ihulacteur en chef: ' A • j}F R v i Ij A .»t I H n ! i K «•-, K ; { H A C. K Ï.O'JZ M g , -
B
Bureaux i, • A n o n n e m e n T : FI.T8E
Administration: t3. place Brocia
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à toute personne qui
achète la Refile Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 17 DÉCEMBRE 1867.
LE FEU GRISOU
La catastrophe de Monceau-les-Mines
Çà et là, par la France agricole et boisée,
se trouve un coin nu d'un aspect étrange. Ni
sulfure, ni végétation. Des deux côtés d'une
route noire, apparaissent dés masures de
briques, séparées les unes des autres par de
petits terrains encombrés de hardes étendues,
d'ustensiles -de cuisine, d'objets sans nom.
Hien de désolé comme l'aspect de ces ma-
sures. Il y en a beaucoup. Les unes s'alignent
sur la route. Les autres s'éparpillent dans la
campagne, et les chemins qui y conduisent
sont couverts d'une poussière ou d'une boue
sombres.
Là, rien qui rie sous le ciel. La verdure
des maigres buissons est noirâtre, et l'air est
plein de fumée. Sortez du village : vous trou-
verez, sur la hauteur, des machines à vapeur,
des treuils à bras, des'roues à dents, des vo-
lants gigantesques, des câbles, des poulies,
des bennes, et, sur des rails luisants, de lour-
jes voitures qui transportent des amas de
houille....- .
Cette houille ne se récolte pas à la surface
du sol, comme la pomme -de terre et le blé.
Pour la trouver, il faut descendre dans les
profondeurs de la terre, il faut y travailler, il
faut y vivre...
Le temps est humide, chers lecteurs. AI-
longez les pieds sur vos chenets, regardez le
charbon qui rougit joyeusement dans l'âtre,
at dites-vous que, si vous avez chaud, vous
!e devez au mineur. Puis, quittez par la pen- <
sée le Paris de décembre, plein de gaz, de 1
jevantures, animé par ce grand mouvement ]
|ue -le début de l'hiver crée dans les capitales, 1
— transportez-vous sur le plateau sale et nu 1
les mines, penchez-vous, et essayez de voir 1
dans les puits sans fond..;
i Là-bas, a deux cents, à cinq cents, à mille,
5 ; à deux mille pieds sous terre, sont des con-
duits, des gâteries, des rues, des carrefours,
par lesquels s'agitent, dans la puanteur du
gaz, des centaines d'individus à la face noire,
à l'œi! sanglant. L'eau suinte des voûtes. Les
lampes Davy, entourées d'une feuille mé-
tallique, jettent de pâles lueurs dans l'obscu-
rité. Le pic et le marteau retentissent dans le
silence. De temps en temps, on entend un
roulement, celui d'une voiture, que traîne un
cheval étique au poil allongé. Parfois encore,
l'écho répété une détonation : c'est la poudre
qui vient de faire son œuvre. Des bennes
montent et descendent sans relâche dans les
puits. Les unes portent les hommes, les au-
tres contiennent le charbon. Au fond des ga-
leries, les piqueurs abattent la houille. Les
rouleurs la recueillent dans leurs brouettes.
Les boiseuis étayent les travaux. Voici des en-
fants de huit ans : ils nettoient les r:goles, ils
gardent les ouvertures nécessaires à l'alimen-
tation des courants d'air... Pâles, chétifs, ils
sont gais pourtant. La jeunesse triomphe de
tout, même de lamine. Et puis, ils se croient
hommes, d'être sous terre avec les hommes
quand les femmes restent en haut. La voca-
tion dépend le plus souvent de l'exemple.
« Il y a des pays, disait Pascal, où tout le
monde est chaudronnier ou maçon. »
Il y a des pays aussi où tout le monde est
mineur, -
Les chansons de la mine ont bercé le pre-
mier sommeil de l'enfant; la légende du
Lapin blanc et celle du Petit Mineur ont
charmé sa curiosité ; son- ambition la plus
haute est de devenir piqueur. Alors il gagnera
trois francs, trois francs dix sous peut-être,
et il fera la Sainte-Barbe! !...
La Sainte-Barbe, pour les mineurs, est le
Jour dans l'année, comme Rome était la Ville
pour les latins.
| Ce jour-là, on ne travaille pas et l'on fait
ripaille sous le ciel. Chaque compagnie, son
ingénieur en tète, se rend à l'église, au milieu
des détonations d'une artillerie improvisée.
Deux énormes gâteaux,tout couverts de rubans
et de fleurs, sont portés sur une civière. En
tête, marchent le crin-crin, le tambour et
les fifres. Tout le jour, on se promène. et l'on
boit. Le soir, on mange et on boit encore.
Rien n'altère comme la poussière de char-
bon. -
Aussi, pour tirer le charbon et pour boire
! à la Sainte-Barbe, l'enfant des mines sacrifie-
rait tout autre avenir. Il vivra où son père a
vécu, et ses enfants feront comme lui.
C egt ainsi que se fondent les dynasties
houillères, races"de braves gens, durs à la
peine , indifférents dans le danger, hardis à
fumer, comme Jean Bart, sur un tonneau de
poudre,et se vengeant du danger par en mes-
dire, comme disait Montaigne.
Qu 'un camarade soit en péril de mort,
le mineur n'hésitera pas à le secourir, dût-il
risquer deux fois sa vie pour cela. Mais ,
qu au contraire l'autre n'ait que le poignet
foulé ou quelque écorchure , les plaisanteries
se succèderont à l'envi.
— Pardi ! on te fera des mines de coton !
Ou bien :
En v'ià-t-il un de feignant ! Parce qu'il-
se tue, il ne veut plus travailler...
Je trouve dans Les Français peints par
eux-mêmes une excellente physiologie du
mineur que M. Le Chevalier ne" me repro-
chera sans doute pas de citer, car elle a été
publiée par M. Curmer. L'auteur de cette
physiologie, M. Fertiault, énumère les dan-
gers auxquels est exposé le travailleur soute'r-
rai n. Il y a quelque mérite à être brave après
l'énumération qui suit : . " j
1° L'asphyxie par le gaz acide carbonique
ou asphyxiant, qu'à raison de sa pesanteur ou
parvient difficilement à chasser des excava- I
tions; ou encore par la fumée étouffante que !
produit l'incendie spontané de la houille,
alors que les pyrites se décomposent et l'en-
flamment ;
2° Les éhoulements, qui résultent soit de
la vétusté des états, soit de la friabilité du
terrain ;
3o Les inondations que l'on doit craindre
toutes les fois que l'on travaille dans le voi-
sinage des rivières ou d'anciens travaux aban-
donnés ;
40 La respiration des vapeurs arsenicales
ou mercurielles dans les exploitations où se
rencontrent le mercure et l'arsenic ;
5° Le saut de la mine, lorsque l'instrument
qui sert de bourroir fait jaillir du silex une
simple étincelle qui enflamme la poudre
avant qu'on ait le temps de fuir ;
6" Les chutes : soit la chute du haut des !
échelles, assez commune à ceux qui ont une |
grande confiance dans leur habitude de les j
escalader ; soit par le déchirement des câbles s
j destinés à la circulation des bennes, lorsqu'ils
sont vieux ou gelés sur leurs bobines; soit
encore par l'imprudence du machiniste, qui,
loin d'arrêter à temps la machine» laisse pas-
ser la benne par-dessus la poulie, et précipite
dans le puits les malheureux qui viennent,
d'en remonter ;
7°. Les rhumatismes et les tremblements
nerveux causés par les eaux ferrugineuses et
j croupies, dans lesquelles ils marchent pieds
nus, et souvent même stationnent jusqu'à la
ceinture pendant plusieurs heures de suite
pour la manœuvre et la réparation des pom-
pes.
8°. Le feu D'''isou....
Le feu grisou !
« Grisou, dit le dictionnaire, ou gaz des
houillères. Les mineurs ont donné ce nom à
l'hydrogène carboné, qui se trouve fréquem-
ment en grande quantité dans les mines, et
y produit des accidents terribles par son in-
flammation. Ce gaz paraît être engagé dans
les fissures et les cavités des couches de char..
bon. Mis en liberté par l'exploitation, il s'ac-
cumule dans les galeries, parce qu'il est un
peu plus pesant que l'air, et il détone avec
violence quand on y introduit un corps en-
flammé. C'est pour prévenir les accidents
causés par le grisou qu'on se sert .de la
lampe Davy, dont une toile métallique recou-
vre la flamme. »
Les dictionnaires n'ont pas en général le
don d'émouvoir. On lit cela, et l'on reste froid.
Mais lisez les journaux d'hier; entendez,
dans les mines de Monceau, l'explosion de
jeudi, ébranlant,à neuf cents pieds sous terre,
les immenses galeries ; comptez les cadavres
des mineurs ! Ils étaient cent quatre-vingt
sept: cent vingt sont là, couchée dans les
éboulements. Laissez leurs compagnons ra-
masser leurs cadavres ; remontez à la clarté du
jour ; et^ voyez, autour des puits, ces fem-
mes qui attendent, se disant : Mon mari,
mon fils, mon frère, sont peut-être parmi
les morts!...
Commenter de'telles catastrophes serait
puéril. Plaindre de tels malheurs ne suffit
pas. Chacun, Monceau, a fait son devoir:
propriétaires, ingénieurs, les voisins, les au-
torités.... Ce n'est pas assez. Une souscrip-
tion est ouverte, et l'on reçoit toutes les of-
frandes, même celles qui viennent de loin.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAILPONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XL
:\ 0 39
L'homme gris car, en effet, c'était lui, s'ap-
procha plus encore de la jeune fille :
— Miss Erlon, dit-il, vous avez ici une femme
fF'OD aplJelJe Jenny l'Irlandaise.
— Que vous importe!
Et la (ifle de lord Palmure retrouva son riu-
V ou le tiuuséco du S novemhw»
mcu:- hautaine en présence de cet étranger qui
se permettait de la questionner.
L'homme gris demeura calme ; et sa voix ne
| perdit rien de son accent de douceur.
! — Vous ma demandez que m'importe? dit-il,
et vous avez le droit de me faire cette question.
Aussi vais-je vous répondre.
Lord Palmure, votre père, s'est troùvé, il y a
deux jours, sur un penny-boat; il a vu cetta
femme, il a cru, dans les traits de l'enfant
qu'elle avait avec elle, reconnaître-un homme.
L'enfant lui a rappelé sir Edmund Palmure, son
frère... '
Miss Ellen étouffa un cri.
, Mais l'œil fascinateur de l'homme gris posa
sur elle, et soudain elle se tut.
Il continua:
Il importait à lord Palmure d'avoir cette
femme; aussi l'a-t-il enlevée et conduite ici. Il
lui importait plus encore d'avoir l'enfant. C'est
pour cela qu'il a donné de l'or, beaucoup d'or,
et que lui, le noble pair, il n'a pas craint de se
jeter dans une aventure d'homme de rien.
— Après? dit froidement miss Ellen.
Il m'importe pareillement, à moi, poursui-
vit l'homme gris, d'avoir cette femme; et je
voit» dire ce que j'ai fait pour cela. Je suis
•Jiitro ciie?. vous de nuit, en escaladant un mur,
i ou eu ,-co.at par une . fenêtt'c. Qu'un policeman
m 'ai@rète, qu'un magistrat de police me renvoie
devant le jury, et le jury me condamne à aller
finir mes jours à Botany-bay.
Ahl dit miss Ellen, qui regardait mainte-
nant cet homme avec plus d'étonnement- que
d'épouvante.
Car,entre l'homme gris que nous avons vu au
Black-House, vêtu de ce pauvre habit gris d'où
il tenait son surnom, et eelur que miss Ellen
avait devant elle, il y avait tout un monde de
distance.
Irréprochablement vêtu, rasé avec soin, s'ex-
primant avec une aisance parfaite, cet homme,
on l'eût juré, paraissait être entré par la porte,
avoir été préalablement présenté, et il n'eût pas
fallu de grands efforts à celui qui serait entré
inopinément chez miss Ellen pour supposer
qu'il était son fiancé.
— Eh bien 1 reprit-il, ce n'est pas tout encore,
j'ai fait plus pour cela, miss Ellen : moi et mes
complices, nous avons mis la main sur un pair
d'Angleterre, nous l'avons terrassé, garrotté,
après lui avoir posé sur le visage un masque de
poix. **
Et comme mis Ellen allait jeter un nouveau
cri :
— Prenez garde, dit-il, car c'est de votre
père qu'il s'agit et bi jeJ ne sortais pas d'ici libre
et sain et sauf, vous ne ta rsvarrUtà iamairç.
I La jeune fille frissonna. :
j —La vie de lord Palmure, poursuivit l'homme
gris, répond de la mienne. Par conséquent, ne
sonnez pas, n'appelez pas. Toute imprudence
de votre part pourrait coûter la vie à votre
père. ^
Miss Ellen regardait cet homme>~avec une
épouvante mêlée, ■ à son insu peut-être, d'une
secrète admiration.
Il continua :
— L'Irlandaise est ici, et je veux la voir.
Sa voix, sans rien perdre de son calme, avait
maintenant quelque chose d'impérieux qui fit
pâlir miss Ellen de colère. ' 1 .
Sa nature altiëre se' révolta même un mo-
ment.
— On n'a jamais dit : je veux devant moi, fit",
elle.
- Aussi vous en fais-je mes plus humbles
'excuses, miss Ellen. Mais nécessité n'a pas de-
loi. Or, je vous le dis, le temps presse. La vie
de votre père est en danger, et votre résistance
pourrait...
Elle l'interrompit d'un geste.
— Et qui donc m'assure, fit-elle, que ce que
vous me dites est la vérité?
— Cette bague que je vous présenta.
En effet, si la bague de lord Palmure était au
' /
JOURNAL QUOTIDIEN
. S cent. le ns.ncra
l
5 ccn'. k numéro
• ABONNEMENTS. — Trois mois. Six-mo!s. On m.
Paris.......... 5 fr. In fr. S. 'fr. 1
D,:.p.:lfLements.. » ,j 1 V3 - .
Ar!¡y,'¡nÙ.f.rafp''I'r - E. DelsAUX. -
5b année, — MERCREDI 48 DECEMBRE 4867. — Na Qü8
jLsirecieuT-i'rcprie taire : ,Î A n n ( ~ .
Ihulacteur en chef: ' A • j}F R v i Ij A .»t I H n ! i K «•-, K ; { H A C. K Ï.O'JZ M g , -
B
Bureaux i, • A n o n n e m e n T : FI.T8E
Administration: t3. place Brocia
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à toute personne qui
achète la Refile Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 17 DÉCEMBRE 1867.
LE FEU GRISOU
La catastrophe de Monceau-les-Mines
Çà et là, par la France agricole et boisée,
se trouve un coin nu d'un aspect étrange. Ni
sulfure, ni végétation. Des deux côtés d'une
route noire, apparaissent dés masures de
briques, séparées les unes des autres par de
petits terrains encombrés de hardes étendues,
d'ustensiles -de cuisine, d'objets sans nom.
Hien de désolé comme l'aspect de ces ma-
sures. Il y en a beaucoup. Les unes s'alignent
sur la route. Les autres s'éparpillent dans la
campagne, et les chemins qui y conduisent
sont couverts d'une poussière ou d'une boue
sombres.
Là, rien qui rie sous le ciel. La verdure
des maigres buissons est noirâtre, et l'air est
plein de fumée. Sortez du village : vous trou-
verez, sur la hauteur, des machines à vapeur,
des treuils à bras, des'roues à dents, des vo-
lants gigantesques, des câbles, des poulies,
des bennes, et, sur des rails luisants, de lour-
jes voitures qui transportent des amas de
houille....- .
Cette houille ne se récolte pas à la surface
du sol, comme la pomme -de terre et le blé.
Pour la trouver, il faut descendre dans les
profondeurs de la terre, il faut y travailler, il
faut y vivre...
Le temps est humide, chers lecteurs. AI-
longez les pieds sur vos chenets, regardez le
charbon qui rougit joyeusement dans l'âtre,
at dites-vous que, si vous avez chaud, vous
!e devez au mineur. Puis, quittez par la pen- <
sée le Paris de décembre, plein de gaz, de 1
jevantures, animé par ce grand mouvement ]
|ue -le début de l'hiver crée dans les capitales, 1
— transportez-vous sur le plateau sale et nu 1
les mines, penchez-vous, et essayez de voir 1
dans les puits sans fond..;
i Là-bas, a deux cents, à cinq cents, à mille,
5 ; à deux mille pieds sous terre, sont des con-
duits, des gâteries, des rues, des carrefours,
par lesquels s'agitent, dans la puanteur du
gaz, des centaines d'individus à la face noire,
à l'œi! sanglant. L'eau suinte des voûtes. Les
lampes Davy, entourées d'une feuille mé-
tallique, jettent de pâles lueurs dans l'obscu-
rité. Le pic et le marteau retentissent dans le
silence. De temps en temps, on entend un
roulement, celui d'une voiture, que traîne un
cheval étique au poil allongé. Parfois encore,
l'écho répété une détonation : c'est la poudre
qui vient de faire son œuvre. Des bennes
montent et descendent sans relâche dans les
puits. Les unes portent les hommes, les au-
tres contiennent le charbon. Au fond des ga-
leries, les piqueurs abattent la houille. Les
rouleurs la recueillent dans leurs brouettes.
Les boiseuis étayent les travaux. Voici des en-
fants de huit ans : ils nettoient les r:goles, ils
gardent les ouvertures nécessaires à l'alimen-
tation des courants d'air... Pâles, chétifs, ils
sont gais pourtant. La jeunesse triomphe de
tout, même de lamine. Et puis, ils se croient
hommes, d'être sous terre avec les hommes
quand les femmes restent en haut. La voca-
tion dépend le plus souvent de l'exemple.
« Il y a des pays, disait Pascal, où tout le
monde est chaudronnier ou maçon. »
Il y a des pays aussi où tout le monde est
mineur, -
Les chansons de la mine ont bercé le pre-
mier sommeil de l'enfant; la légende du
Lapin blanc et celle du Petit Mineur ont
charmé sa curiosité ; son- ambition la plus
haute est de devenir piqueur. Alors il gagnera
trois francs, trois francs dix sous peut-être,
et il fera la Sainte-Barbe! !...
La Sainte-Barbe, pour les mineurs, est le
Jour dans l'année, comme Rome était la Ville
pour les latins.
| Ce jour-là, on ne travaille pas et l'on fait
ripaille sous le ciel. Chaque compagnie, son
ingénieur en tète, se rend à l'église, au milieu
des détonations d'une artillerie improvisée.
Deux énormes gâteaux,tout couverts de rubans
et de fleurs, sont portés sur une civière. En
tête, marchent le crin-crin, le tambour et
les fifres. Tout le jour, on se promène. et l'on
boit. Le soir, on mange et on boit encore.
Rien n'altère comme la poussière de char-
bon. -
Aussi, pour tirer le charbon et pour boire
! à la Sainte-Barbe, l'enfant des mines sacrifie-
rait tout autre avenir. Il vivra où son père a
vécu, et ses enfants feront comme lui.
C egt ainsi que se fondent les dynasties
houillères, races"de braves gens, durs à la
peine , indifférents dans le danger, hardis à
fumer, comme Jean Bart, sur un tonneau de
poudre,et se vengeant du danger par en mes-
dire, comme disait Montaigne.
Qu 'un camarade soit en péril de mort,
le mineur n'hésitera pas à le secourir, dût-il
risquer deux fois sa vie pour cela. Mais ,
qu au contraire l'autre n'ait que le poignet
foulé ou quelque écorchure , les plaisanteries
se succèderont à l'envi.
— Pardi ! on te fera des mines de coton !
Ou bien :
En v'ià-t-il un de feignant ! Parce qu'il-
se tue, il ne veut plus travailler...
Je trouve dans Les Français peints par
eux-mêmes une excellente physiologie du
mineur que M. Le Chevalier ne" me repro-
chera sans doute pas de citer, car elle a été
publiée par M. Curmer. L'auteur de cette
physiologie, M. Fertiault, énumère les dan-
gers auxquels est exposé le travailleur soute'r-
rai n. Il y a quelque mérite à être brave après
l'énumération qui suit : . " j
1° L'asphyxie par le gaz acide carbonique
ou asphyxiant, qu'à raison de sa pesanteur ou
parvient difficilement à chasser des excava- I
tions; ou encore par la fumée étouffante que !
produit l'incendie spontané de la houille,
alors que les pyrites se décomposent et l'en-
flamment ;
2° Les éhoulements, qui résultent soit de
la vétusté des états, soit de la friabilité du
terrain ;
3o Les inondations que l'on doit craindre
toutes les fois que l'on travaille dans le voi-
sinage des rivières ou d'anciens travaux aban-
donnés ;
40 La respiration des vapeurs arsenicales
ou mercurielles dans les exploitations où se
rencontrent le mercure et l'arsenic ;
5° Le saut de la mine, lorsque l'instrument
qui sert de bourroir fait jaillir du silex une
simple étincelle qui enflamme la poudre
avant qu'on ait le temps de fuir ;
6" Les chutes : soit la chute du haut des !
échelles, assez commune à ceux qui ont une |
grande confiance dans leur habitude de les j
escalader ; soit par le déchirement des câbles s
j destinés à la circulation des bennes, lorsqu'ils
sont vieux ou gelés sur leurs bobines; soit
encore par l'imprudence du machiniste, qui,
loin d'arrêter à temps la machine» laisse pas-
ser la benne par-dessus la poulie, et précipite
dans le puits les malheureux qui viennent,
d'en remonter ;
7°. Les rhumatismes et les tremblements
nerveux causés par les eaux ferrugineuses et
j croupies, dans lesquelles ils marchent pieds
nus, et souvent même stationnent jusqu'à la
ceinture pendant plusieurs heures de suite
pour la manœuvre et la réparation des pom-
pes.
8°. Le feu D'''isou....
Le feu grisou !
« Grisou, dit le dictionnaire, ou gaz des
houillères. Les mineurs ont donné ce nom à
l'hydrogène carboné, qui se trouve fréquem-
ment en grande quantité dans les mines, et
y produit des accidents terribles par son in-
flammation. Ce gaz paraît être engagé dans
les fissures et les cavités des couches de char..
bon. Mis en liberté par l'exploitation, il s'ac-
cumule dans les galeries, parce qu'il est un
peu plus pesant que l'air, et il détone avec
violence quand on y introduit un corps en-
flammé. C'est pour prévenir les accidents
causés par le grisou qu'on se sert .de la
lampe Davy, dont une toile métallique recou-
vre la flamme. »
Les dictionnaires n'ont pas en général le
don d'émouvoir. On lit cela, et l'on reste froid.
Mais lisez les journaux d'hier; entendez,
dans les mines de Monceau, l'explosion de
jeudi, ébranlant,à neuf cents pieds sous terre,
les immenses galeries ; comptez les cadavres
des mineurs ! Ils étaient cent quatre-vingt
sept: cent vingt sont là, couchée dans les
éboulements. Laissez leurs compagnons ra-
masser leurs cadavres ; remontez à la clarté du
jour ; et^ voyez, autour des puits, ces fem-
mes qui attendent, se disant : Mon mari,
mon fils, mon frère, sont peut-être parmi
les morts!...
Commenter de'telles catastrophes serait
puéril. Plaindre de tels malheurs ne suffit
pas. Chacun, Monceau, a fait son devoir:
propriétaires, ingénieurs, les voisins, les au-
torités.... Ce n'est pas assez. Une souscrip-
tion est ouverte, et l'on reçoit toutes les of-
frandes, même celles qui viennent de loin.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAILPONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XL
:\ 0 39
L'homme gris car, en effet, c'était lui, s'ap-
procha plus encore de la jeune fille :
— Miss Erlon, dit-il, vous avez ici une femme
fF'OD aplJelJe Jenny l'Irlandaise.
— Que vous importe!
Et la (ifle de lord Palmure retrouva son riu-
V ou le tiuuséco du S novemhw»
mcu:- hautaine en présence de cet étranger qui
se permettait de la questionner.
L'homme gris demeura calme ; et sa voix ne
| perdit rien de son accent de douceur.
! — Vous ma demandez que m'importe? dit-il,
et vous avez le droit de me faire cette question.
Aussi vais-je vous répondre.
Lord Palmure, votre père, s'est troùvé, il y a
deux jours, sur un penny-boat; il a vu cetta
femme, il a cru, dans les traits de l'enfant
qu'elle avait avec elle, reconnaître-un homme.
L'enfant lui a rappelé sir Edmund Palmure, son
frère... '
Miss Ellen étouffa un cri.
, Mais l'œil fascinateur de l'homme gris posa
sur elle, et soudain elle se tut.
Il continua:
Il importait à lord Palmure d'avoir cette
femme; aussi l'a-t-il enlevée et conduite ici. Il
lui importait plus encore d'avoir l'enfant. C'est
pour cela qu'il a donné de l'or, beaucoup d'or,
et que lui, le noble pair, il n'a pas craint de se
jeter dans une aventure d'homme de rien.
— Après? dit froidement miss Ellen.
Il m'importe pareillement, à moi, poursui-
vit l'homme gris, d'avoir cette femme; et je
voit» dire ce que j'ai fait pour cela. Je suis
•Jiitro ciie?. vous de nuit, en escaladant un mur,
i ou eu ,-co.at par une . fenêtt'c. Qu'un policeman
m 'ai@rète, qu'un magistrat de police me renvoie
devant le jury, et le jury me condamne à aller
finir mes jours à Botany-bay.
Ahl dit miss Ellen, qui regardait mainte-
nant cet homme avec plus d'étonnement- que
d'épouvante.
Car,entre l'homme gris que nous avons vu au
Black-House, vêtu de ce pauvre habit gris d'où
il tenait son surnom, et eelur que miss Ellen
avait devant elle, il y avait tout un monde de
distance.
Irréprochablement vêtu, rasé avec soin, s'ex-
primant avec une aisance parfaite, cet homme,
on l'eût juré, paraissait être entré par la porte,
avoir été préalablement présenté, et il n'eût pas
fallu de grands efforts à celui qui serait entré
inopinément chez miss Ellen pour supposer
qu'il était son fiancé.
— Eh bien 1 reprit-il, ce n'est pas tout encore,
j'ai fait plus pour cela, miss Ellen : moi et mes
complices, nous avons mis la main sur un pair
d'Angleterre, nous l'avons terrassé, garrotté,
après lui avoir posé sur le visage un masque de
poix. **
Et comme mis Ellen allait jeter un nouveau
cri :
— Prenez garde, dit-il, car c'est de votre
père qu'il s'agit et bi jeJ ne sortais pas d'ici libre
et sain et sauf, vous ne ta rsvarrUtà iamairç.
I La jeune fille frissonna. :
j —La vie de lord Palmure, poursuivit l'homme
gris, répond de la mienne. Par conséquent, ne
sonnez pas, n'appelez pas. Toute imprudence
de votre part pourrait coûter la vie à votre
père. ^
Miss Ellen regardait cet homme>~avec une
épouvante mêlée, ■ à son insu peut-être, d'une
secrète admiration.
Il continua :
— L'Irlandaise est ici, et je veux la voir.
Sa voix, sans rien perdre de son calme, avait
maintenant quelque chose d'impérieux qui fit
pâlir miss Ellen de colère. ' 1 .
Sa nature altiëre se' révolta même un mo-
ment.
— On n'a jamais dit : je veux devant moi, fit",
elle.
- Aussi vous en fais-je mes plus humbles
'excuses, miss Ellen. Mais nécessité n'a pas de-
loi. Or, je vous le dis, le temps presse. La vie
de votre père est en danger, et votre résistance
pourrait...
Elle l'interrompit d'un geste.
— Et qui donc m'assure, fit-elle, que ce que
vous me dites est la vérité?
— Cette bague que je vous présenta.
En effet, si la bague de lord Palmure était au
' /
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.21%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.21%.
- Collections numériques similaires Monnaies grecques Monnaies grecques /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "MonnGre"
- Auteurs similaires Monnaies grecques Monnaies grecques /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "MonnGre"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k4717610c/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k4717610c/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k4717610c/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k4717610c/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k4717610c
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k4717610c
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k4717610c/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest