Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-06-11
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 11 juin 1870 11 juin 1870
Description : 1870/06/11 (A5,N1514). 1870/06/11 (A5,N1514).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47169422
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
8 cent. le numéro. JOURNAL QUOTIDIEN - 5 cent. le numéro.
. ABONNEMENTS. — Troîsmo!! Six mois 17n nti I
Paris 5 fr. 9 fr., 18 fr.
Départements G 11 1
A dministra leur : B O U RD I L LIAT. 88
Sma année — SAMEDI 11 JUIN 1870 — N° IBt 4:
Rédacteur en chef : AÏ DE Balathier-Bragelonni
BUREAUX D'ABONNEMENT: 9, fHoafOïtot
I . Administration : 13, quai Voltaire.
PARIS, 10 JUIN 1870
DEUX POÈTES
A M. François Coppée
Vous avez débuté avec écVf, monsieurv
Vous inspirant tour à tour de
et de Musset, prenant à l'un les magnifi-
cences pittoresques de la forme, à l'autre l'é-
rimotion dans la fantaisie, demeurant vous-
; même malgré cela, doué pour sentir vive-
ment et pour exprimer avec netteté et relief
ce que vous avez senti, vous vous êtes fait
tout de suite une place large et incontestée
dans la poésie contemporaine. On vous re-
proche d'être ambitieux, de ne pas vous
contenter de la joie intime que procurent les
beaux vers aux poëtes, des éloges de la criti-
que, de l'admiration du public. Persuadé
que les aristocraties doivent marcher de
pair-et qu'il y aurait sotlise au talent de se
tenir fièrement à. l'écart et de ne pas cou-
doyer les principautés et les millions, vous
fréquentez les salons, vous demandez au
monde officiel une consécration dont vous
auriez pu vous passer. Sans partager votre
opinion, je continue à entendre vos vers et à
]es lire. Les Deux Douleurs ne sont pas une
bonne pièce ; mais, dans un des derniers
numéros du Parnasse contempol'ain, j'ai trou-
vé— sous ce titre, Promenades et lntériew's,-
toute une série d'impressions, une sorte de
feuilleton poétique qui m'a enchanté, ces
strophes surtout :
I
N'ètes-vous pas jaloux en voyant attablés
Dans un gai cabaret entre deux champs de blés,
Les soirs d'été, des gens du peuple sous la treille ?
Moi, devant ces amants se parlant à l'oreille <
Et que ne gêne pas le père, tout entier
A l'offre d'un lapin que fait le gargotier,
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise,
Ces joueurs de bouchon en manche de chemise,
Cœurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts,
J'ai regret de porter du drap noir tous.les jours.
II
Vous en rirez. Mais j'ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupous qui s'en vont par les champs
Côte à côte, épluchant l'écorce de baguettes
Qu'ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, le sac sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
A celle qui promet de ne pas oublier
. En s'essuyant les yeux avec son tablier. :
III
U 1 rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
flS'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
£Irès des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
"Oit je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
3-Jfest là, me semble-t-il, qu'on ferait un bon livre :
,Wa hiver, l'horizon des coteaux blancs de givre,
. En été, le grand ciel et l'air qui sent les bois,
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très-loin pourraient me reconnaître
Jouant du flageolet assis à ma fenêtre,
De même que vous avez des impressions, j
les journalistes, monsieur, ont des associa-
tions d'idées. Savez-vous quel livre j'ai ou-
vert,, après avoir lu vos Promenades ? Les
Parents pauvres. Et ce que j'y ai cherché?
Ce petit portrait, crayonné par Balzac :
,« Victorin" Hulot était bien le jeune
homme tel que l'a fabriqué la Révolution
de 1830 : l'esprit infatué de politique, res-
pectueux envers ses espérances, les conte-
nant sous une fausse gravité, très-envieux
des réputations faites, lâchant des phrases
au lieu de ces' mots incisifs, — les diamants
de la conversation française, — mais plein
de tenue et prenant la morgue pour la di-
gnité. Ces gens sont des cercueils ambulants
qui contiennent un Français d'autrefois; le
Français s'agite par moments, et donne des ■
coups contre son enveloppe anglaise; mais
l'ambition le retient, et il consent à y étouf-
fer. Ce cercueil est toujours vêtu de drap
noir... »
Mon Dieu! — me suis-je dit, — que nous
devons avoir d'indulgence, par ce temps de
Victorins Hulot, pour les poëtes en vers,
pour les poëles en prose, et même pour les
poëtes qui fréquentent les salons !...
Et c'est pourquoi je vous dédie cette cau-
serie.
Deux poëtes sont nés.
L'un, M. Paul Arène, a le doublé don
merveilleux des enfants de la Provence : la
vue pittoresque et l'esprit. Jean-des-Figues,
son premier livre, a tous les caractères du
premier livre. La fantaisie y remplace la
composition, et l'abondance des idées y nuit
parfois à leur suite. Ces 300 pages sont des
pages, plutôt qu'une œuvre; mais quelles
pages charmantes, et qu'on est heureux de
.rencontrer, en 1870, un galopin de vingt-
cinq ans qui met sa cravate de travers et q' .
^'oft»{te~-ava"nt tout de l'amour • et du prin-
temps !
« Depuis deux jours, le vent des fleurs
soufflait, et, dans la plaine, sur les coteaux,
à part la verdure joyeuse des jeunes blés,
toute la campagne était blanche. L'air sen-
tait bon, les arbres ployaient sous des flo-
cons de neige embaumée, les pétales effeuil-
lées tourbillonnaient partout dans les par-
fums et la lumière, comme des vols de
papillons blancs, et, pour cadre à celte joie,
à ces blancheurs, les grandes Alpes, déjà
revêtues des chaudes vapeurs de la belle
saison, mais encore couronnées de neige, se
dressaient dans le lointain blanches et bleues,
comme les vagues de la Méditerranée quand
elles secouent leur écume au soleil un lende-
main de tempête !... »
Il y a, dans Jean-des-Figues, cent passages
comme celui-là, et le volume distribué, cor-
rigé, imprimé avec le soin infini de la pre- 5
mière heure, est précédé d'une eau-forte de
M. Emile Bénassit, fine, élégante, spirituelle,
qui donne envie de lire. J'espère bien qu'on
le lira. ;
L'autre poëte, que je veux vous présenter,
est un jeune homme aussi, un Normand; il
s'appelle M. Charles Frémine. L'année pas-
sée, à peu près à pareille date, il vint me
voir. Il m'apportait le plan d'un roman noir,
qu'il avait l'intention d'écrire pour les petits
journaux. Le sujet à part, qui était horrible,
le plan était très-bien. Il partit pour son
pays, décidé à le mettre à exéculion. Lors-
qu'il revint en automne :
— Eh*bien ! — lui dis-je, — votre roman
est-il terminé?
— Il n'est pas même commencé, — me
répondit-il. Lorsque je me suis trouvé là-
bas, entre la mer et les herbages, il m'a été
; impossible de faire autre chose que des vers.
J'en faisais tous les-jours; je crois bien qu'il
y en a un volume maintenant.
Je n'y ai pas tenu, monsieur : je l'ai em-
brassé.
Le volume a paru hier; il se nomme
1 Floréal. Encore un titre qui n'a rien d'offi-
i
ciel; mais les vers en sont si jeunes et si
jolis ! En voici une brassée :
I
RENCONTRE
Quand l'aube frange de satin
Les toits où le moineau babille,
En voiture, chaque matin,
Je rencontre une jeune fille.
Rênes en mains et joue en fleuri
Elle arrive à travers la brume,
Blonde, et pressant avec ardeur'
Son cheval qui galope et fume.
Laitière, elle apporte du lait
Dans d'e brillants vases de cuivre;
Des champs l'odeur du serpolet
A la ville semble la suivre.
Désirant voir de. près ses yeux,
L'autre jour, je lui fis un signe
Qu'elle comprit on ne peut mieux 1
J'allai vers elle en droite ligne.
Comme ses yeux étaient fort doux,
Je hasardai ces mots sublimes :
« 0 belle laitière, auriez-vous
« Ençor du lait pour dix centimes? »
Un charmant sourire entr'ouvrit
Sa belle lèvre arquée et franche,
Et dans le bol qu'elle m'offrit
Je bus la liqueur douce et blanche
« Bonjour ! »-Elle me dit : « Bonjour! »
En vain j'aurais voulu la suivre,
Car, soit de lait ou soit d'amour,
Il est certain que j'étais ivre.
II
AU BORD DE LA MER
Près du port, un matin d'été,
J'étais assis sur une amarre,
Et, pour toute société,
J'avais à la lèvre un cigare;
Je regardais, d'un œil distrait,
Monter vers moi le flot sonore
Dont la volute s'empourprait
Des premiers rayons de l'aurore.
Sur la flottille des pêcheurs,
Le long des mâts, glissaient les toiles,
Et JefJ matinales fraîcheurs v
Dans le ciel pur gonflaient les voiles.
Sons les avirong'des rameurs,
La mer décomposait ses teintes
Et revêtait mille couleurs
Au passage des barques peintes.
Et comme un blanc volier d'oiseaux,
Il me plaisait de voir mes rêves
S'ébattre et jouer sur les eaux
Avec les martinets des grèves!
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
LXXV
75
C'était, en effet, dans Sermon Lane que lo-
geait Rocambole, ou plutôt M. Burdett, le
maître-clerc de M. Colcram le solicitor de
Pater-Nosfer.
\ Pourquoi avait-il choisi cette rue?
Par une raison toute simple; c'est que dans
eette rue il y avait une maison qu'il connais-
sait, et dans celte maison une chambre qu'il
avait occupée quelques heures.
Cette chambre était celle que miss Ellen
avait louée, au temps où elle était dame des
prisons, et dans laquelle elle venait changer
de costume, quand elle avait accompli ses dou-
loureux devoirs envers les prisonniers.
Roeambole en avait -conservé une clé.
Cette clé, on ne la lui avait jamais ôtée
pendant son séjour'à Newgate.,
Le bon directeur, espérant toujours qu'il
ferait des révélations, s'était, on s'en souvient,
montré pour lui plein d'égards.
Donc, le jour, ou plutôt la nuit où le
maître et Milon recouvrèrent leur liberté en
se jetant résolument à la nage dans la Tamise,
Rocambole sa souvint de la clé et de Sermon
Lane.
Nageurs vigoureux tous les deux, Milon et
lui avaient traversé la Tamise comme s'il se
fût agi d'un ruisseau, et ils s'étaient assis un
moment, le fleuve passé, sur la berge de la
rive droite, qui fait face à la Cité.
Alors Milon avait dit à Rocambole :
— Nous sommes libres, c'est vrai, mais
nous ne sommes pas hors de danger.
— Que veux-tu dire?
— Nos habits sont ruisselants.
— Crains-tu donc les rhumatismes ?
— Ce n'est pas ce que je veux dire.
— Alors explique-toi.
— Pour faire sécher nos habits, il faùt que
nous allions quelque part.
— Sans doute.
— Dans une taverne, une maison de nuit,
un boarding quelconque, enfin.
— Continue.
— Et comme nous ne sommes pas dans la
saison des bains froids, nous pouvons fort
bien éveiller l'attention d'un policeman.
— C'est puissamment raisonné, dit Rocam-
bole d'un ton railleur ; mais, entre nous, mon
vieux, nous en avons vu bien d'autres.
— Ah ! dam ! c'est vrai.
— Mais, poursuivit Rocambole, nous n'au-
rons même pas à faire des frais d imagination
en cette circonstance.
— Plaît-il? fit Milon.
— Nous avons un logis tout trouvé.
— Le bateau à vapeur de miss Ellen?
, — Non pas.
— Cependant ce bateau doit nous attendre?!
— Oui, mais tu sais bien que nous restons
à Londres maintenant.
— Ah 1 c'est juste.
— Nous avons donc un logis.
— Où ça?
— Dans la Ci té.
— Et... on nous attend...
— Non.
— Alors qui nous ouvrira?
— Cette clé.
Et Rocambole tira la clé de sa poche et -la
montra à son fidèle compagnon.
Puis il regarda le ciel toujours noir.
- Nous avons deux heures devant nous,
dit-il. Allons-nous-en !
Ils remontèrent au pont de Londres, gagnè-
rent la Cité et entrèrent dans Sermon Lane.
La ruelle était déserte; la maison dans la-
quelle était la chambre de miss Ellen était ou-
verte toute la nuit, c'est-à-dire que la porte
avait un petit secret, un loquet dissimulé.
i.¥oir le numéro du 12 juin.
8 cent. le numéro. JOURNAL QUOTIDIEN - 5 cent. le numéro.
. ABONNEMENTS. — Troîsmo!! Six mois 17n nti I
Paris 5 fr. 9 fr., 18 fr.
Départements G 11 1
A dministra leur : B O U RD I L LIAT. 88
Sma année — SAMEDI 11 JUIN 1870 — N° IBt 4:
Rédacteur en chef : AÏ DE Balathier-Bragelonni
BUREAUX D'ABONNEMENT: 9, fHoafOïtot
I . Administration : 13, quai Voltaire.
PARIS, 10 JUIN 1870
DEUX POÈTES
A M. François Coppée
Vous avez débuté avec écVf, monsieurv
Vous inspirant tour à tour de
et de Musset, prenant à l'un les magnifi-
cences pittoresques de la forme, à l'autre l'é-
rimotion dans la fantaisie, demeurant vous-
; même malgré cela, doué pour sentir vive-
ment et pour exprimer avec netteté et relief
ce que vous avez senti, vous vous êtes fait
tout de suite une place large et incontestée
dans la poésie contemporaine. On vous re-
proche d'être ambitieux, de ne pas vous
contenter de la joie intime que procurent les
beaux vers aux poëtes, des éloges de la criti-
que, de l'admiration du public. Persuadé
que les aristocraties doivent marcher de
pair-et qu'il y aurait sotlise au talent de se
tenir fièrement à. l'écart et de ne pas cou-
doyer les principautés et les millions, vous
fréquentez les salons, vous demandez au
monde officiel une consécration dont vous
auriez pu vous passer. Sans partager votre
opinion, je continue à entendre vos vers et à
]es lire. Les Deux Douleurs ne sont pas une
bonne pièce ; mais, dans un des derniers
numéros du Parnasse contempol'ain, j'ai trou-
vé— sous ce titre, Promenades et lntériew's,-
toute une série d'impressions, une sorte de
feuilleton poétique qui m'a enchanté, ces
strophes surtout :
I
N'ètes-vous pas jaloux en voyant attablés
Dans un gai cabaret entre deux champs de blés,
Les soirs d'été, des gens du peuple sous la treille ?
Moi, devant ces amants se parlant à l'oreille <
Et que ne gêne pas le père, tout entier
A l'offre d'un lapin que fait le gargotier,
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise,
Ces joueurs de bouchon en manche de chemise,
Cœurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts,
J'ai regret de porter du drap noir tous.les jours.
II
Vous en rirez. Mais j'ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupous qui s'en vont par les champs
Côte à côte, épluchant l'écorce de baguettes
Qu'ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, le sac sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
A celle qui promet de ne pas oublier
. En s'essuyant les yeux avec son tablier. :
III
U 1 rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
flS'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
£Irès des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
"Oit je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
3-Jfest là, me semble-t-il, qu'on ferait un bon livre :
,Wa hiver, l'horizon des coteaux blancs de givre,
. En été, le grand ciel et l'air qui sent les bois,
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très-loin pourraient me reconnaître
Jouant du flageolet assis à ma fenêtre,
De même que vous avez des impressions, j
les journalistes, monsieur, ont des associa-
tions d'idées. Savez-vous quel livre j'ai ou-
vert,, après avoir lu vos Promenades ? Les
Parents pauvres. Et ce que j'y ai cherché?
Ce petit portrait, crayonné par Balzac :
,« Victorin" Hulot était bien le jeune
homme tel que l'a fabriqué la Révolution
de 1830 : l'esprit infatué de politique, res-
pectueux envers ses espérances, les conte-
nant sous une fausse gravité, très-envieux
des réputations faites, lâchant des phrases
au lieu de ces' mots incisifs, — les diamants
de la conversation française, — mais plein
de tenue et prenant la morgue pour la di-
gnité. Ces gens sont des cercueils ambulants
qui contiennent un Français d'autrefois; le
Français s'agite par moments, et donne des ■
coups contre son enveloppe anglaise; mais
l'ambition le retient, et il consent à y étouf-
fer. Ce cercueil est toujours vêtu de drap
noir... »
Mon Dieu! — me suis-je dit, — que nous
devons avoir d'indulgence, par ce temps de
Victorins Hulot, pour les poëtes en vers,
pour les poëles en prose, et même pour les
poëtes qui fréquentent les salons !...
Et c'est pourquoi je vous dédie cette cau-
serie.
Deux poëtes sont nés.
L'un, M. Paul Arène, a le doublé don
merveilleux des enfants de la Provence : la
vue pittoresque et l'esprit. Jean-des-Figues,
son premier livre, a tous les caractères du
premier livre. La fantaisie y remplace la
composition, et l'abondance des idées y nuit
parfois à leur suite. Ces 300 pages sont des
pages, plutôt qu'une œuvre; mais quelles
pages charmantes, et qu'on est heureux de
.rencontrer, en 1870, un galopin de vingt-
cinq ans qui met sa cravate de travers et q' .
^'oft»{te~-ava"nt tout de l'amour • et du prin-
temps !
« Depuis deux jours, le vent des fleurs
soufflait, et, dans la plaine, sur les coteaux,
à part la verdure joyeuse des jeunes blés,
toute la campagne était blanche. L'air sen-
tait bon, les arbres ployaient sous des flo-
cons de neige embaumée, les pétales effeuil-
lées tourbillonnaient partout dans les par-
fums et la lumière, comme des vols de
papillons blancs, et, pour cadre à celte joie,
à ces blancheurs, les grandes Alpes, déjà
revêtues des chaudes vapeurs de la belle
saison, mais encore couronnées de neige, se
dressaient dans le lointain blanches et bleues,
comme les vagues de la Méditerranée quand
elles secouent leur écume au soleil un lende-
main de tempête !... »
Il y a, dans Jean-des-Figues, cent passages
comme celui-là, et le volume distribué, cor-
rigé, imprimé avec le soin infini de la pre- 5
mière heure, est précédé d'une eau-forte de
M. Emile Bénassit, fine, élégante, spirituelle,
qui donne envie de lire. J'espère bien qu'on
le lira. ;
L'autre poëte, que je veux vous présenter,
est un jeune homme aussi, un Normand; il
s'appelle M. Charles Frémine. L'année pas-
sée, à peu près à pareille date, il vint me
voir. Il m'apportait le plan d'un roman noir,
qu'il avait l'intention d'écrire pour les petits
journaux. Le sujet à part, qui était horrible,
le plan était très-bien. Il partit pour son
pays, décidé à le mettre à exéculion. Lors-
qu'il revint en automne :
— Eh*bien ! — lui dis-je, — votre roman
est-il terminé?
— Il n'est pas même commencé, — me
répondit-il. Lorsque je me suis trouvé là-
bas, entre la mer et les herbages, il m'a été
; impossible de faire autre chose que des vers.
J'en faisais tous les-jours; je crois bien qu'il
y en a un volume maintenant.
Je n'y ai pas tenu, monsieur : je l'ai em-
brassé.
Le volume a paru hier; il se nomme
1 Floréal. Encore un titre qui n'a rien d'offi-
i
ciel; mais les vers en sont si jeunes et si
jolis ! En voici une brassée :
I
RENCONTRE
Quand l'aube frange de satin
Les toits où le moineau babille,
En voiture, chaque matin,
Je rencontre une jeune fille.
Rênes en mains et joue en fleuri
Elle arrive à travers la brume,
Blonde, et pressant avec ardeur'
Son cheval qui galope et fume.
Laitière, elle apporte du lait
Dans d'e brillants vases de cuivre;
Des champs l'odeur du serpolet
A la ville semble la suivre.
Désirant voir de. près ses yeux,
L'autre jour, je lui fis un signe
Qu'elle comprit on ne peut mieux 1
J'allai vers elle en droite ligne.
Comme ses yeux étaient fort doux,
Je hasardai ces mots sublimes :
« 0 belle laitière, auriez-vous
« Ençor du lait pour dix centimes? »
Un charmant sourire entr'ouvrit
Sa belle lèvre arquée et franche,
Et dans le bol qu'elle m'offrit
Je bus la liqueur douce et blanche
« Bonjour ! »-Elle me dit : « Bonjour! »
En vain j'aurais voulu la suivre,
Car, soit de lait ou soit d'amour,
Il est certain que j'étais ivre.
II
AU BORD DE LA MER
Près du port, un matin d'été,
J'étais assis sur une amarre,
Et, pour toute société,
J'avais à la lèvre un cigare;
Je regardais, d'un œil distrait,
Monter vers moi le flot sonore
Dont la volute s'empourprait
Des premiers rayons de l'aurore.
Sur la flottille des pêcheurs,
Le long des mâts, glissaient les toiles,
Et JefJ matinales fraîcheurs v
Dans le ciel pur gonflaient les voiles.
Sons les avirong'des rameurs,
La mer décomposait ses teintes
Et revêtait mille couleurs
Au passage des barques peintes.
Et comme un blanc volier d'oiseaux,
Il me plaisait de voir mes rêves
S'ébattre et jouer sur les eaux
Avec les martinets des grèves!
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
LXXV
75
C'était, en effet, dans Sermon Lane que lo-
geait Rocambole, ou plutôt M. Burdett, le
maître-clerc de M. Colcram le solicitor de
Pater-Nosfer.
\ Pourquoi avait-il choisi cette rue?
Par une raison toute simple; c'est que dans
eette rue il y avait une maison qu'il connais-
sait, et dans celte maison une chambre qu'il
avait occupée quelques heures.
Cette chambre était celle que miss Ellen
avait louée, au temps où elle était dame des
prisons, et dans laquelle elle venait changer
de costume, quand elle avait accompli ses dou-
loureux devoirs envers les prisonniers.
Roeambole en avait -conservé une clé.
Cette clé, on ne la lui avait jamais ôtée
pendant son séjour'à Newgate.,
Le bon directeur, espérant toujours qu'il
ferait des révélations, s'était, on s'en souvient,
montré pour lui plein d'égards.
Donc, le jour, ou plutôt la nuit où le
maître et Milon recouvrèrent leur liberté en
se jetant résolument à la nage dans la Tamise,
Rocambole sa souvint de la clé et de Sermon
Lane.
Nageurs vigoureux tous les deux, Milon et
lui avaient traversé la Tamise comme s'il se
fût agi d'un ruisseau, et ils s'étaient assis un
moment, le fleuve passé, sur la berge de la
rive droite, qui fait face à la Cité.
Alors Milon avait dit à Rocambole :
— Nous sommes libres, c'est vrai, mais
nous ne sommes pas hors de danger.
— Que veux-tu dire?
— Nos habits sont ruisselants.
— Crains-tu donc les rhumatismes ?
— Ce n'est pas ce que je veux dire.
— Alors explique-toi.
— Pour faire sécher nos habits, il faùt que
nous allions quelque part.
— Sans doute.
— Dans une taverne, une maison de nuit,
un boarding quelconque, enfin.
— Continue.
— Et comme nous ne sommes pas dans la
saison des bains froids, nous pouvons fort
bien éveiller l'attention d'un policeman.
— C'est puissamment raisonné, dit Rocam-
bole d'un ton railleur ; mais, entre nous, mon
vieux, nous en avons vu bien d'autres.
— Ah ! dam ! c'est vrai.
— Mais, poursuivit Rocambole, nous n'au-
rons même pas à faire des frais d imagination
en cette circonstance.
— Plaît-il? fit Milon.
— Nous avons un logis tout trouvé.
— Le bateau à vapeur de miss Ellen?
, — Non pas.
— Cependant ce bateau doit nous attendre?!
— Oui, mais tu sais bien que nous restons
à Londres maintenant.
— Ah 1 c'est juste.
— Nous avons donc un logis.
— Où ça?
— Dans la Ci té.
— Et... on nous attend...
— Non.
— Alors qui nous ouvrira?
— Cette clé.
Et Rocambole tira la clé de sa poche et -la
montra à son fidèle compagnon.
Puis il regarda le ciel toujours noir.
- Nous avons deux heures devant nous,
dit-il. Allons-nous-en !
Ils remontèrent au pont de Londres, gagnè-
rent la Cité et entrèrent dans Sermon Lane.
La ruelle était déserte; la maison dans la-
quelle était la chambre de miss Ellen était ou-
verte toute la nuit, c'est-à-dire que la porte
avait un petit secret, un loquet dissimulé.
i.¥oir le numéro du 12 juin.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 93.38%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 93.38%.
- Collections numériques similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
- Auteurs similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k47169422/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k47169422/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k47169422/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k47169422/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k47169422
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k47169422
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k47169422/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest