Des dangers du port du corset
« Assassin de la race humaine » : c’est ainsi que Napoléon aurait qualifié cet accessoire historique du vêtement féminin (parfois masculin). Faut-il voir de l’outrance dans ces propos sans concession ?
De nombreux détracteurs
A son arrivée en France en 1532, Catherine de Médicis y importe le corset à busc. Accessoire bientôt indispensable qui connaît un succès fulgurant et durable auprès des femmes oisives jusque dans les années 1920 - avec une exception en 1789 - car il souligne, affine et parfois sublime leur corps.
Or dès le XVIe siècle, le chirurgien Ambroise Paré tente de mettre en garde celles qui aspirent à arborer une taille de guêpe. Il relate un fait divers contemporain : une jeune mariée morte étouffée dans sa robe nuptiale. Il atteste avoir eu l’occasion de disséquer plusieurs de ces belles à la taille fine,
leurs costes chevauchant les unes par-dessus les autres .
Le XVIIIe siècle se caractérise par un retour vers la simplicité et le naturel. De fait, médecins mais aussi philosophes conjurent la bonne société de renoncer à infliger le port du corset aux enfants : John Locke mais aussi Jean-Jacques Rousseau. Le naturaliste Georges Cuvier compare une femme corsetée à une fleur ligaturée.
En 1770, l’ouvrage d’un certain Bonnaud La Dégradation de l’espèce humaine par l’usage du corps à baleines connaît un certain retentissement :
Le Corset, histoire, médecine, hygiène... / Ludovic O'Followell, 1908.
En 1772, un médecin français Alphonse Leroy prétend même y voir une influence sur le caractère des femmes et enfants ainsi équipés. En 1783, l’empereur autrichien Joseph II ordonne son interdiction aux honnêtes femmes et a contrario son utilisation afin de punir celles condamnées par la justice !
Au XVIIIe siècle, alors que les médecins ne disposaient pas encore de toutes les connaissances scientifiques de notre époque, ils pressentaient déjà combien cet accessoire de mode se révélerait funeste à la santé.
il est plus dangereux encore de leur faire porter des corps de baleines ou des corsets , qui , en pressant le foie et les viscères du bas ventre , les élèvent vers le thorax, le compriment ainsi que le diaphragme, gênent la respiration , offensent la matrice et les ovaires , causent des agitations , des flatuosités convulsives, des vapeurs histériques, des dépravations de l'appétit et mille autres infirmités , selon Vanswiten, et tous les autres célèbres médecins.
Sans parler du comportement masculin graveleux qu'il pouvait induire comme en atteste cette estampe :
Au XIXe siècle, la critique se fait encore plus acerbe :
La loi punit certaines tentatives de suicide ; elle punit de mort celui qui, parfois sans beaucoup de réflexion, met avec intention le feu à une cabane [...] mais elle se garde bien, cette même loi, de punir la femme qui, à son nez et à sa barbe, se suicide en s'étranglant les flancs, et souvent, étouffe son enfant dans ses entrailles !
Au début du XXe siècle, les suffragettes qui revendiquent le droit de travailler le rejettent comme une entrave à la liberté de leurs mouvements. 1910 voit la création de la Ligue des mères de famille contre la mutilation de la taille par le corset.
Constriction des organes internes
La constriction des organes internes va venir perturber les quatre principales fonctions de l’organisme : la respiration, la circulation sanguine, la digestion et la nutrition.
- La capacité pulmonaire est gravement diminuée. Cette gêne à la respiration explique pourquoi les femmes étaient constamment l’objet de malaises, surtout après les repas et qu’un flacon de sels devait toujours rester à portée de main. On leur faisait respirer pour les réanimer, mais surtout on s’empressait de délacer l’objet du délit.
- La pression sur les côtes inférieures gêne le diaphragme
- les côtes sont déformées.
- L’estomac devient vertical et bilobé. Cela provoque des dyspepsies, i.e. troubles digestifs caractérisés par une douleur et un inconfort chronique centré sur la région de l'estomac, ou épigastre. En 1891, Eugène Chapotot consacre sa thèse de médecine à ce sujet.
- Le foie se déforme
- sous la pression des organes abdominaux, la matrice chute (prolapsus, ptose)
Autres effets secondaires
- atrophie donc perte de la masse musculaire, car les muscles abdominaux et dorsaux ne sont plus sollicités.
- Irritation sur les peaux surchauffées par ce frottement prolongé : les marques rouges pouvaient mettre plus d’un quart d’heure à disparaître !
- Enfin, plus inattendu : une altération de la santé mentale, car certaines névropathes sont obsédées par leur ligne.
Même si les journaux de 1836 relataient un fait divers où une femme avait pu avoir la vie sauve grâce à la protection offerte par son armature, ou bien dans ce feuilleton paru en 1884, cette fonction de gilet pare-balle apparaît anecdotique et ne parvient pas à occulter l’interminable liste des funestes conséquences du port du corset car :
N'oublions jamais que la nature est impitoyable et qu'elle se venge toujours des infractions que l'on se permet de faire à ses lois immuables.
De nos jours, il semble inconcevable que pour suivre la mode, les femmes aient pu s’infliger pareil supplice, perturbant qui plus est, le bon fonctionnement de leur organisme. Ce n’est qu’à partir du moment où elles ont rejeté cet accessoire qu’elles ont conquis la liberté de leurs mouvements et leur autonomie juridique avec la fin de la tutelle masculine.
Pour aller plus loin
Tissus d'une vie dans le Parcours textile
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