Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-03-18
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 18 mars 1870 18 mars 1870
Description : 1870/03/18 (A5,N1429). 1870/03/18 (A5,N1429).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4716858k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
Nous avons Vil que Pierre-Joseph Thirion était parti
de Mons, le 12 mai®, pour le Luxembourg. Il revint à
Mons, le jeudi, 2 avril, avec sept vaches qu'il se pro-
posait de vendre au marché du lendemain. Après les
avoir mises à l'étable chez LOlseau, Pierre-Joseph par-
tit pour le Borinage à la recherche de son irère
Nicolas, dont le silence commençait à l'inquiéter. Il
se rendit d'abord chez Godard, à Jemmapes, ensuite
chez Descamps, à Boussu, et enfin chez Pieron, de
la même commune, où, il passa la nuit du jeudi au
vendredi. »
De retour à Mons, Pierre-Joseph se rendit au mar-
ché. Il vendit l'une de ses vaches à la femme Godard,
une seconde à une autre femme de Jemmapes, et il
renvoya les cinq dernières chez Loiseau, en lui faisant
dire que P18rOll viendrait. les prendre. Il alla ensuite
recevoir, dans t apres-Imdl, chez M. Coppée, le prix
des moutons que Nicolas aurait dû toucher le 17 mars,
et qui s'élevait à 3,036 fr. 40 c.
Cette somme lui fut payée en or et en billets de
banque, et M. Coppée aida Pierre-Joseph à les mettre
dans sa ceinture, où il y avait déjà d autres, billets et
de l'or pour 1,500 à 2,000 fr.
La quittance de ce payement, écrite de la main de
M. Coppée et signée par Pierre-Joseph Thirion, porte
la date.du 3 ,«vrll, et M. Coppée a constaté, par le livre
de caisse de la bergerie, que c'est bien le 3 avril qu'il
a été effectué.
Quoique les Godard, le fermier Descamps, sa fem-
me, leur berger et le fermier Pieron, interrogés quatre
mois arrès le crime sur les visites de Pierre-Joseph,
aient hésité entre la date du 2 ou celle du 3 avril,
deux faits également significatifs démontrent que
c'est le 2 et non pas le 3 que Pierre-Joseph a été chez
Godard, chez Descamps et chez Pieron, où il a passé
la nuit. Le registre de Loiseau démontre, en effet,
qu'arrivé du Luxembourg le 2 avril, Pierre-Joseph n'a
pas passé à Sainte-Barbe la nuit du 2 au 3. Il a parlé,
d'ailleurs, chez Godard, chez Descamps et chez Pieron
des 3,000 fr. qu'il devait toucher à Mons, chez M. Cop-
pée, et il a dû, par conséquent, se trouver chez eux
avant le 3 avril, puisque c'est le 3 avril, dans l'après.
-ulidi, que M. Coppée a effectué ce payement.
Comme les frères Thirion voyageaieitf tous les trois
pour faire rentrer leurs créances et que Godard leur
devait mille francs pour 58 moutons, il est impossible
qu'il n'ait pas parlé à Pierre-Joseph, lorsque ce der-
nier est revenu chez lui, le 2 avril, dos 33 moutons
qu'il avait donnés en paiement à Nicolas, le 12 mars,
et que Nicolas avait rétrocédés, en sa présence, à Des-
sous-le-Moustier. Pierre-Joseph avait donc, de ce chef,
une créance de 600 à 7fi0^fr. à charge de l'accusé, et
il était naturel qu'après avoir terminé son compte
avec M. Coppée, il se rendit à Hornu pour toucher
cet argent. Aussi l'accusé disait-il dans soja interro-
gatoire du 6 novembre :
« Je ne me rappcne pas la date ni le jour où Pierre-
Joseph a passé à Hornu venant de chez Pieron et di-
sant aller à Mons pour recevoir 3,000 fr. chez M. Cop-
pée; mais c'est le même jour, dans la soirée, que Go-
dard est venu avec lui. »
'Nous verrons bientôt que la participation de Godard
dans les assassinats de Nicolas et de Pierre-Joseph
n'est pas moins imaginaire que cette de Dacus dans
l'assassinat de Gustave. Mais les paroles que nous ve-
nons de rappeler établissent an moins que la recette
de 3,000 tr. à effectuer chez Coppée était connue d'a-
vance à Dessous-le-Moustier et que c'est le jour même
où Pierre-Joseph serait passé une première fois à.
Hornu, en revenant de chez Pieron, c'est-à-dire le
3 avril, qu'il est retourné le soir à Hornu, avec les
5,000 fr. renfermés dans sa ceinture. Ce serait donc
dans la soirée du 3 avril qu'il aurait été'assassiné par'
Dessous-le-Moustier.
Mai? nous pensons plutôt que cet assassinat a eu
lieu le lendemain'entre quatre et cinq heures du ma.
tin, L'instruction constate, en eset, que Dessous-le-
Moustier a amené Pierre-Joseph Thirion, vers Heuf
heures du soir, au cabaret de la femme 'Jenart; que
Pierre-Joseph y a passé la nuit sur une chais:" près
du feu, en di ait qu'il devait partir le lendemain de
très-bonne heure et qu'il ne voulait pas gêner Des-
sous-le-Moustier en logeant chez lui; qu'enfin, Des-
sous-le-Moustier est venu le prendre le lendemain
vers quatre heures du matin, chez la femme Jenart;
qu'ils se sont dirigés vers l,a maison ,de l'accusé, .et
qu'on n'a plus revu Pierre-Joseph depuis ce mo-
ment.
Après avoir, dans son interrogatoire du 3 novembre,
imputé la mort de Gustave à Dacus, Dessons-le-Mous-
lier ajoutait : -
« Deux jours après, Hubert Gulard, de Jemmapes,
est_venu chez moi te matin; je lui ai 'dit ce qui s'était
passé :« Eh bien, a répondu Godard, je n'ai pas d'ar-
gent pour payer les Thirion ; je . autant que Dacus avec les deux antres. Il a dit
cela en présence de ma femme et de mon beau-père.
Ma femme a même ajouté qu'on ne devrait plis tuer
ces hommes-là, qu'ils ne faisaient que du bien en ven-
dant à crédit. »
Godard, s'il faut en croire l'accusé, serait venu en-
suite successivement chez lui avec Nicolas et avec
Pierre-Joseph Thirion. Il aurait été se coucher avec
l'un et avec l'autre dans l'écurie de Dessous-le-Mous-
tier, qui serait allé même jouer a.ux cartes avec des
voisins, pendant que Godard assassinait les deax Thi-
rion dans son écurie. Mais les personnes avec lesquel-
les Dessous-le-Moustier aurait joué aux cartes lui don-
Dent uli démenti formel.
Quand le juge d'instruction lui a demandé pourquoi
il s'était accusé, dans ses premiers in:fel'i'o8'atoires, des
crimes qu'il imputait maintenant à des tiers, il s'est
borné à lui répondre : que Godard lui devait 400 fr.
pour des moutons; qu'il ne leelui aurait pas payés
s'il avait été mis en prison; et c'était pour sauver ces
400 fr. qu'il s'était accusé, lui-même dos trois assassi-
nats. Une pareille réponse ne mérite pa' de réfutation.
1! est à remarquer d'ailleurs que Dessous-le-Moustier
ne possédait rien quand il a entrepris le commerce de.
moutons au mois de janvier 1868,, puisqu'il a dù ache^
ter ses premiers moutons à crédit; qu'il n'avait pas"
reçu un centime du partage de son beau-pcre, quand
il a payé, le 7 atril, le billet à ordre de 1 350 fr. sous-
crit par lui et par Havrez au profit, des frères Thirion ;
qu'il n'a donc pu acquitter ce billet qu'au moyen de
l'argent volé par lui a ses victimes; ip'indéperu'.am-'
ment des frais de son ménage et des réparations qu'il
a faites à sa maison au mois d'août BCS, il avait en-
core à subvenir à l'entretien d'une maîtresse) qu'en lin'
son troupeau a été vendu pour plus de 5,000 fr. de-
puis son arrestation.
On ne voit donc pas ce que Godard aurait pu retirer
des crimes qu'il lui impute.
Quoique les interrogatoires subis par Dessous-le-
Mousiier les 3 et 6 novembre contiennent des accusa-
tions mensongères contre Dacus et Godard, ils nous
donnent la clef des autres crimes dont il s'est rendu
coupable. Ils constatent, en effet, que la femme et le
beau-père de l'accusé avaient une pal'faite'COll11aÏ::sè'nce
des crimes qui s'étaient commis sous leurs yeux et
dans leur habitation. Aussi la femme I)essolls-le Mous-
tier disait-fîle, pendant sa dernière maladie, à une
voisine qui lui donnait des soins : " l'ai sur l'estomac
un fameux paquet, le médecin ne saurait me i otef, »
et. à une autre : « Isabelle, il en faut bien voir avant
de mourir. » Dessous-le Moustier avait tu, d'un autre
côlé, avec le berger de M. Coppée, au sujet de la dis-
parition des frères Thirion, un entretien qui avait dû
lui donner à réfléchir : « Vous verrez, lui disait son
interlocuteur, qu'un jour ou l'autre cela se découvrira.
Si ce n'est pas dans un an, ce sera dans deux. On est .
toujours vendu d'une manière ou d'autre ; Leurquin a
bien été vendu par sa femme. » On comprend dès lors
que Dessous-le-Moustier ait craint d'être vendu par la
sienne et qu'il l'ait fait périr par le poison*
Elle était devenue malade au commencement du
mois d'octobre. Le docteur Querton lui fit sa première
visite le 8 octobre. Il revint ensuite le 9, le 11., IrJ13, le
14, le 15, le 1G, le 17 et le 18, et ce lut le 18, vers
11 h. du soir, que la malade succomba. Lorsque le
docteur rencontra son mari, le lendemain, celui-ci se
borna à lui dire : « En v'hi une d'arfaire. » Mais le
docteur connaissait aussi bien que lui la cause de cette
affaire. Il avait soupçonné, en effet, un empoisonne-
ment dès sa première visite, et ses soupçons n'avaient
fait que s'accroître plus tard. Dessous-le-Moustier
donnait ordinairement à sa femme de l'eau d'orge tort
épaisse qu'il préparait lui-même et, chaque fois qu'elle
en prenait, elle éprouvait des vomissements.
Le docteur Querton réclama donc le concours d'un
second médecin, et l'accusé choisit le docteur Deneuf-
bourg, qui se rendit, le 15, avec Querton, auprès de
la malade. Elle avait de nouveau pris de L'eau d'orge
3ue son mari lui avait donnée à boire, et cette eau
d'orge avait produit le même résultat. Querton et De-
neufbourg recueillirent donc des matières vomies en
. leur présence, et la chimie a constaté depuis que ces
matières contenaient de l'arsenic.
Le 16 et le 17 octobre, un fmienx sensible.s'était dé-
claré; l'eau d'orge avait été supprimée. La femmç
Dessous-le-Moustier demanda au docteur si elle pou-
vait prendre du lait et. le docteur y consentit; mais le
18, dans l'après-midi, Dessous-le-Moustier avait donné
du lait à boire à sa femme et les vomissements s'é-
taient immédiatement reproduits avec les plus graves
symptômes. altération plus profonde des traits, pros-
tration extreme, syncopes, pouls petit, très-fréquent,
■ irréguker, battements tumultueux du cœur, anxiété,
refroidissement, douleur brûlante à la. gorge, et quel-
q-ues heures après, la malade était morte. Ses viscères,
analysés par la chimie, ont donné -la preuve que son
corps était saturé d'arsenie. On a trouvé, d'ailleurs,
dans la baraque de berger de Dessous-lc-Moustier un
paquet assez considérable de cette substance, et, dans
sa cave, sous un chantier où il mettait son tonneau de
bière, une bouteille contenant une composition arBé-
nicale.
Ces constatations autorisaient à croire que le vieux
Iiavrez, décédé à Ornu le 9 décembre 1868, avait péri
de la même manière, puisque Dessous-le-Moustier
avait les mêmes révélations à craindre de sa part que
de la part de sa femme. La justice fit donc procéder à
l'exhumation du vieux Havrez, et la chimie a constaté
de l'arsenic dans les viscères extraits de son cadavre,
dans la chemise qui lui servait de linceul et _ sur la
surface intérieure des planches de son cercueil,. bien ,
que ce cercueil fut en bois de chêne, qu'il n'eût subi
aucune altération, qu'il ne présentât ausune espèce de
fissure, et que l'arsenic trouvé à l'in'crienr ne put dès
lors provenir de la terre qui entourait le cercueil.
Bessous-le-Moustier a donc empoisonné son beau-
père et sa femme pour se débarrasser de deux témoins
qui auraient pu ie compromettre.
L'instruction touchait à son terme, quand la décou-
verte d'un nouveau crime vint exiger de nouvelles re-
cherches.
Dessous-le-Moustier avail successivement pr'se"tc à
l'escompte chez le banquier Lcmélll, à Saint-Ghislain, '
un billot à ordre, valeur reçue en_ marchartf'.ises,
souscrit à son' profit par Louis Loisselet, porte de
Bruxelles, à Ath, et une ti-aite, sur le même Loisselet,
rue de Druxel-les, n° 22,.à Ath, également causée va-
leur reçue en marchandises. Ces billets n'ayani. t as une
forme régulière, un elrs employés de M. Lerr.ai^ écri-
vit sur timbre une promesse de 1,000 francs à l'ordre
de Dessous-'.e-Mousticr. qui se chargea de la faire si-
gner par son débiteur. CeLte promesse, datée du 1er
octobre 18-69, était payable à Ath le 30 décembre.
... Revêtue de la signât tire du prétendu débiteur Lois-
self t, Dessous-le-Moustier l'escompta chez M. Léman
le 5 octobre. Mais cette signature était fausse, comme
le démontra l'instruction. EUe était même.l'œllvre de
l'accusé, comme le con-s.ite une expertise en écriture
et comme le prouve, dans son carnet, un fac-si-mile
pariait do la signature contrefaite.
Nous aurions pu •néglige*' ce crime- accessoire en
présence de trois assassinats et de deux empoisonne-
ments. Mais il explique comment l'accusé a pu et dû
fabriquer nn faux endossement à. son profit, sur le
billet'Dacus qu'il a pris dans la poohe d-e Gustave et
qu'il a escompté le 7 avril chez le banquier Léman.
En conséquence, etc.
DRAMES JUDICIAIRES
30 ANS
DE
LA VIE D'UN CONDAMNÉ
PREMIÈRE PARTIE
XXVII
Mathéus.
Le juge d'instruction !
On a beau être une jeune fille 'pure, innocente,
ignorante même des choses graves de ce monde,
ce mol de juge d'instruction n'en produit pas -n-
moins son effet, e^il est impossible de l'entendre
prononcer sans érrotion.
Hélène frémit, et tout un monde de sensations
inconnues passa en une seconde devant ses yeux.
Toutefois, use chose la frappa à ce moment
et son regard s'arrêta avec une fixité sin-
gulière s'ur le personnage qui se présentait à elle.
A tort ou à raison, il lui semblait retrouver
dans ce magistrat quelques-uns des traits de
monseigneur des Ursins, et il n'y avait pas jus-*
qu'à la voix même dont certaines intonations lui
donnèrent à penser.
Elle n'avait aucun motif pour se défier et pour-
tant, malgré elle, instinctivement, elle se tint sur
ses ga-rdcs.
Elle fit signe au magistrat qu'elle était prête à
le recevoir, remonta les marches qu'elle venait
de descendre et fit entrer les trois nouveaux venus
,dans un salon.
Elle indiqua alors un siége au juge d'instruc-
tion, et se retournant vers Geneviève :#
— Je ne sais, lui dit-elle à voix rapide et basse,
ce qui va se passer et -de quelle nature peut être
l'entretien que l'on réclame de moi ; mais tenez-
vous prête à tout, et attendez dans ma chamure
que je vo.us fasse préveriir. f§»'
Pendant qu'Hélène adressait cette recommanda-
tion"à son amie, le juge avait, de son côté, fait
signe à ses deux assesseurs de s'éloigner, et bien-
tôt Le magistrat et la jeune fille se trouvèrent seuls
en présence.
Il faut tout dire. «
Depuis la mort de sa grand'mère, un change-
ment bizarre s'était opéré chez Mlle Duprat.
Soit que les événements douloureux par lesquels
elle venait de pasior lui eussent communiqué
une énergie dont elle n'avait pas naguère le
soupçon, soit que son caractère se fût développé
tout à coup sous l'influence de circonstances ex-
ceptionnelles, elle s'était pour ainsi dire transfor-
mée depuis quelques jours.
* Ce n'était plus l'enfant timide, i-ndécise, trou-
blée que le lecteur a connue, c'était une femme
résolue, ferme, dont l'esprit avait en quelque sorte
mûri comme par miracle, et qui maintenant pou-
vait envisager sans trembler et le passé terrible
qu'elle venait de traverser, et l'avenir qui lui était
réservé.
Ce n'est pas là d'ailleurs un phénomène inusité,
et il est arrivé plus fréquemnient qu'on ne le
pense qu'une occasion imprévue a révélé une fer-
meté inattendue sous la mollesse et la passivité
d'un caractère qui s'ignorait.
Dès qu'elle se vit seule avec le juge, Hélène se
tourna vivement vers lui :
— Et maintenant, monsieur, dit-elle d'une voix
nette et bien accentuée, permutez-moi de vous
rappeler que j'allais sortir quand vous êtes arrivé,
et je vous serais reconnaissante d'abréger au-
tant que possible l'entretien que vous m'avez de-
manda.
Le juge s'inclina avec gravité.
— J'y songeais, mademoiselle, répondit-il, et
je ferai tout ce que pourrai pour vous être
agréable. Mais l'affaire qui m'amène ne doit pas
être traitée légèrement, et il importe de ne point
trop se hâter.
— De quoi s'agit-il donc?
— Je vais vous le dire dans une seconde ; et
quand je vous l'aurai fait connaître, j'espère que
vous ne regretterez pas le temps que vous allez
perdre, et que vous me saurez gré de la ruse à
laquelle j'ai recours 'en ce moment.
— Une ruse ! répéta Hélène étonnée.
Le iuge sourit. >
— Regardez-moi bien, mademoiselle, poursui-
vit-il; écoutez ma voix, et dites-moi si vous ne
trouvez pas qu'il' existe une certaine ressemblance
entre le juge qui vous parle et...
— Et, monseigneur des Ursins.
— N'est-ce pas?
— Cette ressemblance m'avait frappée, en effet,
et j'ai cherché un instant... «
— Ne cherchez plus. Cette resscmblance est
toute naturelle, puisque le juge et Mgr des Ursins
ne font qu'une seule et même personne.
Hélène recula '3e deux pas...
— Est-ce possible 1 s'écria-t-elle avec stupéfac-
tion; et dans quel but ce. déguisement ?
— Mon Dieu ! je suis , déguisé aujourd'hui en
magistrat, comme hier j'étais déguisé en prélat.
— Qui êtes-vous donc alors?
— Un agent de police.
— Monsieur!...
— Oh! il n'y a pas d'offense : voilà dix ans, on
m'appelait Mathéus, aujourd'hui on m'appelle le
père Mathieu.
- —Mais cela ne m'explique pas-pourquoi vous
êtes ici, et de quel droit.
— Nous y voici, et le moment est venu, je crois,
de quitter les chemins de traverse et d'aller droit
au but. Ecoutez-moi donc, mademoiselle, et com-
prenez surtout ce que je vais votis dire : — Il y a
dix ans, j'habitais Malte.
— Vous ! fit Hélène avec un cri et en devenant
pâle. *
— À celte époque, continua Mathéus, j'ai eu
l'honneur de rencontrer quelquefois et de con-
naître un peu Mme Duprat.
— Ma mère !
— J'étais encore dans l'ile, quand eut lieu l'hor-
rible assassinat dont Maie Duprat fut victime.
— Mon Dieu!
— Vous vous rappelez cet épouvantable forfait,
n'est-ce pas ?
— Taisez-vous ! taisez-vous ! 1
— Votre malheureuse mère"avait été assassinée
par un jeune Espagnol qui avait à peine vingt
ans, et qui s'appelait...
— Pedro !
— Vous vous en souvenez ?
— Le misérable !
Un sourire cruel crispa la lèvre de Mathéus.
— Oui, le misérable, répéta-t-il, il Savait eu
pitié ni de la beauté de la femme, ni de la vertu
de l'épouse, et il l'avait poignardée parce qu'elle
était belle et qu'elle refusait de se donner à lui.
— Pauvre mère ! balbutia Hél-ène, en laissant
tomber sa tète dans ses mains.
Toutefois cette défaillance furde courte durée.
Car presque aussitôt elle releva le front, et un
éclair -fauve jaillit de son regard.
— Vous me rappelez là, dit-elle avec une som-
bre énergie, un des plus horribles souvenirs de
mon enfance; cet homme, je m'en souviens à
peine; je le reverrais aujourd'hui que je ne lere-
cor'n,.ii',rai,s pas : mais tenez, je puis bien vous le
dire, quoique je ne vous connaisse pas et que
j'ignore quel but mystérieux vous voulez attein-
dre : depuis que j'existe, ce qui m'a rendue mal-
heureuse, ce qui a troubié mes plus pures joies,
ee qui a arrêté mes plus douces expansions, c'est
la pensée que cet homme a pu s'échapper des
mains de la justice, qu'il n'a pas reçu le châti-
ment de son crime, que ma mère n'a pas été
vengée !
Et comme Mathéus gardait le silence :
— Oh ! vivre seule, poursuivit-elle, comme se
parlant à elle-même, n'avoir personne à qui par-
ler de ses souffrances, c'est horrible, savez-vous?
et puis, je fàe disais toujours que cet homme
existe ; peut-être l'ai-je rencontré quelquefois ;
peut-être même /nos regards se sont-ils croisés.
Mais non ! non ! Dieu n'aurait pas permis une
telle impunité ; il est mort, il a péri, je ne le re-
verrai jamais,..
— Qui sait? fit Mathéus en se penchant vers la
jeune fille.
— Que voulez-vous dire?
i — je veux dire que Pedro existe.
— C'est impossible I
— Je l'ai vu.
— Mais êtes-vous certain que ce soit lui?
— Si j'avais pu en douter, je l'a,,irais reconnu à
sa main mutilée et aux deux doigts qui lui man-<
qncnt. - *
Hélène se tut.
Ce qui se passait en elle serait difficile à expli-
quer. Elle était presque autant épouvantée qu'at-
tendrie; un désordre inouï régnait dans son es-
prit, une agitation pleine de fièvre soulevait sa
poitrine.
— Oh ! cet homme ! cet homme ! dit-elle avec
une violence mal contenue, je veux que vous
m'aidiez à le retrouver ?
— Y êtes-vous bien résolue?
— Vous le demandez !
— C'est qu'il est puissant.
— Qu'importe ?
Il a changé de nom. La position qu'il occupe
aujourd'hui est considérable, et j'ajoute que, sans
vous en douter, vous l'avez souvent rencontré
dans votre monde.
Hélène étouffa un sa-nglot plein de colère.
— Lui ? .s'écria-t-elle, lui? Mais je veux savoir
son nom, alors ! je veux le connaître, je veux...
EMe n'acheva pas.
La porte venait de s'ouvrir, et sur le seuil elle
avait aperçu la figure impassible et pâle du duc
de Sorrente!
PIERRE ZACCONE.
(La suite à demain.)
LE TRÉSOR DU FOYER
MÉDECINE DE FAMILLE
Nouvelle application du charbon. — On connait
tout ce qui a été dit sur le charbon et sur les singuliè-
res propriétés d'un corps qui a une apparence d'i-
nertie, mais qui sert à absorber les gaz infects, à puri-
fier les eaux, ou à enlever aux liq-uides les suIs métalli-
ques :
Voici une nouvelle application de ce corps :
La Gazette médicale annonce que l'on a déoouvert
dans le charbon de bois un remède excellent contre
les brûlures. Uu morceau de charbon appliqué sur la
brûlure calme immédiatement la doule,,ir. Si on le laisse
pendant une heure, il la guérit complètement.
UN CONSEIL PAR JOUR
Se cr-jii'O Ill' grand esprit indique la bêtise.
Il faut. vous priser peu pour que chacun vous prise.
FRÉVILLE.
N. B. Nous donnerons ainsi,de temps en temps,
I quelques conseils en vers, extraits du Manuel du
Moraliste, publié dans la précieuse et célèbre col-
lection des manuels Roret, cette encyclopédie des
sciences et des arts, tenue au courant des progrès
de l'industrie, avec un soin et une habileté remar-
quables. — Henri d'Alleber.
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ment transféré b. Poissonnière, 13, visible tous les jours.
#**** ****
[ Typographie IANNIN. quai V oit îir 9^114
de Mons, le 12 mai®, pour le Luxembourg. Il revint à
Mons, le jeudi, 2 avril, avec sept vaches qu'il se pro-
posait de vendre au marché du lendemain. Après les
avoir mises à l'étable chez LOlseau, Pierre-Joseph par-
tit pour le Borinage à la recherche de son irère
Nicolas, dont le silence commençait à l'inquiéter. Il
se rendit d'abord chez Godard, à Jemmapes, ensuite
chez Descamps, à Boussu, et enfin chez Pieron, de
la même commune, où, il passa la nuit du jeudi au
vendredi. »
De retour à Mons, Pierre-Joseph se rendit au mar-
ché. Il vendit l'une de ses vaches à la femme Godard,
une seconde à une autre femme de Jemmapes, et il
renvoya les cinq dernières chez Loiseau, en lui faisant
dire que P18rOll viendrait. les prendre. Il alla ensuite
recevoir, dans t apres-Imdl, chez M. Coppée, le prix
des moutons que Nicolas aurait dû toucher le 17 mars,
et qui s'élevait à 3,036 fr. 40 c.
Cette somme lui fut payée en or et en billets de
banque, et M. Coppée aida Pierre-Joseph à les mettre
dans sa ceinture, où il y avait déjà d autres, billets et
de l'or pour 1,500 à 2,000 fr.
La quittance de ce payement, écrite de la main de
M. Coppée et signée par Pierre-Joseph Thirion, porte
la date.du 3 ,«vrll, et M. Coppée a constaté, par le livre
de caisse de la bergerie, que c'est bien le 3 avril qu'il
a été effectué.
Quoique les Godard, le fermier Descamps, sa fem-
me, leur berger et le fermier Pieron, interrogés quatre
mois arrès le crime sur les visites de Pierre-Joseph,
aient hésité entre la date du 2 ou celle du 3 avril,
deux faits également significatifs démontrent que
c'est le 2 et non pas le 3 que Pierre-Joseph a été chez
Godard, chez Descamps et chez Pieron, où il a passé
la nuit. Le registre de Loiseau démontre, en effet,
qu'arrivé du Luxembourg le 2 avril, Pierre-Joseph n'a
pas passé à Sainte-Barbe la nuit du 2 au 3. Il a parlé,
d'ailleurs, chez Godard, chez Descamps et chez Pieron
des 3,000 fr. qu'il devait toucher à Mons, chez M. Cop-
pée, et il a dû, par conséquent, se trouver chez eux
avant le 3 avril, puisque c'est le 3 avril, dans l'après.
-ulidi, que M. Coppée a effectué ce payement.
Comme les frères Thirion voyageaieitf tous les trois
pour faire rentrer leurs créances et que Godard leur
devait mille francs pour 58 moutons, il est impossible
qu'il n'ait pas parlé à Pierre-Joseph, lorsque ce der-
nier est revenu chez lui, le 2 avril, dos 33 moutons
qu'il avait donnés en paiement à Nicolas, le 12 mars,
et que Nicolas avait rétrocédés, en sa présence, à Des-
sous-le-Moustier. Pierre-Joseph avait donc, de ce chef,
une créance de 600 à 7fi0^fr. à charge de l'accusé, et
il était naturel qu'après avoir terminé son compte
avec M. Coppée, il se rendit à Hornu pour toucher
cet argent. Aussi l'accusé disait-il dans soja interro-
gatoire du 6 novembre :
« Je ne me rappcne pas la date ni le jour où Pierre-
Joseph a passé à Hornu venant de chez Pieron et di-
sant aller à Mons pour recevoir 3,000 fr. chez M. Cop-
pée; mais c'est le même jour, dans la soirée, que Go-
dard est venu avec lui. »
'Nous verrons bientôt que la participation de Godard
dans les assassinats de Nicolas et de Pierre-Joseph
n'est pas moins imaginaire que cette de Dacus dans
l'assassinat de Gustave. Mais les paroles que nous ve-
nons de rappeler établissent an moins que la recette
de 3,000 tr. à effectuer chez Coppée était connue d'a-
vance à Dessous-le-Moustier et que c'est le jour même
où Pierre-Joseph serait passé une première fois à.
Hornu, en revenant de chez Pieron, c'est-à-dire le
3 avril, qu'il est retourné le soir à Hornu, avec les
5,000 fr. renfermés dans sa ceinture. Ce serait donc
dans la soirée du 3 avril qu'il aurait été'assassiné par'
Dessous-le-Moustier.
Mai? nous pensons plutôt que cet assassinat a eu
lieu le lendemain'entre quatre et cinq heures du ma.
tin, L'instruction constate, en eset, que Dessous-le-
Moustier a amené Pierre-Joseph Thirion, vers Heuf
heures du soir, au cabaret de la femme 'Jenart; que
Pierre-Joseph y a passé la nuit sur une chais:" près
du feu, en di ait qu'il devait partir le lendemain de
très-bonne heure et qu'il ne voulait pas gêner Des-
sous-le-Moustier en logeant chez lui; qu'enfin, Des-
sous-le-Moustier est venu le prendre le lendemain
vers quatre heures du matin, chez la femme Jenart;
qu'ils se sont dirigés vers l,a maison ,de l'accusé, .et
qu'on n'a plus revu Pierre-Joseph depuis ce mo-
ment.
Après avoir, dans son interrogatoire du 3 novembre,
imputé la mort de Gustave à Dacus, Dessons-le-Mous-
lier ajoutait : -
« Deux jours après, Hubert Gulard, de Jemmapes,
est_venu chez moi te matin; je lui ai 'dit ce qui s'était
passé :« Eh bien, a répondu Godard, je n'ai pas d'ar-
gent pour payer les Thirion ; je .
cela en présence de ma femme et de mon beau-père.
Ma femme a même ajouté qu'on ne devrait plis tuer
ces hommes-là, qu'ils ne faisaient que du bien en ven-
dant à crédit. »
Godard, s'il faut en croire l'accusé, serait venu en-
suite successivement chez lui avec Nicolas et avec
Pierre-Joseph Thirion. Il aurait été se coucher avec
l'un et avec l'autre dans l'écurie de Dessous-le-Mous-
tier, qui serait allé même jouer a.ux cartes avec des
voisins, pendant que Godard assassinait les deax Thi-
rion dans son écurie. Mais les personnes avec lesquel-
les Dessous-le-Moustier aurait joué aux cartes lui don-
Dent uli démenti formel.
Quand le juge d'instruction lui a demandé pourquoi
il s'était accusé, dans ses premiers in:fel'i'o8'atoires, des
crimes qu'il imputait maintenant à des tiers, il s'est
borné à lui répondre : que Godard lui devait 400 fr.
pour des moutons; qu'il ne leelui aurait pas payés
s'il avait été mis en prison; et c'était pour sauver ces
400 fr. qu'il s'était accusé, lui-même dos trois assassi-
nats. Une pareille réponse ne mérite pa' de réfutation.
1! est à remarquer d'ailleurs que Dessous-le-Moustier
ne possédait rien quand il a entrepris le commerce de.
moutons au mois de janvier 1868,, puisqu'il a dù ache^
ter ses premiers moutons à crédit; qu'il n'avait pas"
reçu un centime du partage de son beau-pcre, quand
il a payé, le 7 atril, le billet à ordre de 1 350 fr. sous-
crit par lui et par Havrez au profit, des frères Thirion ;
qu'il n'a donc pu acquitter ce billet qu'au moyen de
l'argent volé par lui a ses victimes; ip'indéperu'.am-'
ment des frais de son ménage et des réparations qu'il
a faites à sa maison au mois d'août BCS, il avait en-
core à subvenir à l'entretien d'une maîtresse) qu'en lin'
son troupeau a été vendu pour plus de 5,000 fr. de-
puis son arrestation.
On ne voit donc pas ce que Godard aurait pu retirer
des crimes qu'il lui impute.
Quoique les interrogatoires subis par Dessous-le-
Mousiier les 3 et 6 novembre contiennent des accusa-
tions mensongères contre Dacus et Godard, ils nous
donnent la clef des autres crimes dont il s'est rendu
coupable. Ils constatent, en effet, que la femme et le
beau-père de l'accusé avaient une pal'faite'COll11aÏ::sè'nce
des crimes qui s'étaient commis sous leurs yeux et
dans leur habitation. Aussi la femme I)essolls-le Mous-
tier disait-fîle, pendant sa dernière maladie, à une
voisine qui lui donnait des soins : " l'ai sur l'estomac
un fameux paquet, le médecin ne saurait me i otef, »
et. à une autre : « Isabelle, il en faut bien voir avant
de mourir. » Dessous-le Moustier avait tu, d'un autre
côlé, avec le berger de M. Coppée, au sujet de la dis-
parition des frères Thirion, un entretien qui avait dû
lui donner à réfléchir : « Vous verrez, lui disait son
interlocuteur, qu'un jour ou l'autre cela se découvrira.
Si ce n'est pas dans un an, ce sera dans deux. On est .
toujours vendu d'une manière ou d'autre ; Leurquin a
bien été vendu par sa femme. » On comprend dès lors
que Dessous-le-Moustier ait craint d'être vendu par la
sienne et qu'il l'ait fait périr par le poison*
Elle était devenue malade au commencement du
mois d'octobre. Le docteur Querton lui fit sa première
visite le 8 octobre. Il revint ensuite le 9, le 11., IrJ13, le
14, le 15, le 1G, le 17 et le 18, et ce lut le 18, vers
11 h. du soir, que la malade succomba. Lorsque le
docteur rencontra son mari, le lendemain, celui-ci se
borna à lui dire : « En v'hi une d'arfaire. » Mais le
docteur connaissait aussi bien que lui la cause de cette
affaire. Il avait soupçonné, en effet, un empoisonne-
ment dès sa première visite, et ses soupçons n'avaient
fait que s'accroître plus tard. Dessous-le-Moustier
donnait ordinairement à sa femme de l'eau d'orge tort
épaisse qu'il préparait lui-même et, chaque fois qu'elle
en prenait, elle éprouvait des vomissements.
Le docteur Querton réclama donc le concours d'un
second médecin, et l'accusé choisit le docteur Deneuf-
bourg, qui se rendit, le 15, avec Querton, auprès de
la malade. Elle avait de nouveau pris de L'eau d'orge
3ue son mari lui avait donnée à boire, et cette eau
d'orge avait produit le même résultat. Querton et De-
neufbourg recueillirent donc des matières vomies en
. leur présence, et la chimie a constaté depuis que ces
matières contenaient de l'arsenic.
Le 16 et le 17 octobre, un fmienx sensible.s'était dé-
claré; l'eau d'orge avait été supprimée. La femmç
Dessous-le-Moustier demanda au docteur si elle pou-
vait prendre du lait et. le docteur y consentit; mais le
18, dans l'après-midi, Dessous-le-Moustier avait donné
du lait à boire à sa femme et les vomissements s'é-
taient immédiatement reproduits avec les plus graves
symptômes. altération plus profonde des traits, pros-
tration extreme, syncopes, pouls petit, très-fréquent,
■ irréguker, battements tumultueux du cœur, anxiété,
refroidissement, douleur brûlante à la. gorge, et quel-
q-ues heures après, la malade était morte. Ses viscères,
analysés par la chimie, ont donné -la preuve que son
corps était saturé d'arsenie. On a trouvé, d'ailleurs,
dans la baraque de berger de Dessous-lc-Moustier un
paquet assez considérable de cette substance, et, dans
sa cave, sous un chantier où il mettait son tonneau de
bière, une bouteille contenant une composition arBé-
nicale.
Ces constatations autorisaient à croire que le vieux
Iiavrez, décédé à Ornu le 9 décembre 1868, avait péri
de la même manière, puisque Dessous-le-Moustier
avait les mêmes révélations à craindre de sa part que
de la part de sa femme. La justice fit donc procéder à
l'exhumation du vieux Havrez, et la chimie a constaté
de l'arsenic dans les viscères extraits de son cadavre,
dans la chemise qui lui servait de linceul et _ sur la
surface intérieure des planches de son cercueil,. bien ,
que ce cercueil fut en bois de chêne, qu'il n'eût subi
aucune altération, qu'il ne présentât ausune espèce de
fissure, et que l'arsenic trouvé à l'in'crienr ne put dès
lors provenir de la terre qui entourait le cercueil.
Bessous-le-Moustier a donc empoisonné son beau-
père et sa femme pour se débarrasser de deux témoins
qui auraient pu ie compromettre.
L'instruction touchait à son terme, quand la décou-
verte d'un nouveau crime vint exiger de nouvelles re-
cherches.
Dessous-le-Moustier avail successivement pr'se"tc à
l'escompte chez le banquier Lcmélll, à Saint-Ghislain, '
un billot à ordre, valeur reçue en_ marchartf'.ises,
souscrit à son' profit par Louis Loisselet, porte de
Bruxelles, à Ath, et une ti-aite, sur le même Loisselet,
rue de Druxel-les, n° 22,.à Ath, également causée va-
leur reçue en marchandises. Ces billets n'ayani. t as une
forme régulière, un elrs employés de M. Lerr.ai^ écri-
vit sur timbre une promesse de 1,000 francs à l'ordre
de Dessous-'.e-Mousticr. qui se chargea de la faire si-
gner par son débiteur. CeLte promesse, datée du 1er
octobre 18-69, était payable à Ath le 30 décembre.
... Revêtue de la signât tire du prétendu débiteur Lois-
self t, Dessous-le-Moustier l'escompta chez M. Léman
le 5 octobre. Mais cette signature était fausse, comme
le démontra l'instruction. EUe était même.l'œllvre de
l'accusé, comme le con-s.ite une expertise en écriture
et comme le prouve, dans son carnet, un fac-si-mile
pariait do la signature contrefaite.
Nous aurions pu •néglige*' ce crime- accessoire en
présence de trois assassinats et de deux empoisonne-
ments. Mais il explique comment l'accusé a pu et dû
fabriquer nn faux endossement à. son profit, sur le
billet'Dacus qu'il a pris dans la poohe d-e Gustave et
qu'il a escompté le 7 avril chez le banquier Léman.
En conséquence, etc.
DRAMES JUDICIAIRES
30 ANS
DE
LA VIE D'UN CONDAMNÉ
PREMIÈRE PARTIE
XXVII
Mathéus.
Le juge d'instruction !
On a beau être une jeune fille 'pure, innocente,
ignorante même des choses graves de ce monde,
ce mol de juge d'instruction n'en produit pas -n-
moins son effet, e^il est impossible de l'entendre
prononcer sans érrotion.
Hélène frémit, et tout un monde de sensations
inconnues passa en une seconde devant ses yeux.
Toutefois, use chose la frappa à ce moment
et son regard s'arrêta avec une fixité sin-
gulière s'ur le personnage qui se présentait à elle.
A tort ou à raison, il lui semblait retrouver
dans ce magistrat quelques-uns des traits de
monseigneur des Ursins, et il n'y avait pas jus-*
qu'à la voix même dont certaines intonations lui
donnèrent à penser.
Elle n'avait aucun motif pour se défier et pour-
tant, malgré elle, instinctivement, elle se tint sur
ses ga-rdcs.
Elle fit signe au magistrat qu'elle était prête à
le recevoir, remonta les marches qu'elle venait
de descendre et fit entrer les trois nouveaux venus
,dans un salon.
Elle indiqua alors un siége au juge d'instruc-
tion, et se retournant vers Geneviève :#
— Je ne sais, lui dit-elle à voix rapide et basse,
ce qui va se passer et -de quelle nature peut être
l'entretien que l'on réclame de moi ; mais tenez-
vous prête à tout, et attendez dans ma chamure
que je vo.us fasse préveriir. f§»'
Pendant qu'Hélène adressait cette recommanda-
tion"à son amie, le juge avait, de son côté, fait
signe à ses deux assesseurs de s'éloigner, et bien-
tôt Le magistrat et la jeune fille se trouvèrent seuls
en présence.
Il faut tout dire. «
Depuis la mort de sa grand'mère, un change-
ment bizarre s'était opéré chez Mlle Duprat.
Soit que les événements douloureux par lesquels
elle venait de pasior lui eussent communiqué
une énergie dont elle n'avait pas naguère le
soupçon, soit que son caractère se fût développé
tout à coup sous l'influence de circonstances ex-
ceptionnelles, elle s'était pour ainsi dire transfor-
mée depuis quelques jours.
* Ce n'était plus l'enfant timide, i-ndécise, trou-
blée que le lecteur a connue, c'était une femme
résolue, ferme, dont l'esprit avait en quelque sorte
mûri comme par miracle, et qui maintenant pou-
vait envisager sans trembler et le passé terrible
qu'elle venait de traverser, et l'avenir qui lui était
réservé.
Ce n'est pas là d'ailleurs un phénomène inusité,
et il est arrivé plus fréquemnient qu'on ne le
pense qu'une occasion imprévue a révélé une fer-
meté inattendue sous la mollesse et la passivité
d'un caractère qui s'ignorait.
Dès qu'elle se vit seule avec le juge, Hélène se
tourna vivement vers lui :
— Et maintenant, monsieur, dit-elle d'une voix
nette et bien accentuée, permutez-moi de vous
rappeler que j'allais sortir quand vous êtes arrivé,
et je vous serais reconnaissante d'abréger au-
tant que possible l'entretien que vous m'avez de-
manda.
Le juge s'inclina avec gravité.
— J'y songeais, mademoiselle, répondit-il, et
je ferai tout ce que pourrai pour vous être
agréable. Mais l'affaire qui m'amène ne doit pas
être traitée légèrement, et il importe de ne point
trop se hâter.
— De quoi s'agit-il donc?
— Je vais vous le dire dans une seconde ; et
quand je vous l'aurai fait connaître, j'espère que
vous ne regretterez pas le temps que vous allez
perdre, et que vous me saurez gré de la ruse à
laquelle j'ai recours 'en ce moment.
— Une ruse ! répéta Hélène étonnée.
Le iuge sourit. >
— Regardez-moi bien, mademoiselle, poursui-
vit-il; écoutez ma voix, et dites-moi si vous ne
trouvez pas qu'il' existe une certaine ressemblance
entre le juge qui vous parle et...
— Et, monseigneur des Ursins.
— N'est-ce pas?
— Cette ressemblance m'avait frappée, en effet,
et j'ai cherché un instant... «
— Ne cherchez plus. Cette resscmblance est
toute naturelle, puisque le juge et Mgr des Ursins
ne font qu'une seule et même personne.
Hélène recula '3e deux pas...
— Est-ce possible 1 s'écria-t-elle avec stupéfac-
tion; et dans quel but ce. déguisement ?
— Mon Dieu ! je suis , déguisé aujourd'hui en
magistrat, comme hier j'étais déguisé en prélat.
— Qui êtes-vous donc alors?
— Un agent de police.
— Monsieur!...
— Oh! il n'y a pas d'offense : voilà dix ans, on
m'appelait Mathéus, aujourd'hui on m'appelle le
père Mathieu.
- —Mais cela ne m'explique pas-pourquoi vous
êtes ici, et de quel droit.
— Nous y voici, et le moment est venu, je crois,
de quitter les chemins de traverse et d'aller droit
au but. Ecoutez-moi donc, mademoiselle, et com-
prenez surtout ce que je vais votis dire : — Il y a
dix ans, j'habitais Malte.
— Vous ! fit Hélène avec un cri et en devenant
pâle. *
— À celte époque, continua Mathéus, j'ai eu
l'honneur de rencontrer quelquefois et de con-
naître un peu Mme Duprat.
— Ma mère !
— J'étais encore dans l'ile, quand eut lieu l'hor-
rible assassinat dont Maie Duprat fut victime.
— Mon Dieu!
— Vous vous rappelez cet épouvantable forfait,
n'est-ce pas ?
— Taisez-vous ! taisez-vous ! 1
— Votre malheureuse mère"avait été assassinée
par un jeune Espagnol qui avait à peine vingt
ans, et qui s'appelait...
— Pedro !
— Vous vous en souvenez ?
— Le misérable !
Un sourire cruel crispa la lèvre de Mathéus.
— Oui, le misérable, répéta-t-il, il Savait eu
pitié ni de la beauté de la femme, ni de la vertu
de l'épouse, et il l'avait poignardée parce qu'elle
était belle et qu'elle refusait de se donner à lui.
— Pauvre mère ! balbutia Hél-ène, en laissant
tomber sa tète dans ses mains.
Toutefois cette défaillance furde courte durée.
Car presque aussitôt elle releva le front, et un
éclair -fauve jaillit de son regard.
— Vous me rappelez là, dit-elle avec une som-
bre énergie, un des plus horribles souvenirs de
mon enfance; cet homme, je m'en souviens à
peine; je le reverrais aujourd'hui que je ne lere-
cor'n,.ii',rai,s pas : mais tenez, je puis bien vous le
dire, quoique je ne vous connaisse pas et que
j'ignore quel but mystérieux vous voulez attein-
dre : depuis que j'existe, ce qui m'a rendue mal-
heureuse, ce qui a troubié mes plus pures joies,
ee qui a arrêté mes plus douces expansions, c'est
la pensée que cet homme a pu s'échapper des
mains de la justice, qu'il n'a pas reçu le châti-
ment de son crime, que ma mère n'a pas été
vengée !
Et comme Mathéus gardait le silence :
— Oh ! vivre seule, poursuivit-elle, comme se
parlant à elle-même, n'avoir personne à qui par-
ler de ses souffrances, c'est horrible, savez-vous?
et puis, je fàe disais toujours que cet homme
existe ; peut-être l'ai-je rencontré quelquefois ;
peut-être même /nos regards se sont-ils croisés.
Mais non ! non ! Dieu n'aurait pas permis une
telle impunité ; il est mort, il a péri, je ne le re-
verrai jamais,..
— Qui sait? fit Mathéus en se penchant vers la
jeune fille.
— Que voulez-vous dire?
i — je veux dire que Pedro existe.
— C'est impossible I
— Je l'ai vu.
— Mais êtes-vous certain que ce soit lui?
— Si j'avais pu en douter, je l'a,,irais reconnu à
sa main mutilée et aux deux doigts qui lui man-<
qncnt. - *
Hélène se tut.
Ce qui se passait en elle serait difficile à expli-
quer. Elle était presque autant épouvantée qu'at-
tendrie; un désordre inouï régnait dans son es-
prit, une agitation pleine de fièvre soulevait sa
poitrine.
— Oh ! cet homme ! cet homme ! dit-elle avec
une violence mal contenue, je veux que vous
m'aidiez à le retrouver ?
— Y êtes-vous bien résolue?
— Vous le demandez !
— C'est qu'il est puissant.
— Qu'importe ?
Il a changé de nom. La position qu'il occupe
aujourd'hui est considérable, et j'ajoute que, sans
vous en douter, vous l'avez souvent rencontré
dans votre monde.
Hélène étouffa un sa-nglot plein de colère.
— Lui ? .s'écria-t-elle, lui? Mais je veux savoir
son nom, alors ! je veux le connaître, je veux...
EMe n'acheva pas.
La porte venait de s'ouvrir, et sur le seuil elle
avait aperçu la figure impassible et pâle du duc
de Sorrente!
PIERRE ZACCONE.
(La suite à demain.)
LE TRÉSOR DU FOYER
MÉDECINE DE FAMILLE
Nouvelle application du charbon. — On connait
tout ce qui a été dit sur le charbon et sur les singuliè-
res propriétés d'un corps qui a une apparence d'i-
nertie, mais qui sert à absorber les gaz infects, à puri-
fier les eaux, ou à enlever aux liq-uides les suIs métalli-
ques :
Voici une nouvelle application de ce corps :
La Gazette médicale annonce que l'on a déoouvert
dans le charbon de bois un remède excellent contre
les brûlures. Uu morceau de charbon appliqué sur la
brûlure calme immédiatement la doule,,ir. Si on le laisse
pendant une heure, il la guérit complètement.
UN CONSEIL PAR JOUR
Se cr-jii'O Ill' grand esprit indique la bêtise.
Il faut. vous priser peu pour que chacun vous prise.
FRÉVILLE.
N. B. Nous donnerons ainsi,de temps en temps,
I quelques conseils en vers, extraits du Manuel du
Moraliste, publié dans la précieuse et célèbre col-
lection des manuels Roret, cette encyclopédie des
sciences et des arts, tenue au courant des progrès
de l'industrie, avec un soin et une habileté remar-
quables. — Henri d'Alleber.
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