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Masques au travail

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16 juin 2020

Si le masque est d'abord synonyme de théâtre et de travestissement, son emploi en tant que moyen  prophylactique par les médecins ou la population face aux épidémies est également ancien. Mais il est un espace où le port du masque est aussi un enjeu majeur de santé : le lieu de travail. Retour sur l'apparition des équipements de protection dans l'atelier, l'usine ou la mine.
 

La question de la protection contre les poussières dégagées dans les mines, les carrières ou lors de la préparation des teintures ou des couleurs n'est pas nouvelle. Les artisans, les compagnons sont victimes de différentes maladies pulmonaires que l'on ne sait pas bien identifier. L'usage du masque revêt le plus souvent une dimension empirique : mouchoirs, tissus servent de première protection comme l'attestent les gravures extraites des ouvrages techniques de la Renaissance tel le De Re metallica d'Agricola (1494-1555).

 

Dès la fin du XVIIe siècle, certains savants, versés dans la chimie, se penchent sur les maladies professionnelles, ayant observé les affections de doreurs, de mineurs, de fabricants de chandelles ou de potiers. Bernardino Ramazzini (1633-1714), savant italien de l'université de Modène, puis de Padoue, publie un essai sur les maladies des artisans. Le soufre, la chaux, le mercure, les limailles de fer ou le plomb sont déjà identifiés comme éléments toxiques pour le corps. Ramazzini détaille surtout les remèdes (purgatifs, vomitifs), préconise un atelier ou une forge aérés et conseille également aux vidangeurs « de mettre devant leur visage des vessies transparentes comme ceux qui polissent le minium, de rester peu de temps dans les fosses » et de quitter le métier s'ils commencent à être malades.
Jacques-Louis Moreau (1771-1826) évoque dans son Traité de médecine le cas des ouvriers broyeurs de couleurs :

On a proposé aux broyeurs de couleurs de mettre des masques avec des yeux de verre et un tuyau qui leur apporte de l'air extérieur, pour éviter de recevoir les vapeurs de peintures, mais cet appareil est gênant pour le travail ; il devient pénible et fatigant au bout de quelque temps 

La révolution industrielle, au milieu du XIXème siècle, entraîne une augmentation des usines, du nombre d'ouvriers et des maladies liées à la manipulation de matières toxiques, aux poussières minérales ou organiques, qui causent de nombreux décès.

Le mercure et le plomb, dont le blanc de céruse, sont particulièrement nocifs et dénoncés par les ouvriers, les caricaturistes (dans le journal L'Assiette au beurre, par exemple, qui y consacre un numéro en 1905), ou les scientifiques.
En 1886, on peut ainsi lire dans le Génie civil, sur la prévention de l'intoxication au mercure :« Quand aux moyens préventifs pour l'empoisonnement mercuriel, les plus efficaces sont le fractionnement du travail et une ventilation énergique pour renouveler l'air vicié. Il y en aurait bien un troisième : l'emploi d'un masque ou respirateur. » La Revue industrielle rapporte en 1882 une étude effectuée en Allemagne sur le port du masque et des lunettes protectrices dans les forges. 34 usines sur les 120 étudiées ont des masques et 86 n'en n'ont pas ; 40 usines indiquent ne pas en avoir trouvé.
 
En 1893, l' Association des industriels de France contre les accidents du travail ouvre un concours pour la création d'un masque respirateur contre les poussières. Les conditions sont précisées par Georges Paraf, dans son ouvrage Hygiène et sécurité du travail industriel publié en 1905. Le masque doit :

1. Protéger efficacement la bouche et le nez de l'ouvrier contre l'absorption des poussières ;
2. Ne pas être fragile tout en étant léger, d'un port aisé et commode ;
3. Être d'un prix peu élevé, d'un nettoyage et d'un entretien faciles
4. Laisser la respiration complètement libre et ne pas échauffer le visage. 

Vingt concurrents de tous les pays européens présentent un projet. Le jury soumet les masques proposés à des ouvriers dans les ateliers pendant quinze jours. Les résultats sont détaillés par Henri Mamy (1855-1942), ingénieur des Arts et manufactures, directeur de l'Association des industriels de France contre les accidents du travail au Congrès international des accidents du travail en 1894, propos qu'il développe également dans le Génie Civil en 1895. Quatre types de masques sont primés. Le masque de MM. Simmelbauer et Cie, société basée à Montigny-les Metz, qui avait obtenu un prix dans le concours lancé en 1892 sur les lunettes de protection, est en caoutchouc, posé sur une ossature métallique. L'inspiration se fait par la virole équipée d'un filtre, une couche de ouate hydrophile et l'expiration se fait par des soupapes, comme le montre le schéma extrait de la communication d'Henri Mamy :
 

Le masque proposé par le docteur Salomon, médecin dans une filature de chanvre, est conçu pour les ouvriers de ces fabriques : coiffure intégrale équipée d'une large visière pour laisser passer la lumière. Il a cependant paru à la commission trop spécialisé.

 

Le masque du docteur Détourbe est en aluminium. Composé de parties emboîtées de façon complexe et entouré d'un caoutchouc, il adhère au visage. Une couche de ouate sert également de filtre. Après le concours, le docteur Détourbe modifie son masque et obtient un contrat avec la Compagnie des chemins de fer du nord, pour son emploi dans les ateliers, événement relayé par la Revue des chemins de fer en 1896. La partie avant du masque, comme le montre le schéma ci-dessous, est un treillis en aluminium garni de laine ou de coton, toujours entouré d'un caoutchouc adhérant.

 

Le docteur Détourbe rédige en 1902 une Etude sur les lunettes de protection pour compléter le port du masque et l'élargir à d'autres usages comme l'automobile ou la bicyclette et pouvoir ainsi commercialiser son invention à un plus large public.
Dernier masque primé, présenté au jury, le masque du docteur Détroye, médecin vétérinaire de la ville de Limoges, est en réalité composé de deux parties distinctes : un masque nasal et un masque buccal en grillage métallique.

 

Le jury indique que « le protecteur buccal, s'applique d'une manière suffisante, grâce à sa garniture pneumatique et convient aussi bien aux ouvriers qui portent la barbe qu'à ceux qui n'en portent pas. »
 
Les masques sont déclinés selon les spécificités des métiers : le journal Le Temps présente ainsi en 1901 différents modèles utilisés, comme la toile métallique pour protéger les fondeurs et forgerons ou un masque américain pour le traitement ces céréales. Le Dictionnaire pratique de mécanique et d'électricité publié en 1911 donne, de son côté, des conseils d'entretien : il faut brûler les filtres de ouate, nettoyer les parties métalliques démontées dans de l'eau propre avec du savon avant de les plonger dans une solution antiseptique.

Cependant l'emploi du masque dans les usines et ateliers est loin d'être la règle : Léon et Maurice Boneff dans Ces métiers qui tuent : enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles, paru en 1900, écrivent qu'il faut exiger à la fois une forte ventilation et le « port de masques-respirateurs pour les ouvriers et ouvrières ». En 1908, L'Humanité consacre un article aux travaux de nettoyage dans le métro insalubre et à la Compagnie qui ne possède en tout que deux masques pour que l'ensemble des ouvriers effectue ces travaux.
 
Si une première loi sur les accidents du travail est promulguée en 1898, il n'existe pas de protection contre les maladies professionnelles. Il faut attendre 1919 pour qu'une liste des pathologies reconnues comme maladies professionnelles soit inscrite dans la loi.
De plus, remarque l'Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions en 1923 :

Le port des masques a pour conséquence de créer un faux état de sécurité pouvant avoir des suites des plus dangereuses […] en aucun cas, ils ne doivent empêcher l'adoption de moyen de protection collective. 

Progressivement, des perfectionnements vont être apportés aux masques et à la capacité de filtrage selon les produits dont il faut se protéger, ainsi que le résume les Annales des mines en 1958 en comparant plusieurs modèles, dont le « Toucan » à la forme de bec d'oiseau en polychlorure de vinyle. Mais c'est l'interdiction de certains produits dans l'industrie qui permet l'amélioration de la santé au travail.

Si les masques anti-poussières fonctionnent sur le principe du filtre, d'autre types de masques sont également mis au point et perfectionnés à la fin du XIXème siècle dans des milieux irrespirables, par exemple pour le sauvetage des mineurs ou pour combattre les incendies. Ces masques doivent être munis de réservoirs d'oxygène ou reliés à des pompes qui leur insufflent de l'air.

 

Le casque respiratoire, mis au point par le lieutenant Morio et développé par la maison Casassa, est employé par les pompiers de Paris dès la fin du XIXème siècle et fonctionne selon le modèle de la pompe. Au contraire, l'appareil Dräger, mis au point en Allemagne en 1904, dispose d'un réservoir d'oxygène. Utilisé par les équipes de secours lors de la catastrophe de Courrières en 1906, qui fait 1099 morts, il se diffuse ensuite comme équipement de sauvetage dans différentes exploitations minières, bientôt concurrencé par d'autres systèmes. Les appareils à oxygène se perfectionnent après l'expérience du premier conflit mondial, ainsi que le résume la revue le Génie civil en 1932.

 

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