Les quatre saisons en littérature
"Je trouvai dès lors qu’on pouvait diviser les saisons de l'année, non pas en été et en hiver, comme on fait en Europe, mais en temps de pluie et de sécheresse" constate Robinson Crusoé, dans le roman de Daniel Defoe. Penchons-nous, dans cet article, sur l’évocation des quatre saisons dans la littérature classique.
Sur les quatre saisons
Alphonse de Lamartine, "Les Saisons", Harmonies poétiques et religieuses, 1830
Hiver
L’hiver est la saison des extrêmes, du froid et du blanc. Les écrivains s’en emparent pour évoquer la beauté d’une nature sauvage, parfois grandiose car endormie ou indomptée, mais aussi pour dénoncer l’injustice ou l’acharnement du sort, en divisant le monde en deux catégories : ceux qui souffrent du froid et ceux qui en sont préservés.
L’hiver en poésie
Charles d’Orléans, "Hiver, vous n’êtes qu’un vilain", Poésies, vers 1430
Saint-Amant, "L’Hyver des Alpes", Œuvres complètes, vers 1650
Marceline Desbordes-Valmore, "La Nuit d’hiver", Poésies, 1860
Victor Hugo, "Va-t-en me dit la bise", Les Chansons des rues et des bois, 1865
Victor Hugo, "Il fait froid", Les Contemplations, 1856
Arthur Rimbaud, "Les Effarés", Poésies, 1870
Paul Verlaine, "Dans l’interminable", Romances sans paroles, 1874
Anna de Noailles, "L’Hiver", Le Cœur innombrable, 1901
Guillaume Apollinaire, "Les Sapins", Alcools, 1913
L’hiver dans les nouvelles
C’était l’hiver dernier, dans une forêt du nord-est de la France. La nuit vint deux heures plus tôt, tant le ciel était sombre. […] Parfois, sous une immense rafale, toute la forêt s’inclinait dans le même sens avec un gémissement de souffrance ; et le froid m’envahissait, malgré mon pas rapide et mon court vêtement.
Guy de Maupassant,"La Peur", Contes de la Bécasse, 1883
L’hiver dans les romans
Elle avait été congédiée vers la fin de l'hiver ; l'été se passa, mais l'hiver revint. Jours courts, moins de travail. L'hiver, point de chaleur, point de lumière, point de midi, le soir touche au matin, brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n'y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave. Le soleil a l'air d'un pauvre. L'affreuse saison ! L'hiver change en pierre l'eau du ciel et le cœur de l'homme.
Victor Hugo, Les Misérables, 1862
Rostov ne l’écoutait pas, et suivait des yeux les flocons de neige qui tourbillonnaient dans l’espace ; il songeait à l'hiver de Russie, à la maison chaude, bien éclairée, à sa fourrure moelleuse, à son rapide traîneau, et il s’y voyait plein de vie, entouré de tous les siens "Pourquoi donc suis-je venu me fourrer ici ?" se disait-il.
Léon Tolstoï, La Guerre et la paix (Tome 1, Tome 2, Tome 3), 1865-1869
Les premières neiges, qui devaient persister jusqu’à l’été, blanchissaient déjà les cimes voisines du Baïkal. Pendant l’hiver sibérien, cette mer intérieure, glacée sur une épaisseur de plusieurs pieds, est sillonnée par les traîneaux des courriers et des caravanes.
Jules Verne, Michel Strogoff, 1876
Dehors, la journée de décembre était glacée par une aigre bise du nord-est. Mais pas un souffle n’entrait, il faisait là une tiédeur de serre, qui développait l'odeur fine d’un ananas, coupé au fond d'une jatte de cristal.
Émile Zola, Germinal, 1885
On parla de l'hiver pluvieux. Jeanne, avec d'involontaires frissons d'angoisse, demanda ce que pouvaient faire leurs hôtes, tous deux seuls, toute l'année. Mais les Brisseville s'étonnèrent de la question ; car ils s'occupaient sans cesse, écrivant beaucoup à leurs parents nobles semés par toute la France, passant leurs journées en des occupations microscopiques,
Guy de Maupassant, Une vie, 1883
Les neiges de décembre une fois finies, un ciel d'un bleu étincelant déversait chaque jour des torrents de lumière sur le paysage blanc, qui les renvoyait en un scintillement plus intense. On eût supposé qu’une semblable atmosphère fouetterait les émotions comme elle fouettait le sang ; mais elle semblait n’avoir rien d’autre effet que de ralentir encore le pouls déjà paresseux de Starkfield.
Edith Wharton, Sous la neige, 1911
Printemps
Saison du renouveau, le printemps est, en littérature, le lieu de la célébration des amours, parfois empreintes d’un érotisme discret. Parce que cette saison intermédiaire est parfois incertaine, le printemps donne lieu à des textes nuancés, qui traduisent la patience et la résilience humaine face à l’éveil de la nature.
Le printemps en poésie
Rémy Belleau, "Avril", "May", Bergeries, 1576
Saint-Amant, "Le Printemps des environs de Paris", Œuvres complètes, vers 1650
Aloysius Bertrand, "Encore un printemps", Gaspard de la Nuit, 1842
Alfred de Musset, "La Nuit de mai", Poésies, 1835
Théophile Gautier, "Premier sourire du printemps", Émaux et camées, 1852
Gérard de Nerval, "Avril", Odelettes, 1853
Walt Whitman, "Bientôt ce sera la débâcle de l’hiver", Feuilles d’herbe, 1855
Victor Hugo, "Premier mai", Les Contemplations, 1856
Stéphane Mallarmé, "Renouveau", Poésies, 1899
Théodore de Banville, "Chère, voici le mois de mai", Poésies, 1854
Le printemps dans les lettres
Je t’envoie ce roman comme un son lointain de nos cornemuses, pour te rappeler que les feuilles poussent, que les rossignols sont arrivés, et que la grande fête printanière de la nature va commencer aux champs.
Lettre-préface des Maîtres Sonneurs, George Sand, 1853
Le printemps dans les romans
Charlotte Brontë, Le Professeur, 1857
Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836
Eugène Fromentin, Dominique, 1862
Ce printemps était presque sans amour, dans ce pays d'Islandais, et les belles filles de race fière que l'on apercevait, rêveuses, sur les portes, semblaient darder très loin au-delà des objets visibles leurs yeux bruns ou bleus. […] Mais c'était un printemps tout de même, tiède, suave, troublant, avec de légers bourdonnements de mouches, des senteurs de plantes nouvelles.
Pierre Loti, Pêcheur d’Islande, 1886
En cette belle fin de journée, le soleil s’inclinait sur l’horizon et toute la Terre du Nord, enfin réveillée, semblait l’appeler. La nature renaissait. Partout passait dans l’air l’effluve du printemps. On sentait la vie croître sous la neige et la sève monter dans les arbres. Les bourgeons brisaient les prisons de l’hiver.
Jack London, Croc-Blanc, 1906
Il vit le marécage au printemps, lorsque les roseaux dardent tous ensemble leurs flèches tendres, lorsque les peupliers, les aulnes et les saules revêtent leur fourrure verte et blanche, lorsque les sarcelles, les hérons, les ramiers, les mésanges s'interpellent, lorsque là pluie tombe si allègre que c'est comme si la vie même tombait sur la terre.
J.-H. Rosny aîné, La Guerre du feu : roman des âges farouches, 1909
Mais le troisième jour après cette aventure, en descendant, le matin, dans la cour, brusquement je compris que c’était le printemps. Une brise délicieuse comme une eau tiédie coulait par-dessus le mur, une pluie silencieuse avait mouillé la nuit les feuilles des pivoines ; la terre remuée du jardin avait un goût puissant, et j’entendais, dans l’arbre voisin de la fenêtre, un oiseau qui essayait d’apprendre la musique…
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913
Été
Saisons dionysiaque, l’été peut être associé à une forme de puissance. Les écrivains disent la sensualité et les plaisirs enfantins d’une soirée d’été, la morsure d’un soleil estival, mais aussi le travail des hommes et la chaleur qui accable.
L’été en poésie
Saint-Amant, "L’Esté de Rome", Œuvres complètes, vers 1650
Arthur Rimbaud, "Sensation", Poésies, 1870
Charles Cros, "L’Été", Le Coffret de santal, 1879
Anna de Noailles, "Soir d’été", Le Cœur innombrable, 1901
L’été au théâtre
William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, 1595
Oui. vous veniez tous les étés à Bergerac !...
Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées…
Et les maïs les cheveux blonds pour vos poupées !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (Télécharger l’EPUB), 1897
L’été dans les romans
Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher ; quand elles se taisaient tout était silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses.
Stendhal, Le Rouge et le Noir (Tome 1, Tome 2), 1830
Les soirs d'été, quand ils avaient marché longtemps par les chemins pierreux au bord des vignes, ou sur la grande route en pleine campagne, et que les blés ondulaient au soleil, tandis que des senteurs d'angélique passaient dans l'air, une sorte d'étouffement les prenait, et ils s’étendaient sur le dos, étourdis, enivrés.
Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (Télécharger l’EPUB), 1869
Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage.
Émile Zola, Thérèse Raquin, 1867
Malgré cela, dès le premier été, les prairies rapportèrent près du double. La résistance des paysans se prolongea pendant la seconde et la troisième
année, mais, cet été, ils avaient proposé de prendre le travail en gardant le tiers de la récolte pour eux, et le starosta venait annoncer que tout était terminé. On s’était pressé, de crainte de la pluie, et il fallait faire constater le partage et recevoir les onze meules qui formaient la part du propriétaire.
Léon Tolstoï, Anna Karénine, (Tome 1 et Tome 2), 1877
C’était une de ces soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées ; et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885
Automne
Parce qu’il pare la nature de couleurs chaudes, l’automne est une saison qui évoque aussi bien la mélancolie que l’émerveillement devant la beauté du monde. Les poètes et écrivains romantiques s’en sont emparé pour chanter leur désarroi, les prosateurs pour avoir le plaisir de manier une langue sensuelle, à même dire la métamorphose du paysage, entre vie et mort.
L’automne en poésie
Saint-Amant, "L’Autonne des Canaries", Œuvres complètes, vers 1650
Alphonse de Lamartine, "L’Automne", Méditations poétiques, 1820
Charles Baudelaire, "Chant d’automne", Les Fleurs du mal, 1857
Marceline Desbordes-Valmore, "La Promenade d’automne", Poésies, 1860
Paul Verlaine, "Chanson d’automne", Poèmes saturniens, 1866
François Coppée, "Matin d’octobre", Le Cahier rouge, 1892
José Maria de Heredia, "Vendange", Les Trophées, 1893
Henri de Régnier, "Heure d’automne", "Jour d’automne", Les Jeux rustiques et divins, 1897
Anna de Noailles, "L’Automne", Le Cœur innombrable, 1901
Renée Vivien, "Violettes d’automne", Évocations, 1903
Guillaume Apollinaire, "Les Colchiques", "Vendémiaire", Alcools, 1913
L’automne dans les nouvelles
Octave Mirbeau, "Paysages d’automne", Contes de la chaumière, 1894
L’automne dans les romans
Depuis un mois les chaleurs de l’automne apprêtaient d’heureuses vendanges ; les premières gelées en ont amené l’ouverture ; le pampre grillé, laissant la grappe à découvert, étale aux yeux les dons du père Lyée, et semble inviter les mortels à s’en emparer. Toutes les vignes chargées de ce fruit bienfaisant que le ciel offre aux infortunés pour leur faire oublier leur misère ; le bruit des tonneaux, des cuves, les légrefass qu’on relie de toutes parts ; le chant des vendangeuses dont ces coteaux retentissent ; la marche continuelle de ceux qui portent la vendange au pressoir ; le rauque son des instruments rustiques qui les anime au travail ; l’aimable et touchant tableau d’une allégresse générale qui semble en ce moment étendu sur la face de la terre ; enfin le voile de brouillard que le soleil élève au matin comme une toile de théâtre pour découvrir à l’œil un si charmant spectacle : tout conspire à lui donner un air de fête ;
Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Héloïse, (Tome 1, Tome 2, Tome 3), 1761
L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. Tantôt j'aurais voulu être un de ces guerriers errants au milieu des vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au coin d'un bois. J'écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur.
François-René de Chateaubriand, René, 1802
Mais l’automne, lorsqu’il vient finir les plantes, n’apporte qu’une sorte d’avertissement lointain à l’homme un peu plus durable, qui résiste, lui, à plusieurs hivers et se laisse plusieurs fois leurrer au charme des printemps. L’homme, par les soirs pluvieux d’octobre et de novembre, éprouve surtout l’instinctif désir de s’abriter au gite, d’aller se réchauffer devant l’âtre, sous le toit que tant de millénaires amoncelés lui ont progressivement appris à construire.
Pierre Loti, Ramuntcho, 1897
J’aimais ces immenses massifs de bois qui suivaient les mouvements du terrain, recouvrant le pays d'un manteau vert en été, et, à l'automne se colorant de teintes variées selon les espèces jaunes, vert-pâle, rousses, feuille- morte, sur lesquelles piquait le rouge vif des cerisiers sauvages, et ressortait le vert sombre de quelques bouquets de pins épars.
Eugène Le Roy, Jacquou Le Croquant, 1897
C’était un matin d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon d’épervier dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la gerbe était dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie ou un vagissement douloureux.
L’été venait de finir et l’automne naissait.
Louis Pergaud, La Guerre des boutons : roman de ma douzième année, 1912
L’automne, là aussi, exerçait sur la campagne ses somptueux ravages. Le bois de Tuchevé, plus atteint, n’était qu’une mer rousse tantôt calme et tranquille et tantôt houleuse selon les ondes de vent qui passaient sur sa surface et chantaient dans ses profondeurs. De l’autre côté, des carrés de sapins se hérissaient sombres et têtus non loin de bosquets résistants de chênes et de hêtres à peine jaunissants.
Louis Pergaud, Lebrac, bûcheron : roman inachevé, 1924
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