Histoire et utilisation du bakoua (pandanus)
Le bakoua appartient à l’histoire et au patrimoine des Antilles. A la Martinique, le terme bakoua désigne un arbre connu des botanistes sous le nom savant de pandanus. Il a été introduit à la Martinique au tout début du 19ème siècle. Ses feuilles séchées fournissent des fibres textiles utilisées en vannerie. Par extension, le chapeau fabriqué à partir du bakoua porte le nom de bakoua.
(Vues et paysages des régions équinoxiales / recueillis dans un voyage autour du monde, par Louis Choris)
Les pandanus croissent dans les régions chaudes d’Asie, d’Afrique et d’Océanie. Frédéric Cuvier (1773-1838) dans son Dictionnaire des sciences naturelles le classe dans la famille des « pandanées » (article Pandanées) et en donne une description sous son nom vernaculaire de baquois (article baquois). D’après Cuvier, le baquois est « un genre de plante composé de cinq espèces d’arbrisseau de l’Afrique et des Indes ». Le nom savant de pandanus lui a été donné par un naturaliste du 17ème siècle, Rumphius. Quant au nom français de baquois, toujours d’après Cuvier, il tire son origine de l’espèce que l’on trouve à l’Isle de France (île Maurice) et a été utilisé pour désigner toutes les espèces de pandanus.
Le baquois est aussi appelé vaquois. C’est d’ailleurs sous ces deux appellations, à côté de son nom savant pandanus, qu’il figure dans le Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, à l'agriculture, à l'économie rurale et domestique, à la médecine (1816-1819. Dans les divers textes ou rapports rédigés au 19ème siècle, il est désigné, en français, sous l’un ou l’autre terme (baquois ou vaquois).
L' introduction du pandanus (bakoua) à la Martinique
Le pandanus odorant a été introduit à la Martinique au tout début de l’existence du Jardin botanique, établissement créé par l’arrêté du 30 pluviose an XI (19 février 1803). Il avait fait partie d’une riche collection de plantes que deux administrateurs de l’Inde avaient envoyée de cette contrée vers la Martinique. (Reisser Historique du Jardin-des-plantes de Saint-Pierre Martinique, 1846).
Pandanus tectorius.
(Histoire universelle des végétaux par Buc'hoz (1731-1807)
Conformément au but fixé par l’administration lors de sa création, les directeurs successifs du Jardin des plantes de Saint-Pierre ont travaillé à augmenter les collections d’espèces botaniques. C’est ainsi qu’entre 1803 et 1823, l’établissement avait été enrichi de tous les végétaux étrangers à la Martinique qui pouvaient être de quelque utilité. Des arbres et arbustes avaient donc été importés des Indes orientales, de l’Afrique, des Guyanes, et des autres régions de l’Amérique équatoriale.
Au 1er janvier 1853, d’après le rapport du directeur de l’époque, Charles Belanger, le Jardin botanique comptait 700 espèces de plantes dont « quatre magnifiques espèces de Pandanus ou Vaquois dont les feuilles tout à fait exceptionnelles pour la couverture des cases, se prêtent à toutes sortes d’usages ». (Revue coloniale, mars 1857, « Martinique. Jardin botanique de Saint-Pierre »).
Pandanus silvestris
(Histoire universelle des végétaux par Buc'hoz (1731-1807)
La vannerie : un art hérité des Amérindiens
Sparterie et vannerie, à la Martinique, sont de tradition amérindienne, et surtout de tradition caraïbe. Les récits de voyage des 17 ème et 18ème siècles sont des sources précieuses pour nous renseigner sur les coutumes des Amérindiens qui peuplaient les petites Antilles avant l’arrivée des Européens. Ces récits sont l’œuvre de missionnaires envoyés aux îles de l’Amérique en vue de convertir ses premiers habitants. Le Dictionnaire caraïbe-françois meslé de quantité de remarques historiques pour l’esclaircissement de la langue composé en 1665 par le Père Breton fournit quantité de renseignements sur les différents travaux de vannerie et la technique utilisée : la variété de la production s’exprime sous les termes cataoli (panier porté sur le dos), hibichet (tamis), lamanti (panier double), mátabi (presse à manioc), matoutou (petite table), ocoacae (panier à la trame ouverte).
L’art de la vannerie est également signalée par Charles de Rochefort dans son Histoire naturelle et morale des iles Antilles de l’Amérique publiée à Rotterdam en 1658, en particulier dans son Second livre, chapitre XVII « Des occupations et des divertissemens des Caraïbes ». Rochefort ne s’étend pas sur ces travaux, mais note simplement que les Caraïbes font « des paniers de joncs et d’herbes de diverses couleurs » et cite la confection de petites tables « qu’ils appellent Matoutou » , « des tamis nommez Hibichets », des Catolis « qui sont de certaines hottes ».
Au siècle suivant, le père Labat consacre lui aussi, un chapitre aux coutumes des amérindiens dans le tome premier du Nouveau voyage aux isles de l’Amérique qu’il publie à La Haye en 1724. Il l’intitule « Des Sauvages appellez Caraïbes, de leurs vêtemens, armes, vaisseaux et coûtumes ». Il y décrit minutieusement les différents objets réalisés en vannerie et les techniques utilisées. En revanche, la confection de paniers dans les occupations des Caraïbes ne fait l’objet que d’une rapide évocation dans le tome second.
Vannerie caraïbe
(Nouveau voyage aux isles de l'Amérique par le Père Labat (1724)
Le développement de la vannerie en bakoua à l’époque coloniale
Si les Caraïbes ont transmis l’art et la technique de la vannerie, le pandanus ou bakoua leur était inconnu. L’utilisation du bakoua s’est développée dès son introduction à la Martinique au tout début du 19 ème siècle, et l’idée de son utilisation industrielle s’est imposée rapidement. En 1857, Charles Belanger, directeur du Jardin botanique de Saint-Pierre, dans son rapport adressé au directeur de l’intérieur de la Martinique, fait figurer le Pandanus ou Vaquois parmi les trente-huit espèces de plantes « industrielles » qui composaient la collection du Jardin des plantes de Saint-Pierre. (Revue coloniale, mars 1857, « Martinique. Jardin botanique de Saint-Pierre »).
Jardin botanique de Saint-Pierre. Cascade. 1899
(Photographie par André Salles (1860-1929)
... de l'utilisation industrielle et artisanale
Le jardin botanique de Saint-Pierre n’était pas un jardin d’agrément mais un établissement modèle, un lieu d’étude, d’enrichissement de l’agriculture locale et d’acclimatation de plantes nouvelles utiles au développement de la Martinique. Aussi, dès l’origine, les botanistes et les membres de la Société d’agriculture et d’économie rurale de la Martinique avaient réfléchi à l’utilisation des diverses variétés de plantes. Reisser, consacre, en 1846, dans son Historique du Jardin des plantes de Saint-Pierre une longue note à l’utilisation du Voa-Koa à l’île Bourbon (La Réunion): « A Bourbon, on fait avec les feuilles du Voa-Koa des sacs très solides, dans lesquels on transporte le sucre en France. Si l’on pouvait substituer ces sacs aux boucauts, qui ne coûtent pas moins de 12 à 15 fr. l’un par 500 kilogrammes de sucre qu’ils contiennent chacun, ce serait une grande économie pour l’habitant. L’arrimage devenant plus facile, les navires de commerce pourraient, par conséquent, charger une plus grande quantité de sucre ».
Le pandanus était déjà utilisé comme fibre textile dans les pays dont il est originaire. Cuvier remarque à la fin de son article Baquois que « dans la Cochinchine, où il vient naturellement, on fait avec ses feuilles de très belles nattes ».
à la création artistique
Par ailleurs, le pandanus s’était très bien acclimaté à la Martinique. Il était rare d’en rencontrer trois ans après la création du Jardin botanique, mais, il s’était multiplié et avait été introduit dans les « habitations » rurales et les jardins. Cette constatation est soulignée avec satisfaction, en 1857, par Charles Belanger, dans son rapport (Revue coloniale, mars 1857, « Martinique. Jardin botanique de Saint-Pierre »).
L’utilisation industrielle et artisanale du pandanus ou bakoua allait donc de soi. Cependant, rapidement, à côté de la fabrication d’objets d’usage courant (nattes, paillassons, cabas, balais, nasses, loups), une véritable création artistique dans le domaine de la chapellerie allait se développer.
Des modistes se distinguent dans les grandes expositions du début du 20ème siècle. Un exemple seulement : un Martiniquais se verra décerner une médaille d’argent pour sa création de chapeaux en « vacoua » en 1935 (Palmarès des récompenses décernées aux exposants de l’exposition de la Martinique organisée à Fort-de-France à l’occasion du Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France (décembre 1935 - mars 1936).(Médaille d’argent) page 20.
Le bakoua, chapeau traditionnel de la Martinique
La confection du bakoua requiert une grande technicité. La base de cette technique repose sur la maîtrise des différents types de tressage, mais aussi sur une excellente connaissance de la plante utilisée.
Le tressage dépend de la qualité de la préparation des feuilles. En effet, il faut apprécier le degré de séchage des feuilles, leur couleur, leur qualité, leur longueur, l’évolution des feuilles au séchage et leur résistance : une mauvaise préparation des feuilles altère irrémédiablement une création par des traces d’humidité, de moisissures ou de dégâts causés par les insectes. Enfin, vient la préparation des lanières et leur découpe en brins. Puis, en dernier lieu, on aborde la phase du tressage dont il existe, à la Martinique, plus d’une dizaine de types en fonction du nombre de brins utilisés.
L’artisan va réaliser, ensuite, la « pièce de confection » du chapeau et le type de tresse nécessaire afin de fabriquer le couvre-chef souhaité : chapeau traditionnel adapté aux usages des différents métiers (amarreuse, ouvrier, marchande, agriculteur, charbonnière, pêcheur, économe, vendeuse de poissons) ou chapeau plus recherché fruit de la créativité de l’artisan.
Aujourd’hui, des artisans cherchent à renouer avec cette tradition tombée en désuétude à la fin du 20ème siècle. De véritables créations sont réalisées en chapellerie et « le chapeau bakoua peut côtoyer le monde de la mode » selon la formule de Jean-Louis Marie-Rose dans son récent ouvrage Le bakoua. Créations JLMR 2010-2019, Martinique, 2020. Pour la première fois une publication transmet cette technique qui ne l’avait été, jusqu’à présent, que par la tradition orale.
Chapeau bakoua
(A la Martinique ([Nouv. éd.]) [Betty Mathieu)
Le bakoua : un élément du patrimoine martiniquais
Le bakoua demeure le chapeau traditionnel des Martiniquais. Il est le chapeau des plantations, des paysans et des pêcheurs, des mareyeuses et des vendeuses sur les marchés, le chapeau de tout un monde sympathique et haut en couleur qui ravit le lecteur sous la plume de Raphaël Confiant; il est le chapeau de Compè Zicaque « pointu comme un clocher d'église » (Fables créoles -Gilbert Gratiant-); il est le chapeau des « négriers coupeurs de cannes », et des « travailleuses en jupe de couleur et chemise écrue » fixés dans les souvenirs de Stanislas Delmond (Jeunesse aux Antilles : Saint-Pierre, 1870-1902).
Porté par les protagonistes de nombreux romans (La chimère des Antilles -Raphaël Tardon-, Moi, Trésilien-Théodore Augustin -Xavier Orville-, Négropolitains et Euro-blacks -Tony Delsham-, Texaco -Patrick Chamoiseau- …) le bakoua demeure, dans la littérature comme dans la vie, un accessoire emblématique de la Martinique et l’affirmation de l’attachement à un patrimoine culturel ancestral.
Marchande d'herbes aromatiques
(Trois ans à la Martinique, études de moeurs, paysages et croquis, profils et portraits, par Louis Garaud, 1895)
Pour aller plus loin :
- Jean-Louis MARIE-ROSE, Le Bakoua : Ouvrage technique-JLMR Savoirs et secrets. Martinique, 2020.
- Jean-Louis MARIE-ROSE, Le Bakoua : Catalogue - Créations JMLR 2010-2019. Martinique, 2020.
- César Delnatte... et al., Florantilla : flore photographique des Petites Antilles, Fort de France, Exbrayat, 2020.En libre accès en salle C sous la cote 581.97 DELN f
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