Les sanatoriums. 1
Le terme de sanatorium (du latin sanatorius propre à guérir) désigne un établissement médicalisé spécialisé dans le traitement de la tuberculose ou autres maladies pulmonaires infectieuses chroniques. Il se caractérise par l’application stricte d’une cure hygiéno-diététique avec une architecture et des installations techniques conçues dans ce but.
Mer ou montagne ?
Pendant toute la première partie du 19e siècle, les médecins préfèrent l’air marin à celui de la montagne. Les bienfaits de la mer sont mis en avant dès 1852 par le médecin anglais Richard Russell. Le médecin René Laennec est persuadé des vertus du varech puisqu’il en fait apporter dans les salles de son hôpital. En 1866, Jean-Baptiste Fonssagrives préconise l’air marin qui allège le travail des poumons du fait de la densité de l’atmosphère.
Alors qu’en 1863, une commission suisse diffuse une étude sur l’intérêt de l’air en altitude pour lutter contre la phtisie : la légèreté de l’atmosphère stimulant l’activité physiologique et l’appétit. Il n’est d’ailleurs question que de moyenne montagne (1000 à 1500 mètres d’altitude).
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les malades issus des classes aisées passent d’une cure d’été à une hivernale et changent donc d’établissement en fonction des saisons. Il semble alors incongru d’envoyer les patients vers la montagne en hiver, période à laquelle sont justement ouverts les établissements méridionaux.
En 1932, Léon Bernard préconise des lieux aérés et ensoleillés : peu importe leur situation géographique. Les avis médicaux divergent mais en fonction du terrain (tempérament et état organique du patient), les médecins optent pour différents climats et donc situations géographiques des sanatoriums. En dernier ressort, une partition naturelle se crée et les établissements marins, poursuivant la tradition médicale des bains de mer depuis la fin du XVIIIe siècle, accueillent désormais les tuberculeux ostéo-articulaires et ganglionnaires. En 1905, on trouve déjà une quinzaine d’hôpitaux maritimes et de sanatoriums marins ou héliomarins spécialisés dans le traitement de la tuberculose, surtout osseuse. La lumière, l’air iodé vivifiant et les bains de mer sont reconnus comme bénéfiques pour les enfants scrofuleux et rachitiques. Les cures proposées à la mer ou en montagne vont donc différer puisqu’elles s’adressent à des pathologies différentes.
Un traitement différent pour les classes populaires
La question ne se pose pas pour les classes populaires. Car, en réalité, malgré quelques velléités philanthropiques, on trouve peu de prolétaires dans les établissements payants. Ils ne peuvent pas se permettre d’arrêter de travailler pour se soigner et sont résignés à mourir de maladie. On transige en envoyant - souvent de force - les patients curables dans des établissements en plaine, proches de leur foyer (par exemple celui de Villepinte, premier sanatorium public créé en banlieue parisienne en 1878 par des sœurs-hospitalières).
Lorsque leur état général empire, ils encombrent les services de médecine générale des hôpitaux de l’Assistance publique : à l’époque il n’y a pas de services spécialisés en pneumologie. On dénombre alors plus de 100 000 morts de la tuberculose en France chaque année. Il apparaît donc urgent de créer :
- des organismes de dépistage
- des établissements de soins spécialisés
- une nouvelle spécialité médicale : la phtisiologie, souvent choisie par des étudiants anciens tuberculeux eux-mêmes.
Le modèle germano-suisse
En 1854, le médecin allemand Hermann Brehmer (1826-1889) guérit de la maladie après son séjour à l’Himalaya. Cela lui donne l’idée de préconiser des cures d'air pur. Il ouvre le premier sanatorium à Goerbersdorf en 1860. Son élève Peter Dettweiler y rajoute la cure de repos en position allongée dans des galeries en plein-air, abritées du vent et du soleil. Mais il ne s’agit pas encore de sanatorium d’altitude : le premier est créé à Davos (Suisse) par Alexandre Spengler qui découvre les valeurs thérapeutiques de l’altitude après avoir constaté que des montagnards, devenus tuberculeux lors d’un exil, guérissaient spontanément une fois de retour au pays. Mais il s'agit d'installations hospitalières luxueuses incluant parfois casino et salon de musique, véritables villégiatures pour les classes aisées. Son successeur et confrère, Karl Turban, met au point la cure fermée, c'est à dire une cure en sanatorium à discipline plus stricte et donc plus efficiente. C’est ce modèle germano-suisse qui va inspirer les médecins-conseils et les architectes chargés de la création des établissements français.
Jusqu’en 1914, il y a une vingtaine de petites structures construites près des villages et surtout ouvertes aux classes aisées. Elles sont bien acceptées par les autochtones qui les assimilent à des maisons de repos pour clientèle aisée.
Galerie du sanatorium, Le Vernet (Ariège), septembre 1899 / Trutat, Eugène, photographe
Les conséquences de la Première Guerre mondiale
Pendant la Première Guerre mondiale, les conditions de vie, la promiscuité dans les tranchées, les restrictions alimentaires et sanitaires accélèrent la prolifération de la tuberculose parmi les soldats et les civils, faisant des milliers de morts chaque année. En octobre 1915, une loi ordonne la création de stations sanitaires pour les militaires tuberculeux. En 1916, la loi Bourgeois décide de la mise en place de dispensaires d’hygiène sociale et de préservation antituberculeuse. En 1919, la loi Honnorat impose dans chaque département la création d’un sanatorium public, créant ainsi une véritable offre d'établissements sur tout le territoire. Il peut aussi s’agir de préventoriums, sortes de colonies de vacances médicalisées pour enfants. Mais désormais les prolétaires, après avoir été détectés tuberculeux pulmonaires et donc contagieux, sont envoyés de force au sanatorium : la déclaration obligatoire de la tuberculose est décrétée au tournant du XXe siècle.
L’implantation de ces nouvelles structures qui ouvrent plusieurs centaines de lits chacune s’avère compliquée du fait de la tuberculophobie. On redoute ces malades qui, en crachant et expectorant, envoient le bacille dans l’atmosphère. Par peur de la contagion, les habitants des communes rurales s’opposent à la construction d’un sanatorium malgré l’appât des subventions. Comme le raconte crûment Jean Rousselot dans son roman Le Luxe des pauvres qui se déroule dans un sanatorium public :
Une permission qui n'est jamais accordée, c'est celle d'aller au village de La Bretèche, tout proche pourtant mais dont la population a exigé que nous fût interdit l'accès. Il n'arrive même pas qu'un tubard « fasse le mur » pour aller se saouler à l'auberge, car il sait que les montagnards lui casseraient la figure. Quand le sanatorium a été terminé et que les premiers malades sont arrivés, on venait jeter des pierres dans les carreaux, la nuit, et la municipalité avait fait planter des pancartes, un peu partout : « Attention, sanatorium; danger ! »
C’est pourquoi le dénominateur commun de ces établissements est qu’ils vont être construits dans des lieux isolés. Pendant 70 ans, ils vont avoir pour fonction d’écarter du monde des bien-portants les patients atteints de cette maladie contagieuse tout en leur offrant des moyens optimisés de recouvrer leur santé.
Face à l’incurie française, la mission américaine Rockefeller prend en charge l’organisation antituberculeuse. Les architectes français, libérés de la vision fonctionnaliste des phtisiologues qui leur imposaient des cahiers des charges très stricts, ont désormais le champ libre pour innover : des terrains sont acquis en vue d’y construire des installations conçues pour capter de façon optimale les rayons du soleil (balcons pour prendre des bols d’air, galeries de cures, cabines tournantes qui suivent la course du soleil, façades en gradin, toitures-terrasses pour l’héliothérapie). Ils doivent aussi être à l’abri du vent et avoir une exposition Sud. En 1939, 200 sanatoriums offrent 30 000 lits. Conçus pour des séjours de longue durée, les sanatoriums sont vastes - pour éviter la promiscuité et donc la contagion - et souvent décorés de sorte à gommer les caractéristiques des structures hospitalières.
Dans le billet suivant, nous continuerons à nous pencher sur l'histoire des sanatoriums, leur spécificité et la vision qu'en reflètait la littérature contemporaine.
Commentaires
Suite de l'histoire des sanatoriums
Bonjour,
Je ne vois comment aller sur le billet suivant, annoncé comme suite de l'histoire des sanatoriums. Je suis en étude sur ce sujet. Merci de bien vouloir m'aider.
jamifa5@orange.fr
réponse
Bonjour,
j'ai ajouté un lien vers le billet suivant à la fin de celui-ci.
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