Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1866-04-29
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 164718 Nombre total de vues : 164718
Description : 29 avril 1866 29 avril 1866
Description : 1866/04/29 (Numéro 1169). 1866/04/29 (Numéro 1169).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG69 Collection numérique : BIPFPIG69
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Description : Collection numérique : France-Brésil Collection numérique : France-Brésil
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k2705133
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
FIGARO
dans la ville, on serait tenté de croire qu'une moitié est sans
cesse occupée à écrire, à composer, à imprimer, à corriger, à
afficher, à crier, à vendre, et l'autre à acheter, à épeler, à lire
età digérer. Il y a des esprits moroses, mauvaise graine de la
race d'Alceste, que ce mouvement afflige.
Tant d'encre assombrit leur pensée. Il en est d'autres, heu-
reusement, plus rappro liés de la tournure d'esprit de Can-
dide, que ce remue-ménage des feuilles littéraires égaie au
plus haut point. Comme la politique nous a tous trompés ou
lassés, ils voient dans ces jeux de l'imagination et de la chro-
nique un passe-temps qui empêche l'esprit national de se
rouiller. D'ailleurs qui peut dire que de ces montagnes de fa-
tras il ne sortira pas, un jour ou l'autre, un homme, une œu-
vre ou une grande pensée? A côté de tout cela, Paris a peur,
mais savez-vous de quoi? Il s'est créé une habitude de lire et
il y tient. Son effroi vient de ce que quelque chose pourrait
venir à manquer. Ce quelque chose, ce n'est pas la disette
d'écrivains.
Notre génération de Petits-Poucets de l'écritoire est sans
nombre et inépuisable. On appréhende que les usines, peu fai-
tes à une si grande consommation d'étoffes, ne s'arrêtent et que
la pâte à papier ne s'épuise.
Alter.
LES IMPASSIBLES
J'avançais récemment qu'il n'y a plus d'Ecole littéraire en
France.
Le groupe dont je vais parler n'en est point une, si l'on
veut qu'une école s'impose au dehors, s'appuie sur un public.
Mais si, la question d'influence écartée, on entend par là toute
famille d'écrivains ayant sa poétique spéciale, ses dogmes par-
ticuliers, s'aifimant à l'exclusion de tout ce qui n'et pas elle,
proclamant qu'elle seule possède la vérité littéraire, le groupe
des impassibles forme certainement une école. Peu nom-
breuse, sans doute, c'est l'égfise réduite aux proportions de la
chapelle, et d'une chapelle où le célébrant n'aurait guère pour
auditoire que les enfants de chœur nécessités par les réponses
-et par l'encensoir.
Aussi, parler d'une semblable école, c'est presque pénétrer
dans la poésie privée.
Mais si l'influence extérieure est nulle, la prétention est con-
sidérable, monstrueuse, inouïe, et, par là, vaut qu'on la signale.
Je ne sais pas, dans 1 histoire des littératures, un cas patholo-
gique plus étonnant.
Les impassibles (le mot le dit) excluent la passion des ou-
vrages d'art et de poésie.
« Sans insen-ibilité, point de chef-d'œuvre. »
Comme il arrive pour les plus absurdes et les plus vaines
théories, celle-ci part d'un principe d'esthétique tout à fait in-
contestable, mais faussé. perverti. Ce mensonge a pour tige une
vérité. La vérité, la voi.'i
Que le sens du livre ou du drame sorte naturellement et
de lai-même, sans que l'écrivain l'en tire, des situations
exprimées. Expose, ne plaide pas. Distribue la terreur, la pi-
tié, le comique d'une main invisible. Gouverne le combat du
haut de la colline et n'y descends jamais. Sois maître de toi
pour rester maître des acteurs et du public. Domine ton
œuvre. Sois impersonnel.
La supériorité de Shakspeare, de Molière et de Balzac vient
de leur impersonnalité.
Le poëte, pour cela. ne serait-il que cerveau ? Mais, alors,
comment nous passionnerait-il? D'où partiraient ces cris suprê-
mes qui traversant le drame et où l'humanité éperdue se re-
connaît P Le poëte, rien qu'un cerveau Non pas; mais une
âme aussi, une âme avant tout, immensément impressionnable
et vibrante. Le poëte esc réel ement tous ses personnages (Eh!
peut-on observer les autres ailleurs qu'en soi-même?); par
un privilège divin, il souffre la passion universelle mais il lui
est donné de se dédoubler, pour ainsi dire, d'assister à ses
propres déchirements avec impartialité, de se faire le critique
de ses plus violentas sensations en lui le moraliste et l'artiste
travaillent parallèlement à l'homme qui éprouve, et avec une
clairvoyance dé-intê: essée qui, mettant chaque chose à son
point juste, chaque personnage à son rang logique, établit l'har-
monie de l'œuvre; si bien que, l'ceuvre terminée, on n'aper-
çoit plus que l'artiste. L'homme a disparu. Seulement, tout
vient de l'homme, il est la source.
Les impassibles, eux, se refusent à commencer par être des
hommes.
Non-Sfulementils ne veulent pas qu'on soupçonne en eux
ombre d'émotion, mais ils ne veulent pas être émus bien
plus, ils seraient désolés n'émouvoir! « Un poëte qui passionne
est un poëte inférieur; un chef-d'œuvre qui touche, un chef-
d'œuvre manqué. »
Le suprême de l'art, suivant eux, consiste à provoquer une
approbation purement intellectuelle, abstraite, dirais-je, s'il
y avait un grain de philosophie dans ces têtes vides.
Un jeune écrivain de nos amis combattant ces doctrinaires
de l'insensibilité
« Monsieur, i terrompit sévèrement un d'entre eux, le Par-
thénon ne m'a jamais fait ni rire ni pleurer. »
Comme le jeune écrivain ins>stait et, pour montrer que la
douleur inspire d'admirables poèmes, citait la Lettre à M. de
Lamarti e, d'Alfred de Musset
« Alors, riposa le même impassible, l'omnibus qui écrase
un petit enfant fait de la poésie ? » o
Et voila comme on foudroie un adversaire! Notre ami, cela
va sans dire, resta bouche close devant cette belle raison et se
tint pour foudroyé.
Ce qui rend particulièrement curieux le cas de messieurs les
impassibles, c'est qu'ils appliquent leur théorie justement
dans la poésie lyriqus, tout à fait passionnée de sa nature et
dont on pourrait dire qu'elle est la sensibilité mise en stro-
phes.
Ils n'ont point d'indignation, d'amour ni de haine ( et s'en
vantent) De là leur supériorité lyrique.
« Soyons sereins, mes frères! J uoos de la lyre sur les hau-
t urs inaccessibles à l'âme humaine; exprimons le vide et le
néant, n'exprimons rien!- Faisons des vers comme en feraient
les cadavres, s'ils pouvaient écrire. Notre Parnasse n'est pas
de ce monde. »
Il n'est pas de ce monde, en effet. Rien de ce qui s'y passe
ne nous impressionne, aucune joie, aucune douleur publique
n'altèrent la séiénité de ces lyriques à l'envers.
Les mots de patrie et de liberté ont le privilége de leur dé-
dain.
Ils n'aiment donc rien? ils ne croient à rien? P
Si.
En politique, ils croient au rhythme;
En philosophie, au rhythme;
En morale, au rbuhme;
Le rhy-y-y-thmel le rhy-y-y-thme!
Oh! les Brid'oison du Pinde
♦
Quelque ferme résolution qu'on ait de ne pas s'émouvoir, de
ne se départir jamais de cette insensibilité superbe à laquelle
on reconnalt les forts, cela n'est point aisé dans un sujet con-
temporain. Bon gré mal gré, le présent noua passionne. Aussi, les
impassibles, décidés à ne pas compromettre leur impassibilité,
s'adressent-ils de préférence à des temps et des pays tellement
éloignés qu'on est, en les traitant, sûrement prémuni contre
les « surprises du cœur. »
Voilà d'où sont nés tant de petits néo-grecs, et pourquoi nous
avons eu, dans ces dernières années, une resucée de mytholo-
gie, b en inattendue après tous les poëmes antiques de Tliéo-
dore de Banville.
Théodore de Banville, au moins, se jouait dans les sujets
païens avec la grâce, un peu mignarde et précieuse, mais fran-
çaise après tout, des peintres et sculpteurs du dix-huitième
siècle. Il restait moderne et de son pays quand même.
Ses déesses sont vraiment femmes, quelques-uns disent
parisiennes. Anachronisme, si l'on veut, mais piquant et qui
donne leur originalité à ces odelettes brillantes et légères eu
triomphe le caprice. Et le caprice, ici, n'exclue pas la passion
sous le vent brûlant de l'inspiration lyrique on voit parfois les
marbres anciens palpiter et frémir comme une chair vivante!
Ce n'était pas le compte de messieurs les impassibles qui,
tout au rebours de Banville, se glorifient de faire des marbres
avec des hommes et tiennent la passion pour ennemie de la
beauté la beauté, suivant eux, n'allant pas sans X inexpression.
Aus>i résolurent-ils de rendre aux Olympiens leur immobilité
sereine, troublée, profanée par un poëte impie. Nymphes et
Faunes, Amadryades et Sy. vains, Sous-Dieux et quarts de
Dieux, pas une Fiore, pas une Pomone, réduite au rôle d'é-
pouvantail à moineaux dans les vergers bourgeois, pas un
Vertumne rouillé par la pluie, écaillé par la grêle, devant qui
les impassibles n'aient lait amende honorable, pour cette
grande profanation, en vers pompeux, compassés, vides et
didactiques.
Ce fut un véritable déluge d'odes expiatoires, déluge où se
noyèrent tous ces poëtereaux que l'originalité ne portait point,
à moins qu'on ne soit original pour appeler Vénus Kypris;
Jupiter Zeus Bacchus Dionysos; Hercule Héraclès; Sa-
pho Sappho (avec deux p).
Ah! comme cet étalage d'érudition pittoresque, venant de
gens dont la plupart ne sauraient lire, dans le texte, une demi-
page d Homère; comme cette affectation de mots grecs fichés,
en guise de grains de beauté, sur la poésie françiise, nous eût
amusés et fait rire, si les pédants n'étaient toujours si pro-
fondément ennuyeux
Quelques impassibles, altérés de variété, faisaient alterner la
Chine avec la Grèce, les tours du porcelaine avec les blancs
parthénons, et les mandarins avec les nymphes, décrivant le
tout avec la patience la plus minutieuse. Car ce n'est p-s une
des moins folles prétentions de cette école, qui vise pourtant
à l'exactitude plastique, que de peindre ce qu'elle n'a jamais vu
Certes, l'Olympe est vaste, et la Chine a bien des mandarins,
tous plus jolis les uns que les autres en leurs robes multico-
lores, et se prêtant à merveille aux épiihrtes voyantes.
Mais, comme disent les paysans, il n'est pré si dru qui ne se
tonde.
Les mythologistes les mieux informés, les magomanes les
plus retors ne surent bientôt plus de quel foin nourrir leur
Pégase.
Que faire? Revenir à la poésie vivante, exprimer l'amour
tout naïvement, un amour qui ne s'appellerait pas Eros, qui ne
serait pas de marbre ou de pierre? Y pensez-vous? Et voulez-
vous donc abaisser l'art divin jusqu'à l'âme humaine? P
Non, certainement! Aussi, ne méconnaissons-nous point la
beauté des motifs qui viennent de pousser les néo-grecs à se
faire devinez. Poëies indiens.
M. Leconte de Lisle est le grand-prêtre de la pagode où se
célébreront désormais les mystères du Rhythme s-icré. Voilà
que, sur un signe de ce vénérable Richi, les impassibles plon-
gent au plus profond des théogonies asiatiques, et chacun re-
monte avec sa demi-douzaine de petites idoles, qu'il parera
tout à l'heure de bibelots et de verroteries lyriques, mettant
à cette besogne la gravité d'un bambin qui fait toilette à sa
poupée neuve.
Puis, quelle gloire d'introduire dans la poésie française une
foule de mots exotiques et de noms à consonnances bizarres
qu'elle ne connaissait point encore
A Zeus et Dionysos ont déjà succédé (eans compter les dieux)
quelques centaines de héros qui se nomment Rama, Çunacépa,
Daçaratha, Lakçmana, Civa, Cwarga, Ubeldéd- E' -cetera,
Stcœtera. Et le Laurier-rose a fait place au Lotos,- entendez-
vousP Lotos. On ne disait plus Cyp-is, oo disait Kypris; on
ne dit plus lotus, il faut dire lotos, ou l'on n'est que le dernier
des impassibles.
x,
A choses mortes, langue morte. Les impassibles, gens logi-
ques, professent le culte de la période roid figée Ils frap-
pent leurs strophes. Un de ces messieurs proclamait, l'autre
jour, l'duteur de Salammbô, un prosateur bien supérieur à Di-
derot, Diderot ayant cette infirmité
La vie et le mou.ement dans le style.
Ce qui revient à préferer M. Leconte de Lisle à Lafontaine.
Ils préfèrent, en effet, M. Leconte.
Ain>i, M. Fiaubert en prose, M. Leconte de Lisle en poésie,
voila les modèles de ces jeunes gens qui se disent u formistes. »
De la forme, ils en ont, je l'accorde; mais de style, point-
Tous font très facilement des vers difficiles Le malheur est
qn'ils les font égrlemenl rien ne se ressembla comme deux
formistes, et cela par la raison toute simple que la forme est
chose artificielle et convenue qui s'apprend comme l'orthographe
ou le trapèze. Une aptitude spéciale, native, n'est point néces-
s ire. il suffit de s'ixercer. Au bout de quelques mois'd'exercices
le moindre f,buliste de province disloquera son vers très con-
veniblemeot, j^, le lui garantis, et fera des effets de césure ou
de rejet comme on fait des effets de muscles à ravir toute
une galerie de gobe-mouches littéraires.
Procédé, procédé pur.
.La « Grande Lyre » a pour corde des ficelles qui n'échappent
à personne.
Et dire qu'on voit, mêlés à ce troupeau ruminant des im-
passibles, quelques jeunes gens d'une réelle intelligence N'est-
il pas triste qu'ils se dépensent à cesniaiseriesrhylhoiées et met-
tent leur orgueil à exprimer le néant ? P N'est-il pas déplorable
de les entendre se déclarer, à vingt-cinq ans, les ennemis de la
passion P
Pauvres dupes qui, par horreur de la banalité, par la rage de
vous distinguer quand même, arrivrz à l'égalité devant la
forme 1 Pauvres cerveaux qui vous emplissez à la hâte d'une
érudition tout extérieure, puisée dans les dictionnaires ou dans
les relations de voyage, et dont sounra't le concierge de l'Aca-
démie des Inscriptions, pour la verser ensuite dans des odes
uniformément moulées et qui se ressemblent toutes!
Pauvres garçons, qui nous méprisez parce que nous ne disons
pas Kvpms et Lofos!
Mais cette folie, cette folie froide ne durera pas. Beaucoup
d'entre ces messieurs, je le répète, beaucoup ont de l'intelli-
gence plusieurs même ont de l'esprit et font, jVn suis sûr,
des poëmes indie.is purement par dandysme. Ceux-la ne tar-
deront pas à s'apercevoir de la vanité de leur oeuvre compre-
nant quel danger il y aurait, pour l'avenir de leur talent, à
continuer ce jeu puéril, ils s'empresseront de redevenir des
hommes -pour devenir des poëtes.
Ce jour-la, la dernière Ecole aura vécu. Et je ne la pleurerai
certes pas, car qui dit Ecole dit Ecoliers.
Alcide Dusolier.
LES HASARDS DE LA PLUME
JW Le lecteur n'aura point aujourd'hui mon deuxième
article sur M. Renan et sur son livra. Il y a br n de. la pré-
somption à penser qu'il s'en serait aperçu de lui-même
j'ose croire pourtant que, ma pet l'. personne écartée, la
discussion dunt ce-livre est ou sera l'objet n'e reste pas
moins grande, et que, tout en se disant « De quoi se
mêle-t-il ? » il est peut être des geus curieux de savoir de
quoi je me mêle.
Je ne suis rien, et M. Renan est un auteur à succès; et
pour le dire à sa gloire, il est, en îiers avec la Famille.
Benoîton et Barbe-Bleue, le grand sucrés de l'année. Un
libraire l'a acheté en gros et le revend aux. bimples en
détail.
JW Je m'empresse d'ajouter, à sa louange et à ma con-
fusion, que l'on trouve tout nature) qu'il sape une civilisa-
tion de dix-huit siècles au profit de sa science historique
née d'hier, et que l'on ne manquera pas de trouver
fort impertinent, fort téméraire, fort scandaleux que je
discute un livre qui discute l'Evangiie.
Mais cette discussion, si disproportionnée qu'elle soit
à mes forces, je vous demande la permission de l'ajour-
ner à mercredi. La coupant en deux, a mou grani regret,
je ne puis me dispenser de vous domur mon avis sur le cin-
quième acte, variante placée par M. Emile Augier au dé-
nouement de la Contagion; et quand Ad-iina Paiii nous
dit adieu, après nous avoir charmés quade mois ils ont
passé bien vite il faut pourtant que, reconnaissant et
bien élevé, le feuilleton lui crie Au revoir 1
·
jyxp Eh quoi voudriez-vous ajouter un coup de pin-
ceau au joli pastel de votre collaborateur Théodore de
Banville? Y ajouter? Dieu m'en pré.sTV'l Le portrait
e>t ressemblant et, il est charmant. Le poète a chanié la.
jeune (ille; en me tenant àune distance respectueuse de
cette poésie qui s'est coupé les ailes -la riu.e n>j vou-
lant que courir légèrement, je m'efforcerai de vous racon-
dans la ville, on serait tenté de croire qu'une moitié est sans
cesse occupée à écrire, à composer, à imprimer, à corriger, à
afficher, à crier, à vendre, et l'autre à acheter, à épeler, à lire
età digérer. Il y a des esprits moroses, mauvaise graine de la
race d'Alceste, que ce mouvement afflige.
Tant d'encre assombrit leur pensée. Il en est d'autres, heu-
reusement, plus rappro liés de la tournure d'esprit de Can-
dide, que ce remue-ménage des feuilles littéraires égaie au
plus haut point. Comme la politique nous a tous trompés ou
lassés, ils voient dans ces jeux de l'imagination et de la chro-
nique un passe-temps qui empêche l'esprit national de se
rouiller. D'ailleurs qui peut dire que de ces montagnes de fa-
tras il ne sortira pas, un jour ou l'autre, un homme, une œu-
vre ou une grande pensée? A côté de tout cela, Paris a peur,
mais savez-vous de quoi? Il s'est créé une habitude de lire et
il y tient. Son effroi vient de ce que quelque chose pourrait
venir à manquer. Ce quelque chose, ce n'est pas la disette
d'écrivains.
Notre génération de Petits-Poucets de l'écritoire est sans
nombre et inépuisable. On appréhende que les usines, peu fai-
tes à une si grande consommation d'étoffes, ne s'arrêtent et que
la pâte à papier ne s'épuise.
Alter.
LES IMPASSIBLES
J'avançais récemment qu'il n'y a plus d'Ecole littéraire en
France.
Le groupe dont je vais parler n'en est point une, si l'on
veut qu'une école s'impose au dehors, s'appuie sur un public.
Mais si, la question d'influence écartée, on entend par là toute
famille d'écrivains ayant sa poétique spéciale, ses dogmes par-
ticuliers, s'aifimant à l'exclusion de tout ce qui n'et pas elle,
proclamant qu'elle seule possède la vérité littéraire, le groupe
des impassibles forme certainement une école. Peu nom-
breuse, sans doute, c'est l'égfise réduite aux proportions de la
chapelle, et d'une chapelle où le célébrant n'aurait guère pour
auditoire que les enfants de chœur nécessités par les réponses
-et par l'encensoir.
Aussi, parler d'une semblable école, c'est presque pénétrer
dans la poésie privée.
Mais si l'influence extérieure est nulle, la prétention est con-
sidérable, monstrueuse, inouïe, et, par là, vaut qu'on la signale.
Je ne sais pas, dans 1 histoire des littératures, un cas patholo-
gique plus étonnant.
Les impassibles (le mot le dit) excluent la passion des ou-
vrages d'art et de poésie.
« Sans insen-ibilité, point de chef-d'œuvre. »
Comme il arrive pour les plus absurdes et les plus vaines
théories, celle-ci part d'un principe d'esthétique tout à fait in-
contestable, mais faussé. perverti. Ce mensonge a pour tige une
vérité. La vérité, la voi.'i
Que le sens du livre ou du drame sorte naturellement et
de lai-même, sans que l'écrivain l'en tire, des situations
exprimées. Expose, ne plaide pas. Distribue la terreur, la pi-
tié, le comique d'une main invisible. Gouverne le combat du
haut de la colline et n'y descends jamais. Sois maître de toi
pour rester maître des acteurs et du public. Domine ton
œuvre. Sois impersonnel.
La supériorité de Shakspeare, de Molière et de Balzac vient
de leur impersonnalité.
Le poëte, pour cela. ne serait-il que cerveau ? Mais, alors,
comment nous passionnerait-il? D'où partiraient ces cris suprê-
mes qui traversant le drame et où l'humanité éperdue se re-
connaît P Le poëte, rien qu'un cerveau Non pas; mais une
âme aussi, une âme avant tout, immensément impressionnable
et vibrante. Le poëte esc réel ement tous ses personnages (Eh!
peut-on observer les autres ailleurs qu'en soi-même?); par
un privilège divin, il souffre la passion universelle mais il lui
est donné de se dédoubler, pour ainsi dire, d'assister à ses
propres déchirements avec impartialité, de se faire le critique
de ses plus violentas sensations en lui le moraliste et l'artiste
travaillent parallèlement à l'homme qui éprouve, et avec une
clairvoyance dé-intê: essée qui, mettant chaque chose à son
point juste, chaque personnage à son rang logique, établit l'har-
monie de l'œuvre; si bien que, l'ceuvre terminée, on n'aper-
çoit plus que l'artiste. L'homme a disparu. Seulement, tout
vient de l'homme, il est la source.
Les impassibles, eux, se refusent à commencer par être des
hommes.
Non-Sfulementils ne veulent pas qu'on soupçonne en eux
ombre d'émotion, mais ils ne veulent pas être émus bien
plus, ils seraient désolés n'émouvoir! « Un poëte qui passionne
est un poëte inférieur; un chef-d'œuvre qui touche, un chef-
d'œuvre manqué. »
Le suprême de l'art, suivant eux, consiste à provoquer une
approbation purement intellectuelle, abstraite, dirais-je, s'il
y avait un grain de philosophie dans ces têtes vides.
Un jeune écrivain de nos amis combattant ces doctrinaires
de l'insensibilité
« Monsieur, i terrompit sévèrement un d'entre eux, le Par-
thénon ne m'a jamais fait ni rire ni pleurer. »
Comme le jeune écrivain ins>stait et, pour montrer que la
douleur inspire d'admirables poèmes, citait la Lettre à M. de
Lamarti e, d'Alfred de Musset
« Alors, riposa le même impassible, l'omnibus qui écrase
un petit enfant fait de la poésie ? » o
Et voila comme on foudroie un adversaire! Notre ami, cela
va sans dire, resta bouche close devant cette belle raison et se
tint pour foudroyé.
Ce qui rend particulièrement curieux le cas de messieurs les
impassibles, c'est qu'ils appliquent leur théorie justement
dans la poésie lyriqus, tout à fait passionnée de sa nature et
dont on pourrait dire qu'elle est la sensibilité mise en stro-
phes.
Ils n'ont point d'indignation, d'amour ni de haine ( et s'en
vantent) De là leur supériorité lyrique.
« Soyons sereins, mes frères! J uoos de la lyre sur les hau-
t urs inaccessibles à l'âme humaine; exprimons le vide et le
néant, n'exprimons rien!- Faisons des vers comme en feraient
les cadavres, s'ils pouvaient écrire. Notre Parnasse n'est pas
de ce monde. »
Il n'est pas de ce monde, en effet. Rien de ce qui s'y passe
ne nous impressionne, aucune joie, aucune douleur publique
n'altèrent la séiénité de ces lyriques à l'envers.
Les mots de patrie et de liberté ont le privilége de leur dé-
dain.
Ils n'aiment donc rien? ils ne croient à rien? P
Si.
En politique, ils croient au rhythme;
En philosophie, au rhythme;
En morale, au rbuhme;
Le rhy-y-y-thmel le rhy-y-y-thme!
Oh! les Brid'oison du Pinde
♦
Quelque ferme résolution qu'on ait de ne pas s'émouvoir, de
ne se départir jamais de cette insensibilité superbe à laquelle
on reconnalt les forts, cela n'est point aisé dans un sujet con-
temporain. Bon gré mal gré, le présent noua passionne. Aussi, les
impassibles, décidés à ne pas compromettre leur impassibilité,
s'adressent-ils de préférence à des temps et des pays tellement
éloignés qu'on est, en les traitant, sûrement prémuni contre
les « surprises du cœur. »
Voilà d'où sont nés tant de petits néo-grecs, et pourquoi nous
avons eu, dans ces dernières années, une resucée de mytholo-
gie, b en inattendue après tous les poëmes antiques de Tliéo-
dore de Banville.
Théodore de Banville, au moins, se jouait dans les sujets
païens avec la grâce, un peu mignarde et précieuse, mais fran-
çaise après tout, des peintres et sculpteurs du dix-huitième
siècle. Il restait moderne et de son pays quand même.
Ses déesses sont vraiment femmes, quelques-uns disent
parisiennes. Anachronisme, si l'on veut, mais piquant et qui
donne leur originalité à ces odelettes brillantes et légères eu
triomphe le caprice. Et le caprice, ici, n'exclue pas la passion
sous le vent brûlant de l'inspiration lyrique on voit parfois les
marbres anciens palpiter et frémir comme une chair vivante!
Ce n'était pas le compte de messieurs les impassibles qui,
tout au rebours de Banville, se glorifient de faire des marbres
avec des hommes et tiennent la passion pour ennemie de la
beauté la beauté, suivant eux, n'allant pas sans X inexpression.
Aus>i résolurent-ils de rendre aux Olympiens leur immobilité
sereine, troublée, profanée par un poëte impie. Nymphes et
Faunes, Amadryades et Sy. vains, Sous-Dieux et quarts de
Dieux, pas une Fiore, pas une Pomone, réduite au rôle d'é-
pouvantail à moineaux dans les vergers bourgeois, pas un
Vertumne rouillé par la pluie, écaillé par la grêle, devant qui
les impassibles n'aient lait amende honorable, pour cette
grande profanation, en vers pompeux, compassés, vides et
didactiques.
Ce fut un véritable déluge d'odes expiatoires, déluge où se
noyèrent tous ces poëtereaux que l'originalité ne portait point,
à moins qu'on ne soit original pour appeler Vénus Kypris;
Jupiter Zeus Bacchus Dionysos; Hercule Héraclès; Sa-
pho Sappho (avec deux p).
Ah! comme cet étalage d'érudition pittoresque, venant de
gens dont la plupart ne sauraient lire, dans le texte, une demi-
page d Homère; comme cette affectation de mots grecs fichés,
en guise de grains de beauté, sur la poésie françiise, nous eût
amusés et fait rire, si les pédants n'étaient toujours si pro-
fondément ennuyeux
Quelques impassibles, altérés de variété, faisaient alterner la
Chine avec la Grèce, les tours du porcelaine avec les blancs
parthénons, et les mandarins avec les nymphes, décrivant le
tout avec la patience la plus minutieuse. Car ce n'est p-s une
des moins folles prétentions de cette école, qui vise pourtant
à l'exactitude plastique, que de peindre ce qu'elle n'a jamais vu
Certes, l'Olympe est vaste, et la Chine a bien des mandarins,
tous plus jolis les uns que les autres en leurs robes multico-
lores, et se prêtant à merveille aux épiihrtes voyantes.
Mais, comme disent les paysans, il n'est pré si dru qui ne se
tonde.
Les mythologistes les mieux informés, les magomanes les
plus retors ne surent bientôt plus de quel foin nourrir leur
Pégase.
Que faire? Revenir à la poésie vivante, exprimer l'amour
tout naïvement, un amour qui ne s'appellerait pas Eros, qui ne
serait pas de marbre ou de pierre? Y pensez-vous? Et voulez-
vous donc abaisser l'art divin jusqu'à l'âme humaine? P
Non, certainement! Aussi, ne méconnaissons-nous point la
beauté des motifs qui viennent de pousser les néo-grecs à se
faire devinez. Poëies indiens.
M. Leconte de Lisle est le grand-prêtre de la pagode où se
célébreront désormais les mystères du Rhythme s-icré. Voilà
que, sur un signe de ce vénérable Richi, les impassibles plon-
gent au plus profond des théogonies asiatiques, et chacun re-
monte avec sa demi-douzaine de petites idoles, qu'il parera
tout à l'heure de bibelots et de verroteries lyriques, mettant
à cette besogne la gravité d'un bambin qui fait toilette à sa
poupée neuve.
Puis, quelle gloire d'introduire dans la poésie française une
foule de mots exotiques et de noms à consonnances bizarres
qu'elle ne connaissait point encore
A Zeus et Dionysos ont déjà succédé (eans compter les dieux)
quelques centaines de héros qui se nomment Rama, Çunacépa,
Daçaratha, Lakçmana, Civa, Cwarga, Ubeldéd- E' -cetera,
Stcœtera. Et le Laurier-rose a fait place au Lotos,- entendez-
vousP Lotos. On ne disait plus Cyp-is, oo disait Kypris; on
ne dit plus lotus, il faut dire lotos, ou l'on n'est que le dernier
des impassibles.
x,
A choses mortes, langue morte. Les impassibles, gens logi-
ques, professent le culte de la période roid figée Ils frap-
pent leurs strophes. Un de ces messieurs proclamait, l'autre
jour, l'duteur de Salammbô, un prosateur bien supérieur à Di-
derot, Diderot ayant cette infirmité
La vie et le mou.ement dans le style.
Ce qui revient à préferer M. Leconte de Lisle à Lafontaine.
Ils préfèrent, en effet, M. Leconte.
Ain>i, M. Fiaubert en prose, M. Leconte de Lisle en poésie,
voila les modèles de ces jeunes gens qui se disent u formistes. »
De la forme, ils en ont, je l'accorde; mais de style, point-
Tous font très facilement des vers difficiles Le malheur est
qn'ils les font égrlemenl rien ne se ressembla comme deux
formistes, et cela par la raison toute simple que la forme est
chose artificielle et convenue qui s'apprend comme l'orthographe
ou le trapèze. Une aptitude spéciale, native, n'est point néces-
s ire. il suffit de s'ixercer. Au bout de quelques mois'd'exercices
le moindre f,buliste de province disloquera son vers très con-
veniblemeot, j^, le lui garantis, et fera des effets de césure ou
de rejet comme on fait des effets de muscles à ravir toute
une galerie de gobe-mouches littéraires.
Procédé, procédé pur.
.La « Grande Lyre » a pour corde des ficelles qui n'échappent
à personne.
Et dire qu'on voit, mêlés à ce troupeau ruminant des im-
passibles, quelques jeunes gens d'une réelle intelligence N'est-
il pas triste qu'ils se dépensent à cesniaiseriesrhylhoiées et met-
tent leur orgueil à exprimer le néant ? P N'est-il pas déplorable
de les entendre se déclarer, à vingt-cinq ans, les ennemis de la
passion P
Pauvres dupes qui, par horreur de la banalité, par la rage de
vous distinguer quand même, arrivrz à l'égalité devant la
forme 1 Pauvres cerveaux qui vous emplissez à la hâte d'une
érudition tout extérieure, puisée dans les dictionnaires ou dans
les relations de voyage, et dont sounra't le concierge de l'Aca-
démie des Inscriptions, pour la verser ensuite dans des odes
uniformément moulées et qui se ressemblent toutes!
Pauvres garçons, qui nous méprisez parce que nous ne disons
pas Kvpms et Lofos!
Mais cette folie, cette folie froide ne durera pas. Beaucoup
d'entre ces messieurs, je le répète, beaucoup ont de l'intelli-
gence plusieurs même ont de l'esprit et font, jVn suis sûr,
des poëmes indie.is purement par dandysme. Ceux-la ne tar-
deront pas à s'apercevoir de la vanité de leur oeuvre compre-
nant quel danger il y aurait, pour l'avenir de leur talent, à
continuer ce jeu puéril, ils s'empresseront de redevenir des
hommes -pour devenir des poëtes.
Ce jour-la, la dernière Ecole aura vécu. Et je ne la pleurerai
certes pas, car qui dit Ecole dit Ecoliers.
Alcide Dusolier.
LES HASARDS DE LA PLUME
JW Le lecteur n'aura point aujourd'hui mon deuxième
article sur M. Renan et sur son livra. Il y a br n de. la pré-
somption à penser qu'il s'en serait aperçu de lui-même
j'ose croire pourtant que, ma pet l'. personne écartée, la
discussion dunt ce-livre est ou sera l'objet n'e reste pas
moins grande, et que, tout en se disant « De quoi se
mêle-t-il ? » il est peut être des geus curieux de savoir de
quoi je me mêle.
Je ne suis rien, et M. Renan est un auteur à succès; et
pour le dire à sa gloire, il est, en îiers avec la Famille.
Benoîton et Barbe-Bleue, le grand sucrés de l'année. Un
libraire l'a acheté en gros et le revend aux. bimples en
détail.
JW Je m'empresse d'ajouter, à sa louange et à ma con-
fusion, que l'on trouve tout nature) qu'il sape une civilisa-
tion de dix-huit siècles au profit de sa science historique
née d'hier, et que l'on ne manquera pas de trouver
fort impertinent, fort téméraire, fort scandaleux que je
discute un livre qui discute l'Evangiie.
Mais cette discussion, si disproportionnée qu'elle soit
à mes forces, je vous demande la permission de l'ajour-
ner à mercredi. La coupant en deux, a mou grani regret,
je ne puis me dispenser de vous domur mon avis sur le cin-
quième acte, variante placée par M. Emile Augier au dé-
nouement de la Contagion; et quand Ad-iina Paiii nous
dit adieu, après nous avoir charmés quade mois ils ont
passé bien vite il faut pourtant que, reconnaissant et
bien élevé, le feuilleton lui crie Au revoir 1
·
jyxp Eh quoi voudriez-vous ajouter un coup de pin-
ceau au joli pastel de votre collaborateur Théodore de
Banville? Y ajouter? Dieu m'en pré.sTV'l Le portrait
e>t ressemblant et, il est charmant. Le poète a chanié la.
jeune (ille; en me tenant àune distance respectueuse de
cette poésie qui s'est coupé les ailes -la riu.e n>j vou-
lant que courir légèrement, je m'efforcerai de vous racon-
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