Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-12-01
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 décembre 1867 01 décembre 1867
Description : 1867/12/01 (A2,N591). 1867/12/01 (A2,N591).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47175939
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
S cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN 1
S cent. le numéro -
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. un an.
Paris a fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. 8 il
Administrateur : E. DEKSAUX. ee
a® année. — DIMANCHE 1er DECEMBRE 4867. — N° 591
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALAT HIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, s*ue Drotaot.
| ADMINISTRATION : 13, 'place Breda.
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire il 10 centimes, est vendue 5 cen -1
times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi- à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 30 NOVEMBRE 1867.
L'OUVRIÈRE
Paris a beau s'être renouvelé, il y reste
- encore des mansardes.
Dons celle-là, on trouve une chaise, une
tabJc; UI1 grabat, un petit poêle qui fume.
Le jour y entre, par une lucarne. C'est le
jour d'en haut Mais, en hiver, le jour d'en
haut lui-même est triste. Un crépuscule gris
enveloppe tout.
Que c'est dur, l'hiver! Que c'est morne, et
comme le froid rend plus cruelles les priva-
tions ! ^
L'été, le ciel, même vu par une lucarne,
est bleu; les oiseaux chantent; et, quand ils
entendent les oiseaux, ceux qui vivent seuls
se sentent moins isolés. L'été, UI) grand sen-
timent de bien-être court dans les veines de
toutes les créatures; et les taudis, pleins de
rayons, sont riants comme les boudoirs...
Vienne décembre ; les chambres nues res-
semblent à des tombeaux.
Cependant la plus pauvre, celle-là, coûte
CIlcol'êcent francs par an , vingt-de HA liaiibS I
cinquante par trime-5tr.e, - cinq sous par
jour.
Or, celle qui l'habite gagne vingt sous.
Elle travaille pour un magasin de confec-
tions. A travailler à la journée,^lle gagnerait
davantage ; mais, outre qu'on n'a pas des
journées toute l'année, elle n'est pas assez
bien vêtue pour aller chez les autres. Elle
demeure donc chez elle.
Elle dépense cinq sous de loyer,
Trois sous d'huile,
Trois sous de charbon,
Deux sous de fil, d'aiguilles et de fourni-
tures diverses... ,
Je sépare à dessein chacun des articles dq
ce budget,.. _ .
Quelque pauvrement qu'on s'habille, et
quelques lessives qu'on fasse soi-même, il faut
se blanchir et se-vêtir. Est-ce trop de trois
francs par mois pour cela?
Trois francs par mois font deux sous. par
jour.
11 reste donc cinq sous pour manger.
Avec cinq sous on a de la soupe et du
pain.
Les bureaux de bienfaisance sont pour les
infirmées et pour les vieux.
Ici, on peut travailler, en se suffit.
Mais à quel prix?...
L'ouvrière est assise auprès de l'a lu-
carne.
Elle coud.
Tout coup, au moment d'enfiler son
aiguille, elle s'aperçoit que sa main trem-
ble.
— C'est de froid.
Elle regarde ses doigts. La main est d'une
jolie forme, mais rouge, et - les engelures y
ont mis des crevasses
— Je vais me chaufter un peu.
Elle s'approche du poê'e, où grésillent
quelques charbons à moitié cendre.
' — Le feu ne va pas !
I Le charbon est dans la cheminée. En allant
le prendre, la jeune fille se trouve en face du
petit miroir suspendu au-dessus.
Elle se regarde.
.
t — Je suis jolie, et la toilette m'irait bien.
! Pourquoi sUÍs"",j'J pauvre ?
! Est-ce ma faute, à moi, si je suis née?
11 y en a dont les parents sont riches et
qui vivent avec toutes leurs aises. Celles-là
ont des chambres bien closes, des feux clairs
qui égayent, même en hiver, leur intérieur,
comme ferait le soleil. C'est bon d'a\oir
chaud, quand la bise souffle dans la rue.
C'est bon d'être bien vêtue, et de s'asseoir à
une table bien servie.
Parmi celles qui ont tout cela, il y en a de
laides. Moi, je suis belle, et, il faut bien que
je le sois pour le paraître encore sous mes
iaillons.
Je suis belle, et je ne mange que du pain,
et je ne bois que de l'eau, et je grelotte, et je
n'ai qu'une robe d'indienne au mois de dé-
cembre comme au mois de juin.
Pourquoi?
C'est injuste.
Et,,aat.. ies yeux de la prolétaire passe
l'éclair de la tentation.
— Je puis avoir ce que j'envie. |
. L'autre jour, quand je suis allée acheter
cette guenille qui me couvre, la marchande
a souri en me regardant.
Nous autres des rues de Paris, nous savons
tout. J'ai* corn pris ce sourire.
Ainsi, il ne tiendrait qu'à moi d'avoir une
robe de soie, des gants, des bottines, un cha-
peau. J'irais au bal, alors, et, qui sait?
Au bout de cette vie-là, il y a l'hôpital —
quelquefois, on me l'a assez dit; mais il y a
quelquefois aussi un bel apparteme-nt, une
voiture, et de l'or avec lequel on peut se payer
toutes les fantaisies qu'on a....
Pourquoi donc ai-je hésité?
Pourquoi.? Je le sais bien. C'est queje n'ai
pas été élevée ainsi.
Mon père me disait quand j'étais petite :
— Toi, si je savais que tu fasses comme tant
d'autres, je te tuerais !
Ma mère., à son lit de mort, m'a dit de
même : — Mariette; tout n'est pas rose Gans
ce monde. J'ai cinquante ans, mais j'ai souf-
fert pour cent. C'est égal, je mourrai tran-
quille , ayant toujours vécu en honnête
femme, si tu me promets de vivre -'tomme moi.
J'ai prpmis.
J'étais bien petite alors, mais cette scène
ne S'(;",t pas effacée de ma mémoire.
Le !;;, sur lequel ma mère agonisait, n'était
pas meilleur que celui-ci. Il n'y avait pas plus"
de charbon dans le poêle, ni de lumière dans
la chambre. Pourtant elle mourait tranquille.
La maladie seule lui faisait pousser des sou-
pirs, et peut-être aussi le chagrin de nous
! quitter, nous autres qui étions là, à genoux,
ses bras autour de notre cou, suffoqués et
criant : — Mon Dieu 1 mon Dieu !
Eh bien ! oui, ma mère, je resterai une
honnête femme. Eh bien ! oui, mon père, je
ne ferai pas comme tant d'autres. Je travail-
! lerai, je lutterai; mais j'irai jusqu'au bout,
j en gardant votre bon souvenir et en prati-
• quant vos bons exemples! .....
i Elle se retourna
Le feu était éteint. Au dehors, le brouillard'
tombait et commençait à obscurcir la vitre.
— Tiens, je n'ai pas mis de charbon. Je
ne sais plus ce que je fais I...'
Elle se regarda de nouveau dans le mi-
roir.
Elle avait la fièvre. Ses joues étaient rou-
ges. Son œil était humide e-t brillait. Cette
fois, elle se baissa pour prendre le charbon;
mais ses pauvres doigts, endoloris et glacés,
ne se pliaient qu'avec peine à la besogne.
Alors, elle se prit la tête à deux mains, et se
mit à crier. Elle souffrait trop.
— Non! non! j'en ai assez. Je ne peux
plu-s! Je ne peux plus!..<
Je ne peux plus vivre, sans doute !
Quand elle eut bien crié, elle se' redressa,
et froidement, avec des mouvements d'auto-
mate, elle disposa du charbon sur un ré-
chaud. Ses doigts se pliaient maintenant.
Quand le réchaud fut allumé, elle prit quel- .
ques mauvais linges dans un coin, et les tor-
tilla en bourrelets.
Puis, clie's'approcha de la fenêtre.
En face, de l'autre côté de la rue étroite,
était une autre mansarde. •
Dans cette mansarde habitait une femme
déjà vieille, veuve, et mère de deux petits
enfants.
L'un d'eux, un garçon, était apprenti chez
un layetier. Il partait le matin, et ne reve-
nait que le soir. 11 devait être b=cn fatigué ;
mais on ne's'en apercevait guère au tapage
qu'il faisait en descendant et en montant les
esçalinrs.
L'acre était une petite fille, pâlotte et
soufif eteiise. Elle ne vivra pas, disaient les
voisins. Cependant la petite tenait bon, tant
elle était entourée de soins. Vingt fois par
jour, la m'èr'c se dérangeait de son ouvrage
pour lui donner à boire ou s'assurer qu'elle
ne manquait de rien, dans la petite chaise à
b"as où elle passait ses journées. Quant à
l'apprenti, il laissait le tapage à' la porte de'
la mansarde'et ne gardait que .ia gaieie.
A sa vue, sa sœur tapait ses petites mains-
l'une-contre l'autre , et. souriait paiement,,
comme elle pouvait sourire. Lui, se mettait -Li,
genoux devant la chaise et faisait des jeux.
Alors on voyait la mère les embrasser tous
les deux, et s'essuyer les yeux. Mais c'était
de joie qu'elle pleurait, de les voir si unis et
si aimants..
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXIII
Miss Penny n'avait rien exagéré dans le public
nouse de Relay last, lorsqu'elle avait parlé de
la douleur profonde de sir Cooman. *
Le digne gouverneur, parfait gentleman, du
reste, était dans un état d'affliction qui faisait
peine à voir.
U Buua&ro dy ê mvemif®.
Il:avait une femme et une fille, et il était al-
derman.
Sa femme était une longue, sèche, triste
créature qui se plaignait de la pluie quand il
pleuvait, du froid si la bise soufflait, du soleil
quand le brouillard voulai't-bien lui livrer pas-
sage. ' .
j Mme Cooman recevait quotidiennement la
visite de deux médecins qui lui prescrivaient
des remèdes conformes à son état de malade
imaginaire.
. Miss Cooman ne ressemblait pas plus à sa
mère qu'un bouleau ne ressemble, à un peu-
plier.
Elle était toute petite, toute large, toute
ronde, toute grasse, avec de petits yeux gris et
de grosses lèvres charnues.
La mère se plaignait de maigrir, la fille était
au désespoir d'engraisser toujours.
Du reste, elle n'avait pas meilleure humeur, j
et master Goldmidcht, le guichetier, avait cou.
tume de dire :
— Sir Cooman a toujours l'air de bonne hu-
meur, mais, au fond, entre ces deux mégères, il
doit être bien malheureux.
Master Goldmidcbt s'était trompé, jusque-là
du moins.
Depuis vingt années qu'il était gouverneur
de White-Crosse sir Cooman était l'homme le
plus heureux du monde. Il riait de bon cœur et J
toujours,et quand il visitait un nouveau détenu,
il lui donnai^ les plus belles consolations du
monde et finissait par cette conclusion que
nulle part on n'était aussi bien que dans White-
cross, et que la liberté est une mauvaise plai-
santerie qu'il faut fuir comme la peste.
Une seule.chose amenait parfois un pli léger
sur le front de sir Cooman et dérangeait la
symétrie de ses cheveux'soigneusement fri-
sés.
Pour expliquer cette chose, il nous faut faire
une légère excursion dans le passé de sir Coo-
man.
Quand il était entré à White-cross comme
gouverneur, il avait succédé à un vieux brave
, homme, ancien libraire de la rue Pater-noster,
que les honneurs municipaux avaient poussé
jusqu'à la dignité de gouverneur de la maison
pour dettes.
Ce brave homme, trop vieux pour exercer
désormais convenablement ces fonctions, avait
été mis à la, retraite, mais il ne voulut pas se
retirer sans avoir installé son successeur. -
— Jeune homme, lui dit-il, j'ai vécu trente
années ici, et pendant mon administration tout
a été pour le mieux dans la plus fortunée des
prisons pour dettes : il n'y a eu ni révolte, nr
tentative d'évasion, ni querelles parmi les déte",
nus, qui n'ont cesosé de m'appeler leur pà?e.
Savez-vous à quoi cela a ter.u?
— Non, dit sir Cooman étonné.
— A un fétiche, à un porte-bonheur qui pro-
tège White-cross et par conséquent son gouver-
*
neur.
— Ah! vraiment? fit sir Cooman.
— li.y a toujours un Français ici, poursuivit
le vieillard, et tant que cela durera, vous pour-
rez dormir tranquille. Mais sir par la suite,
jeune homme, li hasard voulait que !e Français
ne fût pas remplacé par un autre...
— Eh bien? fit sir Cooman tout tremblanu.
— Je ne répondrais pins de rien, acheva la
vieillard; et, quelque chose ma dit que les plus
épouvantables malheurs fondraient sur la prison
et sur son gouverneur.
Or ce quelque chose qui, à trente - années de
distance, creusait parfois une ride sur le front .
de sir Cooman, c'était le souvenir de sa conver-
sation avec son prédécesseur. "
Heureusement, jusqu'alors, il y avait toujours
eu deux Français plutôt q,n'un, et la prjson avait
pour eux une maison spéciale.
Car, il faut bien le aire,. White-cross et les
autres prisons pour dettes de l'Angleterre ne ...
ressemblent pas plus- à feu Clichy que madame
Cooman ne ressemblait à sa fille.
L'administration P--anicit)ale. de Londres 4
S cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN 1
S cent. le numéro -
ABONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. un an.
Paris a fr. 9 fr. 1 s fr.
Départements.. 8 il
Administrateur : E. DEKSAUX. ee
a® année. — DIMANCHE 1er DECEMBRE 4867. — N° 591
Directeur-Proprié taire : JAN NIN.
Rédacteur en chef: A. DE BALAT HIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, s*ue Drotaot.
| ADMINISTRATION : 13, 'place Breda.
La Presse illustrée journal hebdoma-
daire il 10 centimes, est vendue 5 cen -1
times seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse le samedi- à Paris
et le dimanche en province.
PARIS, 30 NOVEMBRE 1867.
L'OUVRIÈRE
Paris a beau s'être renouvelé, il y reste
- encore des mansardes.
Dons celle-là, on trouve une chaise, une
tabJc; UI1 grabat, un petit poêle qui fume.
Le jour y entre, par une lucarne. C'est le
jour d'en haut Mais, en hiver, le jour d'en
haut lui-même est triste. Un crépuscule gris
enveloppe tout.
Que c'est dur, l'hiver! Que c'est morne, et
comme le froid rend plus cruelles les priva-
tions ! ^
L'été, le ciel, même vu par une lucarne,
est bleu; les oiseaux chantent; et, quand ils
entendent les oiseaux, ceux qui vivent seuls
se sentent moins isolés. L'été, UI) grand sen-
timent de bien-être court dans les veines de
toutes les créatures; et les taudis, pleins de
rayons, sont riants comme les boudoirs...
Vienne décembre ; les chambres nues res-
semblent à des tombeaux.
Cependant la plus pauvre, celle-là, coûte
CIlcol'êcent francs par an , vingt-de HA liaiibS I
cinquante par trime-5tr.e, - cinq sous par
jour.
Or, celle qui l'habite gagne vingt sous.
Elle travaille pour un magasin de confec-
tions. A travailler à la journée,^lle gagnerait
davantage ; mais, outre qu'on n'a pas des
journées toute l'année, elle n'est pas assez
bien vêtue pour aller chez les autres. Elle
demeure donc chez elle.
Elle dépense cinq sous de loyer,
Trois sous d'huile,
Trois sous de charbon,
Deux sous de fil, d'aiguilles et de fourni-
tures diverses... ,
Je sépare à dessein chacun des articles dq
ce budget,.. _ .
Quelque pauvrement qu'on s'habille, et
quelques lessives qu'on fasse soi-même, il faut
se blanchir et se-vêtir. Est-ce trop de trois
francs par mois pour cela?
Trois francs par mois font deux sous. par
jour.
11 reste donc cinq sous pour manger.
Avec cinq sous on a de la soupe et du
pain.
Les bureaux de bienfaisance sont pour les
infirmées et pour les vieux.
Ici, on peut travailler, en se suffit.
Mais à quel prix?...
L'ouvrière est assise auprès de l'a lu-
carne.
Elle coud.
Tout coup, au moment d'enfiler son
aiguille, elle s'aperçoit que sa main trem-
ble.
— C'est de froid.
Elle regarde ses doigts. La main est d'une
jolie forme, mais rouge, et - les engelures y
ont mis des crevasses
— Je vais me chaufter un peu.
Elle s'approche du poê'e, où grésillent
quelques charbons à moitié cendre.
' — Le feu ne va pas !
I Le charbon est dans la cheminée. En allant
le prendre, la jeune fille se trouve en face du
petit miroir suspendu au-dessus.
Elle se regarde.
.
t — Je suis jolie, et la toilette m'irait bien.
! Pourquoi sUÍs"",j'J pauvre ?
! Est-ce ma faute, à moi, si je suis née?
11 y en a dont les parents sont riches et
qui vivent avec toutes leurs aises. Celles-là
ont des chambres bien closes, des feux clairs
qui égayent, même en hiver, leur intérieur,
comme ferait le soleil. C'est bon d'a\oir
chaud, quand la bise souffle dans la rue.
C'est bon d'être bien vêtue, et de s'asseoir à
une table bien servie.
Parmi celles qui ont tout cela, il y en a de
laides. Moi, je suis belle, et, il faut bien que
je le sois pour le paraître encore sous mes
iaillons.
Je suis belle, et je ne mange que du pain,
et je ne bois que de l'eau, et je grelotte, et je
n'ai qu'une robe d'indienne au mois de dé-
cembre comme au mois de juin.
Pourquoi?
C'est injuste.
Et,,aat.. ies yeux de la prolétaire passe
l'éclair de la tentation.
— Je puis avoir ce que j'envie. |
. L'autre jour, quand je suis allée acheter
cette guenille qui me couvre, la marchande
a souri en me regardant.
Nous autres des rues de Paris, nous savons
tout. J'ai* corn pris ce sourire.
Ainsi, il ne tiendrait qu'à moi d'avoir une
robe de soie, des gants, des bottines, un cha-
peau. J'irais au bal, alors, et, qui sait?
Au bout de cette vie-là, il y a l'hôpital —
quelquefois, on me l'a assez dit; mais il y a
quelquefois aussi un bel apparteme-nt, une
voiture, et de l'or avec lequel on peut se payer
toutes les fantaisies qu'on a....
Pourquoi donc ai-je hésité?
Pourquoi.? Je le sais bien. C'est queje n'ai
pas été élevée ainsi.
Mon père me disait quand j'étais petite :
— Toi, si je savais que tu fasses comme tant
d'autres, je te tuerais !
Ma mère., à son lit de mort, m'a dit de
même : — Mariette; tout n'est pas rose Gans
ce monde. J'ai cinquante ans, mais j'ai souf-
fert pour cent. C'est égal, je mourrai tran-
quille , ayant toujours vécu en honnête
femme, si tu me promets de vivre -'tomme moi.
J'ai prpmis.
J'étais bien petite alors, mais cette scène
ne S'(;",t pas effacée de ma mémoire.
Le !;;, sur lequel ma mère agonisait, n'était
pas meilleur que celui-ci. Il n'y avait pas plus"
de charbon dans le poêle, ni de lumière dans
la chambre. Pourtant elle mourait tranquille.
La maladie seule lui faisait pousser des sou-
pirs, et peut-être aussi le chagrin de nous
! quitter, nous autres qui étions là, à genoux,
ses bras autour de notre cou, suffoqués et
criant : — Mon Dieu 1 mon Dieu !
Eh bien ! oui, ma mère, je resterai une
honnête femme. Eh bien ! oui, mon père, je
ne ferai pas comme tant d'autres. Je travail-
! lerai, je lutterai; mais j'irai jusqu'au bout,
j en gardant votre bon souvenir et en prati-
• quant vos bons exemples! .....
i Elle se retourna
Le feu était éteint. Au dehors, le brouillard'
tombait et commençait à obscurcir la vitre.
— Tiens, je n'ai pas mis de charbon. Je
ne sais plus ce que je fais I...'
Elle se regarda de nouveau dans le mi-
roir.
Elle avait la fièvre. Ses joues étaient rou-
ges. Son œil était humide e-t brillait. Cette
fois, elle se baissa pour prendre le charbon;
mais ses pauvres doigts, endoloris et glacés,
ne se pliaient qu'avec peine à la besogne.
Alors, elle se prit la tête à deux mains, et se
mit à crier. Elle souffrait trop.
— Non! non! j'en ai assez. Je ne peux
plu-s! Je ne peux plus!..<
Je ne peux plus vivre, sans doute !
Quand elle eut bien crié, elle se' redressa,
et froidement, avec des mouvements d'auto-
mate, elle disposa du charbon sur un ré-
chaud. Ses doigts se pliaient maintenant.
Quand le réchaud fut allumé, elle prit quel- .
ques mauvais linges dans un coin, et les tor-
tilla en bourrelets.
Puis, clie's'approcha de la fenêtre.
En face, de l'autre côté de la rue étroite,
était une autre mansarde. •
Dans cette mansarde habitait une femme
déjà vieille, veuve, et mère de deux petits
enfants.
L'un d'eux, un garçon, était apprenti chez
un layetier. Il partait le matin, et ne reve-
nait que le soir. 11 devait être b=cn fatigué ;
mais on ne's'en apercevait guère au tapage
qu'il faisait en descendant et en montant les
esçalinrs.
L'acre était une petite fille, pâlotte et
soufif eteiise. Elle ne vivra pas, disaient les
voisins. Cependant la petite tenait bon, tant
elle était entourée de soins. Vingt fois par
jour, la m'èr'c se dérangeait de son ouvrage
pour lui donner à boire ou s'assurer qu'elle
ne manquait de rien, dans la petite chaise à
b"as où elle passait ses journées. Quant à
l'apprenti, il laissait le tapage à' la porte de'
la mansarde'et ne gardait que .ia gaieie.
A sa vue, sa sœur tapait ses petites mains-
l'une-contre l'autre , et. souriait paiement,,
comme elle pouvait sourire. Lui, se mettait -Li,
genoux devant la chaise et faisait des jeux.
Alors on voyait la mère les embrasser tous
les deux, et s'essuyer les yeux. Mais c'était
de joie qu'elle pleurait, de les voir si unis et
si aimants..
ROCAMBOLE
LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XXIII
Miss Penny n'avait rien exagéré dans le public
nouse de Relay last, lorsqu'elle avait parlé de
la douleur profonde de sir Cooman. *
Le digne gouverneur, parfait gentleman, du
reste, était dans un état d'affliction qui faisait
peine à voir.
U Buua&ro dy ê mvemif®.
Il:avait une femme et une fille, et il était al-
derman.
Sa femme était une longue, sèche, triste
créature qui se plaignait de la pluie quand il
pleuvait, du froid si la bise soufflait, du soleil
quand le brouillard voulai't-bien lui livrer pas-
sage. ' .
j Mme Cooman recevait quotidiennement la
visite de deux médecins qui lui prescrivaient
des remèdes conformes à son état de malade
imaginaire.
. Miss Cooman ne ressemblait pas plus à sa
mère qu'un bouleau ne ressemble, à un peu-
plier.
Elle était toute petite, toute large, toute
ronde, toute grasse, avec de petits yeux gris et
de grosses lèvres charnues.
La mère se plaignait de maigrir, la fille était
au désespoir d'engraisser toujours.
Du reste, elle n'avait pas meilleure humeur, j
et master Goldmidcht, le guichetier, avait cou.
tume de dire :
— Sir Cooman a toujours l'air de bonne hu-
meur, mais, au fond, entre ces deux mégères, il
doit être bien malheureux.
Master Goldmidcbt s'était trompé, jusque-là
du moins.
Depuis vingt années qu'il était gouverneur
de White-Crosse sir Cooman était l'homme le
plus heureux du monde. Il riait de bon cœur et J
toujours,et quand il visitait un nouveau détenu,
il lui donnai^ les plus belles consolations du
monde et finissait par cette conclusion que
nulle part on n'était aussi bien que dans White-
cross, et que la liberté est une mauvaise plai-
santerie qu'il faut fuir comme la peste.
Une seule.chose amenait parfois un pli léger
sur le front de sir Cooman et dérangeait la
symétrie de ses cheveux'soigneusement fri-
sés.
Pour expliquer cette chose, il nous faut faire
une légère excursion dans le passé de sir Coo-
man.
Quand il était entré à White-cross comme
gouverneur, il avait succédé à un vieux brave
, homme, ancien libraire de la rue Pater-noster,
que les honneurs municipaux avaient poussé
jusqu'à la dignité de gouverneur de la maison
pour dettes.
Ce brave homme, trop vieux pour exercer
désormais convenablement ces fonctions, avait
été mis à la, retraite, mais il ne voulut pas se
retirer sans avoir installé son successeur. -
— Jeune homme, lui dit-il, j'ai vécu trente
années ici, et pendant mon administration tout
a été pour le mieux dans la plus fortunée des
prisons pour dettes : il n'y a eu ni révolte, nr
tentative d'évasion, ni querelles parmi les déte",
nus, qui n'ont cesosé de m'appeler leur pà?e.
Savez-vous à quoi cela a ter.u?
— Non, dit sir Cooman étonné.
— A un fétiche, à un porte-bonheur qui pro-
tège White-cross et par conséquent son gouver-
*
neur.
— Ah! vraiment? fit sir Cooman.
— li.y a toujours un Français ici, poursuivit
le vieillard, et tant que cela durera, vous pour-
rez dormir tranquille. Mais sir par la suite,
jeune homme, li hasard voulait que !e Français
ne fût pas remplacé par un autre...
— Eh bien? fit sir Cooman tout tremblanu.
— Je ne répondrais pins de rien, acheva la
vieillard; et, quelque chose ma dit que les plus
épouvantables malheurs fondraient sur la prison
et sur son gouverneur.
Or ce quelque chose qui, à trente - années de
distance, creusait parfois une ride sur le front .
de sir Cooman, c'était le souvenir de sa conver-
sation avec son prédécesseur. "
Heureusement, jusqu'alors, il y avait toujours
eu deux Français plutôt q,n'un, et la prjson avait
pour eux une maison spéciale.
Car, il faut bien le aire,. White-cross et les
autres prisons pour dettes de l'Angleterre ne ...
ressemblent pas plus- à feu Clichy que madame
Cooman ne ressemblait à sa fille.
L'administration P--anicit)ale. de Londres 4
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