Gérard Delahaye et l'aventure du label coopératif Névénoé
Gérard Delahaye est né le 1er mai 1948 à Morlaix. Issu d’une famille d'officiers de marine, c’est tout naturellement qu’il intègre très jeune le Prytanée national militaire de La Flèche. Après s’être essayé à l’harmonica, il découvre à l’âge de douze ans la guitare qui deviendra son instrument de prédilection. Il rejoint le groupe de jazz de l’école, le Jazz TiBah’, et grave sur un disque autoproduit au frais de l’aumônier son premier solo de guitare sur le titre Minor swing de Django Reinhardt.


En 1966, souhaitant poursuivre des études littéraires, il quitte le Prytanée de La Flèche pour Brest. Un premier tournant décisif pour celui qui nous confie avoir alors « commencé à vivre ». A Brest, il découvre les bals. Il est engagé dans un premier orchestre, celui de Jean Gillet et quelques temps plus tard, il rejoint celui d’Henri Mougeat, dont certains musiciens (Pierre Goasguen, René Morizur) accompagneront plus tard Michel Legrand, Johnny Hallyday, Gene Vincent ou encore Magma.
En 1968, il part pour Besançon pour son année de Khâgne. Lors d’une manifestation, il fait la connaissance de musiciens et découvre grâce à eux le picking, technique de jeu utilisée à la guitare, et le folk américain via la reprise de chansons de Graeme Allwright. C’est durant cette période qu’il monte le groupe éphémère de reprises les Kangourous qui assureront la première partie de Colette Magny au théâtre de Besançon.
De retour à Brest, il monte avec Jacques Materne un club folk sur le principe de l’Hootenanny du Centre Américain de Paris. Ce club se réunit une fois par semaine dans une « baraque » du quartier Saint-Martin. Durant les années 1968-1969, les scènes ouvertes qu’il organise lui permettent de faire la connaissance d’Annkrist et de Patrik Ewen, futurs compagnons de route et de vie sur le projet Névénoé.

Durant un séjour à Leverkusen en Allemagne dans le cadre de ses études, il se familiarise avec la technique de la guitare classique. De retour à Brest, il monte avec Patrik Ewen un duo folk et les deux hommes se produisent dans les bistrots, notamment le Stivel.

Après une soirée Chez Georges, cabaret parisien où l’on peut entendre à cette époque Jacques Bertin, Gilles Elbaz ou encore Bernard Lavilliers, il oublie de se réveiller et manque l’heure d’un oral décisif pour ses études. Catastrophé dans un premier temps, il réalise que cet acte manqué n’est que le déclencheur d’un souhait profond ainsi qu’un nouveau tournant déterminant dans sa vie.
Avec son ami Patrik Ewen, il souhaite désormais se consacrer entièrement à la chanson. Tous deux démarchent les M.J.C., les « Mille clubs » de jeunes, les bistrots ou encore les cabarets de la région pour se produire. Durant cette période, ils signent chacun un premier disque 45 tours pour le label Kelenn fondé par Alain Guel, Glenmor et Xavier Grall. Gérard Delahaye leur propose alors de produire son premier 33 tours, mais il reçoit une fin de non-recevoir : « ce que tu fais n’est pas breton, cela ne nous convient pas ».


C’est dans ce contexte qu’en 1973 Gérard Delahaye et Patrik Ewen décident de fonder, dans l’esprit communautaire de l’époque, la coopérative Névénoé. Elle tire son nom du roi breton Nominoë et de Névez, qui signifie nouveau. Une première souscription est lancée et permet rapidement l’enregistrement du premier album de Gérard Delahaye : La Faridondaine.



Melaine Favennec, Kristen Noguès, Annkrist ainsi le poète Yvon Le Men vont progressivement rejoindre l’association Névénoé. Ce petit noyau d’amis participe aux enregistrements des disques des uns et des autres, partagent les mêmes scènes, et au fil du temps participent au « bouillonnement » culturel et militant breton de ces années 1970.



Autour de la sphère Névénoé gravite également de nombreux musiciens dont Gildas Beauvir, arrangeur de talent, Pierre Datry ou encore Bertrand Floc'h qui participent, à partir de 1974, à la création d’un très grand nombre d’albums du label.

L’illustrateur Claude Fonteyne réalise le logo du label ainsi que plusieurs pochettes de disques dont celles des 45t de Gérard Delahaye, la Princesse Dorothée et Le crabe vert .


L’illustratrice Mosca de Selva prête sa fresque réalisée au Mans sur le mur d’une école primaire pour illustrer la pochette du Printemps de Gérard Delahaye et réalise en linogravure la pochette de la Basse Dance de Melaine Favennec.


Gérard Delahaye revient également lors de cet entretien sur les studios d'enregistrement et la création de certains disques de Névénoé : des débuts sur un magnétophone de studio deux pistes dans une maison perdue dans les Monts d’Arrée qu’il loue avec Patrick Ewen à l’enregistrement du Printemps au Studio 20 près d’Angers sur un 16 pistes. Entre les deux, l’équipe de Névénoé connaîtra les studios C.A.S.E., situés dans le château de Kernabat et tenus par Léon Guillou, également chef de chœur de la Maîtrise de la Cathédrale de Saint-Brieux, ou encore le Manoir Kevern, lieu de résidence de la chanteuse et harpiste Kristen Noguès.


En 1979, l’aventure Névénoé prend fin, mais les amis musiciens resteront proches. Gérard Delahaye poursuit sa carrière et revient au cours de cet entretien sur les labels avec lesquels il a travaillé au cours des ans (Les Éditions Pluriel, Blue silver, L’Oz production) et sur Dylie, label qu'il a créé en 1991, toujours avec la complicité de Patrik Ewen.


Entretien avec Gérard Delahaye, réalisé par Jean-Rodolphe Zanzotto (BnF) et enregistrés par Luc Verrier (Ingénieur du son, BnF), le 7 juin 2022 à Saint-Jacques-de-la-Lande. Portrait de Gérard Delahaye (© BnF - Luc Verrier. Photographie libre de droits).
Cet entretien appartient au corpus Rencontres autour de l'édition phonographique, où de nombreuses autres personnalités témoignent également de leur expérience du métier de producteur phonographique.
Les descriptions complètes de ces enregistrements sont consultables sur le Catalogue général et sur le catalogue BnF-Archives et manuscrits.