Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-03-29
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 29 mars 1870 29 mars 1870
Description : 1870/03/29 (A5,N1440). 1870/03/29 (A5,N1440).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4716869c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro.. - JOURNAL quotidien 5 cent. le nÛÍnêro.
ABONNEMENTS. — Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 5 fr. 18 fr.
Départements 6 il SS
Administrateur : BOURDILLIAT.
Õme année — NIARI)I£ 29 MARS 1870.. — N'o 1440
Rédacteur en chef: A. DE BAIATHIER-BRAGELONNB
BUREAUX D'ABONN RAIENT: rueSftronot
ADMINISTRATION : 13, quai Voltaire. .
VOIR A LA PAGE 2
LE
VERDICT DE LA HAUTE-COUR
PARIS, 28 MARS 1870
LE
SOURD-MUET DE LA POSTE
Ce sont mes chers confrères Pierre Zac-
cone et Marcel Coussot qui m'ont raconté
cette touchante'histoire : ' ,
Il y a quelques jours, des fonctionnaires
de tous les rangs de l'administration des
- postes unis dans un sentiment fraternel
— suivaient le cercueil d'un pauvre employé
qui remplissait, depuis vingt-six ans, les
fonctions d'expéditionnaire.
— On le nommait Eugène Lecomte, et il était
sourd-muet.
Au cimetière, les assistants furent témoins
d'un spectacle inaccoutumé. Contrastant avec
l'attitude calme et recueillie de la foule, un
groupe d'hommes '— vieux pour la plupart
- se faisait remarquer par la multiplicité
et la véhémence de ses gestes. Quelqu'un
s'informa et apprit que si ces témoins agités
d'un deuil exprimaient leur douleur par les
gestes, c'est qu'ils ne pouvaient l'exprimer
par la voix. Les collègues de Lecomte à la
poste avaient devant les yeux ses anciens
camarades à l'Institut de la rue Saint-Jac-
f ques.
Dans l'antiquité, où régnaient la beauté et
la force, on sacrifiait sans pilié quiconque était
infirme et faible. Les Spartiates laissaient
mourir de faim et de soif les sourds-muets
enfants après les avoir abandonné dans les
déserts du Taygète. Les Athéniens les con-
sidéraient comme des idiots, incapables de
toute instruction, à peine propres aux plus
infimes travaux de l'esclavage. Les premiers
Romains les jetaient dans le Tibre. Cin-
quante ans seulement avant J.-C., Lucrèce
se hasarda à dire que quelques-uns de ces
malheureux pouvaient ôtre doués d'intelli-
gence, posséder des aptitudes utiles et mé-
riter ainsi de vivre. Un peu plus tard, quand.
Tia-pantomime fut à la mode sur les théâtres, '
reconnut — en applaudissant les gestes
■jias acteurs —> qu'on pouvait être hommes
■^é/ruuver et rendre tous les sentiments hu-
iriains sans le secours de la parole.
Les Egyptiens et les Perses considéraient
les sourds-muets à peu près comme les
paysans des Alpes considèrent aujourd'hui
les goitreux. C'étaient d'éternels enfants, des
innocents, que leur innocence devait suffire
à rendre sacrés et recommandaient à la pro-
tection de leurs concitoyens. Les muets, com-
me les odalisques, les nains et les eunuques,
font partie depuis des siècles du monde
oriental bizarre qui s'agite-dans le sérail du
Grand Seigneur. Quelques-uns atteignirent
une telle perfection dans le langage des ges-
tes, que, non-seulement ils se faisaient com-
prendra dans les circonstances usuelles de la
vie, mais encore dans l'expression des idées.
Dans tout l'Occident, jusqu'au seizième
siècle, on les considéra comme atteints d'a-
liénation mentale, et jamais on ne tenta rien
pour améliorer leur position et les relever de
l'abrutissement auquel ils semblaient voués
en venant au monde. '
Le premier homme de cœur qui s'occupa
de ces malheureux fut un bénédictin espa-
gnol nommé Pédro de Ponce. Il se fit Fins-..
tituteur des deux frères et de la sœur du
connétable de Vélasco ; grâce à ses soins,
les trois enfants — sourds-muets tous trois
— arrivèrent à remplacer l'ouïe par la .vue et j
la parole par l'écriture. Une fois ce résultat
conslaté, des savants de tous les pays de
l'Europe s'engagèrent dans la voie ouverte
par Pedro de Ponce, et s'efforcèrent d'attein-
dre le même but.
Le premier instituteur de sourds-muets
français fut le Père Vanin, de la Doctrine
chrétienne, qui se servit d'estampes pour
inslruire- deux sœurs jumelles sourdes-
muettes.
Il venait de mourir, lorsque le hasard
conduisit chez ses élèves l'abbé de l'Epée.
Celui -ci était moins un savant qu'un apôtre.
Il voyait grand, et 4e reculait jamais devant
l'énormité d'une tâche, si cette tâche lui
semblait bonne et utile.
L'abbé de l'Epée, au lieu de se servir de la
dactyologie des Espagnols, c'est-à-dire de la
méthode qui consiste à reproduire servile-
ment les lettres de l'alphabet une à une ou
par syllabes ou par mots, créa la mimique,
sorte de langue universelle, grâce à laquelle
— au moyen d'un signe — la pensée arrive
plus vite à la pensée que par la parole ou
l'écriture. Il rédigea un dictionnaire des si-
gnes, que son disciple l'abbé picard devait
compléter et agrandir. Surtout, il eut la foi,
l'enthousiasme ; il fit des merveilles de cha-
rité. Quand il eut dépensé toute sa fortune à
soutenir un établissement libre, il s'adressa
au Gouvernement, ne voulant pas que cet
établissement — métropole et modèle de
tous les établissements semblables à venir—
fût exposé à périr.
Le roi Louis XVI accorda une somme de
6,000 francs par an sur sa cassette au vieil
abbé, et il lui donna une maison pour y loger
ses élèves.
.L'abbé de l'Epée mourut en 1789. En
1791; un décret de la Constituante déclara
l'établissement des Sourds-Muets institution
royale.
Aujourd'hui, cette institution contient
218 élèves de sept à quatorze ans. 48 autres
institutions de sourds-muets des deux sexes
existent en France ; mais ce nombre mû cos
est insuffisant. Nous avons 2o,000 compatrio-
tes sourds-muets, et tous ne peuvent être ad-
mis à recevoir l'instruction primaire et pro-
fessionnelle qui les mettraient à même de
gagner honorablement leur vie.
Eugène Lecomte, fils d'un ancien courrier
de malle-poste, sortait de l'école de la rue
Saint-Jacques. D'une intelligence remarqua-
ble, il avait cruellement souffert de son in-
firmité qui le condamnait à jamais à végéter
au dernier rang de l'administration. Il sa-
vait que, même pour lui avoir donné une
place d'expéditionnaire, on avait dû man-
quer aux règlements, qui interdisent aux
infirmes l'accès du service des postes. Ja-
mais il ne serait autre chose qu'expédition-
naire. Il fallait qu'il s'y résignât.
Il s'était résigné. A la longue, la résigna-
tion était devenue de l'habitude. Les longs
rapports amènent les sympathies, et souvent
les sympathies deviennent des amitiés.
Tout le monde, rue Jean-Jacques-Rous
seau, aimait Lecomte. Enfant, comme le
sont les sourds-muets, ses enfantillages amu-
saient ses collègues. On s'intéressait à ses
joies et à ses chagrins. Il sentait cela, et il
s'en trouvait heureux ou consolé.
Depuis 26 ans, il allait et venait à travers
les corridors de l'hôtel, sans jamais avoir
heurté personne. Dans la rue, c'était autre
chose; il était distrait, flâneur, comme le
sont presque tousses sourds-muets que les
,spectacles extérieurs attirent et qui battent
des mains comme des écoliers de six ans de-
vant la devanture d'un magasin ou la parade
d'un charlatan.
Il rentrait chez lui, un des premiers soirs
du mois, vers les neuf heures, lorsqu'il fut
écrasé par un camion. A
Eugène Lecomte était marié pour la troi-"
sième fois. Il laisse une veuve et deux en-
fants, — un fils de seize ans, une fille de
seize mois. La femme n'est pas dans les
conditions légales pour bénéficier de la posi-
tion de son mari, et le propriétaire du ca-
mion, cause de la catastrophe, est trop pau-
vre pour lui payer des dommages et intérêts
qui lui permettraient de vivre et d'élever ses
enfants. Elle a donc tout perdu.
Il me semblerait bien qu'en pareil cas la
corporation tout entière, — à défaut de la
commune, — vint en aide à la veuve et aux
orphelins, assurât l'existence de celle-ci,
donnât à ceux-là l'instruction et un état.
Mais le vœu que je forme est sans doute
inutile. Avec des apparences hautaines;
nulle administration n'est plus paternelle
que celle des Postes, et elle a, — j'en suis
sûr, — dès la première heure, accepté la.
tutelle des enfants d'Eugène Lecomte.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
I
i
L'écroulement du souterrain durait toujours.
La voûte de la galerie se détachait j>ar frag-
ments de blocs énormes.
Le sol continuait à mugir et à trembler.
On eût dit un de c:s tremblements de terre
qui ébranlent les cités du nouveau monde.
Vanda était tombée à genoux et priait.
Pauline, suspendue au cou de Polyte, lui
disait : .
— Au moins nous mourrons ensemble!
Milon hurlait de fureur et brandissait ses
poings énormes en répétant :
— Ah ! les gredins de fénians ! les propres à
vienl les canailles!
Marmouset, lui, regardait le m'aître.
Le maître était calme, debout, le front haut.
Voir le numéro du 12 juin 1309.
Il semblait attendre la fin de ce cataclysme
avec la tranquillité d'un homme qui se sait au-
dessus de la mort.
Enfin l'ébranlement s'apaisa.
Le bruit cessa tout à coup et les blocs de ro- 1
che cessèrent de tomber.
— En avant! dit alors Rocambole.
Vanda se redressa l'œil en feu.
— Ah ! dit-elle, nous sommes sauves !
■ — Pas encore, répondit-il. Mais marchons
toujours.
Le souterrain était obstrué de blocs de ro-
che énormes.
Cependant Rocambole, armé d'une pioche,
se fraya le premier un passage au milieu de
ces décombres...
Ses compagnons, rassurés, le suivaient.
Ils firent ainsi une centaine de pas.
Tout à coup Rocambole s'arrêta.
Au milieu de la galerie, un objet volumineux
venait d'attirer son attention.
Cet objet était un tonneau.
Et ce tonneau était rempli de poudre.
Il était facile de s'en convaincre en voyant
une mèche soufrée qui dépassait la bonde d'un
demi-pied.
Que faisait là ce tonneau ?
Qui donc l'avait apporté?
Les fénians connaissaient-ils donc aussi ce
passage ?
Marmous t s'était pareillement approché.
. Et, comme le maître, il regardait avec éton-
nement le baril et semblait se poser les mêmes
questions. "
Van.da et les autres Si3 trouvaient à une cer-
taine distance.
Rocambole dit enfin :
— Il est impossible que les fénians aient
apporté cela ici.
— Qui voulez-vous que ce soit, alors, maî-
tre ? demanda Marmouset.
Rocambole tournait et retournait autour du
tonneau.
Enfin son front plissé se dérida; un sou-
rire revint à ses lèvres.
— Mes enfants, dit-il, nous n'étions pas nés
le jour où ca baril a été transporté ici.
— En vérité ! murmura Marmouset.
— Cette poudre a deux cents ans, continua
Rocambole.
— Est-ce possible ?
— Voyez le tonneau, examinez-le. Le bois
en est vermoulu et se déchiquette sous le
doigt.
— C'est vrai, dit Marmouset.
— Ne touche pas à la mèche, dit encore le
maître, car elle est tellement sèche qu'elle tom-
berait en poussière.
— Et, dit Polyte, qui n'avait pas fait des
études bien approfondies sur la matière, c'est
de la poudre, je crois, qui n'est pas méchante.
— Tu, crois ?
Et Rocambole regarda en souriant le gamin
de Paris.
— Dam ! fit Polyte, une poudre si vieille
doit être éventée. #
— Tu te trompes.
— Ah !
— Elle est dix fois plus violente que de 'la
poudre neuve.
— Bigre! alors il faut faire attention.
— A quoi ?
— A ne pas y mettre le feu.
— Et pourquoi cela?
1 — Mais dam! après ce qui vient de nous ar-
river !
— Laissons là cette poudre et marchons
toujours, dit Rocambole. , ;
Et il continua son chemin. ;
Le souterrain allait toujours en s'abaissant,
et le sol fuyait sous les-pieds.
C'était là une preuve qu'on approchait de
plus en plus de la Tamise. M
I Mais, tout à coup, Rocambole s'arrêta de
1 nouveau. , y-
— Ah ! dit-il, voilà ce que je crai,-nai,,.
Le souterrain était fermé par un bloc de
rochers qui s'était détaché de la voûte et rem*
plissait l'office d'une porte.
— Prisonniers ! murmura Vanda, que son
épouvante reprit.
Rocambole ne répondit pas.
Il voyait sa dernière espérance s'évanouir.
La route était barrée.
Revenir en arrière serait tout aussi impos-
sible. « , ,
C'était s'exposer, du reste, à tomber aux
mains des policemen qui, dans quelques mi-
nutes peut-être, la première stupeur passée,'
envahiraient les souterrains découverts tout p,
coup et que la génération actuelle avait igno-
rés.
— Allons r dit Rocambole après un moment
de silence, il faut vaincre où mourir.^
— Je suis bien fort,-dit Milon, mais ce n est_
pas moi qui me chargerai de pousser ce cail-
lou-là. '
— Si on pouvait le saper, dit Marmouset.1
— Avec quoi? Nous n'avons pas les outils
nécessaires. -'
— C'est vrai.
— Et puis, c'çst de la roche ds;r§«.» ^
5 cent. le numéro.. - JOURNAL quotidien 5 cent. le nÛÍnêro.
ABONNEMENTS. — Trois mois Six mois Un an
Paris 5 fr. 5 fr. 18 fr.
Départements 6 il SS
Administrateur : BOURDILLIAT.
Õme année — NIARI)I£ 29 MARS 1870.. — N'o 1440
Rédacteur en chef: A. DE BAIATHIER-BRAGELONNB
BUREAUX D'ABONN RAIENT: rueSftronot
ADMINISTRATION : 13, quai Voltaire. .
VOIR A LA PAGE 2
LE
VERDICT DE LA HAUTE-COUR
PARIS, 28 MARS 1870
LE
SOURD-MUET DE LA POSTE
Ce sont mes chers confrères Pierre Zac-
cone et Marcel Coussot qui m'ont raconté
cette touchante'histoire : ' ,
Il y a quelques jours, des fonctionnaires
de tous les rangs de l'administration des
- postes unis dans un sentiment fraternel
— suivaient le cercueil d'un pauvre employé
qui remplissait, depuis vingt-six ans, les
fonctions d'expéditionnaire.
— On le nommait Eugène Lecomte, et il était
sourd-muet.
Au cimetière, les assistants furent témoins
d'un spectacle inaccoutumé. Contrastant avec
l'attitude calme et recueillie de la foule, un
groupe d'hommes '— vieux pour la plupart
- se faisait remarquer par la multiplicité
et la véhémence de ses gestes. Quelqu'un
s'informa et apprit que si ces témoins agités
d'un deuil exprimaient leur douleur par les
gestes, c'est qu'ils ne pouvaient l'exprimer
par la voix. Les collègues de Lecomte à la
poste avaient devant les yeux ses anciens
camarades à l'Institut de la rue Saint-Jac-
f ques.
Dans l'antiquité, où régnaient la beauté et
la force, on sacrifiait sans pilié quiconque était
infirme et faible. Les Spartiates laissaient
mourir de faim et de soif les sourds-muets
enfants après les avoir abandonné dans les
déserts du Taygète. Les Athéniens les con-
sidéraient comme des idiots, incapables de
toute instruction, à peine propres aux plus
infimes travaux de l'esclavage. Les premiers
Romains les jetaient dans le Tibre. Cin-
quante ans seulement avant J.-C., Lucrèce
se hasarda à dire que quelques-uns de ces
malheureux pouvaient ôtre doués d'intelli-
gence, posséder des aptitudes utiles et mé-
riter ainsi de vivre. Un peu plus tard, quand.
Tia-pantomime fut à la mode sur les théâtres, '
reconnut — en applaudissant les gestes
■jias acteurs —> qu'on pouvait être hommes
■^é/ruuver et rendre tous les sentiments hu-
iriains sans le secours de la parole.
Les Egyptiens et les Perses considéraient
les sourds-muets à peu près comme les
paysans des Alpes considèrent aujourd'hui
les goitreux. C'étaient d'éternels enfants, des
innocents, que leur innocence devait suffire
à rendre sacrés et recommandaient à la pro-
tection de leurs concitoyens. Les muets, com-
me les odalisques, les nains et les eunuques,
font partie depuis des siècles du monde
oriental bizarre qui s'agite-dans le sérail du
Grand Seigneur. Quelques-uns atteignirent
une telle perfection dans le langage des ges-
tes, que, non-seulement ils se faisaient com-
prendra dans les circonstances usuelles de la
vie, mais encore dans l'expression des idées.
Dans tout l'Occident, jusqu'au seizième
siècle, on les considéra comme atteints d'a-
liénation mentale, et jamais on ne tenta rien
pour améliorer leur position et les relever de
l'abrutissement auquel ils semblaient voués
en venant au monde. '
Le premier homme de cœur qui s'occupa
de ces malheureux fut un bénédictin espa-
gnol nommé Pédro de Ponce. Il se fit Fins-..
tituteur des deux frères et de la sœur du
connétable de Vélasco ; grâce à ses soins,
les trois enfants — sourds-muets tous trois
— arrivèrent à remplacer l'ouïe par la .vue et j
la parole par l'écriture. Une fois ce résultat
conslaté, des savants de tous les pays de
l'Europe s'engagèrent dans la voie ouverte
par Pedro de Ponce, et s'efforcèrent d'attein-
dre le même but.
Le premier instituteur de sourds-muets
français fut le Père Vanin, de la Doctrine
chrétienne, qui se servit d'estampes pour
inslruire- deux sœurs jumelles sourdes-
muettes.
Il venait de mourir, lorsque le hasard
conduisit chez ses élèves l'abbé de l'Epée.
Celui -ci était moins un savant qu'un apôtre.
Il voyait grand, et 4e reculait jamais devant
l'énormité d'une tâche, si cette tâche lui
semblait bonne et utile.
L'abbé de l'Epée, au lieu de se servir de la
dactyologie des Espagnols, c'est-à-dire de la
méthode qui consiste à reproduire servile-
ment les lettres de l'alphabet une à une ou
par syllabes ou par mots, créa la mimique,
sorte de langue universelle, grâce à laquelle
— au moyen d'un signe — la pensée arrive
plus vite à la pensée que par la parole ou
l'écriture. Il rédigea un dictionnaire des si-
gnes, que son disciple l'abbé picard devait
compléter et agrandir. Surtout, il eut la foi,
l'enthousiasme ; il fit des merveilles de cha-
rité. Quand il eut dépensé toute sa fortune à
soutenir un établissement libre, il s'adressa
au Gouvernement, ne voulant pas que cet
établissement — métropole et modèle de
tous les établissements semblables à venir—
fût exposé à périr.
Le roi Louis XVI accorda une somme de
6,000 francs par an sur sa cassette au vieil
abbé, et il lui donna une maison pour y loger
ses élèves.
.L'abbé de l'Epée mourut en 1789. En
1791; un décret de la Constituante déclara
l'établissement des Sourds-Muets institution
royale.
Aujourd'hui, cette institution contient
218 élèves de sept à quatorze ans. 48 autres
institutions de sourds-muets des deux sexes
existent en France ; mais ce nombre mû cos
est insuffisant. Nous avons 2o,000 compatrio-
tes sourds-muets, et tous ne peuvent être ad-
mis à recevoir l'instruction primaire et pro-
fessionnelle qui les mettraient à même de
gagner honorablement leur vie.
Eugène Lecomte, fils d'un ancien courrier
de malle-poste, sortait de l'école de la rue
Saint-Jacques. D'une intelligence remarqua-
ble, il avait cruellement souffert de son in-
firmité qui le condamnait à jamais à végéter
au dernier rang de l'administration. Il sa-
vait que, même pour lui avoir donné une
place d'expéditionnaire, on avait dû man-
quer aux règlements, qui interdisent aux
infirmes l'accès du service des postes. Ja-
mais il ne serait autre chose qu'expédition-
naire. Il fallait qu'il s'y résignât.
Il s'était résigné. A la longue, la résigna-
tion était devenue de l'habitude. Les longs
rapports amènent les sympathies, et souvent
les sympathies deviennent des amitiés.
Tout le monde, rue Jean-Jacques-Rous
seau, aimait Lecomte. Enfant, comme le
sont les sourds-muets, ses enfantillages amu-
saient ses collègues. On s'intéressait à ses
joies et à ses chagrins. Il sentait cela, et il
s'en trouvait heureux ou consolé.
Depuis 26 ans, il allait et venait à travers
les corridors de l'hôtel, sans jamais avoir
heurté personne. Dans la rue, c'était autre
chose; il était distrait, flâneur, comme le
sont presque tousses sourds-muets que les
,spectacles extérieurs attirent et qui battent
des mains comme des écoliers de six ans de-
vant la devanture d'un magasin ou la parade
d'un charlatan.
Il rentrait chez lui, un des premiers soirs
du mois, vers les neuf heures, lorsqu'il fut
écrasé par un camion. A
Eugène Lecomte était marié pour la troi-"
sième fois. Il laisse une veuve et deux en-
fants, — un fils de seize ans, une fille de
seize mois. La femme n'est pas dans les
conditions légales pour bénéficier de la posi-
tion de son mari, et le propriétaire du ca-
mion, cause de la catastrophe, est trop pau-
vre pour lui payer des dommages et intérêts
qui lui permettraient de vivre et d'élever ses
enfants. Elle a donc tout perdu.
Il me semblerait bien qu'en pareil cas la
corporation tout entière, — à défaut de la
commune, — vint en aide à la veuve et aux
orphelins, assurât l'existence de celle-ci,
donnât à ceux-là l'instruction et un état.
Mais le vœu que je forme est sans doute
inutile. Avec des apparences hautaines;
nulle administration n'est plus paternelle
que celle des Postes, et elle a, — j'en suis
sûr, — dès la première heure, accepté la.
tutelle des enfants d'Eugène Lecomte.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
(NOUVEL ÉPISODE)
LA CORDE DU PENDU
I
i
L'écroulement du souterrain durait toujours.
La voûte de la galerie se détachait j>ar frag-
ments de blocs énormes.
Le sol continuait à mugir et à trembler.
On eût dit un de c:s tremblements de terre
qui ébranlent les cités du nouveau monde.
Vanda était tombée à genoux et priait.
Pauline, suspendue au cou de Polyte, lui
disait : .
— Au moins nous mourrons ensemble!
Milon hurlait de fureur et brandissait ses
poings énormes en répétant :
— Ah ! les gredins de fénians ! les propres à
vienl les canailles!
Marmouset, lui, regardait le m'aître.
Le maître était calme, debout, le front haut.
Voir le numéro du 12 juin 1309.
Il semblait attendre la fin de ce cataclysme
avec la tranquillité d'un homme qui se sait au-
dessus de la mort.
Enfin l'ébranlement s'apaisa.
Le bruit cessa tout à coup et les blocs de ro- 1
che cessèrent de tomber.
— En avant! dit alors Rocambole.
Vanda se redressa l'œil en feu.
— Ah ! dit-elle, nous sommes sauves !
■ — Pas encore, répondit-il. Mais marchons
toujours.
Le souterrain était obstrué de blocs de ro-
che énormes.
Cependant Rocambole, armé d'une pioche,
se fraya le premier un passage au milieu de
ces décombres...
Ses compagnons, rassurés, le suivaient.
Ils firent ainsi une centaine de pas.
Tout à coup Rocambole s'arrêta.
Au milieu de la galerie, un objet volumineux
venait d'attirer son attention.
Cet objet était un tonneau.
Et ce tonneau était rempli de poudre.
Il était facile de s'en convaincre en voyant
une mèche soufrée qui dépassait la bonde d'un
demi-pied.
Que faisait là ce tonneau ?
Qui donc l'avait apporté?
Les fénians connaissaient-ils donc aussi ce
passage ?
Marmous t s'était pareillement approché.
. Et, comme le maître, il regardait avec éton-
nement le baril et semblait se poser les mêmes
questions. "
Van.da et les autres Si3 trouvaient à une cer-
taine distance.
Rocambole dit enfin :
— Il est impossible que les fénians aient
apporté cela ici.
— Qui voulez-vous que ce soit, alors, maî-
tre ? demanda Marmouset.
Rocambole tournait et retournait autour du
tonneau.
Enfin son front plissé se dérida; un sou-
rire revint à ses lèvres.
— Mes enfants, dit-il, nous n'étions pas nés
le jour où ca baril a été transporté ici.
— En vérité ! murmura Marmouset.
— Cette poudre a deux cents ans, continua
Rocambole.
— Est-ce possible ?
— Voyez le tonneau, examinez-le. Le bois
en est vermoulu et se déchiquette sous le
doigt.
— C'est vrai, dit Marmouset.
— Ne touche pas à la mèche, dit encore le
maître, car elle est tellement sèche qu'elle tom-
berait en poussière.
— Et, dit Polyte, qui n'avait pas fait des
études bien approfondies sur la matière, c'est
de la poudre, je crois, qui n'est pas méchante.
— Tu, crois ?
Et Rocambole regarda en souriant le gamin
de Paris.
— Dam ! fit Polyte, une poudre si vieille
doit être éventée. #
— Tu te trompes.
— Ah !
— Elle est dix fois plus violente que de 'la
poudre neuve.
— Bigre! alors il faut faire attention.
— A quoi ?
— A ne pas y mettre le feu.
— Et pourquoi cela?
1 — Mais dam! après ce qui vient de nous ar-
river !
— Laissons là cette poudre et marchons
toujours, dit Rocambole. , ;
Et il continua son chemin. ;
Le souterrain allait toujours en s'abaissant,
et le sol fuyait sous les-pieds.
C'était là une preuve qu'on approchait de
plus en plus de la Tamise. M
I Mais, tout à coup, Rocambole s'arrêta de
1 nouveau. , y-
— Ah ! dit-il, voilà ce que je crai,-nai,,.
Le souterrain était fermé par un bloc de
rochers qui s'était détaché de la voûte et rem*
plissait l'office d'une porte.
— Prisonniers ! murmura Vanda, que son
épouvante reprit.
Rocambole ne répondit pas.
Il voyait sa dernière espérance s'évanouir.
La route était barrée.
Revenir en arrière serait tout aussi impos-
sible. « , ,
C'était s'exposer, du reste, à tomber aux
mains des policemen qui, dans quelques mi-
nutes peut-être, la première stupeur passée,'
envahiraient les souterrains découverts tout p,
coup et que la génération actuelle avait igno-
rés.
— Allons r dit Rocambole après un moment
de silence, il faut vaincre où mourir.^
— Je suis bien fort,-dit Milon, mais ce n est_
pas moi qui me chargerai de pousser ce cail-
lou-là. '
— Si on pouvait le saper, dit Marmouset.1
— Avec quoi? Nous n'avons pas les outils
nécessaires. -'
— C'est vrai.
— Et puis, c'çst de la roche ds;r§«.» ^
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