Constanza Pascal, première femme aliéniste en France
Constanza Pascal (1877-1937), d'origine roumaine, arriva en France en 1897 pour y étudier la médecine. Pour des raisons matérielles, elle choisit de devenir fonctionnaire dans les asiles d'aliénés, métier jusque-là réservé aux hommes. Pourtant, en ce début de vingtième siècle, ce n'était pas une sinécure.
Double discrimination
Blanche Edwards-Pilliet avait conquis de haute lutte le droit des étudiantes d'accéder au concours de l'internat quelques années auparavant. On aurait pu penser que plus rien ne s'opposait à l'accès des femmes à l'internat. C'était compter sans l'imagination de l'administration qui décrète que les femmes et les étrangers ne sont pas autorisés à se présenter au concours de l'internat des asiles d'aliénés de la Seine sous le prétexte qu'ils ne jouissent pas des droits civiques et politiques.
Grâce à une campagne de presse orchestrée par une des étudiantes refoulées, Madeleine Pelletier, un arrêt annula cette double discrimination et en 1903, Constanza (ou Constance) Pascal et Madeleine Pelletier furent brillamment reçues au concours. Des deux candidates, la postérité a retenu le nom de cette dernière. En effet, cette suffragette excentrique eut un parcours chaotique : redevenue simple généraliste, ex-interne d'asile finissant elle-même internée. Voici le portrait dressé par un de leurs contemporains :
Je dois encore une mention à la phalange féminine qui occupe un nombre de plus en plus grand de places dans nos rangs. Je ne parlerai que de celles qui furent à la tête et avec qui je vécus en salle de grade : Constanza Pascal et Madeleine Pelletier ; elles étaient de la promotion de 1903. Constanza Pascal, née roumaine et naturalisée française, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse, méritait la double épithète que les historiens du Moyen-Age décernèrent à une de ses devancières, professeur à l'Ecole de Salerne : Constanzella Calenda, aussi belle que savante. Madeleine Pelletier était née à Paris, hantée par sa théorie de l'égalité absolue des sexes, elle eût repoussé comme une injure la première de ces épithètes et elle s'efforçait par sa mise et ses manières de ne donner à personne l'idée de la lui appliquer. Elle eut sa notoriété au temps des suffragettes.
Les asiles publics d'aliénés
La loi du 30 juin 1838, garantissant le respect des libertés individuelles et protégeant les citoyens d'une séquestration arbitraire, avait aussi contraint chaque département français à avoir un asile public d'aliénés. Ces établissements étaient surpeuplés, pauvres et bruyants. On y accueillait indifféremment déments, alcooliques, épileptiques, vieillards gâteux et enfants anormaux, ces différentes pathologies étant mélangées sans distinction. Ils étaient parfois le cadre d'actes de violence ou de mutineries de la part de leurs pensionnaires. Le directeur de l'asile chargé du budget et du recrutement du personnel et le médecin-chef veillant à ce que les malades soient bien traités avaient chacun leur part de responsabilité dans le climat régnant au sein de l'établissement. Il arrivait aussi que le médecin-chef cumulât les deux fonctions. Les aliénistes procédaient chaque jour à la visite de leurs centaines de patients, donc forcément au pas de course. Il est fort probable qu'ils ne les distinguaient pas les uns des autres, seuls les cas les plus intéressants ayant pu retenir leur attention.
La Salpêtrière, quartier des agitées. Extr. de L'Assistance publique en 1900
Une situation explosive
A partir de 1915, la situation déjà explosive se compliqua avec l'arrivée des milliers de soldats dont la guerre avait fait vaciller la raison. D'abord envoyés dans les centres militaires de neuropsychiatrie, les grands nerveux jugés incurables furent alors expédiés vers les asiles avec le statut peu enviable d'aliénés de guerre. L'Etat français peu scrupuleux avec des commotionnés sans défense avait décrété que l'on préleverait sur leur maigre pension le coût de leur séjour à l'asile ainsi que des indemnités pécuniaires versées à leurs femmes et enfants. C'est pourquoi les hommes mariés se retrouvèrent à l'état d'indigents, en quatrième classe.
En effet, que dire de ce personnel astreint à vivre jour et nuit au milieu de ces pauvres déments qui se livrent, soit à de véritables hurlements, soit à des gémissements sans arrêts soit, enfin, aux pires injures suivies souvent de voies de fait qui ont parfois entraîné la mort. Que penser de ces infirmiers qui, sans trêve ni repos, doivent soigner ces malades inconscients, les alimenter même par force, les retenir à la vie malgré leurs tentatives de suicide; il y a là des dévouements et des sacrifices de tous les instants qu'on ne saurait jamais assez reconnaitre.
Première femme directrice d'asile
A l'époque lointaine, où je me suis présentée à l'adjuvat, on discutait encore si la femme avait une âme. Au dernier concours, on ne discuta que la valeur des épreuves, et j'ai eu la conviction nette, que si tous mes collègues n'étaient pas féministes, ils n'avaient aucune hostilité envers les candidates. Au point de vue professionnel, on a agité une question intéressante mais résolue depuis longtemps : la femme peut-elle diriger un service d'hommes ? Or, j'ai débuté à Clermont dans un service d'hommes; ensuite j'ai dirigé à Prémontré un autre service d'hommes, à Châlons, à Moisselles où j'étais directrice, j'ai eu des aliénés à soigner et des hommes sous mes ordres. Jamais je n'ai eu à me plaindre de leur désobéissance. Je crois qu'on peut donner, sans inconvénient, un service d'hommes et une direction à certaines femmes.
Commentaires
Autre pionnière en medecine
Si vous voulez compléter vos portraits des pionnières en médecine je vous suggère mon article sur Alice Sollier première medecin française noire et directrice d’établissement privé que l’on qualifierait clinique psychiatrique de nos jours.
https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/chm/chmx2020/chmx2020x04.pdf
Bien à vous
enrichissement de notre bibliographie
Merci pour cette suggestion très pertinente. Nous allons la rajouter à notre bibliographie sur les pionnières de la médecine ainsi qu'à ce billet de blog.
Bien cordialement
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