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Louise Colet, fière de lettres

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Pour prolonger l’article, « Louise Colet, ni muse ni bas-bleu », publié dans la série Fières de lettres de Libération, ce billet propose des pistes pour approfondir la découverte dans Gallica des œuvres de Louise Colet. Son écriture féministe et féminine, très moderne par bien des aspects, mérite très largement d’être rééditée et redécouverte.
 

Louise Colet (1810-1876) est à la fois singulière et emblématique du sort fait aux femmes qui se mêlent d’écrire au XIXe siècle. Poète, romancière, dramaturge, autrice de biographies ou de récits de voyage, elle a touché à presque tous les genres littéraires et a fréquenté les écrivains les plus importants de son époque. Mais, en dépit de quelques beaux succès d’édition, de quatre prix décernés par l’Académie Française et des hommages rendus par les plus grands de ses confrères, parmi lesquels Victor Hugo, elle n’a pas réussi à s’imposer comme une écrivaine à part entière.

Une œuvre éclectique

Louise Colet a, de fait, laissé une œuvre abondante, polygraphe et éclectique, qui reste à découvrir, même si elle est de qualité un peu inégale : elle avait besoin d’argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille et devait écrire vite. Ses Lettres et son journal mettent en évidence la façon dont elle doit se débattre dans un monde de mondanités, de flagorneries, d’hypocrisies et d’humiliations, pour vivre une vie de femme de lettres indépendante, soutenir sa réputation, et tenter d’être reconnue par le monde masculin des lettres.

Louise Colet a d’abord écrit et publié de la poésie, parce qu'elle a le vers facile et que le genre, au début du siècle encore romantique, reste majeur. Parallèlement aux longs poèmes qui lui valent une gloire académique, s’échelonnent des recueils, de la jeunesse à la maturité, qui témoignent d’une pluralité de sources d’inspiration et surtout d’un tressage thématique qui allie l’élégie intime et le poème engagé, comme dans l’étonnant « Paris matière » (1868). Ses recueils sont nombreux : Fleurs du midi (1836), Penserosa (1839), Ce qui est dans le cœur des femmes (1852) ou Ce qu’on rêve en aimant (1854). Elle rédige aussi des poèmes de commande, dont elle sait toutefois se réapproprier, teinter d'intime voire de politique, les sujets imposés ; ce qui lui vaut d’être distinguée à quatre reprises par le Prix de l’Académie Française : Le Musée de Versailles (1839), Le Monument de Molière (1843), La Colonie de Mettray (1852) et L’Acropole d’Athènes (1854).

À partir des années 50 elle écrit aussi des romans en partie autofictionnels, Une Histoire de soldat (1856), Un drame rue de Rivoli (1857) et Lui, roman contemporain (1860), ainsi que des nouvelles (Les Cœurs brisés, 1843) et des études de moeurs comme Les derniers marquis (1866) ou le savoureux Ces petits messieurs (1869). Il faut ajouter de nombreuses biographies parmi lesquelles plusieurs vies de femmes, sur lesquelles on va revenir, des essais politiques, La Vérité sur l’anarchie des esprits en France (1873) ou Edgar Quinet, l'« Esprit nouveau » (1876), ou des récits de voyage très personnels comme Les Pays lumineux (posthume, 1879). Elle s'essaie même à la traduction (collective) de Shakspeare (sic) car si « Aborder de front cet altier génie qui a nom Shakspeare, c’est là sans doute une tâche impossible. […] Une femme a bien osé traduire Homère ! ».
 

Écrire pour Louise Colet c'est écrire la vie, ce qui la rend très moderne. La création littéraire n’est jamais détachée de la vie et de ses vicissitudes, et elle écrit dans son Monument de Molière (1853), à propos duquel un critique parlera à sa mort parle de « vers de femme d’un accent assez mâle » (!) (L’Univers illustré, 18 mars 1876) :

« Si vous fûtes si grands, ô Molière! ô Shakspeare !
Si tant de vérité dans vos œuvres respire,
C'est que par votre voix la nature a parlé :
Vos héros ont l'amour dont vous avez brûlé ;
Vos haines sont en eux, comme vos sympathies ;
Toutes les passions que vous avez senties,
Tous les secrets instincts par vos cœurs observés,
En types immortels, vous les avez gravés.
L'art ne fut pas pour vous cette stérile étude
Qui peuple d'un rhéteur la froide solitude […]
L'art a jailli pour vous nouveau, libre, animé,
De tous les sentiments dont l'homme est consumé ;
Vous avez découvert sa science profonde,
Non dans les livres morts, mais au livre du monde ! »

Louise Colet est aussi une femme engagée, féministe, républicaine et anticléricale. Elle fait entrer la politique dans ses œuvres et affiche par exemple son engagement aux côtés des fouriéristes, qui comme Leconte de Lisle fréquentent son salon, lorsqu'elle publie en 1852 un poème sur La Colonie de Mettray, colonie pénitenciaire agricole créée en 1839. Dans L’Italie des Italiens (1862-1864), elle se montre une admiratrice enthousiaste de Garibaldi de l’Italie du Risorgimento et relate en quatre volumes son voyage d’un an et demi dans la péninsule italienne et en Sicile, pour suivre avec enthousiasme les progrès des patriotes dans la libération et l’unification du pays. Revenue à Paris, avant la chute du Second Empire et son soutien à la Commune, elle s’en prend dans plusieurs de ses ouvrages à la disparition des valeurs morales. Dans La satire du siècle (1868) et notamment sa première partie « Paris matière », elle adresse à son maître Victor Hugo une poésie à clefs, œuvre politique d'inspiration satirique à la manière de La Bruyère (cité en exergue) :

 

 

Féministe et féminine

En un siècle où les femmes sont des individus de seconde zone, au mieux destinés à séduire les hommes, au pire voués aux travaux ménagers et à la puériculture, l’engagement de Louise Colet au service de la cause féminine est constant :

« Si jamais la lutte devient grandiose et sanglante je veux m’y mêler, je veux réunir toutes les femmes, toutes les mères, toutes ces sœurs en douleur et en misère, et leur faire comprendre ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut exiger !... pour qu’elles ne soient pas éternellement des machines à plaisir et à reproduction de l’espèce ! » (Lettre à Désiré Bancel, 21 mai 1850)

Dès le premier poème de son premier recueil, Fleurs du Midi (1836), elle s’adresse ainsi « à une amie » :

Dans ses poèmes elle explore ensuite la lignée féminine, de sa mère à sa fille, en évoquant le sort commun et peu enviable des femmes. Dans « À ma mère » (Penserosa, 1840) :

dans « À ma fille » (Ce qui est dans le cœur des femmes, 1852) :

et dans le même recueil, on trouve « La Femme » :

ainsi que ce douloureux « Envoi à Madame Chéron » :

Enfin dans Ce qu'on rêve en aimant (1854), on peut lire cette adresse « Aux femmes » aux accents de sororité très modernes :

Consciente qu’elle s’éloigne du cadre académique qui lui a valu des prix de poésie, Louise Colet publie entre 1853 et 1856 trois récits en vers, La Paysanne, La Servante et La Religieuse, destinés à prendre place dans une vaste fresque, « Le Poème de la femme », dont les trois derniers portraits La Princesse, La Bourgeoise et La Femme artiste ne verront jamais le jour. Les dernières pages de La Servante sont notamment frappantes. Le destin de Mariette, qui a sombré dans la folie, aurait en effet pû être celui de Louise, qui y a échappé par l’écriture. L'ultime communauté féminine dans laquelle se perd la vie de Mariette est celle des mortes-vivantes hystériques de la Salpétrière, qui sont comme les déchets relégués du pouvoir masculin.

Parmi les biographies qu'elle publie, Louise Colet fait, enfin, une large part aux femmes : deux révolutionnaires complémentaires, Charlotte Corday et Madame Roland, lui inspirent des « tableaux dramatiques » (1842). Dans Les cœurs brisés (1843) le récit de la vie romancée du peintre Jan van Huysum, raconte comment la jeune Marguerite Haverman, séduite puis délaissée par le peintre, parvient à lui dérober ses secrets et à acquérir un talent égal sinon supérieur au sien : « elle l’égale, elle le surpasse peut-être ». Et dans ses Enfances célèbres (1862) elle prend soin de réunir « Pascal et ses sœurs ». Juliette Récamier lui confie le soin de publier après sa mort sa correspondance avec Benjamin Constant, qu'elle accompagne d'une présentation sensible de son amie et de sa relation avec Constant.

Dans son « Essai sur les ouvrages de Madame de Lambert » en préface à ses Œuvres morales (1843), l'écrivaine remarque que « Depuis Molière, un esprit de dénigrement systématique a toujours poursuivi les femmes auteurs » (p. 11) et que « la vie de famille et la solitude du cloître en dérobèrent plus d’une à une réputation brillante ». Mais celles qui sont parvenues à écrire, ajoute-t-elle « nous ont laissé des pages immortelles ; des pages qu’aucun homme n’aurait pu écrire comme elles, car ces pages sont l’expression des sentiments mêmes que les femmes seules peuvent éprouver, et partant exprimer avec vérité. De là vient que l’intelligence créatrice des femmes est incontestable ; que nier leur talent d’écrire, c’est nier leur faculté de sentir, l’un dérivant naturellement de l’autre. » (p. 12).

Et dans Deux Femmes célèbres (1847), elle s’inscrit dans la filiation littéraire des Lumières. Elle reprend les étapes de l’existence de Madame du Châtelet, et de son amour pour Voltaire, pour souligner comment s’entrelacent les goûts de l’étude et les liens avec la sphère spirituelle, en un mimétisme à peine déguisé avec sa propre vie : « Il y a presque toujours dans la vie des grands hommes une attrayante figure de femme dont les biographes attachés à la principale figure dédaignent de s’occuper, ou qu’ils ne nous rendent qu’imparfaitement. N’est-ce pas aux femmes qui tiennent une plume à revendiquer ces touchantes et nobles mémoires trop souvent méconnues de la postérité ? Les femmes sont un peu traitées par les historiens et par les moralistes comme on traite les nations vaincues ; c’est-à-dire que leur personnalité s’efface, disparaît, ou tout au moins se confond dans celle de l’homme qui les a dominées. Ce qu’elles eurent d’originalité, de grandeur et quelquefois de génie, ne leur est reconnu que comme un reflet de l’esprit de l’homme célèbre qu’elles ont ainé. » (p. 10-11).

Caricature de Louise Colet, par Edw. Ancourt. Le Bouffon, n° 108, 23 février 1868

Quelques contemporains éclairés

Louise Colet a été elle-même largement victime de la misogynie de la critique littéraire. Parce qu’elle eut des liaisons avec nombre d’écrivains, on a fait d’elle le prototype du bas-bleu et on l'a cantonné dans un rôle de muse. Ses confrères l’enferment souvent dans un statut féminin, qu’ils conçoivent comme secondaire et même mineur, selon une codification établie par leurs soins. Jules Barbey d’Aurevilly, par exemple se déchaîne contre Louise Colet et lui consacre tout un chapitre de son très misogyne Les Bas-bleus (1878) : « Ce n’est pas seulement un bas bleu. C’est le bas-bleu même. Elle-s’élève jusqu’à l’abstraction [...] son pédantisme, à elle, était échevelé, enflammé, sibyllin… C’était le bas-bleu à outrance, fastueusement impie et jacobin, insulteur, vésuvien, le bas-bleu rouge ! »

Il est toutefois quelques confrères, et non des moindres, pour l'apprécier. Victor Hugo a ainsi entretenu une correspondance assez suivie avec Louise Colet. Gustave Simon précise dans l'introduction de son Victor Hugo et Louise Colet (1926) : « On sent bien que Victor Hugo estime Louise Colet, qu’il la plaint, qu’il l’encourage, la réconforte, et on verra qu’il est, au moment de sa vie où elle a le plus souffert, vraiment un ami pour elle. [...] Il avait défendu, sans en connaître l’auteur, un poème présenté à l’Académie : la Colonie de Mettray. Ce fut l’origine des relations de Victor Hugo et de Louise Colet. Elle le remercia vivement ; puis le coup d’État sépara deux êtres évidemment appelés à se mieux connaître, et provoqua cette correspondance ». Il en présente ensuite des lettres choisies :
 
« Vous êtes-vous dit, Madame, que vos vers du 10 juillet étaient les plus beaux peut-être qui fussent jamais sortis de l’âme d’un poète et du cœur d’une femme ? Vous êtes-vous dit que vous envoyiez au proscrit la plus magnifique des consolations, la gloire? Après avoir lu vos vers, je me suis trouvé heureux et fier ; tout est bien, si j’ai mérité une récompense, j’ai la plus belle ; et je bénis le sort, quel qu’il soit. Je me mets à genoux pour recevoir des mains de la Providence cet exil, et de vos mains cette couronne. » (29 septembre 1852)

ou encore : « Votre Histoire du soldat fait en ce moment le tour de notre groupe. C’est à qui la lira, et c’est à qui la relira. Après ce livre, on vous connaît mieux, et par conséquent on vous aime plus encore. C’est une triste et charmante chose, et douloureuse. Je vous remercie de l’avoir faite. Une âme est une aurore ; je lui rends toujours grâce de se montrer. Or, quelle âme est plus belle que la vôtre? Où y a-t-il plus de chaleur vraie et de clarté douce ? On a le cœur gros en lisant votre livre ; on vous y voit, on vous y contemple ; on y sent la souffrance. L’émotion est là, avec la vie, avec l’amour. C’est un ensemble pénétrant. Le ton naïf y ajoute. C’est écrit à ravir. Une sensibilité exquise est sous chaque mot, et une grande douleur dans tout le livre. Je suis fâché de n’avoir pas connu cette belle œuvre, si attendue et si réelle, avant votre arrivée. Comme nous en aurions parlé ! » (16 août 1856).

Jean-Pierre Béranger apprécie ce « qu’il y a de naturel, de vérité, de grâce simple et naïve » dans l’écriture de Louise Colet. Il écrit ainsi en octobre 1854 :

Théodore de Banville écrit aussi dans Les camées parisiens (Série 2, 1866, p. 79-80) :

Le critique Eugène de Mirecourt lui consacre un 1856 une courte biographie dans laquelle il se montre plutôt élogieux également, même si elle s'ouvre sur ces mots : « Nous allons raconter l’histoire d’une muse célèbre, qu’un écrivain de nos jours a cruellement blessée dans ce qu’une femme a de plus cher au monde, son honneur ! ». Il écrit par exemple : « La poésie en est grande et simple tout à la fois ; elle caractérise merveilleusement, selon nous, le génie de l’auteur, qui appartient au romantisme par le fond et au génie classique par la forme. L’Acropole d’Athènes respire un véritable parfum d’antiquité. Si l’on peut s’exprimer de la sorte, ce poème chatoie d’images délicates et de peintures gracieuses. Presque tous les vers semblent tombés de la plume d’André Chénier. »

Un deuxième billet sera bien sûr prochainement consacré à la relation amoureuse de Louise Colet avec Gustave Flaubert, qui a largement et durablement nui à sa réputation de femme de lettres et contribué à la figer dans l'unique rôle grand amour, de muse et de correspondante privilégiée du génie.

Injustement traitée par la postérité, l’œuvre de Louise Colet a connu un certain déclin au cours du XXe siècle, absente de la plupart des manuels d'histoire littéraire. Au XXIe siècle, on note pourtant un certain regain d'intérêt pour cette œuvre et ce personnage original, avec notamment des rééditions de quelques romans, la publication en 2018 de ses Mementos, où l'on peut entendre sa voix sans fard, ou le tout récent numéro de la Revue des lettres modernes, Louise Colet ou l'éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes (2020).

Pour aller plus loin

Commentaires

Soumis par Polimnie le 02/03/2021

Merci pour cet article, complet et stimulant. Et tous ces liens vers des textes que je ne connaissais pas ! Tout cela sans pubs qui polluent. Une lecture qui pousse à la concentration et l'exploration structurée.
Vive le blog Gallica !

Soumis par Benoît Legros le 04/02/2024

Très documentée et passionnante évocation de la vie et de l' œuvre de Louise Colet par Jean Paul Clébert que je recommande vivement aux éditions
Presse de la Renaissance.

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