Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-11-20
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 novembre 1867 20 novembre 1867
Description : 1867/11/20 (A2,N580). 1867/11/20 (A2,N580).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717582h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
S cent, le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
AaONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
.Paris.. 5 fr. 9 k. 1 S fr.
* î)épastenaents. fi il a*
2e année. —MERCREDI 20 NOVEMBRE 1867. — NO 580.
Directeur- Propriétaire — J A N N 1 N
BUREAUX TV A B O N M KM ii N T : lJ?¡¡'ouot.Cf
Administration : 13, place BreCU. 1
\
La Presse illustrée, journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
limes seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse, le samedi à Paris
Ii le dimanche en province.
PARIS, LE 19 NOVEMBRE 1867.
L'ART D'ÊTRE HEUREUX
L'autre jour, au bout du pont des Arts, du
côté de l'Institut, un poële qui n'est pas de
l'Académie rencontra un philosophe qui en
est et lui posa cette question :
— Où est le bonheur?
L'académicien voulut faire une réponse spi-
rituelle. Il se mit à réfléchir.
— Oh ! vous pouvez chercher, dit l'autre,
vous ne trouverez pas. Voilà cinquante ans
que je cherche, moi, et je suis un peu moins
ivancé qu'au début.
Etre heureux cependant est un besoin
somme manger quand on. a faim et boire
quand on a soif.
Enfant, je questionnais mes parents comme
je vous questionne aujourd'hui. — Que faut-
il faire pour être heureux? leur demandais-je.
Ils me répondaient: — Il faut obéir à tes
maitres et apprendre tes leçons ! Or, mes maî-
tres m'ordonnaient de me lever quand j'avais
ânvie de rester au lit, et quand, par hasard,
je pouvais lire naa leçon dans mon chapeau,
j'éprouvais un contentement beaucoup plus
vif que lorsque je la récitais par cœur.
Plus tard, je fis mon droit. L'instruction
ayait créé en moi une foule de besoins que je
a'aurais pu satisfaire qu'avec beaucoup d'ar-
gent. Je n'avais pas le sou.
Mon oncle meurt et me laisse une assez
belle fortune. Aussitôt je n'ai plus envie de
rien. — Je puis avoir ça 1 me disais-je. Cette
pensée me suffisait.
Pauvre, j'étais malheureux de ne pouvoir
réaliser mes désirs.
Riche, je n'étais pas heureux. parce que
je n' avais plus de désirs.
Quelqu'un me dit : — Aimez!
Aussitôt je suis le conseil. Je prends une
rèmme, la première venue, je la pare de tous
les dons, j'en fais un ange. Les anges volent.
Je m'attache des ailes imaginaires, et nous
partons de compagnie. — Où sommes-nous?
m'écriai-je en sursaut, me croyant dans le
ciel. L'ange répondit en riant : — Nous som-
mes à Montmorency et j'ai grànd'faim.
Le bonheur est dans la famille... — Soit;
je me mariai. J'y mis des soins et je ne crois
pas être démenti en disant que ma femme est
une bonne femme. Mais vous connaissez le
proverbe franc-comtois : « Les bonnes fem-
mes sont grondeuses. » La mienne est en ou-
tre d'une susceptibilité excessive. Elle adore
les explications; je ne puis pas les souffrir.
Aussi, nous nous aimons beaucoup; mais je
vis le plus possible hors de chez moi.
Restent les enfants dont le poële a dit :
Ils n'ont qu'à vivre heureux pour n'être pas ingrats.
Eh bien Iles miers sont comme moi : ils
se plaignent sans cesse de leur sort, et c'est
une tristesse de plus à ajouter à mes tristesses.
Le bonheur, — quelle amère plaisante-
rie !
Aimez une idée! disent les conseilleurs qui
croient qu'un air profond fait bien; vouez
votre vie à l'art ou à la science !
Eh ! le docteur Faust avait fait ainsi. A
quatre-vingt-dix ans, quand le Diable lui
dit : — Que désirez-vous? il répondit : — La
jeunesse, et l'amour de Marguerite.
Voyager ? — Ce sont toujours des arbres et
toujours des montagnes, toujours de l'herbe
et toujours de l'eau. Quels paysages vau-
draient du reste les paysages féeriques que
crée l'imagination et qu'on voit, sans quitter
sa chambre, en fermant les yeux?...
Le bonheur est dans.l'habitude. — Qui a
dit cela ? Un pêcheur à la ligne, un ambi-
tieux déçu, ou un de ces hommes que La-
cordaire définissait : a: des tubes digestifs per-
cés aux deux bouts, » J'ai péché à la ligne, et
le bçnheur est resté au fond de l'eau!...
Le bonheur est dans l'action. — J'ai la.
bouré, défriché t t drainé. Cela tue le temps,
je ne dis pas. Mais, quant à apaiser les forces
vives qui s'agitent en vous, je le nie !
Où donc est le bonheur, monsieur l'acadé-
micien ?
L'académicien avait réfléchi. Il répondit par
une question :
— A chacune des déceptions que vous ve-
nez d'énumérer, vous avez fait des vers,n'est-
ce pas ? *
— Sans doute. J'étais malheureux, je
criais.
— En vers. Eh bien ! le bonheur consiste
pour vous à être malheureux et à faire des :
vers. Au revoir, monsieur le poëte. !
— Je vous salue, monsieur l'académicien. j
i
j
Cet été, un jeune homme très-eioquent, !
M. Henri de Lapommeraye. a, dans une con-
férence, enseigné l'art d'être heureux aux
convalescents de l'Asile de Vincennes.
Il a prouvé, clair comme le jour, à ces
braves gens, que tout homme portait son
bonheur avec soi, comme tout conscrit porte
dans sa giberne le bâton de maréchal de
France.
2 et 2 sont 4, tout est là. Vous descendez
d'un wagon avant que le train soit arrêté ; un
cahot vous renverse, et vous vous cassez le
bras ou la jambe. Vous dites: —je n'ai
fias de chance ! Un sage pourrait vous répon-
dre : — Il fallait, pour descendre, attendre
que le train fût arrêté.
On vous indique un emploi quelque part,
vous vous dites : — J'irai le demander de-
main.
Le lendemain l'emploi est pris par un au- l
tre, et vous accusez le sort au lieu de vous I
en prendre à vous-même, qui avez eu la pa- j
resse de ne pas vous ',déranger aujourd'hui.
Vous venez de faire une course, vous êtes
en sueur,"vous buvez de l'eau glacée, et vous
attrapez une fluxion de poitrine. A qui la
faute? Il ne fallait pas boire d'eau glacée.
Et ainsi de suite.
Riche, vous êtes moins riche qu'un pauvre
si votre dépense excède votre revenu, car la
richesse vient de l'équilibre entre la recette
et la dépense.
Il ne faut boire qu'à sa soif. Il ne faut
appliquer qu'à la famille et qu'à l'humanité
le besoin d'aimer qui est en vous...
Voilà de bons sentiments, et qu'on ne
saurait troc louer.
« Notre bien et notre mal sont dans notre
volonté, » disait Epictète, qui était un grand
philosophe. r
« Vous étiez libre en prison, » écrivait hier
Victor Hugo à un ami.
Ce sont là des sublimités de dilettantes,
mais qui ne feront pas qu'un pauvre enfant,
né de parents misérables, et dont l'abandon
a perverti le libre arbitre dès le berceau,
puisse avoir le bien ou le mal dans sa volonté,
ni que la liberté puisse se définir autrement
que l'a définie Locke : * Etre libre, c'est pou-
voir. » Or, je suppose que l'ami de Victor
Hugo ait voulu aller se promener au bois de
Boulogne; étant à Mazas, il ne l'aurait pas pu.
Donc il n'était pas libre.
Oh! mon cher Lapommeraye, il importe
au bonheur de l'homme qu'il ne descende
pas trop vite de wagon ; mais ce n'est pas
tout. Il importe aussi, et surtout, que sa vo-
cation ne soit pas contrariée. A force d'être
civilisé, on arrive à ne pas tenir assez compte
de la nature. On la contrarie par la coutume
et par l'éducation, et, des vocations froissée^
résultent d'effroyables malheurs.
Ce monsieur est notaire. Il a décidé que son
fils serait magistrat, et il le dirige dans cette
voie sansse soucier des aptitudes qui auraient
fait de l'enfant un ingénieur ou un général
d'armée. Encore le jeune homme a-t il la
chance, en faisant son droit, de s'apercevoii
que son père s'était trompé, et de protester.
Mais prenez, au lieu du fils d'un notaire,
le fils d'un maçon ou d'un porteur d'eau.
A douze ans, on donnera à cet enfant,
sans le consulter, sans que l'instruction ait
pu l'éclairer et le rendre propre à choisit
par lui-même, un métier pour lequel il n'était
pas né, qu'il fera mal par conséquent, et
dans lequel il sera malheureux.
Il n'y a pas de bonheur absolu, mais il y a
des états plus ou moins longs de bonheur
qui peuvent se définir ainsi :
« Le rapport exact de l'homme avec sa
destinée. » . ,
Tout le monde n'est pas ppëte. On forme un
désir, ce désir est satisfait; en général on vit
heureux quelques années sur cette satisfac-
tion.
Tout revient à ceci : que le bonheur des
enfants dépend en grande partie des parents.
Et encore :
Que la chose la plus importante dans l'Etat,
c'est l'éducation de la jeunesse.
Notre devoir est de le répéter au moins une
fois par jour, puisque nous ne pouvons faire
plus.
TONY RÉVILLON
ROCAMBOLE
mess=""N° 12 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL.
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XII
Que se passa-t-il alors ?
C'est ce qu'il est difficile de raconter; mais,
tee heure après, la taverne était vide.
Matelots, femmes perdues, voleurs s'étaient
toquivés un à un comme s'ils eussent senti que
Voir le numéro du & novembre.
leur présence n'était plus possible dans ce lieu
sanctifié par le prêtre.
Mistress Brandy elle-même faisait silence
derrière son comptoir.
L'abbé Samuel était toujours debout, regar-
dan t,Ù. la pâle lueur des chandelles qui fumaient
éparses sur les tables, le pâle et beau visage de
l'irlandaise que Shoking et l'homme gris soute-
naient dans leurs bras, tant elle était brisée
par l'horrible scène que nous racontions na-
guère.
— Ainsi, disait le jeune prêtre, vous arrivez
d'Irlande ?
— Oui, répondit-elle.
— Avec votre enfant T
— Un amour de petit garçon, murmura
brave Shoking.
— Est-ce la misère qui vous a poussée, comme,
la plupart de nos frères d'Irlande, à quitter vo-
tre pays et à venir chercher fortune à Lon-
dres ?
— Non, dit-elle, j'obéis à un devoir sacré.
Le prêtre tressaillit.
— Je viens à Londres, reprit-elle d'une voix
mourante, parce qu'il faut que je sois demain à
a messe de huit heures, à Saint-Gilles.
— Est-ce un vœu? fit le prêtre, qui tressaillit
încore.
Alors elle le regarda avec une étrange expres-
pression de confiance et d'abandon :
— Oh! dit-elle, je sens bien que vous êtes
un de ces hommes que Dieu a faits saints et à
qui on peut tout révéler.
— Parlez, dit le prêtre d'une voix grave.
— Je suis une pauvre paysanne, reprit-elle,
la fille d'un pêcheur de Drogheda, un petit
port au nord de Dublin.
— Je ne sais rien sur la mission que mon
époux mourant m'a confiée, mais je tiendrai le
serment que je lui ai l'ait.
— Quel est ce serment?
Elle regarda de nouveau l'abbé Samuel.
— Oh! dit-elle, pour que vous me compre-
niez, il faut que je vous dise mon histoire.
Shoking et l'homme gris s'assirent sur un
banc, le prêtre lui prit les deux mains, et alors,
en ce bouge enfumé, devenu solitaire et silen-
cieux, elle leur fit le récit suivant :
— Notre cabane était au bord de la mer, au
pied d'une falaise. Pendant les nuits d'orage, à
la marée haute, lo flot venait battre notre porte.
Mon père était veuf, et j'étais son unique en-
fant.
Il allait à la pêche, je raccommodais ses filets
et nous avions bien de la peine à vivre.
■Quelouefoiai. mon oere s'engageait pendant
deux ou trois mois s-ur un grami bateau qui
allait à Terre-Neuve à la pèche de la morue.
Alors je restais seule, et chaque matin, en
m'éveillant, je regardais au loin sur la mer,pour
voir si la barque pontée qui l'avait emmené ne
reparaissait pas à l'horizon.
Une nuit d'hiver, une nuit de tempête, ,j'étais
à genoux, priant Dieu pour les marins en dé-
tresse, car la mer mugissait avec-furie et le vent
faisait rage, une nuit., on frappa à la perte de
notre cabane.
J'étais seule depuis prh de trois mois.
! Je crus qne c'était montre qui revenait-et je
courus ouvrir.
Ce n'était pab mon père.
Un étranger, un inconnu, le front entouré de
bandelettes sanglantes, entra vivement en^me
disant:
— Au nom de Dieu, au nom de l'Irlande no-
tre mère, pour qui mou sang vient de couler,
sauvez-moi, cachez-moi...
Je ne le regardai même pas ; je ne vis qu'une
chose, c'est qu'il tiÛÜt blessé, mourant; je n'en-
tendis qu'une parole, le nom sacré de notre pa-
trie, l'Irlande, et je le ils entrer.
Au lointain, à travers les mugissements de
l'orage, on entendait retentir des coups dit
feu. f
Je 118 savais rien de ce aui 88 cassait hors d4
S cent, le numéro
JOURNAL QUOTIDIEN
5 cent. le numéro
AaONNEMENTS. — Trois mois. Six mois. Un an.
.Paris.. 5 fr. 9 k. 1 S fr.
* î)épastenaents. fi il a*
2e année. —MERCREDI 20 NOVEMBRE 1867. — NO 580.
Directeur- Propriétaire — J A N N 1 N
BUREAUX TV A B O N M KM ii N T : lJ?¡¡'ouot.Cf
Administration : 13, place BreCU. 1
\
La Presse illustrée, journal hebdoma-
daire à 10 centimes, est vendue 5 cen-
limes seulement à toute personne qui
achète la Petite Presse, le samedi à Paris
Ii le dimanche en province.
PARIS, LE 19 NOVEMBRE 1867.
L'ART D'ÊTRE HEUREUX
L'autre jour, au bout du pont des Arts, du
côté de l'Institut, un poële qui n'est pas de
l'Académie rencontra un philosophe qui en
est et lui posa cette question :
— Où est le bonheur?
L'académicien voulut faire une réponse spi-
rituelle. Il se mit à réfléchir.
— Oh ! vous pouvez chercher, dit l'autre,
vous ne trouverez pas. Voilà cinquante ans
que je cherche, moi, et je suis un peu moins
ivancé qu'au début.
Etre heureux cependant est un besoin
somme manger quand on. a faim et boire
quand on a soif.
Enfant, je questionnais mes parents comme
je vous questionne aujourd'hui. — Que faut-
il faire pour être heureux? leur demandais-je.
Ils me répondaient: — Il faut obéir à tes
maitres et apprendre tes leçons ! Or, mes maî-
tres m'ordonnaient de me lever quand j'avais
ânvie de rester au lit, et quand, par hasard,
je pouvais lire naa leçon dans mon chapeau,
j'éprouvais un contentement beaucoup plus
vif que lorsque je la récitais par cœur.
Plus tard, je fis mon droit. L'instruction
ayait créé en moi une foule de besoins que je
a'aurais pu satisfaire qu'avec beaucoup d'ar-
gent. Je n'avais pas le sou.
Mon oncle meurt et me laisse une assez
belle fortune. Aussitôt je n'ai plus envie de
rien. — Je puis avoir ça 1 me disais-je. Cette
pensée me suffisait.
Pauvre, j'étais malheureux de ne pouvoir
réaliser mes désirs.
Riche, je n'étais pas heureux. parce que
je n' avais plus de désirs.
Quelqu'un me dit : — Aimez!
Aussitôt je suis le conseil. Je prends une
rèmme, la première venue, je la pare de tous
les dons, j'en fais un ange. Les anges volent.
Je m'attache des ailes imaginaires, et nous
partons de compagnie. — Où sommes-nous?
m'écriai-je en sursaut, me croyant dans le
ciel. L'ange répondit en riant : — Nous som-
mes à Montmorency et j'ai grànd'faim.
Le bonheur est dans la famille... — Soit;
je me mariai. J'y mis des soins et je ne crois
pas être démenti en disant que ma femme est
une bonne femme. Mais vous connaissez le
proverbe franc-comtois : « Les bonnes fem-
mes sont grondeuses. » La mienne est en ou-
tre d'une susceptibilité excessive. Elle adore
les explications; je ne puis pas les souffrir.
Aussi, nous nous aimons beaucoup; mais je
vis le plus possible hors de chez moi.
Restent les enfants dont le poële a dit :
Ils n'ont qu'à vivre heureux pour n'être pas ingrats.
Eh bien Iles miers sont comme moi : ils
se plaignent sans cesse de leur sort, et c'est
une tristesse de plus à ajouter à mes tristesses.
Le bonheur, — quelle amère plaisante-
rie !
Aimez une idée! disent les conseilleurs qui
croient qu'un air profond fait bien; vouez
votre vie à l'art ou à la science !
Eh ! le docteur Faust avait fait ainsi. A
quatre-vingt-dix ans, quand le Diable lui
dit : — Que désirez-vous? il répondit : — La
jeunesse, et l'amour de Marguerite.
Voyager ? — Ce sont toujours des arbres et
toujours des montagnes, toujours de l'herbe
et toujours de l'eau. Quels paysages vau-
draient du reste les paysages féeriques que
crée l'imagination et qu'on voit, sans quitter
sa chambre, en fermant les yeux?...
Le bonheur est dans.l'habitude. — Qui a
dit cela ? Un pêcheur à la ligne, un ambi-
tieux déçu, ou un de ces hommes que La-
cordaire définissait : a: des tubes digestifs per-
cés aux deux bouts, » J'ai péché à la ligne, et
le bçnheur est resté au fond de l'eau!...
Le bonheur est dans l'action. — J'ai la.
bouré, défriché t t drainé. Cela tue le temps,
je ne dis pas. Mais, quant à apaiser les forces
vives qui s'agitent en vous, je le nie !
Où donc est le bonheur, monsieur l'acadé-
micien ?
L'académicien avait réfléchi. Il répondit par
une question :
— A chacune des déceptions que vous ve-
nez d'énumérer, vous avez fait des vers,n'est-
ce pas ? *
— Sans doute. J'étais malheureux, je
criais.
— En vers. Eh bien ! le bonheur consiste
pour vous à être malheureux et à faire des :
vers. Au revoir, monsieur le poëte. !
— Je vous salue, monsieur l'académicien. j
i
j
Cet été, un jeune homme très-eioquent, !
M. Henri de Lapommeraye. a, dans une con-
férence, enseigné l'art d'être heureux aux
convalescents de l'Asile de Vincennes.
Il a prouvé, clair comme le jour, à ces
braves gens, que tout homme portait son
bonheur avec soi, comme tout conscrit porte
dans sa giberne le bâton de maréchal de
France.
2 et 2 sont 4, tout est là. Vous descendez
d'un wagon avant que le train soit arrêté ; un
cahot vous renverse, et vous vous cassez le
bras ou la jambe. Vous dites: —je n'ai
fias de chance ! Un sage pourrait vous répon-
dre : — Il fallait, pour descendre, attendre
que le train fût arrêté.
On vous indique un emploi quelque part,
vous vous dites : — J'irai le demander de-
main.
Le lendemain l'emploi est pris par un au- l
tre, et vous accusez le sort au lieu de vous I
en prendre à vous-même, qui avez eu la pa- j
resse de ne pas vous ',déranger aujourd'hui.
Vous venez de faire une course, vous êtes
en sueur,"vous buvez de l'eau glacée, et vous
attrapez une fluxion de poitrine. A qui la
faute? Il ne fallait pas boire d'eau glacée.
Et ainsi de suite.
Riche, vous êtes moins riche qu'un pauvre
si votre dépense excède votre revenu, car la
richesse vient de l'équilibre entre la recette
et la dépense.
Il ne faut boire qu'à sa soif. Il ne faut
appliquer qu'à la famille et qu'à l'humanité
le besoin d'aimer qui est en vous...
Voilà de bons sentiments, et qu'on ne
saurait troc louer.
« Notre bien et notre mal sont dans notre
volonté, » disait Epictète, qui était un grand
philosophe. r
« Vous étiez libre en prison, » écrivait hier
Victor Hugo à un ami.
Ce sont là des sublimités de dilettantes,
mais qui ne feront pas qu'un pauvre enfant,
né de parents misérables, et dont l'abandon
a perverti le libre arbitre dès le berceau,
puisse avoir le bien ou le mal dans sa volonté,
ni que la liberté puisse se définir autrement
que l'a définie Locke : * Etre libre, c'est pou-
voir. » Or, je suppose que l'ami de Victor
Hugo ait voulu aller se promener au bois de
Boulogne; étant à Mazas, il ne l'aurait pas pu.
Donc il n'était pas libre.
Oh! mon cher Lapommeraye, il importe
au bonheur de l'homme qu'il ne descende
pas trop vite de wagon ; mais ce n'est pas
tout. Il importe aussi, et surtout, que sa vo-
cation ne soit pas contrariée. A force d'être
civilisé, on arrive à ne pas tenir assez compte
de la nature. On la contrarie par la coutume
et par l'éducation, et, des vocations froissée^
résultent d'effroyables malheurs.
Ce monsieur est notaire. Il a décidé que son
fils serait magistrat, et il le dirige dans cette
voie sansse soucier des aptitudes qui auraient
fait de l'enfant un ingénieur ou un général
d'armée. Encore le jeune homme a-t il la
chance, en faisant son droit, de s'apercevoii
que son père s'était trompé, et de protester.
Mais prenez, au lieu du fils d'un notaire,
le fils d'un maçon ou d'un porteur d'eau.
A douze ans, on donnera à cet enfant,
sans le consulter, sans que l'instruction ait
pu l'éclairer et le rendre propre à choisit
par lui-même, un métier pour lequel il n'était
pas né, qu'il fera mal par conséquent, et
dans lequel il sera malheureux.
Il n'y a pas de bonheur absolu, mais il y a
des états plus ou moins longs de bonheur
qui peuvent se définir ainsi :
« Le rapport exact de l'homme avec sa
destinée. » . ,
Tout le monde n'est pas ppëte. On forme un
désir, ce désir est satisfait; en général on vit
heureux quelques années sur cette satisfac-
tion.
Tout revient à ceci : que le bonheur des
enfants dépend en grande partie des parents.
Et encore :
Que la chose la plus importante dans l'Etat,
c'est l'éducation de la jeunesse.
Notre devoir est de le répéter au moins une
fois par jour, puisque nous ne pouvons faire
plus.
TONY RÉVILLON
ROCAMBOLE
mess=""N° 12 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL.
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
XII
Que se passa-t-il alors ?
C'est ce qu'il est difficile de raconter; mais,
tee heure après, la taverne était vide.
Matelots, femmes perdues, voleurs s'étaient
toquivés un à un comme s'ils eussent senti que
Voir le numéro du & novembre.
leur présence n'était plus possible dans ce lieu
sanctifié par le prêtre.
Mistress Brandy elle-même faisait silence
derrière son comptoir.
L'abbé Samuel était toujours debout, regar-
dan t,Ù. la pâle lueur des chandelles qui fumaient
éparses sur les tables, le pâle et beau visage de
l'irlandaise que Shoking et l'homme gris soute-
naient dans leurs bras, tant elle était brisée
par l'horrible scène que nous racontions na-
guère.
— Ainsi, disait le jeune prêtre, vous arrivez
d'Irlande ?
— Oui, répondit-elle.
— Avec votre enfant T
— Un amour de petit garçon, murmura
brave Shoking.
— Est-ce la misère qui vous a poussée, comme,
la plupart de nos frères d'Irlande, à quitter vo-
tre pays et à venir chercher fortune à Lon-
dres ?
— Non, dit-elle, j'obéis à un devoir sacré.
Le prêtre tressaillit.
— Je viens à Londres, reprit-elle d'une voix
mourante, parce qu'il faut que je sois demain à
a messe de huit heures, à Saint-Gilles.
— Est-ce un vœu? fit le prêtre, qui tressaillit
încore.
Alors elle le regarda avec une étrange expres-
pression de confiance et d'abandon :
— Oh! dit-elle, je sens bien que vous êtes
un de ces hommes que Dieu a faits saints et à
qui on peut tout révéler.
— Parlez, dit le prêtre d'une voix grave.
— Je suis une pauvre paysanne, reprit-elle,
la fille d'un pêcheur de Drogheda, un petit
port au nord de Dublin.
— Je ne sais rien sur la mission que mon
époux mourant m'a confiée, mais je tiendrai le
serment que je lui ai l'ait.
— Quel est ce serment?
Elle regarda de nouveau l'abbé Samuel.
— Oh! dit-elle, pour que vous me compre-
niez, il faut que je vous dise mon histoire.
Shoking et l'homme gris s'assirent sur un
banc, le prêtre lui prit les deux mains, et alors,
en ce bouge enfumé, devenu solitaire et silen-
cieux, elle leur fit le récit suivant :
— Notre cabane était au bord de la mer, au
pied d'une falaise. Pendant les nuits d'orage, à
la marée haute, lo flot venait battre notre porte.
Mon père était veuf, et j'étais son unique en-
fant.
Il allait à la pêche, je raccommodais ses filets
et nous avions bien de la peine à vivre.
■Quelouefoiai. mon oere s'engageait pendant
deux ou trois mois s-ur un grami bateau qui
allait à Terre-Neuve à la pèche de la morue.
Alors je restais seule, et chaque matin, en
m'éveillant, je regardais au loin sur la mer,pour
voir si la barque pontée qui l'avait emmené ne
reparaissait pas à l'horizon.
Une nuit d'hiver, une nuit de tempête, ,j'étais
à genoux, priant Dieu pour les marins en dé-
tresse, car la mer mugissait avec-furie et le vent
faisait rage, une nuit., on frappa à la perte de
notre cabane.
J'étais seule depuis prh de trois mois.
! Je crus qne c'était montre qui revenait-et je
courus ouvrir.
Ce n'était pab mon père.
Un étranger, un inconnu, le front entouré de
bandelettes sanglantes, entra vivement en^me
disant:
— Au nom de Dieu, au nom de l'Irlande no-
tre mère, pour qui mou sang vient de couler,
sauvez-moi, cachez-moi...
Je ne le regardai même pas ; je ne vis qu'une
chose, c'est qu'il tiÛÜt blessé, mourant; je n'en-
tendis qu'une parole, le nom sacré de notre pa-
trie, l'Irlande, et je le ils entrer.
Au lointain, à travers les mugissements de
l'orage, on entendait retentir des coups dit
feu. f
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