Les bains sont présents depuis longtemps dans les villes, des
thermes de l'époque antique aux étuves médiévales, assurant un rôle tant social qu'hygiénique. Après leur quasi disparition à la fin du Moyen-Age, les bains connaissent un nouvel essor au XVIIIème et XIXème siècles à la faveur du développement des nouvelles théories des médecins hygiénistes,
bains des établissements thermaux dans les nouvelles stations balnéaires, bains de mer ou bains des villes qui proposent hydrothérapie, bains de vapeur en guise de traitements curatifs ou préventifs.
À Paris, des établissements de bains froids s'installent sur le bord de la Seine dès le milieu du XVIIIème siècle. Laissons Eugène Briffault (1799-1854), qui croque avec humour ses contemporains à la piscine dans « Paris dans l'eau »,
décrire la fréquentation de ces premiers bains à quat' sous :
La Seine était couverte de bains à quat' sous (…) Quelques planches mal jointes, recouvertes d'une grosse toile indiquaient ces lieux de délices. On y fournissait des caleçons à ceux qui pouvaient les payer ; la majorité des baigneurs supprimait ce vain ornement ; les peignoirs étaient complètement inconnus ; quant à la serviette, c'était un luxe ou un raffinement dont la pensée ne venait à personne.
Ces établissements installés dans des bateaux à quai, qui dans un décor de colonnades, proposent des bains chauds privés en plus de l'espace de baignade collectif, se nomment bains Tronchon de l'île Louvier, en face du jardin des plantes, bains Vigier , bains Poitevin, bains Petit près de l'île Saint-Louis ou bains Deligny fondés en 1785 par l'assemblage de plusieurs bateaux sur le quai d'Orsay.
Mais les bains sont froids et les bateaux sont remisés à la fin de l'été. Les eaux de la Seine sont également de moins en moins salubres. Un nouveau type d'établissement voit donc le jour à la fin du XIXème siècle, distinct des bains - même si on y trouve parfois les deux types de services - la piscine d'intérieur. Il n'existe alors en France, à la différence de Londres ou d'autres villes d'Europe, aucune piscine de natation. À Paris, le préfet initie la création de piscines de natation permanente en décembre 1880,
mais la première concession étant annulée, il faut attendre 1883 pour que le projet soit confié à Paul Christmann, qui fonde la
Société française de gymnastique nautique et fait construire en 1884 la piscine de Château-Landon, premier bassin couvert de 50 mètres sur 12 chauffé à 25°. Le journal
Le Cri du peuple annonce ainsi dans son numéro du 31 août 1884 :
Cet utile établissement, qui réalise un véritable progrès pour notre pays est ouvert jusqu'à dix ou onze heure du soir et le jeudi est entièrement réservé aux dames.
Paul Christmann aménage une deuxième piscine en 1885 sur le boulevard de la gare, près de la gare d'Austerlitz.
Grande piscine Rochechouart, 1885
En 1885, Jacques Oller, également fondateur du
pari mutuel autorisant les petits paris des particuliers sur les courses de chevaux (1867), puis plus tard
des Montagnes russes (1887) ou du Moulin Rouge (1889) est le promoteur de la piscine couverte et chauffée de Rochechouart, installée dans les anciennes usines Godillot. La piscine de 47 m sur 15 m se compose d'un bassin en pente douce jusqu'au milieu de la piscine, qui atteint une profondeur de 1,30 m, puis la pente s'incline plus rapidement jusqu'à l'extrémité du bassin à une profondeur de 3,5 m. Enfin,
les Arènes nautiques, lieu de loisir et d'attraction sont réaménagées par le banquier Jacques Laffite dans l’ancienne Salle Valentine et consacrées aux spectacles équestres et d’acrobaties l’hiver et à la piscine l'été. La revue
Le Génie civil revient en 1886
sur la machinerie des Arènes.
La piste ronde est mobile, grâce à un système hydraulique conçu par Léon Edoux (1827-1910), qui équipa par la suite, en 1889, la Tour Eiffel d'un
système d’ascenseurs pour atteindre le dernier étage.
Affiche Louis Galice, piscine Ledru Rollin, Bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris
Ces premiers établissements sont organisés de manière similaire : autour du bassin central s'alignent plusieurs étages de cabines en encorbellement. Des bains-douches, de vapeur sont souvent associés à l'établissement mais les accès sont distincts. Un restaurant accueille les nageurs affamés. Le réaménagement des locaux, anciens bâtiments industriels est confié à des architectes, tel Lucien-Dieudonné Bessières, assisté de l’ingénieur Edmond Philippe pour la piscine de Château-Landon. La Ville de Paris fait construire en 1891
la piscine Rouvet, équipée d'un bassin de natation à ciel ouvert dont l'eau provient du canal de la Villette,
la piscine Hébert en 1896, la
piscine Ledru-Rollin en 1897 ou la
piscine de la rue des Pyrénées. Bordeaux ou Armentières s'équipent également de piscines couvertes décrites par
le Génie civil en 1893.
Bains de la piscine Montmartre, 1890
La principale problématique est la gestion et la qualité de l'eau des bassins. Il faut dans un premier temps chauffer l'eau des bassins. Dès 1880, le Conseil municipal prévoit l'utilisation des eaux de condensation des usines ou des machines élévatoires du quai de Billy, de la Villette et
l'usine du pont d'Austerlitz,
qui sont concédées contre l'ouverture des piscines aux scolaires, aux indigents ou aux troupes de garnison. Ainsi la piscine Ledru-Rollin est alimentée par les eaux de l'usine élévatoire de Bercy où sont installées quatre machines à vapeur.
L'utilisation de la nappe phréatique est une autre solution : l'eau, déjà chaude, autour de 25°, est remontée à l'aide des puits artésiens creusés initialement pour l'approvisionnement en eau potable. La piscine Hebert fonctionne à son ouverture grâce
au puits de la place Hebert foré en 1866 dont le débit devient rapidement insuffisant. De même, plus tardivement, la piscine Blomet est chauffée
par le puits artésien de Grenelle. En 1936, la revue
La Technique sanitaire et municipale revient sur les techniques de chauffage utilisées plus largement dans les piscines : chaudières au coke (Bordeaux, Le Havre, la piscine des Amiraux à Paris) ou chauffage électrique pour la piscine de Saint-Etienne.
Pour assurer l'écoulement de l'eau, on installe dès l'origine des ajutages alimentant sans cesse le bassin en eau,
des orifices tout le long et un siphon de vidange. La qualité des eaux est un problème à résoudre. Les eaux provenant de la Seine conservent les impuretés même après passage par les condensateurs. Les baigneurs eux-mêmes apportent poussières, sable, saleté dans les eaux des bassins, avant l'installation des douches et des pédiluves. Il devient alors essentiel de renouveler et de filtrer l'eau des piscines. Le système de filtrage est installé progressivement dans les piscines dans les années 1920-1930,
complété par l'usage du chlore.
Construction de la piscine de la Butte aux Cailles, 1924
La construction et les matériaux même des piscines évoluent et sont représentatifs des courants architecturaux et stylistiques de leur époque. Si la piscine de Château-Landon est tout en poutres métalliques, évoquant l'Art nouveau, structure encore utilisée jusqu'aux années 1920 comme dans la construction de la
piscine des Tourelles, les piscines, plus nombreuses, construites dans les années 1920-1930 utilisent
le béton apparent telle la piscine
de la Butte aux Cailles, conçue par Léon Bonnier, dont les
travaux débutent en 1921. Parmi ces piscines représentatives de l'Art Déco, on trouve la
piscine de Roubaix construite par Albert Baert ou celle de
Châtenay-Malabry.
Les matériaux de revêtement répondent à un besoin technique, en particulier d'imperméabilité mais participent également par le jeu des mosaïques à l'affirmation de ces styles architecturaux. À la faïence se substituent les grès cérame, vantés comme microbicides et décrits par
La Technique sanitaire en 1933, morceaux vitrifiés ou
granito ou mélange de ciment et de grains de granit poli sur place. En 1928, la France compte pourtant seulement 40 piscines d'hiver, titre
Le Miroir des sports, dont un tiers propice à la natation.
Démonstration de natation scolaire, piscine Ledru-Rollin, 1927
La natation, pratique devenue discipline sportive, est source d’inspiration pour les écrivains, journalistes et anciens sportifs. Dans certains textes, la nage est hédoniste comme
dans les Natchez où Chateaubriand en donne une vision sensuelle. Ses protagonistes nagent au milieu de plants de céréales par pur plaisir.
Chateaubriand, F.-R. de, Les Natchez, Degorce-Cadot éd., Collection illustrée des œuvres célèbres, 1872, p.97
Mais d’autres écrits évoquent la technique des différentes nages, la compétition et envisagent la natation comme un exercice corporel intégré à l’éducation physique. A l’instar du chapitre
Natation de Rowing-natation ouvrage écrit par le champion d’aviron Alexandre Lein et Georges Le Roy. La discipline n’est ici envisagée que sous son aspect utilitaire, les bases et différentes techniques de nage et de plongeon sont abordées.
Mais il existe d’autres types de textes comme
Les Nageurs suédois d’Adolphe Brisson présent dans
Scènes et types de l'Exposition, recueil contenant les articles que le journaliste et critique dramatique a publié dans
Le Temps à l’occasion de l’
Exposition universelle de 1900. Il s’agit d’un texte journalistique rédigé d’une plume littéraire qui rapporte une exhibition sportive et mentionne des souvenirs personnels.
Après avoir décrit la quinzaine de sportifs, aux corpulences et statuts sociaux forts différents, le journaliste admiratif de la technique des athlètes fait le récit de la course dans un style empreint d’effets et de références mythologiques :
La démonstration des nageurs ne se limite pas à une succession de longueurs. Se succèdent un ballet de figures, la simulation de sauvetage d’un naufrage, des plongeons…
Et à l’admiration des prouesses succède celle de la discipline de l’entrainement :
Adolphe Brisson poursuit avec nostalgie en évoquant ses souvenirs … les Bains Deligny qu’il avait l’habitude de fréquenter. Avant de conclure sur quelques mots échangés avec le lieutenant-colonel Balck au terme de la démonstration :
Voir aussi les sélections Gallica consacrées au Sport et à la littérature.
Ajouter un commentaire