Céramique ou faïence ?
Si la faïence est bien de la céramique, toute céramique n’est pas forcément de la faïence. Gallica vous propose de découvrir comment l’art de la faïence s’est diffusé en France et l’évolution des techniques de sa fabrication.
Au commencement était l’argile
L’argile est la base de toutes les poteries, grâce à sa plasticité qui lui permet de prendre toutes les formes et à la dureté qu’elle acquiert par la cuisson.
Les faïences sont fabriquées avec l’argile plastique et du quartz réduit en poussière. La pâte est plus ou moins blanche selon sa composition. D’autres produits naturels peuvent être ajoutés à cette recette de base : sable, sel, feldspath, silex, phosphate de chaux selon de savants dosages qui constituent les secrets des céramistes et font leur originalité. Lavée puis tamisée pour enlever les impuretés, cette matière est ensuite malaxée avec les pieds ou broyée à la machine. On la laisse reposer. La pâte est ensuite façonnée. On pense en premier lieu au tour de potier, ce qui s’appelle "le tournassage" mais d’autres manières existent aussi : la pâte peut être moulée ou coulée.
A la Renaissance, dans le sillage de François 1er : les débuts sur le sol français et la création des premiers centres
L’invention de l’émail à base de plomb est attribuée au Florentin Luca Della Robbia (v.1399-1482) membre d’une célèbre dynastie de sculpteurs et céramistes, en 1420. Quant au mot « faïence », il viendrait du nom de la ville italienne de Faenza en Emilie-Romagne qui était un important centre de production de céramiques stannifères. On réserve le terme spécifique de majolique aux faïences produites en Italie à la Renaissance. Celles-ci sont décorées de scènes allégoriques ou mythologiques. Les décors sont chargés voire exubérants mais les couleurs sont limitées : le bleu, le jaune et le vert dominent.
De nombreux artistes et artisans italiens viennent en France à l’époque de François 1er et s’y installent. Ils apportent leur savoir-faire et leur goût pour un nouveau style décoratif : rinceaux à feuillages, masques à l’antique ou scènes mythologiques.
Est-ce parce que François 1er était originaire de Charente que les premiers ateliers français voient le jour non loin de là, dans les Deux-Sèvres actuelles ? C’est à Oiron et Saint-Porchaire, deux petites localités, qu’on situe les premiers ateliers sur le territoire français en 1542. Ces faïences ont un style très particulier : très ouvragées voire dentelées, avec des incrustations, de nombreux motifs en relief ou en creux mais avec une palette chromatique réduite : noir, jaune, vert, avec une dominante de bruns.
Il est impossible de parler de la faïence en France sans évoquer la figure de Bernard Palissy (1510-1590). Inventeur de génie et touche-à-tout, il a passé une grande partie de sa vie à faire des essais céramiques laborieux et coûteux, résumés dans l’ouvrage De l'art de terre, de son utilité, des esmaux et du feu publié à la fin de sa vie. La postérité associe son nom à de grands plats avec des décors en relief de lézards et couleuvres dans un feuillage abondant.
1540-1650 : premier essor et extension
A la suite d’Oiron et Saint-Porchaire, d’autres faïenceries voient le jour sur tout le territoire : à Avon en Seine-et-Marne en 1561, à Nevers en 1578, puis Nantes, Saint-Cloud, Orléans, La Rochelle… D’est en ouest et du nord au sud, la France se couvre de manufactures de faïence.
L’engouement pour les porcelaines chinoises et l’influence des Pays-Bas : dès le début du XVIIe siècle, mais surtout à partir de 1650, les porcelaines venues d’Extrême-Orient et plus particulièrement celles appelées « bleus et blancs » de Chine, dont l’importation prend de l’ampleur, suscitent un vif engouement. Cette mode incite naturellement les faïenciers, hollandais d’abord, à imiter cette marchandise rare et coûteuse. A côté de la faïence à décor chinois, Delft a aussi produit des faïences à décor historié. En France, la grande diffusion du décor asiatique est due aux ateliers de Nevers et de Rouen. Les créateurs français ont réinterprété les motifs chinois, notamment les fleurs, ce qui a donné naissance à un nouveau style original.
Assiette à décor grotesque et chinois. Source : Histoire de la faïence artistique de Moustiers,1903
1650-1780 : l’âge d’or
Durant le règne de Louis XIV, l’aristocratie, obligée de vendre sa vaisselle en argent pour financer les nombreuses guerres, remplace celle-ci par de la vaisselle en faïence, créant une nouvelle demande et exigeant des produits de qualité : une pâte fine et des décors raffinés.
Sous l’impulsion de Colbert, de nouvelles manufactures se créent dans toutes les provinces françaises : Moustiers, aujourd’hui Moustiers-Sainte-Marie dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1679, Rouen, Nevers, Strasbourg, Marseille, pour ne citer que les plus fameuses. À Rouen, ce sont toutes les manufactures de la cité, fort nombreuses, qui sont placées sous la protection directe du ministre.
A cette époque, on apprécie le style dit rayonnant ou Bérain du nom d’un dessinateur du roi très en vogue : monochrome, avec des compositions symétriques de lambrequins et de guirlandes.
Décor style rayonnant ou style Bérain. Source : Histoire de la faïence artistique de Moustiers,1903
Une invention déterminante
Vers 1740, la technique de la cuisson au « petit feu » ou « feu de moufle », inventée à la fin du XVIIe siècle est introduite en France par Paul-Antoine Hannong, un faïencier strasbourgeois. Le décor est peint avec des fondants colorés sur une pâte déjà cuite dite biscuit et une dernière cuisson à une température moins élevée que pour le « grand feu » fixe le vernis protecteur. Les couleurs sont plus faciles à poser et cela permet une variété plus étendue de tons, des couleurs délicates, des nuances. Ce même faïencier crée un nouveau type de décor en s’inspirant des motifs alors en vogue en Allemagne : fleurs stylisées, grappes de fruits, guirlandes florales mais aussi scènes champêtres. Leur succès auprès de la clientèle assoit la renommée des manufactures strasbourgeoises. Largement repris et adaptés au gré de l’inspiration des artisans créateurs locaux, déclinés en une large gamme de coloris selon les pigments utilisés et les cuissons, ces motifs se retrouvent dans les productions de toutes les régions.
Ensuite, le décor s’allège encore : les « fleurs des Indes » et les « fleurs de Saxe » deviennent plus naturelles.
La faïence fine venue d’outre- Manche
Inventée par les Anglais, la faïence fine est une faïence à pâte d’une extrême blancheur fabriquée avec les mêmes matériaux que les faïences courantes mais plus raffinés et plus soignés. Les décors sont appliqués après cuisson puis la pièce est simplement recouverte d’un vernis transparent et brillant. Elle apparait en France à la fin du XVIIIe siècle et connait un fort développement au XIXe siècle.
La deuxième moitié du XVIIIe siècle sonne l’arrêt de cet «âge d’or ». La faïence va souffrir d’une double concurrence : celle de la porcelaine que l’on commence à fabriquer en France vers 1770 après la découverte de gisements de kaolin dans la région de Limoges, et celle de la faïence fine et la porcelaine anglaises importées plus largement grâce à un traité de commerce entre la France et la Grande-Bretagne. Pénurie de main-d’œuvre, cherté des matières premières, exportations réduites et disparition des propriétaires : nombreuses sont les raisons qui expliquent l’arrêt et la fermeture des manufactures un peu partout (Marseille, La Rochelle ou Bordeaux …) durant la période révolutionnaire.
Au XIXe siècle : l’heure de la production à grande échelle, des fabriques moins nombreuses et une nouvelle répartition géographique
Dans les premières décennies du XIXe siècle, la mécanisation de toutes les étapes de la fabrication et l’invention de la décalcomanie pour reproduire le décor permettent une production abondante à prix accessible : la vaisselle en faïence devient l’ornement indispensable des tables bourgeoises. Mais cette production industrielle n’innove pas, se contentant de recycler les vieilles formules décoratives.
Les principales manufactures sont situées dans les régions industrielles de l’Est de la France : Digoin, Lunéville ou Sarreguemines en Moselle mais aussi à Gien dans le Loiret.
On peut lire dans la Revue de l’Exposition universelle de 1889 :
C’est elle la grande triomphatrice du jour, la gaieté et la parure de l’Exposition de 1889. Honneur à la céramique !
A l’Exposition universelle de Paris en 1889, la faïence est mise à l’honneur et bien représentée malgré la montée en puissance de la porcelaine tout au long du XIXe siècle. La classe de la céramique s’offre un monumental portail en carreaux de faïence qui donne accès à la « galerie de trente mètres » où sont exposées des pièces uniques, exceptionnelles par leur taille ou leur virtuosité technique : il s’agit d’une fabrication de prestige réalisée, entre autres, à la manufacture nationale de Sèvres, qui existe en parallèle de la production courante.
Présentée dans un autre espace, la porcelaine, blanche et presque translucide demeure un produit de luxe réservé aux élites.
Joindre le beau et l’utile, l’âge du design et des créateurs
Au tournant du XXe siècle, l’Art nouveau, dans une effervescence artistique sans précédent, renouvelle les codes et les formes. Les artistes s’emparent de la faïence pour réaliser des créations originales aux formes ondulantes inspirées du règne végétal.
Dans les années vingt et trente, à l’époque du style « Art déco », grâce aux nouvelles techniques, les façades et les devantures des magasins se colorent de carreaux de faïence émaillée.
En 1912, le grand magasin du Printemps initie une étonnante aventure artistique : il se dote d’un atelier de création ayant pour but de produire des meubles et d’objets d’art moderne de qualité et à prix accessibles. L’atelier Primavera est né. Après la première guerre mondiale, il connaît un essor rapide. Des créateurs sont embauchés, des ateliers artisanaux sont sollicités un peu partout sur le territoire et une faïencerie est achetée en Touraine pour assurer une partie de la production. Son succès culmine à l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels de Paris en 1925. L’atelier Primavera met à la portée d’une clientèle jeune et éprise de modernité mais modeste des objets abordables dont de nombreux bibelots et figurines en faïence. L’aventure se poursuivra jusqu’en 1972.
Années 50 : Vallauris dans le sillage de Picasso
De nombreux artistes ont utilisé la faïence comme support pour leurs créations, le plus célèbre étant Picasso. Grâce à lui, dans les années 50, Vallauris, petite bourgade des Alpes-Maritimes devient pour de nombreux artistes la nouvelle capitale des arts du feu. Certes, le village a une tradition d’artisanat potier depuis plusieurs siècles mais Picasso entraîne dans son élan créateur toute une jeune génération. Un esprit novateur souffle sur Vallauris. De jeunes artistes viennent s’y installeret laissent libre cours à leur talent. Deux grands courants se distinguent : l’un caractérisé par des décors géométriques et des formes épurées et l’autre par des sujets animaliers.
Qui n’a pas rapporté de ses vacances en Bretagne le fameux « bol breton » ? Facilement reconnaissable avec ses oreillettes et son feston bleu, orné d’un couple de paysans en costume traditionnel en son fond et, surtout, avec un prénom peint sur le bord, c’est un objet iconique qui fait partie de notre patrimoine. Si la maison Henriot de Quimper en revendique la paternité au XVIIIe siècle, c’est la faïencerie de Pornic qui lui a donné sa forme définitive en 1947. Si vous comptez en acquérir un pour quelques euros dans un magasin de souvenirs, vérifiez bien sa provenance car il y a peu de chance qu’il ait été fabriqué en France.
Aujourd’hui, la faïence courante est produite à l’étranger. Certaines fabriques, comme celles de Sarreguemines ou de Saint-Clément Lunéville, avaient réussi à se maintenir malgré la désindustrialisation du pays dans les dernières décennies mais ont fermé récemment. Il ne reste que quelques faïenceries en activité (Gien, Henriot à Quimper) qui produisent du haut de gamme et des artistes qui créent des pièces uniques ou en série limitée. De cette épopée de la faïence française qui s’est déroulée sur plusieurs siècles, on retiendra le développement d’un savoir-faire exceptionnel et de considérables évolutions techniques.
Pour aller plus loin :
- Découvrez les arts du feu dans Gallica, à travers des sélections de documents sur les techniques ou les produits des arts de la terre, du verre et du métal.
Commentaires
Toute petite correction
Merci pour cet article, très utile du point de vue de l'histoire de la faïence en France.
Je me permets cependant une petite correction concernant le terme de "tournassage". Étant potière de profession (tourneuse, de surcroît !), je ne peux pas m'empêcher de préciser que le tournassage est l'étape suivant celle du tournage : la pièce crue, raffermie mais toujours humide, est retravaillée sur le tour à l'aide de tournassins ou de mirettes, afin de réaliser les finitions, parfaire le galbe, définir et creuser le pied, etc.
Pour ce qui est du façonnage au tour, c'est, tout simplement, le "tournage".
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