Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-04-15
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 15 avril 1870 15 avril 1870
Description : 1870/04/15 (A5,N1457). 1870/04/15 (A5,N1457).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4716885g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro.
JOURNAL. QUOTIDIEN
5 cent. le numéro. ,
'ABONNEMENTS. — Trois mois Six mois
Paris 5 fr. 9 fr. is t
Départements 6 il
Administrateur : BOURDILLIAT.- 3;8
8". année — VENDREDI 15 AVRIL 1870. — N° 1457
"Rédacteur en chef : A. DE BALArniER-BRAGELONNR
BUREAUX D'ABONNEMENT: 9, rncDro,nÓt.
ADMINISTRATION : 13, quai Voltaire. i '
PARIS, 14 AVRIL 1870
LE ROMAN
D'UN JEUNE HOMME PAUVRE
II
Henri vint d'abord à Paris. IPTsfeékwSft
machinalement à la règle de conduire qu'on
avait arrêtée dans son intérêt. Pour qu'il ne
parût pas être congédié, Mme de Broglie
trouvait bon que le précepteur de son fils
passât quelques jours dans son hôtel : ainsi
la maladie seulement l'aurait forcé à quitter
Saint-Georges et à se rendre dans sa fa-
mille ! 4
Deux mois se passèrent. Le jeune homme
était parti pour le Midi; il avait embrassé
sa mère; il demeurait chez son frère; il de-
mandait ii la famille le calme dont sa pauvre
tête avait besoin.
Hélas ! le mot de Socrate sera toujours
vrai.'
On avait conseillé à un Athénien atteint de
bile noire de voyager. Il revint aussi malade
qu'il l'était avant son départ. Comme il s'en
étonnait tout haut :
— Eh quoi! lui dit Socrate, vous êtes
surpris? — N'avez-vous point voyagé avec J
vOlls-même?
Henri Teulat aussi avait voyagé avec lui-
même, et il avait emporté son amour, ses
insomnies, ses rêves. S 'éLait-il cru aimé et
slobstinait-il à le croire encore? Espérail-i
être aimé un jour? L'idée d'épouser la veuve
de M. de Broglie était-elle née dans son es-
prit? — Qui sait?
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en proie à
la fièvre, il faisait des projets pour les dé-
faire : un jour, il voulait .s'embarquer pfcur
l'Amérique; un autre jour, revenir à Paris ;
un troisième, il se disait : .:-Commc on doit
- être bien dans la tombe!
Il s'enfermait pendant des heures et écri-
vait de longues lettres qu'il brûlait ensuite.
A la fin, il n'y put tenir. Il écrivit plus
longuement encore que de coutume. Cette
fois, la lettre partit.
Elle demeura sans réponse.
Il en écrivit une seconde. # 1
Pas de réponse encore.
Une troisième. Celle-là disait tout. Le pré- i
cepteur y parlait de ses intérêts, le chrétien
de son repentir, l'amoureux de son amour;
le malade se roulait dans les souvenirs d'un
Sisé demeuré toule sa vie, et en se rappe-
t, il arrangeait les choses selon son coeur •
vet |se reprenait à espérer. Puis il revenait
4uk détails de sa carrière. Il s'y montrait à
Parfois humble et hardi, égoïste et désinté-
ressé. Le heu"t des sentiments brisait les
phrases, l'abondance des idées amenait l'in-
cohérence de l'expression.
/ « Madame la princesse, personne n'a ja-
mais voulu me comprendre. Ces messieurs
ont pensé que la vie de famille me rendrait
la tranquillité en quelques jours ; ils se sont
trompés. Vous qui me connaissez, vous qui
savez tout, vous devez comprendre que je
ne retrouverai jamais le repos...
« Vous êtes bonne, madame, je veux
croire, malgré tout, que vous êtes bonne;
votre cœur n'est pas exempt de regret. Je
veux éviter ce qui pourrait vous causer un
regret, s'il arrivait un malheur. J'ai bien
souffert. Ce que j'éprouve depuis mon dé-
part de chez vous, c'est plus que de la souf-
france... »
Et le malheureux de quitter sa plume.
11 est évident pour lui que la princesse
n'agit pas d'elle-mème, librement. Elle obéit
à ses parents, à son confesseur. Est-ce que
sans cela elle se montrerait impitoyable pour
celui qui l'aime tant?
Henri est jeune, il est impossible' que les
regards d'autrefois, ces regards qui pèsent
encore sur lui, n'aient eu pour cause qu une
coquetterie indifférenLe. Non. Mme de Bro-
glie n'est pas coquette ; elle était, émue. Dans
cette voie, l'amoureux cherche, se souvient,
interprète. Il en arrive à la conviction qu 'il
a touché le cœur de la grande dame, et que,
s'il n'y avait personne entre eux, elle l'ac-
cueillerait de nouveau :
« Mme la princesse, vous n'oublierez ja-
mais cette soirée à Versailles, le jeudi 6 dé-
cembre, chez... Après dî 1er, au salon, nous
regardions la carte d'Algérie, vous avez lais- «
sé longtemps votre doigt sur le nom de Mi-
lianah... Vous savez le reste aussi bien que
mok vous savez si vous étiez rouge lorsque
vous vous êtes assise.
« Pendant les quelques jours où nous 1
avons dîné et déjeuné rue Suint-Dominique,
je ne pouvais rien manger, je l'avoue, vous
saviez que votre regard me foudroyait ! Oui,
princesse, vous: le saviez et beaucoup d'au-
tres choses. Le dimanche matin, vous êtes
venue chez moi me dire de faire partir une
dépêche, télégraphique.
« Après le déjeûner, vous êtes montée à
la salle à manger, vous vous êtes approchée
de la table, à côté de moi, vous avez remar-
qué où je mettais mon pied... Nous sommes
allés près de la fenêtre où nous étions même
assez serrés...
« Au moment où je partais pour .Notre-
Dame, vous m'avez prié de .remettre une
lettre rue Saint-Dominique, et, en prcrnnnt
cette lettre, j'ai touché un moment vuu-u
main, et vous l'avez bien remarqué. A mon
retour de Notre-Dame, je suis venu chez
vous appeler Georges ; étant un peu en re-
tard, je n'avais ôté ni mon pardessus, ni
mon chapeau, je n'étais pas •encore monté
chez moi.
« Je suis resté sur la porte de votre cham-
bre; vous savez comment vous m'avez re-
çu..'. Quel regard!... Quel regard!... Je suis
revenu une. heure après environ ; cette fois,
sans aucune nécessité, je l'avoue, mais aussi,
je vous l'affirme, sans aucune mauvaise in-
tention...
« Voici bien exactement comment tout
s'est passé. Je suis encore resté sur la porte,
je vous ai demandé quelques renseignements,
et si je pouvais garder Georges. Quel re-
gard!... Ce regard m'a fait perdre la tête;
je suis alors entré pour vous remettre le re-
çu de la dépêche télégraphique, je me suis
approché de vous, je me suis appuyé sur le
dossier de votre fauteuil. Ma tête était à côté
de la vôtre; je vous expliquais (ce qui ne
demandait aucune explication) à quoi pou-
vait servir le reçu de la dépêche. Vous avez
remarqué que ma main gauche tremblait;
(Convenez, je vous en supplie, que tout s'est
bien passé de la sorte, que vous m'avez bien
laissé faire.) Vous me regardiez, nous nous
sommes regardés. Votre regard, ce regard
m'a anéanti... Eh bien! oui, vous étiez bien
belle... vous étiez trop belle assise sur ce
fauteuil... Il aurait fallu être un saint... Je
vous ai embrassée.... »
Henri ne peut supporler la pensée d'être
renié par Mme de Broglie.
1
Il souffre dans son orgueil après avoir
souffert dans son amour. Peu à peuil s'exas-'
père, il s'irrite. —; Ah ! l'on ne me répond
pas. On me traite comme un laquais. Ma
passion amusait, intéressait peut-être. —
C'est bon d'êlre aimée. —Puis : — Mais ne ,
voulais-tu pas être aimé aussi, précepteur,
goujat, imbécile?... A la porte! à la porte!...
Non. Ce n'est pas elle qui aurait dit ce-
la!... Et l'idée de persécuteurs étrangers'
revient.
Un des hommes qui conseillent Mme , de
Broglie, le père Lefebvre, donne presque
raison à Teulat.
C'est lui en effet qui répond à cette longue
lettre, tantôt semblable à un mémoire, et
tantôt à une élégie :
lr9 LETTRE-DU PÈRE LEFEBVRE (17 SEPTEM-
BRE 1867.)
« Mon pauvre ami, vous commettez faute
sur faute, désobéissance sur désobéissance,
sottise sur sottise, et Dieu ne peut bénir
cette conduite. Je vous plains, mais vous
rendez impossible depuis longtemps tout
rapprochement. V03 lettres ne seront (ou
sont) plus lues; on me les envoie toutes ca-
chetées, et je les 'brûle. Ainsi votre lettre
chargée n'a pas été ouverte à SMnt-Georges ;
on me l'a envoyée à Paris, de Paris ici, et
on ne la verra jamais à Saint-Georges. N'é-
crivez donc plus, toutes lettres auraient le
même sort. Ne soyez pas élonné de celte
mesure, elle était nécessaire, et c'est moi qui
l'ai conseillée. N'obligez pas la famille à en
prendre de plus sévères encore ; mais soyez
bien persuadé que ce serait à regret. Comme
cela me fait de la peine ! Je vous plains en-
core une fois. Mais suivez mon conseil, n'é-
crivez plus. Faites ce que je vous dis ; que
ne l'avez-vous fait toujours ! Je prie pour
vous. Croyez à mon sincère intérêt. »
2e LETTRE DU PÈRE LEFEBVRE (20 SEP-
TEMBRE 18G7).
« Mon pauvre ami,
« Je vous ai déjà écrit avant-hier une lct-
{ tre un peu sévère, et je suis obligé de vous
répéter encore aujourd'hui que vous ne pou-
vez en aucune façon vous faire illusion, que
vous ne rentrerez pas dans cette maison.
Cela est certain, et c'est.votre faute; sur-
tout depuis que vous en êUs sorti, vous
avez rendu ce retour impossible. Je vous
engage à ne plus écrire un seul mot; je vous
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
XVIII
Journal d'un fou de Bedlam
CHAPITRE III
18
C'était bien, en eITpt, sir George Pembleton,
je frère de son mari, que lady Eveline avait
devant elle.
Et cet homme avait osé pénétrer chez elle
par la fenêtre, comme un voleur ou un as-
I sassln !
— Monsieur, dit-elle avec effroi, comment
êtes-vous ici?
Voir le numéro du 12 juin 1869.
?
Il se jeta à ses genoux :
- E veUne, dit-il, chcre Eveline, ne me con-
damnez point sans m'avoir entendu.
Sa voix émue, son attitude suppliante rassu-
rèrent un peu lacVy Eveline.
— George, dit-elle, d'où venez vous?
— Je reviens des Indes en droite ligne,
dit-il. '
— Vous avez donc quitté le service?
1 — Non, j'ai obtenu un congé. Et c'est pour
vous que que je reviens.
— Pour moi !
Et' elle le regarda, et son épouvante la
reprit :
— George, dit-elle encore, osez-vous .donc
me tenir un pareil langage?
— Eveline, je vous aime...
— Taisez-vous l
— Eveline, depuis trois ans, ma vie est un
combat de chaque heure, de chaque minute,
un supplice sans nom, une torture éternelle!
- Mais, malheurcl1xJ oubliez-vous donc que
je suis la femme de voire frère?
— Mon frère est loin d'ici.
Elle jeta un cri de terreur. :
— Oh! vous le savez? fit-elle. '
— Nos deux navires se sont croisés en vue
des côtes du Finistère.
— Et vous osez..?
— Et je viens pour vous... rien que pour
vous!...
Lady Eveline attachait sur cet homme un
œil affolé.
Certes, ce n'était plus le loyal et timide ado-
lescent qui jadis avait dit à la jeune miss Eve-
line un adieu qu'il croyait éternel.
Sir George était maintenant un homme,
et un homme au regard sombre et résolu; un
homme qu'on devinait capable de tout.
Lady Eveline, malgré son épouvante, ne
désespérait pas cependant do fléchir cet homme
et de le rappeler au sentiment du devoir.
— George, dit-elle, vous êtes le frère d'E van- j
dale et je suis sa femme.
— Je hais Evandale, répondit-il.
— Mais vous m'aimez encore, dites-vous?
— Toutes les flammes de l'enfer sont allu-
mées dans mon cœur, répondit-il avec exalta-
tion.
— Eh bien ! puisque vous m'aimez, respec-
~ tez-moi, sortez d'ici et ne revenez que demain.
en plein joup, par la grande porte de cet hôtel
qui est la demeure de votre frère.
Il eut un rire sauvage.
— Non, non, dit-il. Ce n'est point pour me
faire chasser par vos laquais que je suis
venu.
Lady Eveline sentait la rougeur et la honte
monter à son front.
Et comme il lui avait pris les mains, elle se
dégagea et courut à l'autre bout de la chambre
en criant :
' — Sortez! sortez ! je le veux.
Il lui répondit par un éclat de rire.
— Sortez! répéta-t-elle.
' Mon, je vous aime!
— Sortez, ou j'appelle mes gens!
Il continuait à rire, et il fit un pas vers
elle.
Alors elle s'élança de nouveau vers le gland
de sonnette qui pendait au long de la glace de
la.cheminee, et elle le secoua avec fureur.
Mais la sonnette ne résonna point.
Vous pouvez sonner tant que vous vou-
drez, dit-il. Le cordon est coupé.
Elle jeta un nouveau cri.
— A moi 1 à moi ! dit-cllo.
5 cent. le numéro.
JOURNAL. QUOTIDIEN
5 cent. le numéro. ,
'ABONNEMENTS. — Trois mois Six mois
Paris 5 fr. 9 fr. is t
Départements 6 il
Administrateur : BOURDILLIAT.- 3;8
8". année — VENDREDI 15 AVRIL 1870. — N° 1457
"Rédacteur en chef : A. DE BALArniER-BRAGELONNR
BUREAUX D'ABONNEMENT: 9, rncDro,nÓt.
ADMINISTRATION : 13, quai Voltaire. i '
PARIS, 14 AVRIL 1870
LE ROMAN
D'UN JEUNE HOMME PAUVRE
II
Henri vint d'abord à Paris. IPTsfeékwSft
machinalement à la règle de conduire qu'on
avait arrêtée dans son intérêt. Pour qu'il ne
parût pas être congédié, Mme de Broglie
trouvait bon que le précepteur de son fils
passât quelques jours dans son hôtel : ainsi
la maladie seulement l'aurait forcé à quitter
Saint-Georges et à se rendre dans sa fa-
mille ! 4
Deux mois se passèrent. Le jeune homme
était parti pour le Midi; il avait embrassé
sa mère; il demeurait chez son frère; il de-
mandait ii la famille le calme dont sa pauvre
tête avait besoin.
Hélas ! le mot de Socrate sera toujours
vrai.'
On avait conseillé à un Athénien atteint de
bile noire de voyager. Il revint aussi malade
qu'il l'était avant son départ. Comme il s'en
étonnait tout haut :
— Eh quoi! lui dit Socrate, vous êtes
surpris? — N'avez-vous point voyagé avec J
vOlls-même?
Henri Teulat aussi avait voyagé avec lui-
même, et il avait emporté son amour, ses
insomnies, ses rêves. S 'éLait-il cru aimé et
slobstinait-il à le croire encore? Espérail-i
être aimé un jour? L'idée d'épouser la veuve
de M. de Broglie était-elle née dans son es-
prit? — Qui sait?
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en proie à
la fièvre, il faisait des projets pour les dé-
faire : un jour, il voulait .s'embarquer pfcur
l'Amérique; un autre jour, revenir à Paris ;
un troisième, il se disait : .:-Commc on doit
- être bien dans la tombe!
Il s'enfermait pendant des heures et écri-
vait de longues lettres qu'il brûlait ensuite.
A la fin, il n'y put tenir. Il écrivit plus
longuement encore que de coutume. Cette
fois, la lettre partit.
Elle demeura sans réponse.
Il en écrivit une seconde. # 1
Pas de réponse encore.
Une troisième. Celle-là disait tout. Le pré- i
cepteur y parlait de ses intérêts, le chrétien
de son repentir, l'amoureux de son amour;
le malade se roulait dans les souvenirs d'un
Sisé demeuré toule sa vie, et en se rappe-
t, il arrangeait les choses selon son coeur •
vet |se reprenait à espérer. Puis il revenait
4uk détails de sa carrière. Il s'y montrait à
Parfois humble et hardi, égoïste et désinté-
ressé. Le heu"t des sentiments brisait les
phrases, l'abondance des idées amenait l'in-
cohérence de l'expression.
/ « Madame la princesse, personne n'a ja-
mais voulu me comprendre. Ces messieurs
ont pensé que la vie de famille me rendrait
la tranquillité en quelques jours ; ils se sont
trompés. Vous qui me connaissez, vous qui
savez tout, vous devez comprendre que je
ne retrouverai jamais le repos...
« Vous êtes bonne, madame, je veux
croire, malgré tout, que vous êtes bonne;
votre cœur n'est pas exempt de regret. Je
veux éviter ce qui pourrait vous causer un
regret, s'il arrivait un malheur. J'ai bien
souffert. Ce que j'éprouve depuis mon dé-
part de chez vous, c'est plus que de la souf-
france... »
Et le malheureux de quitter sa plume.
11 est évident pour lui que la princesse
n'agit pas d'elle-mème, librement. Elle obéit
à ses parents, à son confesseur. Est-ce que
sans cela elle se montrerait impitoyable pour
celui qui l'aime tant?
Henri est jeune, il est impossible' que les
regards d'autrefois, ces regards qui pèsent
encore sur lui, n'aient eu pour cause qu une
coquetterie indifférenLe. Non. Mme de Bro-
glie n'est pas coquette ; elle était, émue. Dans
cette voie, l'amoureux cherche, se souvient,
interprète. Il en arrive à la conviction qu 'il
a touché le cœur de la grande dame, et que,
s'il n'y avait personne entre eux, elle l'ac-
cueillerait de nouveau :
« Mme la princesse, vous n'oublierez ja-
mais cette soirée à Versailles, le jeudi 6 dé-
cembre, chez... Après dî 1er, au salon, nous
regardions la carte d'Algérie, vous avez lais- «
sé longtemps votre doigt sur le nom de Mi-
lianah... Vous savez le reste aussi bien que
mok vous savez si vous étiez rouge lorsque
vous vous êtes assise.
« Pendant les quelques jours où nous 1
avons dîné et déjeuné rue Suint-Dominique,
je ne pouvais rien manger, je l'avoue, vous
saviez que votre regard me foudroyait ! Oui,
princesse, vous: le saviez et beaucoup d'au-
tres choses. Le dimanche matin, vous êtes
venue chez moi me dire de faire partir une
dépêche, télégraphique.
« Après le déjeûner, vous êtes montée à
la salle à manger, vous vous êtes approchée
de la table, à côté de moi, vous avez remar-
qué où je mettais mon pied... Nous sommes
allés près de la fenêtre où nous étions même
assez serrés...
« Au moment où je partais pour .Notre-
Dame, vous m'avez prié de .remettre une
lettre rue Saint-Dominique, et, en prcrnnnt
cette lettre, j'ai touché un moment vuu-u
main, et vous l'avez bien remarqué. A mon
retour de Notre-Dame, je suis venu chez
vous appeler Georges ; étant un peu en re-
tard, je n'avais ôté ni mon pardessus, ni
mon chapeau, je n'étais pas •encore monté
chez moi.
« Je suis resté sur la porte de votre cham-
bre; vous savez comment vous m'avez re-
çu..'. Quel regard!... Quel regard!... Je suis
revenu une. heure après environ ; cette fois,
sans aucune nécessité, je l'avoue, mais aussi,
je vous l'affirme, sans aucune mauvaise in-
tention...
« Voici bien exactement comment tout
s'est passé. Je suis encore resté sur la porte,
je vous ai demandé quelques renseignements,
et si je pouvais garder Georges. Quel re-
gard!... Ce regard m'a fait perdre la tête;
je suis alors entré pour vous remettre le re-
çu de la dépêche télégraphique, je me suis
approché de vous, je me suis appuyé sur le
dossier de votre fauteuil. Ma tête était à côté
de la vôtre; je vous expliquais (ce qui ne
demandait aucune explication) à quoi pou-
vait servir le reçu de la dépêche. Vous avez
remarqué que ma main gauche tremblait;
(Convenez, je vous en supplie, que tout s'est
bien passé de la sorte, que vous m'avez bien
laissé faire.) Vous me regardiez, nous nous
sommes regardés. Votre regard, ce regard
m'a anéanti... Eh bien! oui, vous étiez bien
belle... vous étiez trop belle assise sur ce
fauteuil... Il aurait fallu être un saint... Je
vous ai embrassée.... »
Henri ne peut supporler la pensée d'être
renié par Mme de Broglie.
1
Il souffre dans son orgueil après avoir
souffert dans son amour. Peu à peuil s'exas-'
père, il s'irrite. —; Ah ! l'on ne me répond
pas. On me traite comme un laquais. Ma
passion amusait, intéressait peut-être. —
C'est bon d'êlre aimée. —Puis : — Mais ne ,
voulais-tu pas être aimé aussi, précepteur,
goujat, imbécile?... A la porte! à la porte!...
Non. Ce n'est pas elle qui aurait dit ce-
la!... Et l'idée de persécuteurs étrangers'
revient.
Un des hommes qui conseillent Mme , de
Broglie, le père Lefebvre, donne presque
raison à Teulat.
C'est lui en effet qui répond à cette longue
lettre, tantôt semblable à un mémoire, et
tantôt à une élégie :
lr9 LETTRE-DU PÈRE LEFEBVRE (17 SEPTEM-
BRE 1867.)
« Mon pauvre ami, vous commettez faute
sur faute, désobéissance sur désobéissance,
sottise sur sottise, et Dieu ne peut bénir
cette conduite. Je vous plains, mais vous
rendez impossible depuis longtemps tout
rapprochement. V03 lettres ne seront (ou
sont) plus lues; on me les envoie toutes ca-
chetées, et je les 'brûle. Ainsi votre lettre
chargée n'a pas été ouverte à SMnt-Georges ;
on me l'a envoyée à Paris, de Paris ici, et
on ne la verra jamais à Saint-Georges. N'é-
crivez donc plus, toutes lettres auraient le
même sort. Ne soyez pas élonné de celte
mesure, elle était nécessaire, et c'est moi qui
l'ai conseillée. N'obligez pas la famille à en
prendre de plus sévères encore ; mais soyez
bien persuadé que ce serait à regret. Comme
cela me fait de la peine ! Je vous plains en-
core une fois. Mais suivez mon conseil, n'é-
crivez plus. Faites ce que je vous dis ; que
ne l'avez-vous fait toujours ! Je prie pour
vous. Croyez à mon sincère intérêt. »
2e LETTRE DU PÈRE LEFEBVRE (20 SEP-
TEMBRE 18G7).
« Mon pauvre ami,
« Je vous ai déjà écrit avant-hier une lct-
{ tre un peu sévère, et je suis obligé de vous
répéter encore aujourd'hui que vous ne pou-
vez en aucune façon vous faire illusion, que
vous ne rentrerez pas dans cette maison.
Cela est certain, et c'est.votre faute; sur-
tout depuis que vous en êUs sorti, vous
avez rendu ce retour impossible. Je vous
engage à ne plus écrire un seul mot; je vous
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
XVIII
Journal d'un fou de Bedlam
CHAPITRE III
18
C'était bien, en eITpt, sir George Pembleton,
je frère de son mari, que lady Eveline avait
devant elle.
Et cet homme avait osé pénétrer chez elle
par la fenêtre, comme un voleur ou un as-
I sassln !
— Monsieur, dit-elle avec effroi, comment
êtes-vous ici?
Voir le numéro du 12 juin 1869.
?
Il se jeta à ses genoux :
- E veUne, dit-il, chcre Eveline, ne me con-
damnez point sans m'avoir entendu.
Sa voix émue, son attitude suppliante rassu-
rèrent un peu lacVy Eveline.
— George, dit-elle, d'où venez vous?
— Je reviens des Indes en droite ligne,
dit-il. '
— Vous avez donc quitté le service?
1 — Non, j'ai obtenu un congé. Et c'est pour
vous que que je reviens.
— Pour moi !
Et' elle le regarda, et son épouvante la
reprit :
— George, dit-elle encore, osez-vous .donc
me tenir un pareil langage?
— Eveline, je vous aime...
— Taisez-vous l
— Eveline, depuis trois ans, ma vie est un
combat de chaque heure, de chaque minute,
un supplice sans nom, une torture éternelle!
- Mais, malheurcl1xJ oubliez-vous donc que
je suis la femme de voire frère?
— Mon frère est loin d'ici.
Elle jeta un cri de terreur. :
— Oh! vous le savez? fit-elle. '
— Nos deux navires se sont croisés en vue
des côtes du Finistère.
— Et vous osez..?
— Et je viens pour vous... rien que pour
vous!...
Lady Eveline attachait sur cet homme un
œil affolé.
Certes, ce n'était plus le loyal et timide ado-
lescent qui jadis avait dit à la jeune miss Eve-
line un adieu qu'il croyait éternel.
Sir George était maintenant un homme,
et un homme au regard sombre et résolu; un
homme qu'on devinait capable de tout.
Lady Eveline, malgré son épouvante, ne
désespérait pas cependant do fléchir cet homme
et de le rappeler au sentiment du devoir.
— George, dit-elle, vous êtes le frère d'E van- j
dale et je suis sa femme.
— Je hais Evandale, répondit-il.
— Mais vous m'aimez encore, dites-vous?
— Toutes les flammes de l'enfer sont allu-
mées dans mon cœur, répondit-il avec exalta-
tion.
— Eh bien ! puisque vous m'aimez, respec-
~ tez-moi, sortez d'ici et ne revenez que demain.
en plein joup, par la grande porte de cet hôtel
qui est la demeure de votre frère.
Il eut un rire sauvage.
— Non, non, dit-il. Ce n'est point pour me
faire chasser par vos laquais que je suis
venu.
Lady Eveline sentait la rougeur et la honte
monter à son front.
Et comme il lui avait pris les mains, elle se
dégagea et courut à l'autre bout de la chambre
en criant :
' — Sortez! sortez ! je le veux.
Il lui répondit par un éclat de rire.
— Sortez! répéta-t-elle.
' Mon, je vous aime!
— Sortez, ou j'appelle mes gens!
Il continuait à rire, et il fit un pas vers
elle.
Alors elle s'élança de nouveau vers le gland
de sonnette qui pendait au long de la glace de
la.cheminee, et elle le secoua avec fureur.
Mais la sonnette ne résonna point.
Vous pouvez sonner tant que vous vou-
drez, dit-il. Le cordon est coupé.
Elle jeta un nouveau cri.
— A moi 1 à moi ! dit-cllo.
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