Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1866-10-30
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 30 octobre 1866 30 octobre 1866
Description : 1866/10/30 (N194). 1866/10/30 (N194).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4717377h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
avec une nouvelle grammaire chinoise, — c'était
en plein hiver, au mois de février, — il fnt, non
loin de la gare de Mantes, attaqué par six hom-
mes masqués qui, malgré sa résistance, le ga-
rottèrent et le jetèrent dans une voiture, attelée
de quatre chevaux de poste.
Au bout d'une heure, on arrêta dans un bois
'
désert.
— Descendez! dit le chef des hommes mas-
qués au poëte.
Louis Bouilhet obéit.
— Monsieur, lui dit son geôlier en lui présen-
tant un costume de Turc, vous allez, s'il vous
plaît, endosser ces vêtements orientaux.
.- Jamais !
— Allons donc ! fit l'homme masqué en mon-
trais -on revolver.
Toute résistance étant inutile, Bouilhet se dé-
(!'J sa en Turc au milieu de la forêt. On le fit
remonter en voiture, les hommes masqués à
cheval reprirent leur place aux portières, et on
s'élança au galop dans une direction inconnue.
Au "bout de deux heures, le poëte aperçut de
loin un château éclairé à giorno.
— Où me conduisez-vous? demanda Bouilhet
d'une voix faible.
Vous le saurez bientôt ! répondit le chef.
Quelques instants après, la voiture entra dans
la cou/du château; des deux côtés du perron se
tenaient des laquais avec des torches.
— Descendez i dit le chef au prisonnier.
Le poëte, tout tremblant, obéit ; mais à peine
fut-il descendu, qu'il poussa un cri de surprise.
Sur le seuil de son manoir, costumé en Henri II,
l'attendait un de ses vieux amis, un gentilhomme
fantaisiste, qui vint à lui:
— Mon vieux camarade, dit-il, je donne ce
soir un 1Jal masqué, et comme j'ai absolument
voulu t'avoir à ma petite fète, toi, l'ours de Man-
tes, je t'ai fait enlever par mes gens. Es-tu con-
tent de ton costume?
Le Turc de Mantes resta un an au château de
son ami, où il composa Dolorcsr, drame en cinq
actes et en vers, représenté au Théâtre-Fran-
çais.
EXÉCUTION A MADRID
ne
JU
On nous écrit de Madrid, le 23 octobre 1866 : t
La population de Madrid vient d'avoir de nouveau t
le triste spectacle d'une exécution par le garrole e
vil :
Anastasio Raquera Sanz, âgé de vingt-deux ans, £
graveur sur métaux, a été, en trois jours jugé, con-
damné et exécuté. Il avait été arrêté peu après les 1
événements de juin dernier, accusé d'avoir pris part £
à la révolution. Le garde civil (gendarme) qui l'ar- >
rêia-remplit, à ce qu'il parait, sa mission avec une (
certaine brutalité. Sanz, durant sa détention, rumi- 1
naît des projets de vengeance, lorsque vendredi der-
nier dans la matinée, il fut mis en liberté, et en ]
sortant du Saladrero avec un de ses amis, celui-ci
l'engagea à se rendre immédiatement dans sa fa- (
mille. « Je rentrerai dans ma famille, répondit-il,
mais auparavant il faut que je tue un garde civil. » '
Sans écouter les remontrances de son ami, Sanz se
rendit au centre de la ville dans la carrera de San 1
Geronimo, et le malheur voulut que le premier
garde civil qui se présenta à ses yeux fut précisé-
ment celui qui l'avait arrêté.
Il n'hésita pas un seul instant : il se plaça avec (
un air d'indifférence sur le seuil de la porte d'entrée
d'une maison, prépara sous ses vêtements un couteau
catalan dont il s'était muni à cet effet, et quand le
garde civil, en ce moment de service dans la carrera,
se retourna, il le frappa par derrière de deux coups
de couteau. La lame pénétra jusqu'au-dessous de la
région du cœur. Le garde civil tomba grièvement
blessé et fut transporté à l'hôpital, oit il n'est pas
mort encore.
Quant au meurtrier, arrêté et conduit au Sala-
drero, d'où il était sorti peu d'instants auparavant,
il comparut avant-hier, dimanche, devant le conseil
de guerre, lequel rendait une heure après contre lui
une sentence de mort. Sanz était loin de s'attendre
à un dénoûment si rapide.
Il entendit avec des marques d'indicible émotion
la lecture de sa sentence, et fut mis immédiatement
en chapellê. Il y fut.plu,tôt transporté par les mem-
bres de la confrérie de lq. mort qu'il ne s'y rendit
lui-même. C'est dans. cette même attitude, c'est-à-
dire dans un état complet de prostration, que le
malheureux a été transporté, solidement attaché sur
un âne et au milieu de l'appareil ordinaire, au lieu
du supplice. La foule était immense, comme de cou-
tume.
Je crois que je ne vous ai jamais parlé d'une par-
ticularité intéressante qui a lieu aussitôt après une
exécution en Espagne.
Dès que l'exécuteur des hautes oeuvres a rempli ■
son mandat, il est entouré par les gendarmes qui
lui posent les menottes et le conduisent dans un
des cachots de la prison. Quelques heures après, se
présente un greffier accompagné de l'alguazil.
Le bourreau est appelé à comparaître et aussitôt
s'entame le dialogue suivant :
— Vous êtes accusé d'avoir tué un homme, dit
Yescribano ?
— Oui, c'est la vérité, répond le bourreau.
— Pourquoi avez-vous accompli ce meurtre ?
Pour obéir à la loi et remplir le mandat que m'a
confié la justice.
Procès-verbal est dressé séance tenante, signé par j
e bourreau, et le lendemain soumis à l'examen du
uge. Celui-ci prononce alors une sentence d'ac-
quittement en faveur du bourreau qui est mis en
liberté après avoir été traité, durant vingt-quatre
heures, comme un criminel. (Le Droit.)
LES VAUDOUX
LES CANNIBALES
DE SAINT-DOMINGUE
PAR
GUSTAVE AIMARD
Suite (1) 1
— Ils ne sont plus que deux, dit le jeune 1
homme qui avait évité la balle de Floréal en se
jetant de côté, voulez-vous nous laisser partir? 3
— Tu mourras, chien maudit, s'écriale bandit
en se précipitant sur Marcelin à corps perdu. (
Une lutte horrible s'engagea alors entre les
deux hommes. Soudain Marthe poussa un cri ]
d'appel désespéré; les deux nègres qui restaient, 1
s'étaient emparés d'elle et cherchaient à l'en- 1
traîner.
Par un effort gigantesque, Marcelin échappa
à l'étreinte puissante de Floréal, courut vers la
jeune fille, plongea son poignard dans la gorge
de l'un des nègres, renversa le second d'un vio-
lent coup de tête dans la poitrine qui le laissa à
demi mort, et se retournant par un bond d ê tigre,
il se rua sur Floréal.
Cette scène qu'il nous a fallu tant de temps à
décrire, s'était passée avec une rapidité si verti-
gineuse, que l'espace d'un éclair en aurait vu le
commencement et la fin.
— A nous deux ! Floréal s'écria-t-il avec un
rire strident. fe
— Oh ! je te mangerai le cœur, chien ! s'écria
le bandit en proie à une rage folle et redoublant
ses efforts déjà gigantesques pour renverser cet
adversaire qu il avait été loin de supposer aussi
redoutable.
— Sauvez-vous ! sauvez-vous, pendant que je
lutte contre ce démon ! cria Marcelin à la jeune
ûl'.e.
— Non, reprit-elle résolûment, je ne me sau-
verai pas seule, nous périrons ensemble.
Cependant le jeune homme sentait ses forces
l'abandonner, son front ruisselait de sueur, un
brouillard s'étendait sur ses yeux, il avait des
tintements dans les oreilles, il calculait avec
terreur combien de minutes il lui serait possible
encore de soutenir cette lutte désespérée.
Les bras de Floréal, noués avec une énergie
furieuse autour de sa ceinture, se resserraient
par une pression lente m-ais irrésistible, qui fai-
sait craquer ses os et lui ôtait la respiration ; il
voyait à deux pouces du sien le visage du ban-
dit qui le regardait avec une expression diabo-
lique ; il allait perdre pied.
Soudain, de grands cris se firent entendre, et
le bruit d'une course rapide et qui se rapprochait
d'instants en instants frappa son oreille.
— Tiens bon, Marcelin! courage! me voilà!
cria la voix dé M. Duvauchelle.
Cette voix amie lui rendit instantanément
toute son énergie première, et il redoubla ses
prodigieux efforts.
— Ah! fit-il d'une voix sifflante., je crois que
cette fois tu .es pri£ misérable !
— C'est possible, répondit le nègre avec un
sourire hideux, mais tu ne me verras pas pren-
dre, tu seras mort avant !
— Au secours ! au secours ! mon frère 1 criait
» Marthe avec désespoir.
— Me voilà, sœur, me voilà! répondit M. Du-
- vauchelle en apparaissant dans le carrefour,
' suivi d'une dizaine de soldats. ,
Tous se ruèrent à la fois sur Floréal Apollon.
En un instant, le bandit fut renversé à terre et
[ solidement garrotté.
i Marcelin gisait sans mouvement à ses pieds.
> — Oh ! mon Dieu! dit la jeune fille avec dou-
leur, en s'agenouillant auprès du jeune homme.
1 Pauvre garçon! si brave, si dévoué 1 Est-il donc
t mort ? N'est-il pas possible de le secourir ? Je
1 vous en supplie, mon frère !
M. Duvauchelle s'approcha avec empresse-
3 ment.
P — Ah ! ah ! dit avec un rire de triomphe Flo-
i réal, qu'en ce moment on attachait sur un che-
- val, je lui avais promis qu'il mourrait avant
moi ! Oui, oui ! essayez de lui faire reprendre-
- connaissance, il est mort,'bien mort !
e Floréal Appolôn se trompait ; non-seulement
r - Marcelin n'était pas mort, mais il n'était même
L| pas évanoui. En proie à une prostration com-
n plète, après les efforts prodigieux qu'il avait été
e contraint de faire dans sa lutte contre son im-
placable adversaire, il sentait peu à peu l'air ren-
)t trer dans sa poitrine et ses forces revenir lente.
ment à la vérité, mais de façon à ce que, au
lt bout de quelques minutes., .il. fùt, s'il l'eût voulu,
parfaitement en état. de. se lever. Mais telle n'é-
tait pas sa pensée.- Marcelin,.pour des motifs
son erreur.
ir Lorsque M. Duvauchelle" se-pencha sur lui, il
u ..
> (1) Voir le numéro du 22 octobre.
lui sourit doucement, et, clignant les yeux d'un
air significatif :
— 11 faut que Floréal me croie mort, lui dit-il
d'une voix faible comme un souffle.
M. Duvauchelle lui serra la main ; il avait
compris. Il se releva et s'éloigna en faisant à sa
.helie-soeur signe de le suivre.
Il prit une couverture de cheval, enveloppa
Marcelin dedans, et le fit placer sur une civière
improvisée parles soldats avec des fusils, et sur
laquelle se trouvaient déjà étendus les deux
nègres tués précédemment par le jeune homme.
Floréal avait suivi d'un regard attentif tous ces
mouvements.
— Il est donc mort, ce brave Marcelin, dit-il
puis d'une voix railleuse à monsieur Duvauchelle
lorsque celui-ci passa auprès de lui.
— Oui, misérable, répondit le planteur, ré-
jouissez-vous, vous l'avez tué.
— Tant mieux, s'écria-t-il avec une joie hi-
deuse, au moins je suis vengé.
Le planteur haussa les épaules et dédaigna de
répondre ; après avoir aidé Marthe à monter à
cheval, il donna le signal du départ, et la petite
troupe se mit lentement en marche.
GUSTAVE AIMARD.
(L,o tuiU au prochain numtro.J'
Tribunaux étrangers
COUR D'ASSISES DU BRABANT
(Bruxelles)
AFFAIRE RISH-ALLAH
UN ANCIEN COLONEL DE L'ARMÉE OTTOMANE ACCUSÉ DE
FAUX ET D'ASSASSINAT SUR LA PERSONNE DE SON PUPILLE
ET BEAU-FILS. — UN SUICIDE PRÉTENDU.
Audience du 27 octobre.
L'audience est ouverte à neuf heures et demie.
L'audition des témoins est suspendue pour le
temps nécessaire aux expériences ordonnées hier
par la cour. Le lit de Readly a été apporté d'An-
vers; c'est un lit en acajou commun, tel qu'on en
trouve dans les hôtels ; il mesure une hauteur de
1 m. 10 c. environ, et il est garni de deux oreillers
et d'une couverture. —A côté du lit se trouve une
chaise empruntée également à la chambre de l'hôtel
du Rhin.
MM, Devismes et de Montigny ont apporté chacun
une arme à deux j coups de fabrique anglaise, et
autant que possible semblable à celle qui a été l'in-
strument de la mort de Charles Readly, et qui, on
se le rappelle,a disparu avec Osman, à qui elle avait
été rendue. *
Le témoin Callut, garçon de l'Hôtel? du Rhin, est
appelé pour expliquer à'MM. les experts et au jury
la situation du cadavre.
Y. LE PRÉSIDENT. — Monsieur Charreins, voulez-
vous vous étendre sur ce lit, et nous montrer com-
ment vous êtes arrivé à vos conclusions ?
M. CHARREINS. — Monsieur le président, je ne de-
mande pas mieux que d'obéir à la justice, mais ce-
pendant... je suis officier, j'ai la dignité de mon
uniforme à garder...
M. LE PRÉSIDENT. — Nous ne voulons vous obliger
à rien qui puisse vous' blesser. — Cependant, il ne
peut vous arriver aucun désagrément de ceci ; c'est
une mission que la justice vous confie.
M. Charreins quitte sa redingote.
Une discussion s'engage sur la question de savoir
si les armes seront essayées ou non avec des cap-
sules. M. de Montigny prétend que cela présenterait
peut-être quelque danger. Mais M. Devismes insiste,
afin que l'expérience ne puisse faire de doute pour
personne. - ,
M. Charreins se couche dans le lit, sous la couver-
ture, dans la position décrite déjà plusieurs fois.
M. Maillard, commissaire de police, constate que la
disposition de la chaise et de la baguette du fusil
sont identiques à celle où elles ont été trouvées
dans la chambre de ReadIv.— M. le docteur Scopens
dispose la tête de M. Charreins et le canon de
l'arme dans la direction de la blessure observée sur
la victime..
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL. — J'insiste pour que
M. Charreins ait bien les deux bras sous la couver-
ture.. , .
M. LE PRÉSIDENT. — Certainement, mais laissons
faire l'expert ; chaque chose aura son temps.
' M. Charreins répète les explications que j'ai don-
nées hier, et auxquelles je renvoie mes lecteurs
pour éviter de fastidieuses répétitions. Il ajoute seu-
lement : — J'ai oublié de dire que, si on a trouvé
Readly vêtu seulement d'une chemise de laine, c'est
qu'il se sera mis nu pour éviter que la poudre n'en-
flammât sa chemise.
L'expert, pourvoir la détente de l'arme, dont le
cano'n est passé sous la couverture, refoule celle-ci
sous sa main gauche ; le coup part au moyen de la
baguette.
M. Devismes prend la place de M. Charreins, et
démontre qufe la main gauche seule a pu suffire
pour faire partir la détente..
M. LE PROCUREUR GÚ,ÉRAL. — Mais votre bras droit
est hors du lit.
M. DEVISMES. — Mais je prends l'homme avant la
mort, moi! Il a dû faire des mouvements. Voici ce
que j'ai vu, moi. Dans une caserne, à Paris, un sol-
dat a déchargé son arme sous son menton ; la balle
est sortie par le haut de la tête,, et cependant cet
homme a fait encore cinq ou six pas pour aller se
: coucher dans son lit.
M. DE MONTIGNY, — Nous avons fait notre rapport
dans l'hypothèse qui nous a été affirmée par M. le
docteur, à savoir qu'il n'y avait eu aucun mouve-
ment après la mort.. ,
M. SCOPENS. — La colonne vertébrale était brisée,
et, ordinairement, car il y a des exceptions, tout ce
qui se trouve au-dessous de cette fracture est para-
, lysé ; s'il y a eu des mouvements convulsifs, ils ont
dû être très-bornés. , . ,
M. &AILLARD arrange, ou plutôt dérange re lit comme
il l'était lorsaue Readlv v était encore.
Me LACHAUD fait observer que cette disposition n'est
pa$ identique avec la photographie qui a été commu-
niquée à la défense.
M. DEvisMEs. — D'ailleurs, le domestique n'a-t-ii
pas dit qu'il avait dérangé la. couverture pour re-
couvrir la main du jeune homme ?
Le témoin cALLi.'T indique comment il a disposé les
couvertures à co moment ?
M. LE PROCUREUR-GÉNÉRAL. — Maintenant, M. Char-
reins ne s'est pas borné à dire que le suicide était
possible -, il a dit que l'homicide était impossible. Je
le..pne de le démontrer.
M. CHARREINS. — Pardon, je n'ai pas dit impossible,
mais très-difficile.
M. JANSEN. — Il y a deux movens. (L'expert place
dans le lit la tête en ca-cton.) D'abord en se tenant
debout, et en dirigeant le canon un peu oblique-
ment de bas en haut, en s'agenouillant.
M. CHARREINS. — C'est très-difficile, presque im-
possible. *
M. JANSEN. — Et aussi de se tenir debout; le coup
serait horizontal.
M. CHARREINS. — On a parlé aussi de la distance ;
le bout portant n'est pas démontré.
M. DEVISMES. — Monsieur, dans votre rapport, —
que je ne veux pas critiquer, — vous parlez d'une
distance de 40 centimètres. — Dans ce cas, la place
n'aurait pas été noire de poudre brûlée jusqu'au
fond de la blessure, mais seulement à l'orifice.
M. Devismes ajoute quelques autres explications,
qu'il corrobore en exhibant un carton qu'il avait en-
roulé autour d'une motte de terre glaise, et sur le-
quel il a tiré des coups de feu à diverses distances. t
M. JANSEN. — La plaie était coupée sur les bords,
tres-nettement.
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL. — Deux de ces messieurs
n'ont-ils pas été chargés d'une expérience a propos
de l'affaire d'un soldat nommé Match, qui a été tLlé
d'un coup de feu à Anvers, à bout portant?
M. DE MONTIGNY. — Oui, monsieur, — mais il avait
été tué à une distance de trente ou quarante centi-
mètres.. '
Me LACIIAUD. — Alors il ne peut pas servir d ex-
emple..
Une longue discussion technique, que l'état très-
borné, je l'avoue, de mes connaissances en pyro-
technie et en balistique m'empêche de -reproduire
I bien exactement, s'engage entre les experts, et dé-
génère en une discordance complète. Enfin, M. Char-
reins consent à se remettre dans le lit. La crosse du
fusil, au lieu d'être appuyée sur le siège de la chaise
contre le montant droit, est appuyée sur le hCtton
supérieur du dossier, selon la direction indiquée
par M. le docteur Scopons.
M. Charreins, auparavant, fait connaître un exerft-
pie curieux de mouvements involontaires, dont il a
été témoin. En 183D, un officier belge eut la tète
cassée par un boulet hollandais. Cet officier avait un
tic qui consistait à se croiser vivement les bras, de
façon à ce que les mains arrivassent sous les épau-
les. Eh bien, cet homme, la tête fracassée, croisa
ses bras comme il en avait l'habitude.
M. LE DOCTEUR SCOPENS regardant M. Charreins, qui
a mis la tête sur l'oreiller. — La tête n'était pas
ainsi; elle était inclinée à droite.
M. DEVISMES. — Mais je maintiens justement que
le coup a refoulé la tète à droite ! Cet homme n était
ni en cire, ni en bois, ni en fonte; il avait des
nerfs !
M. Charreins recommence son expérience et fait
encore partir la détente du fusil.
M. LE PRÉSIDENT interroge successivement tous les
experts pour savoir si après ces expériences, ils
admettent la possibilité du suicide. M. Devismes et
' M. Charreins en sont certains. MM. Gavrain et de
Montigny en admettent la possibilité, s'il s est pro-
duit après la mort des mouvements involontaires.
M. Jansen persiste à penser que le coup a été tiré a
distance, et par conséquent par une main étran-
gère. — M. Scopens croit à un non-suicide. _
M* CIl. GRAUX. — N'a-t-on pas souvent observe des
mouvements automatiques chez les suppliciés après
la décapitation ? .
M. HENRY KIMDER, sollicitor, à Londres. — Je connais
l'accusé Rish-Allah depuis dix ans ; il m'a été pré-
senté par un avocat à la Cour de Chancellerie, j ai
été son sollicitor dans quelques affaires.
Me LACHAUD. — Le témoin n'a-t-il pas reçu de
Readly, à Spa, une lettre très-affectueuse par rap-
port à Rish-Allah ; n'a-t-il pas aussi 1 l'ori 'inal dune
lettre également très-affectueuse de Readly a son
tuteur ? ..
LE TÉMOIN. — Oui, je les ai apportées avec moi.
ReadlY appelle Rish-Allah son père.
MeCR. GRAUX. — Nous demandons que ces lettres
soient-jointes au dossier.
M' LACHAUD. — Readly n'a-t-il pas dit au témoin
que s'il n'épousait pas M'ie Aitken, il ferait un acte
de désespoir ?
LE TÉMOIN. - Il m'a dit cela, à T Londres, i dans,
mon bureau; il venait d'Anvers pour obtenir le
consentement de son oncle à son mariage ; il m a dit
qu'il avait des dettes.
- M. CH. GRAUX. — Le témoin n 'a-t-ii pas connais-
sance d'un fait do séductionlcommis par Readly -
LE TÉMOIN. — Je sais que Rish-Allah a eu beau-
coup de peine pour le compte de Readly a propos
d'une affaire de jeune fille. Rish-Allah ma ^ dit, au
moment où cela venait de se passer, qu il avait
donné une bonne somme pour le sauver. _
M. LE PRÉSIDÂT. — Readly était-il epileptique.
LE TÉMOIN. — Il m'a écrit qu'il avait eu un accès
• dans le mois de décembre 64. - J'ai apporté sa
! lettre avec moi.
: ' M. KiMBKR , donne ensuite des détails sur l'affaire
Bengham, conformes à ceux qui nous ont. été four-
nis hier par un autre témoin et dans un sens egaie-
. ment favorable il Rish-Allah. ^
[ MC LACIIAUD. - Le témoin ne sait-il pos si,
L de juillet lS65, Rish-Allah n'a pas reçu 7,000 lr.
LE TÉMOIN. — Oui, il a reçu 4,000 liv. st. par ordre
t de la Cour de chincellerie.
> . La position de Rish-Allah n'était pas telle qu'il
dùt faire un faux de 400 livres.
L M. LE PROCUREUR oÉxÉRAL. — Ces cent mille bancs
provenaient de la mort de Readly.
. Le témoin ajoute quelques détails sur les faux,
1 commis en Angleterre par Osman. Osman a volé des
; chèques en blanc au témoin lm-meme, et vient d en
, faire tout récemment usage à Livourne, en
t pour escroquer 800 liv. st. a un banquier. A I 'épo-.
> que du vol do (',.s chèques, Rish-Allah était a PaÉis,
r.isii-AI.LAH. — M. l'e Procureur général a dit que
L mon père étaij un homme très-honorable, et que
; moi je n étais pas médecin, que j'étais un charla-
- tan. ■
LE TÉMOIN.—Il estfeltow (associé) du Kings 'College-
> J'ai le diplôme ù mon hôtel.
5 M. LE pRocuREUR GÉNÉRAL. - Ce sont des renseigne-
I ments qui me viennent de Constantinople.
LE TÉMOIN. — Le diplôme est antérieur au voya-
, ge de Rish-Allah en Turquie; sans cela, il ne serait
pas entré dans l'armée en qualité de médecin miu-
en plein hiver, au mois de février, — il fnt, non
loin de la gare de Mantes, attaqué par six hom-
mes masqués qui, malgré sa résistance, le ga-
rottèrent et le jetèrent dans une voiture, attelée
de quatre chevaux de poste.
Au bout d'une heure, on arrêta dans un bois
'
désert.
— Descendez! dit le chef des hommes mas-
qués au poëte.
Louis Bouilhet obéit.
— Monsieur, lui dit son geôlier en lui présen-
tant un costume de Turc, vous allez, s'il vous
plaît, endosser ces vêtements orientaux.
.- Jamais !
— Allons donc ! fit l'homme masqué en mon-
trais -on revolver.
Toute résistance étant inutile, Bouilhet se dé-
(!'J sa en Turc au milieu de la forêt. On le fit
remonter en voiture, les hommes masqués à
cheval reprirent leur place aux portières, et on
s'élança au galop dans une direction inconnue.
Au "bout de deux heures, le poëte aperçut de
loin un château éclairé à giorno.
— Où me conduisez-vous? demanda Bouilhet
d'une voix faible.
Vous le saurez bientôt ! répondit le chef.
Quelques instants après, la voiture entra dans
la cou/du château; des deux côtés du perron se
tenaient des laquais avec des torches.
— Descendez i dit le chef au prisonnier.
Le poëte, tout tremblant, obéit ; mais à peine
fut-il descendu, qu'il poussa un cri de surprise.
Sur le seuil de son manoir, costumé en Henri II,
l'attendait un de ses vieux amis, un gentilhomme
fantaisiste, qui vint à lui:
— Mon vieux camarade, dit-il, je donne ce
soir un 1Jal masqué, et comme j'ai absolument
voulu t'avoir à ma petite fète, toi, l'ours de Man-
tes, je t'ai fait enlever par mes gens. Es-tu con-
tent de ton costume?
Le Turc de Mantes resta un an au château de
son ami, où il composa Dolorcsr, drame en cinq
actes et en vers, représenté au Théâtre-Fran-
çais.
EXÉCUTION A MADRID
ne
JU
On nous écrit de Madrid, le 23 octobre 1866 : t
La population de Madrid vient d'avoir de nouveau t
le triste spectacle d'une exécution par le garrole e
vil :
Anastasio Raquera Sanz, âgé de vingt-deux ans, £
graveur sur métaux, a été, en trois jours jugé, con-
damné et exécuté. Il avait été arrêté peu après les 1
événements de juin dernier, accusé d'avoir pris part £
à la révolution. Le garde civil (gendarme) qui l'ar- >
rêia-remplit, à ce qu'il parait, sa mission avec une (
certaine brutalité. Sanz, durant sa détention, rumi- 1
naît des projets de vengeance, lorsque vendredi der-
nier dans la matinée, il fut mis en liberté, et en ]
sortant du Saladrero avec un de ses amis, celui-ci
l'engagea à se rendre immédiatement dans sa fa- (
mille. « Je rentrerai dans ma famille, répondit-il,
mais auparavant il faut que je tue un garde civil. » '
Sans écouter les remontrances de son ami, Sanz se
rendit au centre de la ville dans la carrera de San 1
Geronimo, et le malheur voulut que le premier
garde civil qui se présenta à ses yeux fut précisé-
ment celui qui l'avait arrêté.
Il n'hésita pas un seul instant : il se plaça avec (
un air d'indifférence sur le seuil de la porte d'entrée
d'une maison, prépara sous ses vêtements un couteau
catalan dont il s'était muni à cet effet, et quand le
garde civil, en ce moment de service dans la carrera,
se retourna, il le frappa par derrière de deux coups
de couteau. La lame pénétra jusqu'au-dessous de la
région du cœur. Le garde civil tomba grièvement
blessé et fut transporté à l'hôpital, oit il n'est pas
mort encore.
Quant au meurtrier, arrêté et conduit au Sala-
drero, d'où il était sorti peu d'instants auparavant,
il comparut avant-hier, dimanche, devant le conseil
de guerre, lequel rendait une heure après contre lui
une sentence de mort. Sanz était loin de s'attendre
à un dénoûment si rapide.
Il entendit avec des marques d'indicible émotion
la lecture de sa sentence, et fut mis immédiatement
en chapellê. Il y fut.plu,tôt transporté par les mem-
bres de la confrérie de lq. mort qu'il ne s'y rendit
lui-même. C'est dans. cette même attitude, c'est-à-
dire dans un état complet de prostration, que le
malheureux a été transporté, solidement attaché sur
un âne et au milieu de l'appareil ordinaire, au lieu
du supplice. La foule était immense, comme de cou-
tume.
Je crois que je ne vous ai jamais parlé d'une par-
ticularité intéressante qui a lieu aussitôt après une
exécution en Espagne.
Dès que l'exécuteur des hautes oeuvres a rempli ■
son mandat, il est entouré par les gendarmes qui
lui posent les menottes et le conduisent dans un
des cachots de la prison. Quelques heures après, se
présente un greffier accompagné de l'alguazil.
Le bourreau est appelé à comparaître et aussitôt
s'entame le dialogue suivant :
— Vous êtes accusé d'avoir tué un homme, dit
Yescribano ?
— Oui, c'est la vérité, répond le bourreau.
— Pourquoi avez-vous accompli ce meurtre ?
Pour obéir à la loi et remplir le mandat que m'a
confié la justice.
Procès-verbal est dressé séance tenante, signé par j
e bourreau, et le lendemain soumis à l'examen du
uge. Celui-ci prononce alors une sentence d'ac-
quittement en faveur du bourreau qui est mis en
liberté après avoir été traité, durant vingt-quatre
heures, comme un criminel. (Le Droit.)
LES VAUDOUX
LES CANNIBALES
DE SAINT-DOMINGUE
PAR
GUSTAVE AIMARD
Suite (1) 1
— Ils ne sont plus que deux, dit le jeune 1
homme qui avait évité la balle de Floréal en se
jetant de côté, voulez-vous nous laisser partir? 3
— Tu mourras, chien maudit, s'écriale bandit
en se précipitant sur Marcelin à corps perdu. (
Une lutte horrible s'engagea alors entre les
deux hommes. Soudain Marthe poussa un cri ]
d'appel désespéré; les deux nègres qui restaient, 1
s'étaient emparés d'elle et cherchaient à l'en- 1
traîner.
Par un effort gigantesque, Marcelin échappa
à l'étreinte puissante de Floréal, courut vers la
jeune fille, plongea son poignard dans la gorge
de l'un des nègres, renversa le second d'un vio-
lent coup de tête dans la poitrine qui le laissa à
demi mort, et se retournant par un bond d ê tigre,
il se rua sur Floréal.
Cette scène qu'il nous a fallu tant de temps à
décrire, s'était passée avec une rapidité si verti-
gineuse, que l'espace d'un éclair en aurait vu le
commencement et la fin.
— A nous deux ! Floréal s'écria-t-il avec un
rire strident. fe
— Oh ! je te mangerai le cœur, chien ! s'écria
le bandit en proie à une rage folle et redoublant
ses efforts déjà gigantesques pour renverser cet
adversaire qu il avait été loin de supposer aussi
redoutable.
— Sauvez-vous ! sauvez-vous, pendant que je
lutte contre ce démon ! cria Marcelin à la jeune
ûl'.e.
— Non, reprit-elle résolûment, je ne me sau-
verai pas seule, nous périrons ensemble.
Cependant le jeune homme sentait ses forces
l'abandonner, son front ruisselait de sueur, un
brouillard s'étendait sur ses yeux, il avait des
tintements dans les oreilles, il calculait avec
terreur combien de minutes il lui serait possible
encore de soutenir cette lutte désespérée.
Les bras de Floréal, noués avec une énergie
furieuse autour de sa ceinture, se resserraient
par une pression lente m-ais irrésistible, qui fai-
sait craquer ses os et lui ôtait la respiration ; il
voyait à deux pouces du sien le visage du ban-
dit qui le regardait avec une expression diabo-
lique ; il allait perdre pied.
Soudain, de grands cris se firent entendre, et
le bruit d'une course rapide et qui se rapprochait
d'instants en instants frappa son oreille.
— Tiens bon, Marcelin! courage! me voilà!
cria la voix dé M. Duvauchelle.
Cette voix amie lui rendit instantanément
toute son énergie première, et il redoubla ses
prodigieux efforts.
— Ah! fit-il d'une voix sifflante., je crois que
cette fois tu .es pri£ misérable !
— C'est possible, répondit le nègre avec un
sourire hideux, mais tu ne me verras pas pren-
dre, tu seras mort avant !
— Au secours ! au secours ! mon frère 1 criait
» Marthe avec désespoir.
— Me voilà, sœur, me voilà! répondit M. Du-
- vauchelle en apparaissant dans le carrefour,
' suivi d'une dizaine de soldats. ,
Tous se ruèrent à la fois sur Floréal Apollon.
En un instant, le bandit fut renversé à terre et
[ solidement garrotté.
i Marcelin gisait sans mouvement à ses pieds.
> — Oh ! mon Dieu! dit la jeune fille avec dou-
leur, en s'agenouillant auprès du jeune homme.
1 Pauvre garçon! si brave, si dévoué 1 Est-il donc
t mort ? N'est-il pas possible de le secourir ? Je
1 vous en supplie, mon frère !
M. Duvauchelle s'approcha avec empresse-
3 ment.
P — Ah ! ah ! dit avec un rire de triomphe Flo-
i réal, qu'en ce moment on attachait sur un che-
- val, je lui avais promis qu'il mourrait avant
moi ! Oui, oui ! essayez de lui faire reprendre-
- connaissance, il est mort,'bien mort !
e Floréal Appolôn se trompait ; non-seulement
r - Marcelin n'était pas mort, mais il n'était même
L| pas évanoui. En proie à une prostration com-
n plète, après les efforts prodigieux qu'il avait été
e contraint de faire dans sa lutte contre son im-
placable adversaire, il sentait peu à peu l'air ren-
)t trer dans sa poitrine et ses forces revenir lente.
ment à la vérité, mais de façon à ce que, au
lt bout de quelques minutes., .il. fùt, s'il l'eût voulu,
parfaitement en état. de. se lever. Mais telle n'é-
tait pas sa pensée.- Marcelin,.pour des motifs
son erreur.
ir Lorsque M. Duvauchelle" se-pencha sur lui, il
u ..
> (1) Voir le numéro du 22 octobre.
lui sourit doucement, et, clignant les yeux d'un
air significatif :
— 11 faut que Floréal me croie mort, lui dit-il
d'une voix faible comme un souffle.
M. Duvauchelle lui serra la main ; il avait
compris. Il se releva et s'éloigna en faisant à sa
.helie-soeur signe de le suivre.
Il prit une couverture de cheval, enveloppa
Marcelin dedans, et le fit placer sur une civière
improvisée parles soldats avec des fusils, et sur
laquelle se trouvaient déjà étendus les deux
nègres tués précédemment par le jeune homme.
Floréal avait suivi d'un regard attentif tous ces
mouvements.
— Il est donc mort, ce brave Marcelin, dit-il
puis d'une voix railleuse à monsieur Duvauchelle
lorsque celui-ci passa auprès de lui.
— Oui, misérable, répondit le planteur, ré-
jouissez-vous, vous l'avez tué.
— Tant mieux, s'écria-t-il avec une joie hi-
deuse, au moins je suis vengé.
Le planteur haussa les épaules et dédaigna de
répondre ; après avoir aidé Marthe à monter à
cheval, il donna le signal du départ, et la petite
troupe se mit lentement en marche.
GUSTAVE AIMARD.
(L,o tuiU au prochain numtro.J'
Tribunaux étrangers
COUR D'ASSISES DU BRABANT
(Bruxelles)
AFFAIRE RISH-ALLAH
UN ANCIEN COLONEL DE L'ARMÉE OTTOMANE ACCUSÉ DE
FAUX ET D'ASSASSINAT SUR LA PERSONNE DE SON PUPILLE
ET BEAU-FILS. — UN SUICIDE PRÉTENDU.
Audience du 27 octobre.
L'audience est ouverte à neuf heures et demie.
L'audition des témoins est suspendue pour le
temps nécessaire aux expériences ordonnées hier
par la cour. Le lit de Readly a été apporté d'An-
vers; c'est un lit en acajou commun, tel qu'on en
trouve dans les hôtels ; il mesure une hauteur de
1 m. 10 c. environ, et il est garni de deux oreillers
et d'une couverture. —A côté du lit se trouve une
chaise empruntée également à la chambre de l'hôtel
du Rhin.
MM, Devismes et de Montigny ont apporté chacun
une arme à deux j coups de fabrique anglaise, et
autant que possible semblable à celle qui a été l'in-
strument de la mort de Charles Readly, et qui, on
se le rappelle,a disparu avec Osman, à qui elle avait
été rendue. *
Le témoin Callut, garçon de l'Hôtel? du Rhin, est
appelé pour expliquer à'MM. les experts et au jury
la situation du cadavre.
Y. LE PRÉSIDENT. — Monsieur Charreins, voulez-
vous vous étendre sur ce lit, et nous montrer com-
ment vous êtes arrivé à vos conclusions ?
M. CHARREINS. — Monsieur le président, je ne de-
mande pas mieux que d'obéir à la justice, mais ce-
pendant... je suis officier, j'ai la dignité de mon
uniforme à garder...
M. LE PRÉSIDENT. — Nous ne voulons vous obliger
à rien qui puisse vous' blesser. — Cependant, il ne
peut vous arriver aucun désagrément de ceci ; c'est
une mission que la justice vous confie.
M. Charreins quitte sa redingote.
Une discussion s'engage sur la question de savoir
si les armes seront essayées ou non avec des cap-
sules. M. de Montigny prétend que cela présenterait
peut-être quelque danger. Mais M. Devismes insiste,
afin que l'expérience ne puisse faire de doute pour
personne. - ,
M. Charreins se couche dans le lit, sous la couver-
ture, dans la position décrite déjà plusieurs fois.
M. Maillard, commissaire de police, constate que la
disposition de la chaise et de la baguette du fusil
sont identiques à celle où elles ont été trouvées
dans la chambre de ReadIv.— M. le docteur Scopens
dispose la tête de M. Charreins et le canon de
l'arme dans la direction de la blessure observée sur
la victime..
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL. — J'insiste pour que
M. Charreins ait bien les deux bras sous la couver-
ture.. , .
M. LE PRÉSIDENT. — Certainement, mais laissons
faire l'expert ; chaque chose aura son temps.
' M. Charreins répète les explications que j'ai don-
nées hier, et auxquelles je renvoie mes lecteurs
pour éviter de fastidieuses répétitions. Il ajoute seu-
lement : — J'ai oublié de dire que, si on a trouvé
Readly vêtu seulement d'une chemise de laine, c'est
qu'il se sera mis nu pour éviter que la poudre n'en-
flammât sa chemise.
L'expert, pourvoir la détente de l'arme, dont le
cano'n est passé sous la couverture, refoule celle-ci
sous sa main gauche ; le coup part au moyen de la
baguette.
M. Devismes prend la place de M. Charreins, et
démontre qufe la main gauche seule a pu suffire
pour faire partir la détente..
M. LE PROCUREUR GÚ,ÉRAL. — Mais votre bras droit
est hors du lit.
M. DEVISMES. — Mais je prends l'homme avant la
mort, moi! Il a dû faire des mouvements. Voici ce
que j'ai vu, moi. Dans une caserne, à Paris, un sol-
dat a déchargé son arme sous son menton ; la balle
est sortie par le haut de la tête,, et cependant cet
homme a fait encore cinq ou six pas pour aller se
: coucher dans son lit.
M. DE MONTIGNY, — Nous avons fait notre rapport
dans l'hypothèse qui nous a été affirmée par M. le
docteur, à savoir qu'il n'y avait eu aucun mouve-
ment après la mort.. ,
M. SCOPENS. — La colonne vertébrale était brisée,
et, ordinairement, car il y a des exceptions, tout ce
qui se trouve au-dessous de cette fracture est para-
, lysé ; s'il y a eu des mouvements convulsifs, ils ont
dû être très-bornés. , . ,
M. &AILLARD arrange, ou plutôt dérange re lit comme
il l'était lorsaue Readlv v était encore.
Me LACHAUD fait observer que cette disposition n'est
pa$ identique avec la photographie qui a été commu-
niquée à la défense.
M. DEvisMEs. — D'ailleurs, le domestique n'a-t-ii
pas dit qu'il avait dérangé la. couverture pour re-
couvrir la main du jeune homme ?
Le témoin cALLi.'T indique comment il a disposé les
couvertures à co moment ?
M. LE PROCUREUR-GÉNÉRAL. — Maintenant, M. Char-
reins ne s'est pas borné à dire que le suicide était
possible -, il a dit que l'homicide était impossible. Je
le..pne de le démontrer.
M. CHARREINS. — Pardon, je n'ai pas dit impossible,
mais très-difficile.
M. JANSEN. — Il y a deux movens. (L'expert place
dans le lit la tête en ca-cton.) D'abord en se tenant
debout, et en dirigeant le canon un peu oblique-
ment de bas en haut, en s'agenouillant.
M. CHARREINS. — C'est très-difficile, presque im-
possible. *
M. JANSEN. — Et aussi de se tenir debout; le coup
serait horizontal.
M. CHARREINS. — On a parlé aussi de la distance ;
le bout portant n'est pas démontré.
M. DEVISMES. — Monsieur, dans votre rapport, —
que je ne veux pas critiquer, — vous parlez d'une
distance de 40 centimètres. — Dans ce cas, la place
n'aurait pas été noire de poudre brûlée jusqu'au
fond de la blessure, mais seulement à l'orifice.
M. Devismes ajoute quelques autres explications,
qu'il corrobore en exhibant un carton qu'il avait en-
roulé autour d'une motte de terre glaise, et sur le-
quel il a tiré des coups de feu à diverses distances. t
M. JANSEN. — La plaie était coupée sur les bords,
tres-nettement.
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL. — Deux de ces messieurs
n'ont-ils pas été chargés d'une expérience a propos
de l'affaire d'un soldat nommé Match, qui a été tLlé
d'un coup de feu à Anvers, à bout portant?
M. DE MONTIGNY. — Oui, monsieur, — mais il avait
été tué à une distance de trente ou quarante centi-
mètres.. '
Me LACIIAUD. — Alors il ne peut pas servir d ex-
emple..
Une longue discussion technique, que l'état très-
borné, je l'avoue, de mes connaissances en pyro-
technie et en balistique m'empêche de -reproduire
I bien exactement, s'engage entre les experts, et dé-
génère en une discordance complète. Enfin, M. Char-
reins consent à se remettre dans le lit. La crosse du
fusil, au lieu d'être appuyée sur le siège de la chaise
contre le montant droit, est appuyée sur le hCtton
supérieur du dossier, selon la direction indiquée
par M. le docteur Scopons.
M. Charreins, auparavant, fait connaître un exerft-
pie curieux de mouvements involontaires, dont il a
été témoin. En 183D, un officier belge eut la tète
cassée par un boulet hollandais. Cet officier avait un
tic qui consistait à se croiser vivement les bras, de
façon à ce que les mains arrivassent sous les épau-
les. Eh bien, cet homme, la tête fracassée, croisa
ses bras comme il en avait l'habitude.
M. LE DOCTEUR SCOPENS regardant M. Charreins, qui
a mis la tête sur l'oreiller. — La tête n'était pas
ainsi; elle était inclinée à droite.
M. DEVISMES. — Mais je maintiens justement que
le coup a refoulé la tète à droite ! Cet homme n était
ni en cire, ni en bois, ni en fonte; il avait des
nerfs !
M. Charreins recommence son expérience et fait
encore partir la détente du fusil.
M. LE PRÉSIDENT interroge successivement tous les
experts pour savoir si après ces expériences, ils
admettent la possibilité du suicide. M. Devismes et
' M. Charreins en sont certains. MM. Gavrain et de
Montigny en admettent la possibilité, s'il s est pro-
duit après la mort des mouvements involontaires.
M. Jansen persiste à penser que le coup a été tiré a
distance, et par conséquent par une main étran-
gère. — M. Scopens croit à un non-suicide. _
M* CIl. GRAUX. — N'a-t-on pas souvent observe des
mouvements automatiques chez les suppliciés après
la décapitation ? .
M. HENRY KIMDER, sollicitor, à Londres. — Je connais
l'accusé Rish-Allah depuis dix ans ; il m'a été pré-
senté par un avocat à la Cour de Chancellerie, j ai
été son sollicitor dans quelques affaires.
Me LACHAUD. — Le témoin n'a-t-il pas reçu de
Readly, à Spa, une lettre très-affectueuse par rap-
port à Rish-Allah ; n'a-t-il pas aussi 1 l'ori 'inal dune
lettre également très-affectueuse de Readly a son
tuteur ? ..
LE TÉMOIN. — Oui, je les ai apportées avec moi.
ReadlY appelle Rish-Allah son père.
MeCR. GRAUX. — Nous demandons que ces lettres
soient-jointes au dossier.
M' LACHAUD. — Readly n'a-t-il pas dit au témoin
que s'il n'épousait pas M'ie Aitken, il ferait un acte
de désespoir ?
LE TÉMOIN. - Il m'a dit cela, à T Londres, i dans,
mon bureau; il venait d'Anvers pour obtenir le
consentement de son oncle à son mariage ; il m a dit
qu'il avait des dettes.
- M. CH. GRAUX. — Le témoin n 'a-t-ii pas connais-
sance d'un fait do séductionlcommis par Readly -
LE TÉMOIN. — Je sais que Rish-Allah a eu beau-
coup de peine pour le compte de Readly a propos
d'une affaire de jeune fille. Rish-Allah ma ^ dit, au
moment où cela venait de se passer, qu il avait
donné une bonne somme pour le sauver. _
M. LE PRÉSIDÂT. — Readly était-il epileptique.
LE TÉMOIN. — Il m'a écrit qu'il avait eu un accès
• dans le mois de décembre 64. - J'ai apporté sa
! lettre avec moi.
: ' M. KiMBKR , donne ensuite des détails sur l'affaire
Bengham, conformes à ceux qui nous ont. été four-
nis hier par un autre témoin et dans un sens egaie-
. ment favorable il Rish-Allah. ^
[ MC LACIIAUD. - Le témoin ne sait-il pos si,
L de juillet lS65, Rish-Allah n'a pas reçu 7,000 lr.
LE TÉMOIN. — Oui, il a reçu 4,000 liv. st. par ordre
t de la Cour de chincellerie.
> . La position de Rish-Allah n'était pas telle qu'il
dùt faire un faux de 400 livres.
L M. LE PROCUREUR oÉxÉRAL. — Ces cent mille bancs
provenaient de la mort de Readly.
. Le témoin ajoute quelques détails sur les faux,
1 commis en Angleterre par Osman. Osman a volé des
; chèques en blanc au témoin lm-meme, et vient d en
, faire tout récemment usage à Livourne, en
t pour escroquer 800 liv. st. a un banquier. A I 'épo-.
> que du vol do (',.s chèques, Rish-Allah était a PaÉis,
r.isii-AI.LAH. — M. l'e Procureur général a dit que
L mon père étaij un homme très-honorable, et que
; moi je n étais pas médecin, que j'étais un charla-
- tan. ■
LE TÉMOIN.—Il estfeltow (associé) du Kings 'College-
> J'ai le diplôme ù mon hôtel.
5 M. LE pRocuREUR GÉNÉRAL. - Ce sont des renseigne-
I ments qui me viennent de Constantinople.
LE TÉMOIN. — Le diplôme est antérieur au voya-
, ge de Rish-Allah en Turquie; sans cela, il ne serait
pas entré dans l'armée en qualité de médecin miu-
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