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Delacroix lisant, écrivant

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21 janvier 2022

La BnF accueille Dominique de Font-Réaulx le 26 janvier pour parler de « Shakespeare, Dante, Goethe, lord Byron et Walter Scott dans l’atelier, la littérature source d'inspiration d'Eugène Delacroix et des artistes romantiques ». À cette occasion, découvrons les inspirations littéraires et théâtrales du peintre, notamment à travers son Journal.
 

Eug. Delacroix : photographie, tirage de démonstration, Atelier Nadar, 1900

Peintre qui a fortement marqué le XIXsiècle en raison de ses œuvres puissantes, Eugène Delacroix fut aussi un passionné de littérature et d’écriture, fervent de la narration. Il tint toute sa vie durant un Journal sur de petits carnets et entretint une correspondance foisonnante. Au début de sa vie, il songea à se lancer dans une carrière d’écrivain. Le musée national Eugène-Delacroix conserve d’ailleurs les manuscrits de deux courts romans, Alfred et Les Dangers de la Cour, ainsi que celui d’une pièce de théâtre, Victoria. Passionné par le théâtre shakespearien, Delacroix réalisa également un ensemble d’œuvres lithographiques et picturales inspirées des plus grands chefs-d’œuvre du dramaturge. La littérature et le théâtre furent des sources d’inspiration fondamentales pour le peintre ami de Baudelaire.

Le Journal d’Eugène Delacroix constitue un fil conducteur d’exception pour reconstituer le parcours intellectuel et esthétique du peintre : commencé à l’âge de 24 ans, en 1822, il manifeste les interrogations de l’artiste sur le rôle et les formes de l’écriture. Plaisirs du texte et de la peinture se font écho, un trait certain du romantisme.
Le 11 mai 1824, au tout début du journal, alors qu’il travaille à son tableau impressionnant intitulé Combat du Giaour et du Pacha et inspiré par la poésie de Byron, il écrit :

Extrait du manuscrit du Journal de Delacroix : 1822-1824
Extrait du manuscrit du Journal de Delacroix : 1822-1824 (p.95), bibliothèque numérique de l’INHA

Le poète est bien riche : rappelle-toi, pour t’enflammer éternellement, certains passages de Byron ; ils me vont bien. La fin de la Fiancé d’Abydos, la Mort de Sélim, son corps roulé les vagues et cette main surtout soulevée par le flot qui vient mourir sur le rivage. Cela est bien sublime et n’est qu’à lui. 

Le processus de l’écriture marque profondément l’œuvre de Delacroix et constitue une véritable obsession jusqu’à la fin de sa vie. Ainsi, dans un des calepins des années 1850, rédigé quelques années avant sa mort, il évoque une fois de plus le lien intrinsèque entre peinture et littérature, en écho à la recherche de nouvelles formes possibles, fil conducteur de sa création :
 
7 mai 1850 : Pourquoi ne pas faire un petit recueil d’idées détachées qui me viennent de temps en temps toutes moulées et auxquelles il serait difficile d’en coudre d’autres ? Faut-il absolument faire un livre dans toutes ses règles ? Montaigne écrit à bâtons rompus. Ce sont les ouvrages les plus intéressants. 
La réflexion sur l’écriture alimente ainsi celle sur la peinture et fournit un cadre de référence à la pratique artistique, comme dans le passage suivant du Journal, qui date du 10 janvier 1857, après son entrée à l’Académie, alors qu’il a presque soixante ans :
 

Les longueurs dans un livre sont un défaut capital. Walter Scott, tous les modernes etc… Que diriez-vous d’un tableau qui aurait plus de champ et plus de personnages qu’il ne faut ? 

Les échanges entre Delacroix et Baudelaire constituent une autre mise en perspective des liens indéfectibles que l’œuvre du peintre tisse avec la poésie et de l’influence de celle-ci sur son inspiration.  Ainsi, il prône un lyrisme qu’incarne de son rouge puissant l’idéal baudelairien…
 
Les deux créateurs ont en commun une même vision de l’artiste, qui au lieu de singer la nature, doit inventer, former des images, donner libre cours au flux de son imagination.
 
Elle est la première qualité de l’artiste. Elle n’est pas moins nécessaire à l’amateur. Je ne conçois pas l’homme sans imagination et qui achète des tableaux. 

 C’est dans le Salon de 1859 que Baudelaire évoque cette notion et l’applique à l’oeuvre de Delacroix sous le chapitre « la reine des facultés », allant jusqu’à affirmer que « l’imagination fait paysage ».

Dans la monographie admirative qu’il a consacrée à Delacroix, La vie et l’œuvre d’Eugène Delacroix, le poète déclare : « Delacroix est le plus suggestif de tous les peintres, celui dont les œuvres, choisies même parmi les plus secondaires et les inférieures, font le plus penser, et rappellent à la mémoire le plus de sentiments et de pensées poétiques déjà connus, mais qu’on croyait enfouis pour toujours dans la nuit du passé. »
Baudelaire et Delacroix partage la même admiration sans bornes pour Shakespeare. Entre 1835 et 1859, le peintre réalisa vingt tableaux autour de sujets shakespeariens, sans compter les lithographies d’après Hamlet.

Amateur averti de théâtre, Delacroix fréquenta les salles de spectacle anglaises lors de son voyage à Londres en 1825. De retour à Paris, il s’intéressa au renouveau de la scène théâtrale, et aux théories nouvelles autour du jeu d’acteur. Au-delà de sa fascination pour Hamlet, Delacroix accorda également une place particulière aux personnages d’Othello, le Maure de Venise, et de Lady Macbeth. De manière presque systématique, l’intensité dramatique des scènes reproduites est servie par un cadrage resserré autour de quelques personnages, des décors parcimonieux, le clair-obscur des contrastes. D’ailleurs, dans son Journal, Delacroix n’est pas sans comparer l’art théâtral avec le sien.
Pour le peintre, la grandeur de Shakespeare relève de sa constante modernité, parce que les caractères qu’il crée sont vrais, et il se montre en cela à l’opposé de Goethe, qui lui a pourtant lui aussi inspiré nombre de gravures et de tableaux (Faust, Goetz von Berlichingen), mais auquel il prête moins de force universelle.
 
Ainsi, dans le Journal encore, Delacroix évoque l’art si particulier de Shakespeare, apte à créer des effets de réalité et de familiarité avec des personnages de fiction, élevés au rang de modèles d’humanité :
 
 

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