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Le trophée dans tous ses états

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17 septembre 2020

Le trophée est né d’une tradition antique qui consistait à suspendre les armes prises à l’ennemi à un arbre ou un pilier sur le champ de bataille. Pérennisé sous la forme d’un monument de pierre, il quitte le lieu de la victoire pour être érigé en un endroit plus symbolique. Il devient ensuite un motif ornemental fréquemment employé sur tous types de supports pendant la période moderne, de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle. Ses formes et sa composition sont multiples. Mais sa grande plasticité n’empêche pas de reconnaître certains types.

Louis-Marin Bonnet d’après Henri Sallembier, [Trophée de musique], gravure en manière de crayon, tirage en bistre, XVIIIe siècle.
Le trophée est un motif pluriel. Sa richesse ornementale se décline selon deux typologies parallèles. La première s’établit à partir des éléments qui le composent, c’est-à-dire ses attributs, et la seconde en fonction sa composition formelle, sa structure.

 

En raison de l’origine martiale du motif, le premier type de trophée développé est celui dit « de guerre » qui mêle des armes diverses. Il est composé « d’enseignes, de picques, de corcelets, de canons et autres armes mêlées agréablement ensemble », selon le dictionnaire de Furetière. De fait, ce ne sont pas n’importe quelles armes qui sont choisies mais celles qui permettent, par leurs dimensions et leur forme, de réaliser une composition harmonieuse. Ainsi, deux catégories se distinguent parmi les objets qui forment les attributs des trophées :
- les longs (lances ou drapeaux par exemple),
- et les compacts (armures, boucliers ou casques notamment), ronds, en demi-lune, rectangulaires ou carrés.

Ces deux catégories offrent la possibilité de jeux formels sur la composition globale.
 

 
Avec l’avancée des techniques militaires, les nouveaux instruments de guerre trouvent leur place dans les trophées. Les armes antiques et celles d’invention plus récente s'y trouvent rassemblées, comme les masses d’armes d’allure médiévale chez Androuet du Cerceau ou encore les canons dont la forme allongée permet l’intégration au côté des lances, des piques et des drapeaux. Par ailleurs, il n’est pas rare que les esclaves capturés et les allégories des qualités du vainqueur soient intégrés à l’ensemble. D’autres motifs, non traditionnellement présents dans les trophées de guerre, y trouvent aussi leur place à la période moderne. C’est par exemple le cas du faisceau de licteur, introduit par Mazarin au XVIIe siècle[1].
 
En parallèle du trophée de guerre, se développe un autre type désigné de manière générique comme "trophées de paix". Il autorise une plus grande inventivité formelle puisqu’il permet de recourir aux attributs les plus divers autour d’une thématique donnée.
Pour les trophées de musique, par exemple, ce sont des instruments qui lui servent d’attributs. Les trophées champêtres sont constitués d'outils agricoles, de chapeaux, de guirlandes végétales. Les trophées religieux rassemblent des instruments du culte, etc.

 

Sur le plan de de la composition formelle, nous pouvons distinguer trois grandes familles de trophées qui existent dès l’Antiquité : les trophées verticaux, les trophées horizontaux et les trophées sans grande ligne directrice, mais qui peuvent s’inscrire dans un cadre de forme géométrique.

La première famille, celle des trophées verticaux, est héritière de l’origine du motif, c’est-à-dire des objets pris à l’ennemi et suspendus à un arbre ou à un pilier. Ces trophées sont donc organisés selon un axe central vertical. Le long de cet axe, des objets compacts peuvent constituer un ou plusieurs points focaux. Un lien, ruban ou chaîne par exemple, justifie de la cohésion des attributs entre eux. Il est fixé en partie supérieure. Les éléments ne sont pas suspendus sans ordre. Ils sont disposés en X sur toute la hauteur, harmonieusement distribués à partir des points focaux.
 

 

Une variante de ce modèle est le trophée en chute, dans lequel les objets semblent basculer sous l'effet de leur poids. Le XVIIe siècle en propose des versions assez chargées qui évoquent un peu des branches de sapin touffues. Puis le modèle gagne en grâce, et au XVIIIe siècle, les attributs paraissent n’être finalement maintenus que par un enchevêtrement complexe duquel ils sont prêts à s'échapper d'un instant à l'autre. L'harmonieux équilibre est précaire, l'image matérialise peut-être l'expérience de l'inquiétude [3].

 

Un autre type de trophées de ce groupe est celui en éventail ou en V autour d’un grand axe central. Il repose certes sur un plan horizontal mais son organisation dépend strictement d'un axe vertical. Les attributs sont déposés à sa base et de grandes diagonales sont constituées le plus souvent par des lances ou des drapeaux, de part et d’autre de la ligne centrale.
 
Une variante de ce modèle est sa réduction à la moitié. L’axe est toujours présent mais il est déporté sur un côté et les diagonales se déploient sur un quart de cercle. Ce type existe souvent en paire encadrant un motif central isolé, un portrait par exemple, autour duquel les deux parties forment une haie d'honneur.

Dans la seconde famille, le trophée quitte son axe vertical pour se répandre à l’horizontale. Le premier type est sûrement le plus déstructuré de tous, il s’agit du trophée a tumulo. Il est constitué d’objets entassés pêle-mêle. Si l’évocation du champ de bataille est toujours présente, visuellement, ce sont plutôt les armes des ennemis déposées à terre ou éparses suite à la défaite qui sont évoquées que celles qu'on a suspendues. Les objets forment alors un véritable bric-à-brac.
 

Une version simplifiée propose simplement quelques objets disposés côte à côte, de manière bien plus organisées. Mais ce modèle n’a pas fait florès et il a pratiquement disparu après le XVIe siècle.
 
Jacques Androuet du Cerceau, Trophée, XVIe siècle. Source: Bibliothèque numérique de l'INHA.

 

Un dernier type peut enfin être ajouté à cette catégorie : celui qui dispose quelques éléments qui s'étendent en largeur sur un plan horizontal en-dessous duquel se trouvent éventuellement des guirlandes. Ces compositions sont très utiles à la création de culs-de-lampe.
 
La troisième grande famille est composée d’éléments plus ramassés, éventuellement assemblés sur un axe court, mais "sans axe fort" Il est surtout structuré par le croisement d’objets qui forment un X avec ou sans attribut central. Quand celui-ci est présent, les objets longs se croisent le plus souvent, mais pas exclusivement, derrière lui. Ces trophées s'inscrivent facilement dans un polygone régulier ou encore dans un cercle.
 
 
Les grands types que nous venons d’évoquer connaissent quelques variantes. En architecture, le choix d’un modèle ou d’un autre est le plus souvent imposé par l’emplacement de destination sur le bâtiment. Ainsi, un trophée sur axe vertical ou en chute se positionne entre deux fenêtres, sur un lambris haut et étroit, dans un encadrement plus haut que large. Un trophée en V trouve sa place sur un support. Il orne parfaitement un fronton, notamment. Un trophée sur axe horizontal convient, lui, à un emplacement en longueur. A tumulo, il se loge plutôt en soubassement, mais quelques objets disposés sans ordre apparent peuvent également convenir à un dessus-de-porte.
 
Les trophées ont beaucoup plu et ils se sont prêtés à tous les jeux décoratifs. Levez-la tête sur nos monuments, vous les verrez partout et désormais, vous saurez les reconnaître.
 

Trophée sur la façade de la Rotonde Voltaire du Quadrilatère Richelieu, à l’angle de la rue de Richelieu et de la rue des Petits-Champs.
 
[1] Voir Emmanuel Coquery, « Mazarin et Errard, du faisceau au trophée »  dans Isabelle de Conihout, Patrick Michel (dir.), Mazarin : les lettres et les arts, Paris, Monelle Hayot, 2006, p. 249-263.
[2] Détail obtenu grâce au téléchargement d’une portion d’image en haute définition sur Gallica.

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