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Jules de Gastyne (1847-1920)

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23 octobre 2020

Jules de Gastyne, totalement oublié de nos jours, est caractéristique de la Belle Epoque, ou plutôt des années 1870 à 1920. Pas le plus populaire (mais il a connu un beau succès), ni le plus original, dans ses thématiques comme dans son écriture, il est l’exemple type du feuilletoniste du temps, et est en cela intéressant.

Jules de Gastyne est le prototype même de l’auteur populaire de la Belle Epoque. Cet écrivain ordinaire a obtenu un bon succès sans connaître les sommets atteints par des auteurs contemporains, comme Pierre Decourcelle, Charles Mérouvel ou Jules Mary. Il ne se détache pas vraiment du groupe des feuilletonistes de la fin du siècle, ni par son style, ses thématiques ou sa popularité. Lui aussi a beaucoup écrit, lui non plus n’a jamais été reconnu dans le monde littéraire du temps. Et en cela il est caractéristique de l’époque. Et comme la plupart des autres romanciers de ce genre, il est totalement oublié de nos jours.
 
Il est né à Sanxey, près de Poitiers, le 12 juin 1847 (certaines sources indiquent 1848). Son nom de famille est Jules Sillas Benoist (mais certains parlent de Jules Benoit). Son père est menuisier. Mais lui s’intéresse d’abord au journalisme. Il commence au bas de l’échelle : d’abord correcteur, il joue assez vite le rôle de critique théâtral dans des journaux locaux, notamment Le Courrier de la Vienne et Le Journal de la Vienne. Mais en 1869 il quitte Poitiers pour Paris. Dès lors, il travaille pour des périodiques plus ou moins monarchistes, en tous cas conservateurs, comme Le Triboulet. Il collabore également au Paris Journal et signe désormais sous le pseudonyme de Jules de Gastyne. Pendant la Commune, en mai 1871, il écrit dans une feuille réactionnaire publiée à Paris même, Le Bien public, puis La Constitution, qui n’aura que cinq livraisons avant d’être interdite. Il s’y déchaîne contre les nouveaux maîtres de la ville, qu’il qualifie d’assassins et d’incendiaires. Mais dans le dernier numéro, il demande aux futurs vainqueurs de ne pas accentuer leurs ressentiments et d’épargner les vies de leurs adversaires, demande qui sera totalement ignorée (près de 30 000 morts, sans compter des milliers d’envois en prison ou au bagne). Juste après la prise de la capitale par les Versaillais, il publie Les Mémoires secrets du Comité Central de la Commune (1871), auquel il rajoutera un chapitre vingt ans plus tard. Il y relate quelques aspects de cette période, en affirmant que "Ce livre n'est point une histoire. C'est une photographie. Comme la photographie, il n'a qu'un mérite : c'est d'être exact". Ce qu’on pourrait contester, car il fait montre d’une partialité très affirmée.

Dès l’année suivante, il écrit en collaboration avec Louis de Semein un drame en cinq actes, Balthazar Gérard. Il continuera par la suite dans le domaine théâtral, mais dans les comédies, et la plupart du temps en collaboration avec d’autres auteurs, dont le Rêve de Malitou qui connut en 1885 un certain succès. Mais c’est surtout ses romans qui le propulsent sur le devant de la scène. Cela commence dès 1873 avec Les Tripoteurs. L’Ecuyère masquée suit en 1878, puis La Femme nue en 1883. Et une fois lancé, il ne s’arrête plus. Il publie presque trois ou quatre romans par an pendant une dizaine d’années, ramenant ce chiffre à un ou deux jusqu’à sa mort à Paris le 14 juin 1920, à 73 ans. Une partie de ses textes sont sous-titrés "roman parisien", comme L’Amour et l’argent, L’Ecuyère masquée, Rayon d’or, ou En flagrant délit. Mais il y en a beaucoup d’autres qui ne rentrent pas dans cette catégorie, dont La Grotte du milliard, Blondinette, Le Drame des Chartrons, Amours criminelles, Le Lys noir ou Sanglante Enigme. Il travaille aussi dans de nombreux journaux, dont Le Petit Journal, Le Petit Parisien, La France ou encore La Presse. Il aura également deux enfants qui reprendront son pseudonyme ; Guy de Gastyne (1888-1972) sera un décorateur connu, et Marco de Gastyne (1889-1982) deviendra un réalisateur de cinéma dans les années 1920-1930.

Son théâtre est modeste : quelques pièces tournées essentiellement vers la comédie et le vaudeville et écrites en quelques années (dans la période 1883-1887) avec l’aide d’autres auteurs (sauf La Vie commune qui est entièrement de sa main). Car son œuvre est avant tout romanesque : sa production s’étale entre 1873 et 1920. Ce sont parfois des romans d’aventures comme La Grotte du milliard. Dans ce texte de 1884, qui se vendit très bien, se mêlent péripéties nombreuses, passion, enquêtes, trahisons, représailles, rebondissements incessants. On y voit un Français en compagnie de sa maîtresse seconder un policier à la recherche de faussaires dont le chef n’est autre que le mari de l’amante. Le tout dans de grands espaces avec chevauchées, poursuites et embuscades, sans oublier les quiproquos sur les différents protagonistes, chacun étant finalement assez différent de l’image qu’il donne. Et l’idée de la vengeance est omniprésente : "Puis, il y avait encore la rage d'avoir été trompé, roulé, comme il disait, par une femme, par sa femme, qu'il croyait incapable d'une trahison et d'une pensée mauvaise, par sa femme qu'il avait toujours considérée comme une petite fille naïve, insignifiante, ne sachant rien de la vie et qu'il traitait en écolière".

Mais la plupart du temps, ce sont des drames mondains et des histoires d’amour, auxquels Jules de Gastyne accroche des éléments criminels et parfois une (petite) critique sociale. Par exemple dans L’Amour et l’argent. Comme le remarquait le 26 juillet 1884 un journaliste de La Liberté : "L'amour n'y est pas plus heureux que l'argent. La fièvre de l'or, la peste jaune, comme on l'a appelée, fait bon marché des saines tendresses, des nobles cœurs. Le cœur n'est pas coté à la Bourse". Ou Le Secret de Daniel qui relate les aventures d’un homme conduit au bagne par la malhonnêteté de son banquier. Il s’attaque aux financiers, comme beaucoup de feuilletonistes de son époque, par exemple dans Les Tripoteurs : "Les véritables bureaux assassins, les bureaux tire-laine, les bureaux prostitués, effrangés, boueux, sordides […] ce sont les bureaux de certains petits journaux financiers. Oh ! dans ceux-là, n'allez pas mettre le bout du pied ; vous en sortiriez flétris, souillés, volés, couverts de fange sanglante de la nuque à la cheville. On y est sans pudeur, sans honneur, sans pitié. Le seul maître, le seul roi, le seul Dieu que l'on y reconnaisse, c'est l'or...". De même qu’il n’est pas tendre pour les Américains, comme encore de nombreux écrivains populaires de son époque : "En Amérique il est toujours facile de trouver des gens disposés à tout pour devenir riches. La fortune n'est-elle pas le seul but auquel tende l'Américain ?".
 
Une des thématiques essentielles de ses textes est celle du faux coupable : un jeune homme de bonne famille accusé d’un crime perpétré par un assassin machiavélique. Le plus fameux est peut-être Le Drame des Chartrons de 1888 où un prétendant évincé envoie au tribunal son rival en le faisant passer pour le meurtrier de son ancienne maîtresse. Même intrigue pour Jusqu’au crime (1912) ou le héros est accusé d’empoisonnement et ne devra son salut qu’à un juge clairvoyant et solitaire. Parfois, c’est la disparition d’une femme qui est le moteur du récit : Casse-cœur (1909) ou Disparue (1919) dans lequel un jeune journaliste tout juste marié est appelé sur la scène d’un crime inexistant pour s’apercevoir à son retour que sa femme n’est plus là. Parfois c’est tout simplement le meurtre qui est mis en scène, en relation avec l’actualité, comme dans Un Drame à l’Exposition, qui montre une fillette jetée du haut de la Tour Eiffel ; Gastyne y exploite à fond les décors de L’Exposition Universelle qui venait de se tenir à Paris (Un Drame à l’Exposition, daté de 1889).

Mais beaucoup de ses ouvrages ne sont que des drames sentimentaux : Le Lys noir (1902), L’Abandonnée (1878), Amour brisé (1917), Cœur sacrifié (1897), Loin des yeux, près du cœur (1919) ou Purifié par l’amour (1919).

 

Son style est simple et aisé à suivre. Comme le dit la Grande Encyclopédie Larousse en 1890 : "Les romans de M. Jules de Gastyne sont intéressants, écrits sans prétention, d’une plume facile". Et La Revue illustrée du 15 novembre 1890 ajoute : "Pas de prétention à la psychologie ; de l'invention, de l'émotion et de l'intérêt". Ses textes ressemblent à beaucoup de romans populaires du temps. Ce sont essentiellement des dialogues, avec des phrases courtes permettant d’allonger la matière écrite et de gagner de la place (et aussi de l’argent, car les feuilletonistes étaient payés à la ligne). Par exemple dans le Drame des Chartrons, ces phrases :

- Où ?
- Chez M. Pallan, tu sais bien.
- Oui, je sais bien que ce n'est pas vrai. Je suis allée t'y demander.
- Voilà que vous me mouchardez à présent ?
- Je ne moucharde pas, comme tu dis, mais j'avais peur qu'il te fût arrivé un accident.
- Je vous l'aurais fait savoir.
- Et si tu étais mort ?
Le misérable ricana :
- Je vous l'aurais écrit. » 

Ou encore dans Amours criminelles :

- Tu connais déjà, dit la mourante, M. René Mœrens ?
- Je l'ai aperçu plusieurs fois dans la maison.
- –Il t'a parlé ?
- Jamais, mère.
- Comment le trouves-tu ?
La jeune fille, rouge comme une pivoine, baissa la tête sans répondre.
- Il parait t'aimer beaucoup.
– Moi ?
- Oui. Il vient de me le dire »

Et cette technique abonde dans son œuvre, à longueur de pages.
 
Au début du XXe siècle, il commence à rédiger des séries, pas forcément sous son nom. Deux notamment lui sont attribuées qui ont été publiées par l’éditeur de littérature populaire Ferenczi. D’abord Rifle d’or, qui conte les aventures prodigieuses d’un jeune breton tireur d’élite en Amérique du Sud, en 88 numéros. Et aussi, et surtout, les aventures de Marc Jordan, qu’il sous-titrait "les exploits surprenants du plus grand détective français". Ce héros, crée en 1908, à la bonne humeur et à l’entrain inépuisables, est le personnage principal de plus de soixante fascicules. Certains spécialistes du roman policier français lui accordent à cause de ces deux suites de récits une certaine considération.
 
Car Jules de Gastyne n’a pas vraiment marqué la littérature, même populaire. Non seulement il est totalement délaissé, mais il n’existe pas vraiment d’études ou d’articles sur lui. Yves Olivier-Martin, auteur d’une Histoire du roman populaire en France, y dit : "Jules de Gastyne, dont le succès paraît incroyable aujourd’hui, orfèvre d’intrigues filandreuses et débiles". Et dans le Dictionnaire des littératures populaires francophones on peut lire que ses histoires sont "le plus souvent sans originalité, écrites dans un style plutôt médiocre". Les dernières rééditions datent des années 1930, soit moins de quinze ans après sa mort. Il était vraiment de son temps, complètement inséré dans son époque. Et ses thématiques, notamment criminelles, n’y changent rien : plus d’un siècle a passé, et elles ont vieilli. Mais il reste encore lisible, même si ce n’est pas une écriture flamboyante. Pour cela, il vaut le coup de le lire. Et peut-être qu’on finira par le redécouvrir.
 

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