Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1866-04-26
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 164718 Nombre total de vues : 164718
Description : 26 avril 1866 26 avril 1866
Description : 1866/04/26 (Numéro 1168). 1866/04/26 (Numéro 1168).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k270512q
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
FIGARO
tinuer à marcher. On met en réquisition un convoi civil, et on
dépose dans l'église de Los Yeranos, fortifiée à la hâte par le
génie français, les marchandises qu'il transportait jusqu'au
retour des animaux empruntés. Une compagnie de chasseurs
à pied, commandée par le lieutenant Chauffeur, reste pour les
garder.
il janvier. La colonne du général Castagny, qui a conti-
nué sa route, couche à Siquieros. Au réveil, on voit arriver le
fourrier de la compagnie Chauffeur. Quelle horrible nouvelle
quel désastre 1
La veille au soir, quinze cents cavaliers, commandés par Co-
rona, abandonnant la colonne Garnier, évitant la colonne Cas-
tagny, sont venus tomber sur la compagnie de chasseurs à pied
restée à Los Veranos. Le lieutenant Chauffeur et son sous-lieu-
tenant ont traversé trois fois ces masses à la baïonnette, mais
ces héros n'ont pu passer tous. Les débris de cette compagnie
sont à quelque distance ils arrivent blessé?, épuisé?, après
avoir erré toute la nuit dans les bois pour rallier les Français.
Le lieutenant Chauffeur est porté par ses hommes, il a trois
blessures.
Quelques prisonniers sont entre les mains de Corona; on
ignore leur sort.
On se reporte immédiatement sur Los Veranos pour se ven-
ger, En arrivant, point d'ennemis. Les traces d'une lutte terri-
ble ont bouleversé le terrain, l'église à moitié brûlée prouve
qu'on n'a eu raison de ses défenseurs qu'en les incendiant. Pas
une âme dans ce village. Tout le monde a fui épouvanté de-
vant la vengeance française qui arrive.
On s'arrête pour chercher les traces de l'ennemi et faire faire
le café aux troupes.
On s'installe pour la grande halte, les chasseurs d'Afrique
sont à l'abreuvoir, lorsqu'une forte colonne de cavalerie dé-
bouchant des profondeurs d'un bois de bananiers qui était sur
la gauche, fait irruption dans le camp et arrive presque sur le
général.
Le commandant de Montarby saute à cheval et s'élance le
premier, suivi d'une poignée de chasseurs d'Afrique.
Chacun rentrant successivement de l'abreuvoir se jette par
un, par deux, par trois sur l'ennemi.
Cet élan instinctif a sauvé le camp, Corona est repoussé
avec des pertes sérieuses, mais notre pauvre commandant est
tué, la tête fracassée d'un coup de revolver. Peu de chefs se-
̃ ront regrettés comme M. de Montarby.
19 JANVIER. Nous sommes installés à Mazatlan, où nous
trouvons l'escadre du Pacifique. Nous campons au bord de la
mer. Les hommes étant au pansage on voit se détacher
de la flotte un canot coquet qui gouverne sur le camp de cava-
lerie.
Nous allons au-devant de nos visiteurs, et nous retrouvons la
bonne figure de notre vieil ami le commandant Rosier. Il ne
commande plus l'Aube, il est capitaine de pavillon de l'amiral.
Il est heureux de revoir son 3e chasseurs d'Afrique. Il va ca-
resser les chevaux.
Hé! hé! mes dadas, leur dit-il, c'est pourtant moi qui
vous ai amenés ici.
Il cause avec nos hommes et passe plus de deux heures au
camp. Nous ne l'avions pas oublié, s'il s'est souvenu de
nous.
FÉVRIER ET mars. Des colonnes légères, sous lesordres des
colonels Garnier et Cotteret, des commandants Bréard, de Li-
gnières et Billot, sillonnent l'Etat de Sinaloa dans tous les sens,
pourchassant les bandes de Corona, détruisant leurs repaires et
rétablissant dans tous les pueblos (villages) des autorités hon-
nêtes.
Le soldat n'est pas tendre pendant toute cette partie de la
campagne on vient d'apprendre que les prisonniers de los
Veranos ont été massacrés par Corona. Il les faisait monter sur
des ânes, les yeux bandés, et les cavaliers mexicains s'exer-
çaient à les percer à coups de lance.
Ces faits se passaient sur la place du village el Verde, et les
dignes épouses de ces bandits, assises autour d'eux, applaudis-
saient, comme au cirque des taureaux.
Des détails précis nous sont donnés par le clairon de la com-
pagnie qui a échappé, comme par miracle, à ce massacre.
Au moment où arrivait son tour, il a dit à l'homme qui le gar-
dait, en détachant son petit manteau de chasseurs à pied
« Tiens, puisque je vais mourir, gardes cela en souvenir de
moi. » Le Mexicain tend la main pour prendre le manteau, notre
clairon le lui jette sur la tête, et, lui passant la jambe, s'enfuit
à travers bois.
Il erra pendant trois jours dans la forêt, marchant vers
l'Orient. Il se rappela avoir entendu dire à l'officier du ba-
taillon chargé de la topographie, que Mazatlan était à l'est. Ce
souvenir le sauva, il rencontra la mer, puis le port.
Cette guerre du Sinaloa prend un caractère un peu sauvage,
par suite des représailles qu'exercent les habitants qui mar-
chent avec nous, -car ici comme là-bas tous les gens qui ont
quelque chose à perdre se sont ralliées au drapeau de la France,
qui leur donne sécurité et protection.
Les bandes de Corona, qui lui-même n'est pas natif de
l'Etat de Sinaloa, sont des débris de l'armée de Juarez, et
nullement des habitants du pays. Le second chef des dissidents
est un Indien nommé Rubi, qui a soulevé les mineurs de Copala
et de Panuco, population étrangère au sol, vagabonds de mau-
vaise nature, et qui vivent en dehors des autres habitants.
Avant notre arrivée, ces deux chefs avaient exercé sur les
gens honnêtes du pays les exactions habituelles au parti libé-
ral, toujours au nom de la « liberté expirante. » Corona a même
été si loin; qu'il a été officiellement désavoué par Juarès.
Les populations si longtemps opprimées par ce monstre usent
largement de leur revanche et sont sans pitié pour les bandits
qui tombent entre leurs mains, en fuyant nos colonnes.
Corona, le bourreau des prisonniers de Los Veranos, ce tigre
à face' humaine, est, dit-on, un jeune homme de 23 ans, d'une
beauté féminine, blond et complètement imberbe. Vêtu en sim-
ple soldat, il marche toujours à côté d'un serviteur fidèle, qui
l'a vu naître. Celui-ci, d'une taille herculéenne, vêtu d'habits
splendides, attire l'attention de l'ennemi, et assumant sur lui
les dangers du combat, sert de bouclier à son maître.
Vingt fois surpris et serré de près, soit par les rancheros
(paysans), soit par nos troupes, vingt fois Corona, grâce à son
déguisement, nous a coulé dans les mains comme un serpent.
Mazatlan ne ressemble à rien de ce que nous avons vu jus-
qu'ici au Mexique. Ce port de mer, sur l'océan Pacifique, vis-à-
vis de San-Francisco, est, malgré son pavillon mexicain, une
ville américaine. On n'y parle espagnol que dans la basse classe.
L'anglais, le français et l'allemand servent aux relations des
négociants étrangers qui constituent la population réelle de
Mazatlan.
Les bar-rooms et les coffes-houses y remplacent les fondas
(hôtels) du centre du Mexique. Les boissons américaines
gin, sherry-cobleer, pale ale, y dominent. On les sert toujours
avec un énorme morceau de glace apportée chaque se-
maine par le vapeur de San-Francisco et le chalumeau de
paille, cher aux Yankees.
Nous avons en février jusqu'à 35 et 40 degrés de chaleur
à l'ombre.
La déroute des États du Sud nous amène bon nombre de par-
tisans américains qui, traversant le Texas, sont arrivés avec
armes et bagages à Mazatlan, pour coloniser.
Ils nous vendent leurs chevaux.
Je suis curieux d'examiner de près cette armée qui dit-on
préoccupe tous les esprits en Europe.
Je m'en étais douté s'ils sont tous pareils à l'échantillon
que nous avons là, l'armée des Etats-Unis ressemble beaucoup
au nommé Croque-Mitaine, dont on me menaçait quand j'étais
petit.
Un de ces grands guerriers un colonel, ma foi,- avec
des moustaches terribles, m'a vendu hier son cheval 200 dol-
lars (l,O0Ofr.). Le marché a été conclu devant Bank-Exchange-
le Helder de Mazatlan.
Me tendant d'une main les rênes du cheval, il a saisi avide-
ment les dollars de l'autre, et les engouffrant dans sa vaste
poche, il est entré en faisant sonner ses éperons dans la salle
du bar-room. °
Ce matin, quand je suis repassé à neuf heures, il lui restait
juste six réaux (3 fr. 50), et il me poursuivait- avec un hoquet
sentimental pour me vendre ses armes.
SONORA
avril. Le général de Castagny s'embarque avec le 51e et
notre escadron pour Guaymas.
La vue des cancns de la flotte a rejeté bien loin l'ennemi
qui a fait, pour l'honneur, un simulacre de résistance. On dé-
barque, sans brûler une amorce, dans la ville que nous a aban-
donnée Pesquiera.
On organise le gouvernement. On proclame l'empire. On ins-
talle surtout les douanes, comme à Mazatlan, car ces deux ports
importants sur le Pacifique sont pour l'Empire mexicain d'un
revenu énorme.
Guaymas a beaucoup d'analogie avec Mazatlan, mais est un
peu moins grand, un peu moins riche, un peu moins commer-
çant.
Le port est plus vaste et plus sûr que celui de Mazatlan.
Une seule rue longue et étroite compose toute la ville.
Ce qui différencie cette ville de Mazatlan, c'est surtout la pré-
sence des Indiens Yaquis, qui habitent sur les rives d'un petit
rio qui coule à quelques lieues de Guaymas où ils viennent tous
les jours vendre leurs légumes et leurs fruits. Ils ne recon-
naissent pas l'autorité du Mexique, et vivent indépendants et
inoffensifs sous le commandement du chef de leur tribu.
Les Apaches et les Comanches, au contraire, invisibles, insai-
sissables, errants dans les plaines immenses de la Sonora, ne
donnent signe d'existence que par le vol, le meurtre et l'incendie,
qu'ils laissent derrière eux comme une traînée sanglante, seule
trace de leur passage.
juin. Le général de Castagny a quitté Guaymas pour ren-
trer à Mazatlan. Le colonel Garnier commande Guaymas,
comme chef politique et militaire.
Nous ne connaissions que le soldat brillant, il nous montre
un diplomate profond. Il sait se rendre l'idole des tribus Yaquis,
Apaches et Comanches.
Le colonel Garnier sort de la ville avec quatre compagnies du
51°, et 80 chasseurs d'Afrique sous les ordres du commandant
Dufeyron.
A six lieues de Gueymas, la cavalerie marchant en avant-garde,
nous rencontrons une cinquantaine de lanciers mexicains qui
prennent la fuite, abandonnant le bétail qu'ils venaient d'enle-
ver dans un petit village.
Nous leur courons sus, et, tout en galoppant, nous faisons
beaucoup de chemin sans y prendre garde. Bref, nous débou-
chons sans nous en douter sur le camp de l'esquiera. Le
commandant Dufeyron n'hésite pas, nous traversons ce camp
à deux reprises, semant la terreur sur notre passage. Nous
avons perdu six hommes et le sous-lieutenant de Torreoren,
mais nous en avons tué beaucoup aussi.– Pesquiera avait 3,000
hommes.
Le colonel Garnier accourt en toute hâte avsc l'infanterie et
trouve la besogne à peu près terminée. « J'avais envie de vous
gronder, dit-il, au commandant Dufeyron, pour vous être en-
gagé sans moi, mais je n'en ai pas le courage en voyant ce que
vous avez fait. »
Nous rentrons à Guaymas, avec un butin considérable. Le
corps de notre pauvre ami de Torrebren est enterré à côté de
Raousset-Boulbon.
20 juillet. Je viens de voir de vrais sauvages, des sauvages
tout nus, comme ceux des romans de Cooper. J'ai envie de
leur demander s'ils ne s'appellent pas Uncas, le Grand-Serpent
ou le Renard-Subtil. Le chef est reçu par le colonel Garnier,
qui cause longtemps avec eux.
2 août. Le colonel Garnier est heureux, il a réussi, et
nous explique enfin ce secret qu'il gardait. La joie de ses succès
était troublée par la pensée qu'à soixante lieues de lui des ma-
rins français et quelques turcos étaient là prisonniers, mal-
heureux débris de l'affaire de Culliacan, dirigée par la ma-
rine.
Ils étaient prisonniers sur parole, ils ne pouvaient donc s'é-
vader.
Si l'on marchait avec une colonne française, l'ennemi les fe-
rait filer plus avant dans l'intérieur, si même on ne les fusillait
pas pour s'en débarrasser. Comment faire?
Le colonel se confie à un chef Yaquis. Celui-ci, avec sa
tribu, fait irruption la nuit dans la ville; enlève nos compa-
triotes, comme il eût volé des bœufs ou des chevaux, et les ra-
mène tranquillement à Guaymas.
t
SEPTEjiRKE. Le colonel Garnier a tellement travaillé l'es-
prit des populations, qu'il traverse toute la Sonora avec une
compagnie et un peloton de cavalerie, et s'en va- sans un
coup de feu proclamer l'empire de Maximilien à Urès et
Hermosillo, limites extrêmes du territoire mexicain.
J'ai vu la Sonora tout entière. Les récits merveilleux, les ro-
mans pleins de fantaisie qui se sont faits sur cette terre géné-
ralement inconnue, sont faux et mensongers. Des déserts, des
plaines arides, quelques richesses minérales qui ne sont pas as-
sez grandes pour compenser les frais d'extraction, voilà la vé-
rité sur ce pays, en dépit des racontars de soi-disant voyageurs
qui n'y ont jamais été.
Mais la belle, la riche, la profitable colonie que je souhaiterais
à ma patrie, c'est l'Etat de Sinaloa.
Fortifié naturellement par les défilés inaccessibles de la
Sierra-Madra, dont les contre-forts l'entourent de toutes parts,
ce coin de terre se garderait avec une poignée de troupes ai-
dée d'une faible station navale pour commander le port. Tout y
abonde. Des forêts que la hache n'a jamais entamées donneraient
des bois de construction sans égaux, descendant jusqu'au port
par la rivière du Présidio, très canalisable. Les mines de Panuen,
de Copala, y sont en pleine exploitation d'autres filons déjà
découverts n'attendent que des bras pour livrer leurs richesses.
Le coton, que les Américains réfugiés du Sud y sont venus
planter cette année, a dépassé les espérances les plus ambi-
tieuses. Les tabacs, la canne à sucre, le café, les fruits destro-
piques y sont en plein rapport. On y peut obtenir toutes ces cul-
tures, par la raison bien simple que son sol accidenté y pré-
sente toutes les altitudes et, par conséquent, toutes les tempé-
ratures. Les pins et la neige de Las Russias sont à dix lieues de
là, au bas de la montagne, remplacés par les orangers en fleurs
de Durasnito. Et, de plus. Au fait, tout ceci ne me regarde
pas.
29 octorre. Parti d'Afrique pour le Mexique, sans avoir
eu le temps de passer en France, il y a neuf ans que je n'ai
vu ma famille.
Les Terres-Chaudes m'ont un peu fatigué. J'obtiens un congé
de convalescence; j'en profite.
6 DÉCIEMBRE. Je me mets en route pour Vera-Cruz, rame-
nant les hommes libérables. Je traverse de nouveau le Mexique
dans toute sa longueur.
Après deux mois de route, je m'embarque, le 1er février 1866,
sur le Jura.
1868
3 AVRIL. J'arrive à Paris, que je ne reconnais plus,
tant il est changé. Je rencontre le directeur du Figaro, qui
est un vieil ami. Le traître me vole mon journal de mar-
che, qui n'avait été écrit que pour faire plus tard le déses-
poir de mes connaissances, quand je serai un vieux gro-
gnon de retraité. r1 '̃'̃̃'̃
19 AVRIL. Le Figaro parait. Je suis effrayé de relire,.
tinuer à marcher. On met en réquisition un convoi civil, et on
dépose dans l'église de Los Yeranos, fortifiée à la hâte par le
génie français, les marchandises qu'il transportait jusqu'au
retour des animaux empruntés. Une compagnie de chasseurs
à pied, commandée par le lieutenant Chauffeur, reste pour les
garder.
il janvier. La colonne du général Castagny, qui a conti-
nué sa route, couche à Siquieros. Au réveil, on voit arriver le
fourrier de la compagnie Chauffeur. Quelle horrible nouvelle
quel désastre 1
La veille au soir, quinze cents cavaliers, commandés par Co-
rona, abandonnant la colonne Garnier, évitant la colonne Cas-
tagny, sont venus tomber sur la compagnie de chasseurs à pied
restée à Los Veranos. Le lieutenant Chauffeur et son sous-lieu-
tenant ont traversé trois fois ces masses à la baïonnette, mais
ces héros n'ont pu passer tous. Les débris de cette compagnie
sont à quelque distance ils arrivent blessé?, épuisé?, après
avoir erré toute la nuit dans les bois pour rallier les Français.
Le lieutenant Chauffeur est porté par ses hommes, il a trois
blessures.
Quelques prisonniers sont entre les mains de Corona; on
ignore leur sort.
On se reporte immédiatement sur Los Veranos pour se ven-
ger, En arrivant, point d'ennemis. Les traces d'une lutte terri-
ble ont bouleversé le terrain, l'église à moitié brûlée prouve
qu'on n'a eu raison de ses défenseurs qu'en les incendiant. Pas
une âme dans ce village. Tout le monde a fui épouvanté de-
vant la vengeance française qui arrive.
On s'arrête pour chercher les traces de l'ennemi et faire faire
le café aux troupes.
On s'installe pour la grande halte, les chasseurs d'Afrique
sont à l'abreuvoir, lorsqu'une forte colonne de cavalerie dé-
bouchant des profondeurs d'un bois de bananiers qui était sur
la gauche, fait irruption dans le camp et arrive presque sur le
général.
Le commandant de Montarby saute à cheval et s'élance le
premier, suivi d'une poignée de chasseurs d'Afrique.
Chacun rentrant successivement de l'abreuvoir se jette par
un, par deux, par trois sur l'ennemi.
Cet élan instinctif a sauvé le camp, Corona est repoussé
avec des pertes sérieuses, mais notre pauvre commandant est
tué, la tête fracassée d'un coup de revolver. Peu de chefs se-
̃ ront regrettés comme M. de Montarby.
19 JANVIER. Nous sommes installés à Mazatlan, où nous
trouvons l'escadre du Pacifique. Nous campons au bord de la
mer. Les hommes étant au pansage on voit se détacher
de la flotte un canot coquet qui gouverne sur le camp de cava-
lerie.
Nous allons au-devant de nos visiteurs, et nous retrouvons la
bonne figure de notre vieil ami le commandant Rosier. Il ne
commande plus l'Aube, il est capitaine de pavillon de l'amiral.
Il est heureux de revoir son 3e chasseurs d'Afrique. Il va ca-
resser les chevaux.
Hé! hé! mes dadas, leur dit-il, c'est pourtant moi qui
vous ai amenés ici.
Il cause avec nos hommes et passe plus de deux heures au
camp. Nous ne l'avions pas oublié, s'il s'est souvenu de
nous.
FÉVRIER ET mars. Des colonnes légères, sous lesordres des
colonels Garnier et Cotteret, des commandants Bréard, de Li-
gnières et Billot, sillonnent l'Etat de Sinaloa dans tous les sens,
pourchassant les bandes de Corona, détruisant leurs repaires et
rétablissant dans tous les pueblos (villages) des autorités hon-
nêtes.
Le soldat n'est pas tendre pendant toute cette partie de la
campagne on vient d'apprendre que les prisonniers de los
Veranos ont été massacrés par Corona. Il les faisait monter sur
des ânes, les yeux bandés, et les cavaliers mexicains s'exer-
çaient à les percer à coups de lance.
Ces faits se passaient sur la place du village el Verde, et les
dignes épouses de ces bandits, assises autour d'eux, applaudis-
saient, comme au cirque des taureaux.
Des détails précis nous sont donnés par le clairon de la com-
pagnie qui a échappé, comme par miracle, à ce massacre.
Au moment où arrivait son tour, il a dit à l'homme qui le gar-
dait, en détachant son petit manteau de chasseurs à pied
« Tiens, puisque je vais mourir, gardes cela en souvenir de
moi. » Le Mexicain tend la main pour prendre le manteau, notre
clairon le lui jette sur la tête, et, lui passant la jambe, s'enfuit
à travers bois.
Il erra pendant trois jours dans la forêt, marchant vers
l'Orient. Il se rappela avoir entendu dire à l'officier du ba-
taillon chargé de la topographie, que Mazatlan était à l'est. Ce
souvenir le sauva, il rencontra la mer, puis le port.
Cette guerre du Sinaloa prend un caractère un peu sauvage,
par suite des représailles qu'exercent les habitants qui mar-
chent avec nous, -car ici comme là-bas tous les gens qui ont
quelque chose à perdre se sont ralliées au drapeau de la France,
qui leur donne sécurité et protection.
Les bandes de Corona, qui lui-même n'est pas natif de
l'Etat de Sinaloa, sont des débris de l'armée de Juarez, et
nullement des habitants du pays. Le second chef des dissidents
est un Indien nommé Rubi, qui a soulevé les mineurs de Copala
et de Panuco, population étrangère au sol, vagabonds de mau-
vaise nature, et qui vivent en dehors des autres habitants.
Avant notre arrivée, ces deux chefs avaient exercé sur les
gens honnêtes du pays les exactions habituelles au parti libé-
ral, toujours au nom de la « liberté expirante. » Corona a même
été si loin; qu'il a été officiellement désavoué par Juarès.
Les populations si longtemps opprimées par ce monstre usent
largement de leur revanche et sont sans pitié pour les bandits
qui tombent entre leurs mains, en fuyant nos colonnes.
Corona, le bourreau des prisonniers de Los Veranos, ce tigre
à face' humaine, est, dit-on, un jeune homme de 23 ans, d'une
beauté féminine, blond et complètement imberbe. Vêtu en sim-
ple soldat, il marche toujours à côté d'un serviteur fidèle, qui
l'a vu naître. Celui-ci, d'une taille herculéenne, vêtu d'habits
splendides, attire l'attention de l'ennemi, et assumant sur lui
les dangers du combat, sert de bouclier à son maître.
Vingt fois surpris et serré de près, soit par les rancheros
(paysans), soit par nos troupes, vingt fois Corona, grâce à son
déguisement, nous a coulé dans les mains comme un serpent.
Mazatlan ne ressemble à rien de ce que nous avons vu jus-
qu'ici au Mexique. Ce port de mer, sur l'océan Pacifique, vis-à-
vis de San-Francisco, est, malgré son pavillon mexicain, une
ville américaine. On n'y parle espagnol que dans la basse classe.
L'anglais, le français et l'allemand servent aux relations des
négociants étrangers qui constituent la population réelle de
Mazatlan.
Les bar-rooms et les coffes-houses y remplacent les fondas
(hôtels) du centre du Mexique. Les boissons américaines
gin, sherry-cobleer, pale ale, y dominent. On les sert toujours
avec un énorme morceau de glace apportée chaque se-
maine par le vapeur de San-Francisco et le chalumeau de
paille, cher aux Yankees.
Nous avons en février jusqu'à 35 et 40 degrés de chaleur
à l'ombre.
La déroute des États du Sud nous amène bon nombre de par-
tisans américains qui, traversant le Texas, sont arrivés avec
armes et bagages à Mazatlan, pour coloniser.
Ils nous vendent leurs chevaux.
Je suis curieux d'examiner de près cette armée qui dit-on
préoccupe tous les esprits en Europe.
Je m'en étais douté s'ils sont tous pareils à l'échantillon
que nous avons là, l'armée des Etats-Unis ressemble beaucoup
au nommé Croque-Mitaine, dont on me menaçait quand j'étais
petit.
Un de ces grands guerriers un colonel, ma foi,- avec
des moustaches terribles, m'a vendu hier son cheval 200 dol-
lars (l,O0Ofr.). Le marché a été conclu devant Bank-Exchange-
le Helder de Mazatlan.
Me tendant d'une main les rênes du cheval, il a saisi avide-
ment les dollars de l'autre, et les engouffrant dans sa vaste
poche, il est entré en faisant sonner ses éperons dans la salle
du bar-room. °
Ce matin, quand je suis repassé à neuf heures, il lui restait
juste six réaux (3 fr. 50), et il me poursuivait- avec un hoquet
sentimental pour me vendre ses armes.
SONORA
avril. Le général de Castagny s'embarque avec le 51e et
notre escadron pour Guaymas.
La vue des cancns de la flotte a rejeté bien loin l'ennemi
qui a fait, pour l'honneur, un simulacre de résistance. On dé-
barque, sans brûler une amorce, dans la ville que nous a aban-
donnée Pesquiera.
On organise le gouvernement. On proclame l'empire. On ins-
talle surtout les douanes, comme à Mazatlan, car ces deux ports
importants sur le Pacifique sont pour l'Empire mexicain d'un
revenu énorme.
Guaymas a beaucoup d'analogie avec Mazatlan, mais est un
peu moins grand, un peu moins riche, un peu moins commer-
çant.
Le port est plus vaste et plus sûr que celui de Mazatlan.
Une seule rue longue et étroite compose toute la ville.
Ce qui différencie cette ville de Mazatlan, c'est surtout la pré-
sence des Indiens Yaquis, qui habitent sur les rives d'un petit
rio qui coule à quelques lieues de Guaymas où ils viennent tous
les jours vendre leurs légumes et leurs fruits. Ils ne recon-
naissent pas l'autorité du Mexique, et vivent indépendants et
inoffensifs sous le commandement du chef de leur tribu.
Les Apaches et les Comanches, au contraire, invisibles, insai-
sissables, errants dans les plaines immenses de la Sonora, ne
donnent signe d'existence que par le vol, le meurtre et l'incendie,
qu'ils laissent derrière eux comme une traînée sanglante, seule
trace de leur passage.
juin. Le général de Castagny a quitté Guaymas pour ren-
trer à Mazatlan. Le colonel Garnier commande Guaymas,
comme chef politique et militaire.
Nous ne connaissions que le soldat brillant, il nous montre
un diplomate profond. Il sait se rendre l'idole des tribus Yaquis,
Apaches et Comanches.
Le colonel Garnier sort de la ville avec quatre compagnies du
51°, et 80 chasseurs d'Afrique sous les ordres du commandant
Dufeyron.
A six lieues de Gueymas, la cavalerie marchant en avant-garde,
nous rencontrons une cinquantaine de lanciers mexicains qui
prennent la fuite, abandonnant le bétail qu'ils venaient d'enle-
ver dans un petit village.
Nous leur courons sus, et, tout en galoppant, nous faisons
beaucoup de chemin sans y prendre garde. Bref, nous débou-
chons sans nous en douter sur le camp de l'esquiera. Le
commandant Dufeyron n'hésite pas, nous traversons ce camp
à deux reprises, semant la terreur sur notre passage. Nous
avons perdu six hommes et le sous-lieutenant de Torreoren,
mais nous en avons tué beaucoup aussi.– Pesquiera avait 3,000
hommes.
Le colonel Garnier accourt en toute hâte avsc l'infanterie et
trouve la besogne à peu près terminée. « J'avais envie de vous
gronder, dit-il, au commandant Dufeyron, pour vous être en-
gagé sans moi, mais je n'en ai pas le courage en voyant ce que
vous avez fait. »
Nous rentrons à Guaymas, avec un butin considérable. Le
corps de notre pauvre ami de Torrebren est enterré à côté de
Raousset-Boulbon.
20 juillet. Je viens de voir de vrais sauvages, des sauvages
tout nus, comme ceux des romans de Cooper. J'ai envie de
leur demander s'ils ne s'appellent pas Uncas, le Grand-Serpent
ou le Renard-Subtil. Le chef est reçu par le colonel Garnier,
qui cause longtemps avec eux.
2 août. Le colonel Garnier est heureux, il a réussi, et
nous explique enfin ce secret qu'il gardait. La joie de ses succès
était troublée par la pensée qu'à soixante lieues de lui des ma-
rins français et quelques turcos étaient là prisonniers, mal-
heureux débris de l'affaire de Culliacan, dirigée par la ma-
rine.
Ils étaient prisonniers sur parole, ils ne pouvaient donc s'é-
vader.
Si l'on marchait avec une colonne française, l'ennemi les fe-
rait filer plus avant dans l'intérieur, si même on ne les fusillait
pas pour s'en débarrasser. Comment faire?
Le colonel se confie à un chef Yaquis. Celui-ci, avec sa
tribu, fait irruption la nuit dans la ville; enlève nos compa-
triotes, comme il eût volé des bœufs ou des chevaux, et les ra-
mène tranquillement à Guaymas.
t
SEPTEjiRKE. Le colonel Garnier a tellement travaillé l'es-
prit des populations, qu'il traverse toute la Sonora avec une
compagnie et un peloton de cavalerie, et s'en va- sans un
coup de feu proclamer l'empire de Maximilien à Urès et
Hermosillo, limites extrêmes du territoire mexicain.
J'ai vu la Sonora tout entière. Les récits merveilleux, les ro-
mans pleins de fantaisie qui se sont faits sur cette terre géné-
ralement inconnue, sont faux et mensongers. Des déserts, des
plaines arides, quelques richesses minérales qui ne sont pas as-
sez grandes pour compenser les frais d'extraction, voilà la vé-
rité sur ce pays, en dépit des racontars de soi-disant voyageurs
qui n'y ont jamais été.
Mais la belle, la riche, la profitable colonie que je souhaiterais
à ma patrie, c'est l'Etat de Sinaloa.
Fortifié naturellement par les défilés inaccessibles de la
Sierra-Madra, dont les contre-forts l'entourent de toutes parts,
ce coin de terre se garderait avec une poignée de troupes ai-
dée d'une faible station navale pour commander le port. Tout y
abonde. Des forêts que la hache n'a jamais entamées donneraient
des bois de construction sans égaux, descendant jusqu'au port
par la rivière du Présidio, très canalisable. Les mines de Panuen,
de Copala, y sont en pleine exploitation d'autres filons déjà
découverts n'attendent que des bras pour livrer leurs richesses.
Le coton, que les Américains réfugiés du Sud y sont venus
planter cette année, a dépassé les espérances les plus ambi-
tieuses. Les tabacs, la canne à sucre, le café, les fruits destro-
piques y sont en plein rapport. On y peut obtenir toutes ces cul-
tures, par la raison bien simple que son sol accidenté y pré-
sente toutes les altitudes et, par conséquent, toutes les tempé-
ratures. Les pins et la neige de Las Russias sont à dix lieues de
là, au bas de la montagne, remplacés par les orangers en fleurs
de Durasnito. Et, de plus. Au fait, tout ceci ne me regarde
pas.
29 octorre. Parti d'Afrique pour le Mexique, sans avoir
eu le temps de passer en France, il y a neuf ans que je n'ai
vu ma famille.
Les Terres-Chaudes m'ont un peu fatigué. J'obtiens un congé
de convalescence; j'en profite.
6 DÉCIEMBRE. Je me mets en route pour Vera-Cruz, rame-
nant les hommes libérables. Je traverse de nouveau le Mexique
dans toute sa longueur.
Après deux mois de route, je m'embarque, le 1er février 1866,
sur le Jura.
1868
3 AVRIL. J'arrive à Paris, que je ne reconnais plus,
tant il est changé. Je rencontre le directeur du Figaro, qui
est un vieil ami. Le traître me vole mon journal de mar-
che, qui n'avait été écrit que pour faire plus tard le déses-
poir de mes connaissances, quand je serai un vieux gro-
gnon de retraité. r1 '̃'̃̃'̃
19 AVRIL. Le Figaro parait. Je suis effrayé de relire,.
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