Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-12-13
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 13 décembre 1867 13 décembre 1867
Description : 1867/12/13 (A2,N603). 1867/12/13 (A2,N603).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47176052
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
..,
Ii cent le fiaiéro ~ JOtJRîVÂXi' QUOTIDIEN > " .. -. - - ; -, S ' cmL -le: mml¿;[() 1
1 -
ABONNEMENTS. — 'U;J;3 -mois. Six-mois. Un an.
Paris ' 5 fr. 9 fr. - a.8 fr.
Département.. S 11
Adfnrt-:.Hrat&ir : E. DELSAUX. tb 2
S' année. - VENDREDI 13 DECEMBRE 1867.-— N" 603
Directeur-Propriétaire : & \ n *r r r;
Rédacteur en chef:. A. OS Bp.acsloîjns
BUREAUX d as'o.n hem E ti T : :9. a*an® lth",¡}:JJii)Í,
■ - ■ :A.DMiNisfRÂtiO« : 13. plac'4 Br«da.
La Presse illustrée journal hcbdoma-
daiîcà !0* centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 12 DÉCEMBRE 1867.
LE PETIT VAGABOND
Son père est chauffeur dans une 'usine à La
Vil iette. 11 part à cinq heures le matin, pour
ne rentrer qu'à huit heures le soir. Il s'en
rapporte à sa femme du soin de surveiller les
enfants. La mère de famille fait de son mieux.
Elle travaille à la maison et garde avec elle
les deux plus jeunes. Un autre va à l'école.
L'aîné est placé comme apprenti. Il est abrité,
survente ; il touche un petit salaire. S'iltombe j
sur un bon patron, il a toute espèce de chance
de devenir un bon ouvrier et un honnête
homme. Mais il peut tomber sur un mauvais,
qui l'accable de besogne et le roue de coups.
Voyant la pauvreté et la tristesse du logis, il
n'ose se plaindre. A quoi bon, du reste? Son
père dévorait les épaules et lui répondrait:
— J'ai passé par-là !...
' Un beau jour, lassé d'être battu, il se sauve.
il ne se demande ni où il couchera, ni ce
qu'il mangera pour son diner. Il court droit
devant lui, à toutes jambes, -s'arrêtant de
temps en temps pour respirer et. jetant alors
autour de lui des regards inquiets.
Il marche ainsi jusqu'à la nuit à travers la
ville immense, où l'individu est d'autant plus
isolé, que la foule est plus grande...
Enfin, sur le banc d'un square où il s'est
laissé tomber de fatigue, il se trouve côte à
côle avec un gamin de son âge. Ce dernier
l'interroge, et il lui répond :
— Comment t'appelles-tu?
— Je m'appelle Adolphe.
— D'où viens-tu ? „ •
— De l'atelier, d'où je me suis sauvé.
--As-tu de l'argent?
— Non.
— Qu'est-ce que tu vas faire ?
— Je ne sais pas.
L'ancien triomphe. Il prend le bras du
'Wliveau, et il l'entraîne;
— C'est égal, t'as de la chance de m'avoir
trouvé ! j
Où coucher?
Il y a les fours à plâtre de Cbaronne ; mais
c'est bien loin.
Il y aussi les Carrières d'Amérique ; mais
la rousse y descend. -
Il s'agit de trouver mieux.
Ce n'est pas difficile dans le P-aris nou-
veau.
Pas de rue où il n'y ait quelque maison en
construction. On escalade une palissade ; on
descend dans une cave, et l'on s'étend, la
tête appuyée sur un sac de plâtre en guise
d'oreiller.
Ou bi en, si l'on se trouve dans quelque j
vieux quartier, on inspecte les impasses et les
ruelles qui ne sont pas eneore-reconnues
voies publiques. Dans la plupart de ces im-
passes, de ces ruelles, se trouvent des voitu-
res, et, dans ces voitures, il y a de la paille
pour s'étendre et des toiles pour s'abriter...
Ah ! cela,- c'est la chambre à coucher
idéale!
Avec quelles précautions l'an s'y blottit, et
,comme l'on est heureux de s'y endormir!
. Le matin, on a faim.
Mais il y a la corvée.
Les deux gamins prennent la route des
quais. Ils descendent sur les ports; ils aident
à décharger les bateaux.
Parfois, s'il fait mauvais temps, ils aban-
donnent le fleuve pour la ville, le port pour
la halle, et ils s'en vont porter les hottes des
marchands, ou s'offrir comme çom mission -
naires aux acheteurs.
Vienne décembre,ils prêteront leur concours
aux marchands des baraques, aux étalagistes,
aux camelots. Ils aideront à vend,Ce'"du papier
à lettres, des peignes, des' jouets, toutes les
marchandises connues sous le nom d'article
.Paris.
Le jour de l'an est leur grand jour. Puis
vient la semaine de Pâques, à la barrière du
Trône.
Juin, juillet et août sont les mois de villé-
giature. On passe les barrières; on maraude
les fruits verts; on couche à la belle étoile.
Parfois on pousse jusqu'à Meaux, et si, sur la
grande place, des saltimbanques construisent
leur baraque, on se met à leur disposition,
moyennant la nourriture et le logement.
— M'sieu, -m. oi, je connais le tambour !
— Si moi, m'sieu, J3 sais recevoir les '[
coups de pied i
Cependant il y a des mortes saisons..
.. Souvkit la.nuit vient sans que Wnprvêe
hit dofrae pendant le jour. -■
Alors, le nouveau s'inquiète. C'est dur de
se coucher sans souper.
— Sans souper! s'écrie l'ancien; jamais! Il
nous réste la caserne !...
Et i'on s'achemine vers le faubourg Pois-
sonnière, la rue de Rivoli ou la place du Châ-
teau-d'Eau.
On arrive.
— Mon officier, il ne vous resterait pas un
peu de soupe, par hasard, ou un morceau de
pain ? >
Le soldat rentre, et ressort au bout d'un
instant,-portant une gamelle qu'il dépose en
riant sur le trottoir. Nos -garnies, — quelque-
fois ils sont cinq ou six,— se campent aussitôt
autour dé la soupe. Une unique cuillère est
plantée dans le potage. Elle passe de main eM.
main et de bouche en bouche. C'est à qui la
portera la plus pleine à ses lèvres...
Souvent, pencfant le festin, un vieux men-
diant s'approche et demande à s'asseoir à la
gamelle. \Les petits vagabonds s'écartent aus-
sitôt pour lui faire place, et disent grave-
ment : ! "
— Voifà un homme qui a faim !
II y a toujours une demi-douzaine fie piou-
pious pour les regarder manger. Entre le ga-
min de Paris et le soldat, c'est à la vie, à la
mort. Le gamin admire le glorieux uniforme,
et le glorieux uniforme se sent admiré. Les
jours de revue, ne demandez pas d4J corvée
aux vagabonds des halles et des ports. Ils ont
eu soin, la veille, de se munir de quelques
sous, et les voilà qui se dirigent vers le
Champ-de-Mars ou le bois de Boulogne, les
mains dans leurs poches, la cigarette aux lè-
vres. Ils choisissent les premières places; ils
voient s'aligner les troupes et arriver les
souverains. La revue passée, ils reviennent à
Paris, à la suite d'un régiment, électrisés par
la musique, et marquant le pas..,#
Cette douce vie, loin de la famille et loin
de l'atelier, ne laisse pas que d'avoir quelques
déboires. 1
D'abord, les parents n'aiment pas à voir
leurs enfants courir à l'aventure. '
Ensuite, les agents dé potice; gms prati*
ques par excellence, ne comprennent pas la :
poésie du vagabondage. "
' Si l'apprenti réfractaire échappe pendant
quinze jours aux recherches, il est' certaine- -
ment pincé le seizième'. Un mois est, en tout "
: a sa liberté. • .
Arrêté, o.n le conduit au poste «d'abord, puis
chez le commis¡airç de police, qui fait deman-
der ses parents.
— Voulez-vous reprendre votre enfant?
Si le père et la mère répondent oui, on le •
leur rend, après leur avoir recommandé delà
mieux surveiller à l'avenir.
S'ils disent non, ce qui est rare, ou si l'en-
fant, entraîné par le mauvais exemple, a
commis quelque petit vol, ce qui est fré-
quent, on l'envoie à la préfecture de police,
et de là à la correctionnelle.
Un triste dénoÚment, car une condamna-
tion châtie sans réformer, et, parmi les re- •
pris de justice, les vagabonds sont ceux qui
reviennent le plus souvent devant les juges..
Lorsque la loterie existait 00 France, c'é-
taient des enfants qui tournaient la roue d'où •
sortaient les numéros.
Dernièrement, on arrête un vieux vaga-
bond de soixante-dix ans.
— Votre profession ? lui demande le juge
Il répond :
— Enfant de la loterie, mon président !
\ » .
J'ai raconté simplement les faits,
A quoi bon assombrir ce tableau par des ,
fé&exions? .
Il est bien évident qu'un enfant' heureux
chez ses parents, qu'un apprenti bien traité .
dans son atelier, n'ira pas, de gaieté de cccur,
affronter le froid, la faim et les sergents de
ville.
La paresse ne saurait suffire non plus à ex-
pliquer le vagabondage ; car, enfin, la corvée
est un travail et parfois ua travail plus péni-
ble que celui distribué par le patron.
La conclusion est qu'il faut que parents et *
patrons soient bons pour les enfants. La úe
journalière ne va pas sans-discipline, je le
sais ; mais les hommes qui raisonnent doi-
vent être pleins d'indulgence et. de douceur
pour les enfants, ces petits êtres encore à
l'état de nature, que leur instinct pousse à
s'abriter sous la tendresse et à fuir devant la
brutalité.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXXV
No 34
Lord Palmure causait - tête à tête avec sa fille
vers sept heures du soir. ' , •
\ Miss Ellen était une de ces femmes mûries
avant l'âge aux-choses'positives de la vie. '
A seize ans, au lieu de parler chiffons, elle
s'occupait de politique.
Digne fille d'un tel père, elle possédait mer-
veilleusement l'histoire contemporaine du
Royaume-Uni, connaissait les aspirations de
l'Irlande, et, comme lord Palmure, éprouvait
une haine instinctive pour ce pays, qui était le
berceau de sa famille.
Ceux qui ont trahi lour patrie en deviennent
les plus cruels ennemis.
Lord Palmure avait donc trouvé en elle un
auxiliaire docile et intelligent pour l'accomplis-
sement de ses projets ténébreux.
Cependant miss Ellen n'obéissait pas en aveu-
gle; elle raisonnait très-froidement, scrutait les
ordres de son père, et lui disait :
— Je ne comprends pas très-bien quel est
j votre but.
— Il est fort simple : accaparer l'enfant.
—- Soit.
— L'enlever pour toujours à ces hommes qui
j comptent en faire leur chef un jour.
— Je comprends fort bien cela, mais...
— Je vous devine, Ellen, dit ' lord Palmure ;
vous vous dites : à quoi bon prendre cet enfant
avec nous, l'élever, le 'choyer, lui, le fils de ce
misérable qui a déshonoré nôtre nom sur un
gibet. - V.'.:-..
—1 C'est cela même, mon père. '
Un sourire vint aux lèvres de lord Palmure.
— Ecoutez-moi bien, dit-il, écoulez-i-noi atten-
tivement. JVl la conviction à présent que l'en-
fant a été volé par les fenians, non par ceux
qui rêvent la. liberté de l'Irlande et voient en
lui un chef, mais par une misérable femme,
nourrisseuse d'enfants illégitimes ou adulté-
rins...,
— Comme on en a jugé une dernièrement, fit
la jeune fille.
— C'est cela même, Ellen. Or donc on a volé
cet enfant pour le substituer à un autre, mort
sans douta, et certes l'occasion serait belle, au
lieu d'entraver cette femme dans ses projets, de
.la protéger, au contraire, par la raison bien sim-
ple qu'elle se charge de faire perdre à jamais la
trace de mon neveu.
- C'est là précisément ce que'- j'allais vous
dire, mon père.
— Eh bien ! écoutez mes projets, Ellen, et je
vous dirai ensuite quel est mon but.
Miss Ellen regarda son père et devint atten-
tive.
— Au lieu de laisser l'enfant suivre cette
obscure destinée, je m'empare de lui et de sa
mère, je les conduis en carrossé dans notre châ-
teau des environs de Glascow.
— Fort bien, dit miss Ellen.
— J'accable l'enfant de caresses, je dis à 1"8
, mère « ne craignez rien pour l'Irlande, papi^.
vos frères travaillons dans l'ombre, mais l'heure
d'agir n'est point venue. »
— Fort bien.
— Je leur donne une armée de laquais, c'est-
à-dire de geôliers. Ces pauvres gen?^ qui jusqu'à
ce jour avaient vécu de pommes de terre, sé
trouvent devenus grands seigneurs.
On se fait vite à la richesse, Ellen.
— Continuez, mon père, car je ne comprends
pas encore. • » 11
— Attendez, Ellen, attendez. Le fils grandit
au milieu de ce luxe. 1 '
— Et sa mère l'élève dans l'amour de Plr-
lande... observa miss Ellen avec ironie.
Un sourire mystérieux passa sur les lèvres de
lord Palmure :
— La mère peut mourir, dit-il, on passe si:
facilement de vie à trépas. Un fruit qui n'est i-
pas mùr, un verre d'eau glacée avalé préci.pL
tamment... Que sais-je?
— Après ? dit froidement miss Ellen.
— Supposons que l'enfant soit orphelin à
douze ou treize ans, il aura bien vite oublié les, ,
sottes rapsodies de sa mère à propos de l 'Ir-
lande. ,
— Bon! '
- Nous l'élèverons en bon anglais qui do^j s
siéger au parlement quelque jour SSÉ?.;
céder.- : """""
»
Noir le uu-jivro du. 8 novembre»
..,
Ii cent le fiaiéro ~ JOtJRîVÂXi' QUOTIDIEN > " .. -. - - ; -, S ' cmL -le: mml¿;[() 1
1 -
ABONNEMENTS. — 'U;J;3 -mois. Six-mois. Un an.
Paris ' 5 fr. 9 fr. - a.8 fr.
Département.. S 11
Adfnrt-:.Hrat&ir : E. DELSAUX. tb 2
S' année. - VENDREDI 13 DECEMBRE 1867.-— N" 603
Directeur-Propriétaire : & \ n *r r r;
Rédacteur en chef:. A. OS Bp.acsloîjns
BUREAUX d as'o.n hem E ti T : :9. a*an® lth",¡}:JJii)Í,
■ - ■ :A.DMiNisfRÂtiO« : 13. plac'4 Br«da.
La Presse illustrée journal hcbdoma-
daiîcà !0* centimes, est vendue 5 cen-
times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 12 DÉCEMBRE 1867.
LE PETIT VAGABOND
Son père est chauffeur dans une 'usine à La
Vil iette. 11 part à cinq heures le matin, pour
ne rentrer qu'à huit heures le soir. Il s'en
rapporte à sa femme du soin de surveiller les
enfants. La mère de famille fait de son mieux.
Elle travaille à la maison et garde avec elle
les deux plus jeunes. Un autre va à l'école.
L'aîné est placé comme apprenti. Il est abrité,
survente ; il touche un petit salaire. S'iltombe j
sur un bon patron, il a toute espèce de chance
de devenir un bon ouvrier et un honnête
homme. Mais il peut tomber sur un mauvais,
qui l'accable de besogne et le roue de coups.
Voyant la pauvreté et la tristesse du logis, il
n'ose se plaindre. A quoi bon, du reste? Son
père dévorait les épaules et lui répondrait:
— J'ai passé par-là !...
' Un beau jour, lassé d'être battu, il se sauve.
il ne se demande ni où il couchera, ni ce
qu'il mangera pour son diner. Il court droit
devant lui, à toutes jambes, -s'arrêtant de
temps en temps pour respirer et. jetant alors
autour de lui des regards inquiets.
Il marche ainsi jusqu'à la nuit à travers la
ville immense, où l'individu est d'autant plus
isolé, que la foule est plus grande...
Enfin, sur le banc d'un square où il s'est
laissé tomber de fatigue, il se trouve côte à
côle avec un gamin de son âge. Ce dernier
l'interroge, et il lui répond :
— Comment t'appelles-tu?
— Je m'appelle Adolphe.
— D'où viens-tu ? „ •
— De l'atelier, d'où je me suis sauvé.
--As-tu de l'argent?
— Non.
— Qu'est-ce que tu vas faire ?
— Je ne sais pas.
L'ancien triomphe. Il prend le bras du
'Wliveau, et il l'entraîne;
— C'est égal, t'as de la chance de m'avoir
trouvé ! j
Où coucher?
Il y a les fours à plâtre de Cbaronne ; mais
c'est bien loin.
Il y aussi les Carrières d'Amérique ; mais
la rousse y descend. -
Il s'agit de trouver mieux.
Ce n'est pas difficile dans le P-aris nou-
veau.
Pas de rue où il n'y ait quelque maison en
construction. On escalade une palissade ; on
descend dans une cave, et l'on s'étend, la
tête appuyée sur un sac de plâtre en guise
d'oreiller.
Ou bi en, si l'on se trouve dans quelque j
vieux quartier, on inspecte les impasses et les
ruelles qui ne sont pas eneore-reconnues
voies publiques. Dans la plupart de ces im-
passes, de ces ruelles, se trouvent des voitu-
res, et, dans ces voitures, il y a de la paille
pour s'étendre et des toiles pour s'abriter...
Ah ! cela,- c'est la chambre à coucher
idéale!
Avec quelles précautions l'an s'y blottit, et
,comme l'on est heureux de s'y endormir!
. Le matin, on a faim.
Mais il y a la corvée.
Les deux gamins prennent la route des
quais. Ils descendent sur les ports; ils aident
à décharger les bateaux.
Parfois, s'il fait mauvais temps, ils aban-
donnent le fleuve pour la ville, le port pour
la halle, et ils s'en vont porter les hottes des
marchands, ou s'offrir comme çom mission -
naires aux acheteurs.
Vienne décembre,ils prêteront leur concours
aux marchands des baraques, aux étalagistes,
aux camelots. Ils aideront à vend,Ce'"du papier
à lettres, des peignes, des' jouets, toutes les
marchandises connues sous le nom d'article
.Paris.
Le jour de l'an est leur grand jour. Puis
vient la semaine de Pâques, à la barrière du
Trône.
Juin, juillet et août sont les mois de villé-
giature. On passe les barrières; on maraude
les fruits verts; on couche à la belle étoile.
Parfois on pousse jusqu'à Meaux, et si, sur la
grande place, des saltimbanques construisent
leur baraque, on se met à leur disposition,
moyennant la nourriture et le logement.
— M'sieu, -m. oi, je connais le tambour !
— Si moi, m'sieu, J3 sais recevoir les '[
coups de pied i
Cependant il y a des mortes saisons..
.. Souvkit la.nuit vient sans que Wnprvêe
hit dofrae pendant le jour. -■
Alors, le nouveau s'inquiète. C'est dur de
se coucher sans souper.
— Sans souper! s'écrie l'ancien; jamais! Il
nous réste la caserne !...
Et i'on s'achemine vers le faubourg Pois-
sonnière, la rue de Rivoli ou la place du Châ-
teau-d'Eau.
On arrive.
— Mon officier, il ne vous resterait pas un
peu de soupe, par hasard, ou un morceau de
pain ? >
Le soldat rentre, et ressort au bout d'un
instant,-portant une gamelle qu'il dépose en
riant sur le trottoir. Nos -garnies, — quelque-
fois ils sont cinq ou six,— se campent aussitôt
autour dé la soupe. Une unique cuillère est
plantée dans le potage. Elle passe de main eM.
main et de bouche en bouche. C'est à qui la
portera la plus pleine à ses lèvres...
Souvent, pencfant le festin, un vieux men-
diant s'approche et demande à s'asseoir à la
gamelle. \Les petits vagabonds s'écartent aus-
sitôt pour lui faire place, et disent grave-
ment : ! "
— Voifà un homme qui a faim !
II y a toujours une demi-douzaine fie piou-
pious pour les regarder manger. Entre le ga-
min de Paris et le soldat, c'est à la vie, à la
mort. Le gamin admire le glorieux uniforme,
et le glorieux uniforme se sent admiré. Les
jours de revue, ne demandez pas d4J corvée
aux vagabonds des halles et des ports. Ils ont
eu soin, la veille, de se munir de quelques
sous, et les voilà qui se dirigent vers le
Champ-de-Mars ou le bois de Boulogne, les
mains dans leurs poches, la cigarette aux lè-
vres. Ils choisissent les premières places; ils
voient s'aligner les troupes et arriver les
souverains. La revue passée, ils reviennent à
Paris, à la suite d'un régiment, électrisés par
la musique, et marquant le pas..,#
Cette douce vie, loin de la famille et loin
de l'atelier, ne laisse pas que d'avoir quelques
déboires. 1
D'abord, les parents n'aiment pas à voir
leurs enfants courir à l'aventure. '
Ensuite, les agents dé potice; gms prati*
ques par excellence, ne comprennent pas la :
poésie du vagabondage. "
' Si l'apprenti réfractaire échappe pendant
quinze jours aux recherches, il est' certaine- -
ment pincé le seizième'. Un mois est, en tout "
: a sa liberté. • .
Arrêté, o.n le conduit au poste «d'abord, puis
chez le commis¡airç de police, qui fait deman-
der ses parents.
— Voulez-vous reprendre votre enfant?
Si le père et la mère répondent oui, on le •
leur rend, après leur avoir recommandé delà
mieux surveiller à l'avenir.
S'ils disent non, ce qui est rare, ou si l'en-
fant, entraîné par le mauvais exemple, a
commis quelque petit vol, ce qui est fré-
quent, on l'envoie à la préfecture de police,
et de là à la correctionnelle.
Un triste dénoÚment, car une condamna-
tion châtie sans réformer, et, parmi les re- •
pris de justice, les vagabonds sont ceux qui
reviennent le plus souvent devant les juges..
Lorsque la loterie existait 00 France, c'é-
taient des enfants qui tournaient la roue d'où •
sortaient les numéros.
Dernièrement, on arrête un vieux vaga-
bond de soixante-dix ans.
— Votre profession ? lui demande le juge
Il répond :
— Enfant de la loterie, mon président !
\ » .
J'ai raconté simplement les faits,
A quoi bon assombrir ce tableau par des ,
fé&exions? .
Il est bien évident qu'un enfant' heureux
chez ses parents, qu'un apprenti bien traité .
dans son atelier, n'ira pas, de gaieté de cccur,
affronter le froid, la faim et les sergents de
ville.
La paresse ne saurait suffire non plus à ex-
pliquer le vagabondage ; car, enfin, la corvée
est un travail et parfois ua travail plus péni-
ble que celui distribué par le patron.
La conclusion est qu'il faut que parents et *
patrons soient bons pour les enfants. La úe
journalière ne va pas sans-discipline, je le
sais ; mais les hommes qui raisonnent doi-
vent être pleins d'indulgence et. de douceur
pour les enfants, ces petits êtres encore à
l'état de nature, que leur instinct pousse à
s'abriter sous la tendresse et à fuir devant la
brutalité.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXXV
No 34
Lord Palmure causait - tête à tête avec sa fille
vers sept heures du soir. ' , •
\ Miss Ellen était une de ces femmes mûries
avant l'âge aux-choses'positives de la vie. '
A seize ans, au lieu de parler chiffons, elle
s'occupait de politique.
Digne fille d'un tel père, elle possédait mer-
veilleusement l'histoire contemporaine du
Royaume-Uni, connaissait les aspirations de
l'Irlande, et, comme lord Palmure, éprouvait
une haine instinctive pour ce pays, qui était le
berceau de sa famille.
Ceux qui ont trahi lour patrie en deviennent
les plus cruels ennemis.
Lord Palmure avait donc trouvé en elle un
auxiliaire docile et intelligent pour l'accomplis-
sement de ses projets ténébreux.
Cependant miss Ellen n'obéissait pas en aveu-
gle; elle raisonnait très-froidement, scrutait les
ordres de son père, et lui disait :
— Je ne comprends pas très-bien quel est
j votre but.
— Il est fort simple : accaparer l'enfant.
—- Soit.
— L'enlever pour toujours à ces hommes qui
j comptent en faire leur chef un jour.
— Je comprends fort bien cela, mais...
— Je vous devine, Ellen, dit ' lord Palmure ;
vous vous dites : à quoi bon prendre cet enfant
avec nous, l'élever, le 'choyer, lui, le fils de ce
misérable qui a déshonoré nôtre nom sur un
gibet. - V.'.:-..
—1 C'est cela même, mon père. '
Un sourire vint aux lèvres de lord Palmure.
— Ecoutez-moi bien, dit-il, écoulez-i-noi atten-
tivement. JVl la conviction à présent que l'en-
fant a été volé par les fenians, non par ceux
qui rêvent la. liberté de l'Irlande et voient en
lui un chef, mais par une misérable femme,
nourrisseuse d'enfants illégitimes ou adulté-
rins...,
— Comme on en a jugé une dernièrement, fit
la jeune fille.
— C'est cela même, Ellen. Or donc on a volé
cet enfant pour le substituer à un autre, mort
sans douta, et certes l'occasion serait belle, au
lieu d'entraver cette femme dans ses projets, de
.la protéger, au contraire, par la raison bien sim-
ple qu'elle se charge de faire perdre à jamais la
trace de mon neveu.
- C'est là précisément ce que'- j'allais vous
dire, mon père.
— Eh bien ! écoutez mes projets, Ellen, et je
vous dirai ensuite quel est mon but.
Miss Ellen regarda son père et devint atten-
tive.
— Au lieu de laisser l'enfant suivre cette
obscure destinée, je m'empare de lui et de sa
mère, je les conduis en carrossé dans notre châ-
teau des environs de Glascow.
— Fort bien, dit miss Ellen.
— J'accable l'enfant de caresses, je dis à 1"8
, mère « ne craignez rien pour l'Irlande, papi^.
vos frères travaillons dans l'ombre, mais l'heure
d'agir n'est point venue. »
— Fort bien.
— Je leur donne une armée de laquais, c'est-
à-dire de geôliers. Ces pauvres gen?^ qui jusqu'à
ce jour avaient vécu de pommes de terre, sé
trouvent devenus grands seigneurs.
On se fait vite à la richesse, Ellen.
— Continuez, mon père, car je ne comprends
pas encore. • » 11
— Attendez, Ellen, attendez. Le fils grandit
au milieu de ce luxe. 1 '
— Et sa mère l'élève dans l'amour de Plr-
lande... observa miss Ellen avec ironie.
Un sourire mystérieux passa sur les lèvres de
lord Palmure :
— La mère peut mourir, dit-il, on passe si:
facilement de vie à trépas. Un fruit qui n'est i-
pas mùr, un verre d'eau glacée avalé préci.pL
tamment... Que sais-je?
— Après ? dit froidement miss Ellen.
— Supposons que l'enfant soit orphelin à
douze ou treize ans, il aura bien vite oublié les, ,
sottes rapsodies de sa mère à propos de l 'Ir-
lande. ,
— Bon! '
- Nous l'élèverons en bon anglais qui do^j s
siéger au parlement quelque jour SSÉ?.;
céder.- : """""
»
Noir le uu-jivro du. 8 novembre»
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