Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1867-11-17
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 17 novembre 1867 17 novembre 1867
Description : 1867/11/17 (A2,N577). 1867/11/17 (A2,N577).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47175791
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
ëOVnNAh QUOTIDIEN
5 cesL le numéro
5 cent. le numéro
' A-SONN^-MENTS.' — Trois mois. six mois. Un JD.
Paris. 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Dépari,e-aieuts .. 6 il et .
Administrateur : E. DELSAUX.
«« année. — DIMANCHE 17 NOVEMBRE 1869. — Na 5"? 7
Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGET.ONNS
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Orouot.
ADMINISTRATION ; 13, place Breda.
AVIS ESSENTIEL
lui acheteurs de ce numéro
Tout acheteur du présent numéro de
la Petite Presse a droit, moyennant un
supplément de cinq centimes, au nu-
méro de la Presse illustrée d'aujourd'hui ;
c'est-à-dire que les deux numéros de la
Petite Presse et de la Presse illustrée
achetés ensemble ne sont vendus que
dix centimes.
PARIS, LE 16 NOVEMBRE 1867.
LES TROIS ÉTAPES
I
Enfin, je suis compagnon.
Je m'appelle toujours André Meunier, mais
je m'appelle aussi |ourguignon-Spn-Courage.
Je sais qu'on n'est pas créé et mis au monde
seulement pour remuer les bras et les jambes,
manger, boire et dormir.
On doit encore s'instruire.
Et le mieux pour cela, c'est de voyager.
Plus tard je reviendrai au pays, mais j'y
reviendrai plus savant et meilleur.
J'ai trinqué avec mes frères; le rouleur
m'a remis ma canne et mon paquet;' en
route l
Quel beau, temps ! Dans les champs, le so-
leil fait reluire les gouttes de la rosée. Les oi-
seaux chantent dans les buissons. J'ai envie
de chanter aussi. Quoi ? Pardi, le Départ des
Compagnons, puisque je m'en vais :
Nous foulons le roc, la poussière,
Les champs battus, les verts gazons ;
Nous poursuivons notre carrière
En gais et braves compagnons.
Nous vivons les uns pour les autres,
Le travail nous donne du pain,
De l'art nous sommes les apôtres
Et nous servons le genre hmain.
Que nos joncs battent la mesure,
Que nos couleurs flottent au vent ;
Amis des arts, de la nature,
En avant, frères, en avant !
Oeuxième couplet.
Nos bras taillent le bois, la pierre,
Façonnent le fer, les métaux ;
Rien n'est étranger sur la terre
A nos esprits, à nos travaux.
Ennemis de tout esclavage,
Venus du Nord où" du Liban,
Nous sommes le compagnonnage, -
L'asile du peuple artisan!
Que nos joncs battent la mesure,
Que nos couleurs flottent au vent;
Amis des arts, de la nature,
En avant, frères, en avant.
Troisième couplet. Ah! Je ne me le-rap-
pelle plus. Je voudrais bien savoir si je trou-
verais quelqu'un de connaissance là-bas. Au
pays, j'avais ma mère,masœur, le Maconnais,
qui sera mon beau-frère, tous les amis...
C'est bon, quand on met le pied dans la rúe,
de trouver tout de suite une figure de con-
naissance : — Tiens! c'est toi — Oui, après?
— Après? Rien.— Quoi de nouveau? Ou
bien : — Payes-tu quelque chose?... Mainte-
nant je suis tout seul... Seul! On dirait que
le ciel se couvre... Bah ! Dans trois heures, je
serai arrivé, et le reste ira de eoi. Je de-
manderai la Mère. Le premier compagnon et
le rouleur seron-t là pour me recevoir. On
apportera la bouteille de l'arrivant et l'on boira
à ma santé. On me donnera un lit; on me
trouvera du travail; si je tombe malade, on
me soignera. Qu'avais-je donc à regretter ma
famille!... Ma famille est partout, puisque
partout je trouverai une mère et des frères
pour m'aimer, m'assister et me donner de
bons conseils !... Le nuage a passé, v'là le
temps qui s'éclaircît!
Je vas tâcher de me rappeler une autre
chanson.
La cbanson de la mère, oui, c'est ça. Elle
est là, au milieu de nous, en robe blanche,
l'écharpe sur la poitrine, une couronne de
fleurs dans les cheveux. Nous crions : Vive la
mère! Et elle:
Si jamais de notre France
Le'sort était compromis,
Mes lils auraient la puissance
De chasser les ennemis.
Qui se ferait cant.inière?
Qui porterait le bidon ?
C'est la mère, c'est la mère,
La mère des compagnons.
Et l'ouvrier continue gaiement sa première
étape.
II
Non ! c'est trop triste de quitter tous ceux
qu'on aime, sans savoir si on les reverra
jamais!...
Je ne veux plus penser à personne.
. Du reste un soldat n'a pas besoin de pen-
ser.
«
Le tambour s'est tu; on a fait, l'appel ; le
roulement a recommencé, et le capitaine a
dit :— Marche !
Nous sommes partis deux à deux.
Le pas notait pas très-ferme ; de temps en
temps, on entendait crier un nom : — Pierre !
André 1... Alors on se retournait, on voyait
des visages connue couverts de larmes, et
l'on oubliait de marquer le pas.
En haut de la côte, mon voisin m'a mis la
main sur l'épaule et m'a dit :
-- Regarde !
Notre petite ville était en bas.
Une minute après, nous descendions le
versant et nous ne pouvions plus la voir.
— Marche !
Nous traversions des plaines, nous mon-
tions des côtes, mais n'ous ne prenions plaisir
à r!en.
A l'entrée des villages, les tambours at-
tachaient leurs caisses et se remettaient à
battre; alors nous serrions nos rangs et nous
marquions le pas...
Enfin, nous arrivons. ,
Je suis lrrisé 1...
On nous forme sur la place d'armes et on ]
nous distribue des pains et des billets de lo-
gement.
Chez qui le sort va-t-il me jeter?
— Rompez les rarfgs! ;
Me voilà en quête de la maison et de la rue,
mon billet à la main.
Je m'informe, on me renseigne, je trouve j
mon affaire. i
Un bonhomme, sa femme, une jeune fille |
au doux visage qui me rappelle celui de ma
soetlr. Vite : —Reposez-vous!... vous êtes
fatigué, n'est ce pas?.... — Un peu. —
Pauvre garçon! Il faut changer de souliers ..
Nous vous en prêterons... Nous vous prêterons
aussi une blouse... Mettez-vous bien à votre
aise... Faites commè chez vous!...
Comme chez nous!... La fatigue disparaît.
Il ne reste plus que l'appétit. Et me voilà, les.
larmes aux yeux, qui me laisse donner la
plus belle place à table. La mère me tend une
énorme assiettée de potage ; le père me verse
un grand verre de vin ; la fille sourit en me
regardant boire et manger.
Cependant le feu flambe dans la cheminée
comme pour égayer la chambre.
On fait connaissance, on cause, on trin-
*
que...
— Et moi aussi, j'ai servi ! me dit le
vieux.,
— Ah!
—Oui. Dans les commencements ça paraît
dur ; mais ensuite on s'y habitue , et même
on y prend plaisir, surtout si l'on se bat.
— Ne parle pas de ça, père ! dit la jeune
fille en levant les mains.
— Voilà bien les femmes!
Et mon homme entreprend de me raconter
ses guerres.
D'abord je l'écoute un peu distraitement ;
mais, peu à peu, je prends goût au récit ; les
femmes font comme moi, et nous voilà tous,
les mains sur la table; les yeux. brillants, le
vieux qui parle et nous qui l'interrompons :
— AhJ bah!... Vraiment .. Oui...
Tout à coup : — Que ce devait-être beau ! -
s'écrie l'enfant. Et moi : — J'aurais voulu y
être!... Nous nous regardons, et nous deve-
nons tout rouges...
— Il est l'heure d'aller se coucher! dit la
mère.
" Oh ! le bon lit, et le bon sommeil, et les
beaux,.-rêvès ! Les Prussiens et les Russes se
déployaient dans le fo!1d. Les canons gron-
daient, les fanfares sonnaient, les tambours
battaient la charge. Moi, je m'élançais à la
baïonnette avec mon régiment... Mais, quand
j'arrivais sur l'ennemi, il avait disparu, et je
ne trouvais plus devant moi que la jolie fille
de mon logement. Alors, je détournais mon
arme et je rougissais comme tout à l'heure à
table...
Ainsi finit la première étape du soldat..
III
Mon Dieu! Est-ce que je ne pourrais pas
aller jusqu'au bout?...
Je le veux pourtant. Je veux -mourir à
l'hôpital. v
Pourquoi rester chez moi? Quand vient
l'hiver, je me couche et je tousse, et je reste
couché ainsi jusqu'au printemps.
Ma pauvre femme s'exténue à travailler;
elle passe les nuits ; elle se brûle les yeux;
elle se brise les reins ; elle paraît vieille, et
elle n'a pas trente ans !... Mes enfants viennent
me carresser, mais leur tendresse me semble
un reproche. Je ne fais plus rien pour eux.
Je ne suis plus bon à rien — qu'à manger le
pain que je ne gagne pas !...
Oh ! la maladie ne devrait frapper que les
riches.
i Quand on a de l'argent, on souffre seul, et
! quelquefois l'on gnnrit.
ROCAMBOLE
mess=""N° 9 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
IX
A l'angle sud-est de Wellclose square est une
ruelle qui n'a pas trois mètres de large.
Vers le milieu est un théâtre.
Mais un théâtre comme 011. n'en vit jamais
* peut-être, un théâtre où les premières loges se
louent douze sous, et le parterre un penny.
Le jeune premier est un nègre ; on fume et
'fi boit pendant le spectacle.
Voir ie aumûfQ du 4 no?eMbr9.
Les prostituées qui se tiennent au balcon sont
pieds nus ; le parterre est composé de voleurs.
Au bout de la rueile est le Cheval-Noir:
Public house au rez-de-chaussée, bazar de la
débauche à l'entresol, balau. premier étage et
taverne dans les caves, cet établissement n'of-
fre rien à d ésirer comme on voit.
Le saylors house, ou .pension des matelots,
est à deux pas.
Quand ils sortent du saylors house, ils en- |
trent au Cheval-Noir. i
Quand ils ont b u,ils se querellent, et les que-
relles se vident dans la rue, à coups- de cou-
teau.
La danseuse en guenilles a souvent du sang
sur sa robe. C'est le vainqueur qui lui a pris
amoureusement la taille. **>
Un escalier de dix marches conduit au sous-
sol.
Là est la vraie taverne.
Depuis minuit jusqu'au jour, cinquante per-
sonnes, hommes et femmes, si on peut donner
ce nom à une population fangeuse, bestiale, avi-
née et couverte d'affreux oripeaux, cinquante
personnes boivent, mangent, se querellent,
rient et chantent.
On en ten J claquer d'ignobles baisers sur des
joues sales, on voit, à la lueur de, quelques
chandelles fumeuses éparses sur les tables,
mousser la bière brune ou blonde dans des i
tvaU <1. étaia.
Derrière un comptoir garni de victuailles,
trône majestueusement mis.tress Brandy.
C'est la femme du land-lord, c'est-à-dire du
maître de l'établissement.
Celui-ci est là haut, au public house, affublé
d'un reste d'habit noir et d'une cravate qui fut
blanche, il y a déjà bien des années.
Mistress Brandy a un autre nom, mais on ne
le sait plus, on l'a oublié.
Brandy veut dire eau-de-vie en anglais, et
c'est un surnom qu'on a donné à la femme du
land-lord.
C'est une forte et robuste commère, haute en
couleur, qui a cinq pieds six pouces, des mains
à couvrir une assiette, des pieds à servir de
base à un monument. „
Elle a donné un seul soufflet dans sa vie, à
un insolent qui lui manquait de respect.
Ce soufflet a produit l'effet de la masse d'un
boucher. • -
Le malheureux est tombé sanglant et inanimé
à la droite du comptoir.
Pourvu qu'on paye, du reste, pourvu qu'on
boive, mistress Brandy est tolérante.
Si deux voleurs dévalisent un matelot, elle
ferme les yeux : si deux matelots jouent du
couteau et qu'il y ait mort d'homme, miss Bran-
dy appelle John.
John est un Ecossais gigantesque qui lui sert
de garçon et aide les deux servantes à presser la
bière.
John prend le mort dans ses bras. la oort®
tranquillement dans la rue et revient à sa be.
sogne comme si de rien n'était.
Le Cheval-Noir est un élablissement tran-
quille, et jamais on a eu besoin d'y appeler les
policemen.
D'ailleurs, dans le Wapping, il n'y a pas de
policemen. Les nobles lords qui siègent au par-
lement, tout à côté de Westminster, ont pensé -
que le peuple se protège toujours suffisamment
lui-même.
Ce soir-là, toutes les tables étaient occupées
dans la cave du Cheval Ttdtr.
Mais celle qui était à la gauche du comptoir
était la plus bruyantc-
On y fêtait la libération de Jack, dit l'Oiseau
bleu, un voleur célèbre qui était sorti le matin
même de la prison de Midlesex, où il avait fait
six mois de mouLin.
Jack disait en levant son verre:
— Je bois au colonel gouverneur, qui est un
brave homme et un parfait gentleman. Il m 'a
remis deux couronnes, un shilling, six pence,
quand je suis sorti, et il m'a fait un beau dis-
cours en me recommandant d'être honnête-
homme à l'avenir.
— Ce farceur de Jacl.. dit une femme qui
avait passé sa main à l'entour de la taille du
pick-pokett, il est capable d'avoir promis.
— Certainement, ricana Jack, certainement,
votre honneur, que je serai honnête homme....
Des ce soir. ie vais chercher du travail.
ëOVnNAh QUOTIDIEN
5 cesL le numéro
5 cent. le numéro
' A-SONN^-MENTS.' — Trois mois. six mois. Un JD.
Paris. 5 fr. 9 fr. 18 fr.
Dépari,e-aieuts .. 6 il et .
Administrateur : E. DELSAUX.
«« année. — DIMANCHE 17 NOVEMBRE 1869. — Na 5"? 7
Directeur-Propriétaire : JANNIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGET.ONNS
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Orouot.
ADMINISTRATION ; 13, place Breda.
AVIS ESSENTIEL
lui acheteurs de ce numéro
Tout acheteur du présent numéro de
la Petite Presse a droit, moyennant un
supplément de cinq centimes, au nu-
méro de la Presse illustrée d'aujourd'hui ;
c'est-à-dire que les deux numéros de la
Petite Presse et de la Presse illustrée
achetés ensemble ne sont vendus que
dix centimes.
PARIS, LE 16 NOVEMBRE 1867.
LES TROIS ÉTAPES
I
Enfin, je suis compagnon.
Je m'appelle toujours André Meunier, mais
je m'appelle aussi |ourguignon-Spn-Courage.
Je sais qu'on n'est pas créé et mis au monde
seulement pour remuer les bras et les jambes,
manger, boire et dormir.
On doit encore s'instruire.
Et le mieux pour cela, c'est de voyager.
Plus tard je reviendrai au pays, mais j'y
reviendrai plus savant et meilleur.
J'ai trinqué avec mes frères; le rouleur
m'a remis ma canne et mon paquet;' en
route l
Quel beau, temps ! Dans les champs, le so-
leil fait reluire les gouttes de la rosée. Les oi-
seaux chantent dans les buissons. J'ai envie
de chanter aussi. Quoi ? Pardi, le Départ des
Compagnons, puisque je m'en vais :
Nous foulons le roc, la poussière,
Les champs battus, les verts gazons ;
Nous poursuivons notre carrière
En gais et braves compagnons.
Nous vivons les uns pour les autres,
Le travail nous donne du pain,
De l'art nous sommes les apôtres
Et nous servons le genre hmain.
Que nos joncs battent la mesure,
Que nos couleurs flottent au vent ;
Amis des arts, de la nature,
En avant, frères, en avant !
Oeuxième couplet.
Nos bras taillent le bois, la pierre,
Façonnent le fer, les métaux ;
Rien n'est étranger sur la terre
A nos esprits, à nos travaux.
Ennemis de tout esclavage,
Venus du Nord où" du Liban,
Nous sommes le compagnonnage, -
L'asile du peuple artisan!
Que nos joncs battent la mesure,
Que nos couleurs flottent au vent;
Amis des arts, de la nature,
En avant, frères, en avant.
Troisième couplet. Ah! Je ne me le-rap-
pelle plus. Je voudrais bien savoir si je trou-
verais quelqu'un de connaissance là-bas. Au
pays, j'avais ma mère,masœur, le Maconnais,
qui sera mon beau-frère, tous les amis...
C'est bon, quand on met le pied dans la rúe,
de trouver tout de suite une figure de con-
naissance : — Tiens! c'est toi — Oui, après?
— Après? Rien.— Quoi de nouveau? Ou
bien : — Payes-tu quelque chose?... Mainte-
nant je suis tout seul... Seul! On dirait que
le ciel se couvre... Bah ! Dans trois heures, je
serai arrivé, et le reste ira de eoi. Je de-
manderai la Mère. Le premier compagnon et
le rouleur seron-t là pour me recevoir. On
apportera la bouteille de l'arrivant et l'on boira
à ma santé. On me donnera un lit; on me
trouvera du travail; si je tombe malade, on
me soignera. Qu'avais-je donc à regretter ma
famille!... Ma famille est partout, puisque
partout je trouverai une mère et des frères
pour m'aimer, m'assister et me donner de
bons conseils !... Le nuage a passé, v'là le
temps qui s'éclaircît!
Je vas tâcher de me rappeler une autre
chanson.
La cbanson de la mère, oui, c'est ça. Elle
est là, au milieu de nous, en robe blanche,
l'écharpe sur la poitrine, une couronne de
fleurs dans les cheveux. Nous crions : Vive la
mère! Et elle:
Si jamais de notre France
Le'sort était compromis,
Mes lils auraient la puissance
De chasser les ennemis.
Qui se ferait cant.inière?
Qui porterait le bidon ?
C'est la mère, c'est la mère,
La mère des compagnons.
Et l'ouvrier continue gaiement sa première
étape.
II
Non ! c'est trop triste de quitter tous ceux
qu'on aime, sans savoir si on les reverra
jamais!...
Je ne veux plus penser à personne.
. Du reste un soldat n'a pas besoin de pen-
ser.
«
Le tambour s'est tu; on a fait, l'appel ; le
roulement a recommencé, et le capitaine a
dit :— Marche !
Nous sommes partis deux à deux.
Le pas notait pas très-ferme ; de temps en
temps, on entendait crier un nom : — Pierre !
André 1... Alors on se retournait, on voyait
des visages connue couverts de larmes, et
l'on oubliait de marquer le pas.
En haut de la côte, mon voisin m'a mis la
main sur l'épaule et m'a dit :
-- Regarde !
Notre petite ville était en bas.
Une minute après, nous descendions le
versant et nous ne pouvions plus la voir.
— Marche !
Nous traversions des plaines, nous mon-
tions des côtes, mais n'ous ne prenions plaisir
à r!en.
A l'entrée des villages, les tambours at-
tachaient leurs caisses et se remettaient à
battre; alors nous serrions nos rangs et nous
marquions le pas...
Enfin, nous arrivons. ,
Je suis lrrisé 1...
On nous forme sur la place d'armes et on ]
nous distribue des pains et des billets de lo-
gement.
Chez qui le sort va-t-il me jeter?
— Rompez les rarfgs! ;
Me voilà en quête de la maison et de la rue,
mon billet à la main.
Je m'informe, on me renseigne, je trouve j
mon affaire. i
Un bonhomme, sa femme, une jeune fille |
au doux visage qui me rappelle celui de ma
soetlr. Vite : —Reposez-vous!... vous êtes
fatigué, n'est ce pas?.... — Un peu. —
Pauvre garçon! Il faut changer de souliers ..
Nous vous en prêterons... Nous vous prêterons
aussi une blouse... Mettez-vous bien à votre
aise... Faites commè chez vous!...
Comme chez nous!... La fatigue disparaît.
Il ne reste plus que l'appétit. Et me voilà, les.
larmes aux yeux, qui me laisse donner la
plus belle place à table. La mère me tend une
énorme assiettée de potage ; le père me verse
un grand verre de vin ; la fille sourit en me
regardant boire et manger.
Cependant le feu flambe dans la cheminée
comme pour égayer la chambre.
On fait connaissance, on cause, on trin-
*
que...
— Et moi aussi, j'ai servi ! me dit le
vieux.,
— Ah!
—Oui. Dans les commencements ça paraît
dur ; mais ensuite on s'y habitue , et même
on y prend plaisir, surtout si l'on se bat.
— Ne parle pas de ça, père ! dit la jeune
fille en levant les mains.
— Voilà bien les femmes!
Et mon homme entreprend de me raconter
ses guerres.
D'abord je l'écoute un peu distraitement ;
mais, peu à peu, je prends goût au récit ; les
femmes font comme moi, et nous voilà tous,
les mains sur la table; les yeux. brillants, le
vieux qui parle et nous qui l'interrompons :
— AhJ bah!... Vraiment .. Oui...
Tout à coup : — Que ce devait-être beau ! -
s'écrie l'enfant. Et moi : — J'aurais voulu y
être!... Nous nous regardons, et nous deve-
nons tout rouges...
— Il est l'heure d'aller se coucher! dit la
mère.
" Oh ! le bon lit, et le bon sommeil, et les
beaux,.-rêvès ! Les Prussiens et les Russes se
déployaient dans le fo!1d. Les canons gron-
daient, les fanfares sonnaient, les tambours
battaient la charge. Moi, je m'élançais à la
baïonnette avec mon régiment... Mais, quand
j'arrivais sur l'ennemi, il avait disparu, et je
ne trouvais plus devant moi que la jolie fille
de mon logement. Alors, je détournais mon
arme et je rougissais comme tout à l'heure à
table...
Ainsi finit la première étape du soldat..
III
Mon Dieu! Est-ce que je ne pourrais pas
aller jusqu'au bout?...
Je le veux pourtant. Je veux -mourir à
l'hôpital. v
Pourquoi rester chez moi? Quand vient
l'hiver, je me couche et je tousse, et je reste
couché ainsi jusqu'au printemps.
Ma pauvre femme s'exténue à travailler;
elle passe les nuits ; elle se brûle les yeux;
elle se brise les reins ; elle paraît vieille, et
elle n'a pas trente ans !... Mes enfants viennent
me carresser, mais leur tendresse me semble
un reproche. Je ne fais plus rien pour eux.
Je ne suis plus bon à rien — qu'à manger le
pain que je ne gagne pas !...
Oh ! la maladie ne devrait frapper que les
riches.
i Quand on a de l'argent, on souffre seul, et
! quelquefois l'on gnnrit.
ROCAMBOLE
mess=""N° 9 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
PROLOGUE
LA NOURRISSEUSE D'ENFANTS
IX
A l'angle sud-est de Wellclose square est une
ruelle qui n'a pas trois mètres de large.
Vers le milieu est un théâtre.
Mais un théâtre comme 011. n'en vit jamais
* peut-être, un théâtre où les premières loges se
louent douze sous, et le parterre un penny.
Le jeune premier est un nègre ; on fume et
'fi boit pendant le spectacle.
Voir ie aumûfQ du 4 no?eMbr9.
Les prostituées qui se tiennent au balcon sont
pieds nus ; le parterre est composé de voleurs.
Au bout de la rueile est le Cheval-Noir:
Public house au rez-de-chaussée, bazar de la
débauche à l'entresol, balau. premier étage et
taverne dans les caves, cet établissement n'of-
fre rien à d ésirer comme on voit.
Le saylors house, ou .pension des matelots,
est à deux pas.
Quand ils sortent du saylors house, ils en- |
trent au Cheval-Noir. i
Quand ils ont b u,ils se querellent, et les que-
relles se vident dans la rue, à coups- de cou-
teau.
La danseuse en guenilles a souvent du sang
sur sa robe. C'est le vainqueur qui lui a pris
amoureusement la taille. **>
Un escalier de dix marches conduit au sous-
sol.
Là est la vraie taverne.
Depuis minuit jusqu'au jour, cinquante per-
sonnes, hommes et femmes, si on peut donner
ce nom à une population fangeuse, bestiale, avi-
née et couverte d'affreux oripeaux, cinquante
personnes boivent, mangent, se querellent,
rient et chantent.
On en ten J claquer d'ignobles baisers sur des
joues sales, on voit, à la lueur de, quelques
chandelles fumeuses éparses sur les tables,
mousser la bière brune ou blonde dans des i
tvaU <1. étaia.
Derrière un comptoir garni de victuailles,
trône majestueusement mis.tress Brandy.
C'est la femme du land-lord, c'est-à-dire du
maître de l'établissement.
Celui-ci est là haut, au public house, affublé
d'un reste d'habit noir et d'une cravate qui fut
blanche, il y a déjà bien des années.
Mistress Brandy a un autre nom, mais on ne
le sait plus, on l'a oublié.
Brandy veut dire eau-de-vie en anglais, et
c'est un surnom qu'on a donné à la femme du
land-lord.
C'est une forte et robuste commère, haute en
couleur, qui a cinq pieds six pouces, des mains
à couvrir une assiette, des pieds à servir de
base à un monument. „
Elle a donné un seul soufflet dans sa vie, à
un insolent qui lui manquait de respect.
Ce soufflet a produit l'effet de la masse d'un
boucher. • -
Le malheureux est tombé sanglant et inanimé
à la droite du comptoir.
Pourvu qu'on paye, du reste, pourvu qu'on
boive, mistress Brandy est tolérante.
Si deux voleurs dévalisent un matelot, elle
ferme les yeux : si deux matelots jouent du
couteau et qu'il y ait mort d'homme, miss Bran-
dy appelle John.
John est un Ecossais gigantesque qui lui sert
de garçon et aide les deux servantes à presser la
bière.
John prend le mort dans ses bras. la oort®
tranquillement dans la rue et revient à sa be.
sogne comme si de rien n'était.
Le Cheval-Noir est un élablissement tran-
quille, et jamais on a eu besoin d'y appeler les
policemen.
D'ailleurs, dans le Wapping, il n'y a pas de
policemen. Les nobles lords qui siègent au par-
lement, tout à côté de Westminster, ont pensé -
que le peuple se protège toujours suffisamment
lui-même.
Ce soir-là, toutes les tables étaient occupées
dans la cave du Cheval Ttdtr.
Mais celle qui était à la gauche du comptoir
était la plus bruyantc-
On y fêtait la libération de Jack, dit l'Oiseau
bleu, un voleur célèbre qui était sorti le matin
même de la prison de Midlesex, où il avait fait
six mois de mouLin.
Jack disait en levant son verre:
— Je bois au colonel gouverneur, qui est un
brave homme et un parfait gentleman. Il m 'a
remis deux couronnes, un shilling, six pence,
quand je suis sorti, et il m'a fait un beau dis-
cours en me recommandant d'être honnête-
homme à l'avenir.
— Ce farceur de Jacl.. dit une femme qui
avait passé sa main à l'entour de la taille du
pick-pokett, il est capable d'avoir promis.
— Certainement, ricana Jack, certainement,
votre honneur, que je serai honnête homme....
Des ce soir. ie vais chercher du travail.
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