maintenant pour pendant la Fontaine en 1880, la Source en 1881, le délicieux Bara en 1882, etc.
Et voici de nouveau reparaître les symphonies en blanc et noir avec la Religieuse en prière
de 1883, un autre Christ au tombeau en 1884, l’Orpheline en 1886, le Saint Sébastien
de 1888, la Pietà de 1891, et les deux morceaux célèbres sur le Lévite d’Ephraim, 1895
et 1898.
En même temps, la série des portraits, masculins ou féminins, qui commence dès 1864
et 1865, continue et accentue à sa manière le faire impérieux du maître: véritable galerie qui
à elle seule peuplerait un petit musée. Car Henner a peint une infinité de portraits, dont le
public ne connaît qu’une part minime. Et, à ces portraits qui flottent souvent, pour la couleur
ivoirine des chairs et le pensif du regard, entre la vérité et le rêve, vient s’ajouter, comme une
série qui les prolonge et les entraîne peu à peu à l’allégorie, cette théorie de figures charmantes,
à l’origine simples études d’après de jolis et attirants modèles, mais dont la transposition
insensible, grâce à la lumière ou au jet d’une simple draperie, a fait ces bijoux d’art et de
poésie que les littérateurs — ou simplement les éditeurs — ont baptisés d’un surnom significatif:
Fabiola, Pensierosa, Orpheline, Hèrodiade, Créole, etc. Morceaux exquis, où l’on aurait tort
de voir de simples anecdotes ou des délassements d’atelier; car rien n’est anecdote dans la
peinture d’Henner, et tout y est tiré du particulier au général. C’est même ce don d’embel-
lissement foncier, de transfiguration et d’idéalisation, soit par la forme, soit par la couleur, qui
est sa faculté maîtresse et qui fait son irréductible personnalité. Limité sous le rapport de
l’invention et de la composition, Henner est sans rival comme poète de la forme et de la
lumière émanant de la forme. Par là, il est un maître dans toute l’acception du terme, et c’est
à la suite des maîtres anciens que, de son vivant même, les véritables amants de l’art éternel
l’avaient déjà rangé.
Du maître il avait d’abord cette qualité fondamentale, condition essentielle de l’art, la
conscience. Nous avons dit le long labeur des quinze premières années. Mais ce labeur, qui
suffit souvent à d’autres pour les dispenser, dans la suite, de cette probité qui est la pierre de
touche des vrais artistes, Henner ne l’a jamais interrompu. Nulle vie n’a été plus exclusivement
vouée à l’art que la sienne. A quelque époque de son existence qu’on le prenne, on le voit
acharné au travail. Il en a d’abord souffert, quand il se cherchait; il en a joui, quand il s’est
trouvé, d’ailleurs jamais pleinement satisfait de lui-même; il en a toujours vécu. Il n’y a, dans
sa vie, que des oeuvres. Et il y a encore, ce qui est la même chose, l’amour de la nature
observée, l’amour des chefs-d’oeuvre antérieurs aux siens, qu’il contemplait et interrogeait sans
cesse, qu’il adorait du culte le plus fervent. Du lever du soleil à son coucher, qu’il fût enfermé
dans son atelier, ou absorbé au Louvre dans une méditation muette, ou ravi d’admiration dans
son Alsace, en été, devant le spectacle de la vie paysanne, de ses arbres familiers et du soir
tombant sur les bois à l’horizon, il n’avait point assez de ses clairs regards pour observer, de
ses gros crayons pour esquisser, de ses chaudes pâtes colorées pour traduire le rêve intérieur
que son âme, vraie âme d’artiste créateur, dégageait journellement des choses. Car si l’art est,
suivant le mot célèbre, «l’homme ajouté à la nature», l’art d’Henner est une âme fondue avec
la nature et la nature devenue interprète de cette âme. C’est ainsi que ce disciple des maîtres
les continuait, mais non pas en imitant précisément tel ou tel d’entre eux.
Il s’inscrivait à leur suite, naïvement et sans y prétendre, par cette faculté, inhérente à sa
nature, de recomposer, sans copier personne, certains éléments d’harmonie qui sont épars dans
plusieurs et dont il a fait l’unité et la somme dans ses petites toiles, comme Montaigne, dans
certaines courtes pages de ses Essais, a faitr son miel propre de tout ce qu’il a butiné sur les
fleurs des anciens. Et Montaigne, nourri des anciens, est différent d’eux et reste Montaigne,
comme Henner, nourri des maîtres de la couleur et de la forme, est distinct d’eux et reste
Henner. Auquel de ces maîtres, soit français, soit lombards, soit vénitiens, soit allemands, doit-il
le plus? Bien subtil qui le dira. Si un instinct le conduit, tout jeune, devant le beau Christ
— 85 —
Et voici de nouveau reparaître les symphonies en blanc et noir avec la Religieuse en prière
de 1883, un autre Christ au tombeau en 1884, l’Orpheline en 1886, le Saint Sébastien
de 1888, la Pietà de 1891, et les deux morceaux célèbres sur le Lévite d’Ephraim, 1895
et 1898.
En même temps, la série des portraits, masculins ou féminins, qui commence dès 1864
et 1865, continue et accentue à sa manière le faire impérieux du maître: véritable galerie qui
à elle seule peuplerait un petit musée. Car Henner a peint une infinité de portraits, dont le
public ne connaît qu’une part minime. Et, à ces portraits qui flottent souvent, pour la couleur
ivoirine des chairs et le pensif du regard, entre la vérité et le rêve, vient s’ajouter, comme une
série qui les prolonge et les entraîne peu à peu à l’allégorie, cette théorie de figures charmantes,
à l’origine simples études d’après de jolis et attirants modèles, mais dont la transposition
insensible, grâce à la lumière ou au jet d’une simple draperie, a fait ces bijoux d’art et de
poésie que les littérateurs — ou simplement les éditeurs — ont baptisés d’un surnom significatif:
Fabiola, Pensierosa, Orpheline, Hèrodiade, Créole, etc. Morceaux exquis, où l’on aurait tort
de voir de simples anecdotes ou des délassements d’atelier; car rien n’est anecdote dans la
peinture d’Henner, et tout y est tiré du particulier au général. C’est même ce don d’embel-
lissement foncier, de transfiguration et d’idéalisation, soit par la forme, soit par la couleur, qui
est sa faculté maîtresse et qui fait son irréductible personnalité. Limité sous le rapport de
l’invention et de la composition, Henner est sans rival comme poète de la forme et de la
lumière émanant de la forme. Par là, il est un maître dans toute l’acception du terme, et c’est
à la suite des maîtres anciens que, de son vivant même, les véritables amants de l’art éternel
l’avaient déjà rangé.
Du maître il avait d’abord cette qualité fondamentale, condition essentielle de l’art, la
conscience. Nous avons dit le long labeur des quinze premières années. Mais ce labeur, qui
suffit souvent à d’autres pour les dispenser, dans la suite, de cette probité qui est la pierre de
touche des vrais artistes, Henner ne l’a jamais interrompu. Nulle vie n’a été plus exclusivement
vouée à l’art que la sienne. A quelque époque de son existence qu’on le prenne, on le voit
acharné au travail. Il en a d’abord souffert, quand il se cherchait; il en a joui, quand il s’est
trouvé, d’ailleurs jamais pleinement satisfait de lui-même; il en a toujours vécu. Il n’y a, dans
sa vie, que des oeuvres. Et il y a encore, ce qui est la même chose, l’amour de la nature
observée, l’amour des chefs-d’oeuvre antérieurs aux siens, qu’il contemplait et interrogeait sans
cesse, qu’il adorait du culte le plus fervent. Du lever du soleil à son coucher, qu’il fût enfermé
dans son atelier, ou absorbé au Louvre dans une méditation muette, ou ravi d’admiration dans
son Alsace, en été, devant le spectacle de la vie paysanne, de ses arbres familiers et du soir
tombant sur les bois à l’horizon, il n’avait point assez de ses clairs regards pour observer, de
ses gros crayons pour esquisser, de ses chaudes pâtes colorées pour traduire le rêve intérieur
que son âme, vraie âme d’artiste créateur, dégageait journellement des choses. Car si l’art est,
suivant le mot célèbre, «l’homme ajouté à la nature», l’art d’Henner est une âme fondue avec
la nature et la nature devenue interprète de cette âme. C’est ainsi que ce disciple des maîtres
les continuait, mais non pas en imitant précisément tel ou tel d’entre eux.
Il s’inscrivait à leur suite, naïvement et sans y prétendre, par cette faculté, inhérente à sa
nature, de recomposer, sans copier personne, certains éléments d’harmonie qui sont épars dans
plusieurs et dont il a fait l’unité et la somme dans ses petites toiles, comme Montaigne, dans
certaines courtes pages de ses Essais, a faitr son miel propre de tout ce qu’il a butiné sur les
fleurs des anciens. Et Montaigne, nourri des anciens, est différent d’eux et reste Montaigne,
comme Henner, nourri des maîtres de la couleur et de la forme, est distinct d’eux et reste
Henner. Auquel de ces maîtres, soit français, soit lombards, soit vénitiens, soit allemands, doit-il
le plus? Bien subtil qui le dira. Si un instinct le conduit, tout jeune, devant le beau Christ
— 85 —
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