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La kleptomanie racontée par Zola

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21 juin 2024

Le courant littéraire dont Emile Zola se revendique, le naturalisme, s’inspire des sciences expérimentales, postulats et théories contemporains (hérédité, hystérie, criminalité, lois physiologiques) pour peindre sans concession la société et en particulier les femmes. 

Au bonheur des dames : coupe du roman de M. Emile Zola / Par A. Robida, 1883..

On sait qu’Emile Zola se livrait à une étude très minutieuse du milieu social  où vont évoluer ses personnages. Ainsi en 1882, il se rend au Bon Marché et aux Grands Magasins du Louvre pour interroger les employés.

La maladie à la mode à la fin du XIXe siècle

Dans la série des Rougon-Macquart, l’écrivain a hystérisé bon nombre de ses personnages féminins. Dans « Au bonheur des dames », certaines sont sujettes à la névrose des grands bazars .
En cette fin de siècle, l’hystérie est la grande maladie à la mode dans l'imaginaire masculin : cette névrose exclusivement féminine serait omniprésente et protéiforme. En 1862, Jean-Martin Charcot a ouvert le service des hystériques et épileptiques à l'hospice de la Salpêtrière : il va étudier sur des centaines de patientes - mais aussi quelques sujets masculins - cette maladie signalée dès l'Antiquité mais encore mystérieuse. Attribuée à l'utérus, elle était réputée toucher exclusivement des femmes dont les crises spectaculaires donnaient à penser qu'elles étaient "possédées". 

Une leçon du Dr Charcot / A. Brouillet, Salon de 1887.

C'est donc un thème zolien récurrent dans les Rougon-Macquart. L'écrivain interprète cette pathologie comme le résultat de la conversion de pulsions sexuelles refoulées.

Par la suite, Sigmund Freud (1856-1939) donnera à ces symptômes de la névrose hystérique le nom d’hystérie de conversion : une partie du corps prend un sens symbolique et le malaise psychique est alors transformé en malaise corporel.

Oeuvres complètes illustrées de Emile Zola, 1906

Un symptôme de l'hystérie : la kleptomanie 

Dès 1851, l'aliéniste Benedict-Auguste Morel (1809-1873) est d’avis que l’hystérie peut déclencher des actes insensés tels la kleptomanie. Chez les monomanes, les médecins distinguent plusieurs phases : l’émergence de l’obsession, l’anxiété due au conflit intérieur et après la réalisation de l’idée obsédante, un sentiment de soulagement suivi de remords.
Afin d’illustrer cette névrose, Zola "'psychanalyse" une kleptomane :

Depuis un an, madame de Boves volait ainsi, ravagée d'un besoin furieux, irrésistible. Les crises empiraient, grandissaient, jusqu'à être une volupté nécessaire à son existence, emportant tous les raisonnements de prudence, se satisfaisant avec une jouissance d'autant plus âpre, qu'elle risquait, sous les yeux d'une foule, son nom, son orgueil, la haute situation de son mari. [..] Elle volait avec de l'argent plein sa poche, elle volait pour voler, comme on aime pour aimer, sous le coup de fouet du désir, dans le détraquement de la névrose que ses appétits de luxe inassouvis avaient développée en elle, autrefois, à travers l'énorme et brutale tentation des grands magasins.

Mouret, le directeur du magasin, établit une classification des types de voleuses :

Puis, venaient les voleuses par manie, une perversion du désir, une névrose nouvelle qu'un aliéniste avait classée, en y constatant le résultat aigu de la tentation exercée par les grands magasins.

  La pulsion qui s'empare de la voleuse en puissance correspondrait à une recherche de satisfaction corporelle. Le rapport tactile à la marchandise, en particulier la soie et la lingerie, crée le désir.

Elle plongeait les mains dans ce flot montant de guipures, de malines, de valenciennes, de chantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peu chauffé d'une joie sensuelle ; tandis que Blanche, près d'elle, travaillée de la même passion, était très pâle, la chair soufflée et molle.

Zola utilise à dessein un vocabulaire médical. L’aliéniste Paul Dubuisson (1847-1908) évoque le vol provoquant l’orgasme vénérien chez une hystérique. Ainsi, même les monomanies instinctives -  en principe non sexuelles - comme la kleptomanie seraient une manière d’arriver à la jouissance.

Oeuvres complètes illustrées de Emile Zola, 1906

Des causes physiologiques

Dès le début du XIXe siècle, les aliénistes établissent un lien entre vols et particularités physiologiques de la femme. Ces dernières sont multiples : puberté, menstruation, grossesse, lactation, ménopause si bien que pendant quasiment toute son existence, la femme traverserait des périodes critiques où sa moralité vacille. A l'instar de la première femme, Eve, elle serait incapable de résister à la tentation. Le Docteur Séverin Icard (1860-1932 ?) dans son étude sur La femme pendant la période  menstruelle (1890) raconte des crises de kleptomanie survenues chez des hystériques.  

Dans Au bonheur des dames, Zola choisit d'évoquer la grossesseEn effet, l'inspecteur Jouve se méfie particulièrement des femmes enceintes :

Il s'interrompit pour montrer l'inspecteur Jouve, qui précisément filait une femme enceinte, en bas, au comptoir des rubans.  [..] Chaque fois qu'elle s'arrêtait devant un rayon, Jouve ne la quittait plus des yeux.

En décrivant des personnages féminins englués dans les affres de la tentation, Emile Zola donne chair aux théories médicales d'un milieu très misogyne, réduisant la psychologie des femmes au désordre de leurs organes. 

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