Le cyclamen de Naples

Robert Desnos, dans son recueil Chantefleurs, imaginait le cyclamen originaire de Savoie dans son poème éponyme. Mais le facétieux poète se permettait surtout un jeu de mot basé sur un quasi anagramme de cyclamen qui devient Clamecy sous sa plume...

Domenico Cirillo, Plantarum rariorum regni Neapolitani fasciculus primus. Naples, 1788-1792. Planche illustrée du Cyclamen d'Europe. Collection de la Bibliothèque de Toulouse

Le cyclamen est une plante vivace, originaire du pourtour méditerranéen et sans doute d'Italie comme un de ces noms vernaculaires le suggère : cyclamen de Naples.

Bien que faisant partie de la famille des Primulacées, dont beaucoup de représentants, précoces (comme la primevère, Primula véris), s’épanouissent au tout début du printemps, le Cyclamen hederifolium (ou europeanum L.) fleurit, quant à lui, à partir de la fin de l’été jusqu’au mois de novembre et parfois même au-delà puisque cette plante résiste bien au gel de courtes durées. Les cyclamens se plaisent à mi-ombre sous les arbres et forment de jolis tapis colorés quand ils se sont naturalisés, à une période où la plupart des autres fleurs ont fini leur floraison depuis longtemps.

 

Henry Correvon , Flore coloriée de poche, à l'usage du touriste dans les montagnes de la Suisse, de la Savoie, du Dauphiné, des Pyrénées, du Jura, des Vosges. Paris, 1894

La fleur du cyclamen pousse au bout d’un long pédoncule nu. Les coloris varient du blanc au rose pâle jusqu’au fuschia. Les cinq pétales sont repliés vers l’extérieur ressemblant à de petites oreilles ce qui lui confère une silhouette graphique qui inspire les décorateurs et les artistes.

Eugène Grasset, La Plante et ses Applications Ornementales. "Le Cyclamen". Paris, 1896

Maurice Pillard Verneuil, Étude de la plante. Le cyclamen. Librairie centrale des Beaux-Arts. Paris, 1903.

Le cyclamen devient alors un motif décoratif qui orne gracieusement les vases, les tissus ou encore tout objet d'art.

 

Maurice Pillard Verneuil , Étude de la plante. Le cyclamen. Librairie centrale des Beaux-Arts. Paris, 1903.

Les artistes de l’Art nouveau, très inspirés par le monde végétal, semblent apprécier le cyclamen comme motif. Notamment, Georges Auriol, illustrateur, affichiste et typographe, que ces condisciples du Chat noir surnommait « Monseigneur l’évêque des campanules ». Aimant représenter des paysages ou des compositions fleurales, il utilise le cyclamen à plusieurs reprises, comme ici sur la couverture d'un programme du cabaret du Chat noir :

George Auriol, Théâtre du Chat noir. Couverture aux cyclamens. 1894

Son nom scientifique, Cyclamen hederifolium, indique pour sa première partie un lien avec le cercle ou la couronne et la deuxième partie nous renseigne sur la forme de ses feuilles. En effet, hederifolium signifie « dont les feuilles ressemblent à celle du lierre ». Les feuilles du cyclamen sont, en réalité, plus cordiformes mais leurs coloris se rapprochent des variétés de lierres panachés avec des marbrures crème ou grises se mélangeant au vert foncé. Certaines variété sont dentées et peuvent même être unies; le dos de la feuille présente une colloration rose-fuschia proche de la couleur des fleurs.

Une fois fécondée, la fleur produit un fruit avec une enveloppe charnue. Plus le fruit se développe et plus le pédoncule s’enroule sur lui-même en spirale tout en se rapprochant du sol. Les graines sont couvertes de sucre et attirent les fourmis et autres insectes qui ainsi propagent les graines en les emportant avec eux.

 

Ernest Cosson, Illustrationes florae atlanticae, seu Icones plantarum novarum, rariorum vel minus cognitarum, in Algeria, necnon in regno Tunetano et imperio Maroccano nascentium. Fascicule 6. Paris, 1882-1897.

Selon le langage des fleurs , la cyclamen est considéré comme la fleur de l’amour profond et des sentiments vrais. Peut-être parce que, plante géophyte, une fois la fleuraison finie et les feuilles disparues, elle n’en reste pas moins présente, de façon souterraine, sous la forme d’un gros tubercule de forme ronde et applatie. Ce tubercule était donné comme nourriture aux cochons, ce qui explique un autre nom vernaculaire de pain de pourceau.

 

Nicolas-François Regnault, La botanique mise à la portée de tout le monde, [...], Le Cyclame ou Pain de Pourceau, Illustrations de Geneviève Regnault. Paris, 1774.

Peu ou pas de propriétés médicinales reconnues pour le cyclamen qui a un temps été employé comme dépuratif puissant en raison des ses propriétés purgatives et émétiques. Son usage est aujourd'hui fortement déconseillé. En effet, la racine du cyclamen contient des éléments chimiques dont les effets sont proches du curare; il avait été envisagé d’enployer les tubercules pour la pêche mais les conclusions des expériences furent sans appel :

 

La Science pittoresque : journal hebdomadaire. Paris, le 17 octobre 1860

Certains n'hésitent d'ailleurs pas à classer cette plante comme vénéneuse :

 

Pierre Bulliard, Histoire des plantes vénéneuses et suspectes de la France, Le pain de Pourceau. Paris, 1784.

Préférons lui son usage décoratif au jardin ou en pot. Les variétés cultivées que l'on trouve généralement chez les fleuristes sont issues d'une autre espèce, Cyclamen persicum (Cyclamen de Perse). Ses fleurs sont plus grandes et plus tortueuses.

 

Désiré Bois, Atlas des plantes de jardins et d'appartements exotiques et européennes. Paris, 1896.

Retournons à l'humour, grâce à Coquelin Cadet, humoriste et cycliste passionné qui souhaitait voir le cyclamen devenir l'emblème fleuri de tous les amateurs de la petite reine. Il le déclare, par voie de presse, dans les colonnes du Vélo : journal quotidien de vélocipédie.

 

Coquelin Cadet, Le Vélo : journal quotidien de vélocipédie. Paris, le 18 novembre 1893.

Cyclamen à la boutonnière, charmant ornement de nos jardins à l'automne ou fleuron des arts décoratif, en quelque sorte la boucle est bouclée !

Pour aller plus loin :

- Découvrez la section Botanique du parcours Gallica La Nature en images.
- Plongez dans les autres billets de L'herbier de Gallica