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Constanza Pascal, première femme aliéniste en France

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16 mars 2021

Constanza Pascal (1877-1937), d'origine roumaine, arriva en France en 1897 pour y étudier la médecine. Pour des raisons matérielles, elle choisit de devenir fonctionnaire dans les asiles d'aliénés, métier jusque-là réservé aux hommes. Pourtant, en ce début de vingtième siècle, ce n'était pas une sinécure.

A l'asile de Clermont, médecin blessé par un fou

Double discrimination

Blanche Edwards-Pilliet avait conquis de haute lutte le droit des étudiantes d'accéder au concours de l'internat quelques années auparavant. On aurait pu penser que plus rien ne s'opposait à l'accès des femmes à l'internat. C'était compter sans l'imagination de l'administration qui décrète que les femmes et les étrangers ne sont pas autorisés à se présenter au concours de l'internat des asiles d'aliénés de la Seine sous le prétexte qu'ils ne jouissent pas des droits civiques et politiques.
Grâce à une campagne de presse orchestrée par une des étudiantes refoulées, Madeleine Pelletier, un arrêt annula cette double discrimination et en 1903, Constanza (ou Constance) Pascal et Madeleine Pelletier furent brillamment reçues au concours. Des deux candidates, la postérité a retenu le nom de cette dernière. En effet, cette suffragette excentrique eut un parcours chaotique : redevenue simple généraliste, ex-interne d'asile finissant elle-même internée. Voici le portrait dressé par un de leurs contemporains :

Je dois encore une mention à la phalange féminine qui occupe un nombre de plus en plus grand de places dans nos rangs. Je ne parlerai que de celles qui furent à la tête et avec qui je vécus en salle de grade : Constanza Pascal et Madeleine Pelletier ; elles étaient de la promotion de 1903. Constanza Pascal, née roumaine et naturalisée française, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse, méritait la double épithète que les historiens du Moyen-Age décernèrent à une de ses devancières, professeur à l'Ecole de Salerne : Constanzella Calenda, aussi belle que savante. Madeleine Pelletier était née à Paris, hantée par sa théorie de l'égalité absolue des sexes, elle eût repoussé comme une injure la première de ces épithètes et elle s'efforçait par sa mise et ses manières de ne donner à personne l'idée de la lui appliquer. Elle eut sa notoriété au temps des suffragettes.

Les asiles publics d'aliénés

La loi du 30 juin 1838, garantissant le respect des libertés individuelles et protégeant les citoyens d'une séquestration arbitraire, avait aussi contraint chaque département français à avoir un asile public d'aliénés. Ces établissements étaient surpeuplés, pauvres et bruyants. On y accueillait indifféremment déments, alcooliques, épileptiques, vieillards gâteux et enfants anormaux, ces différentes pathologies étant mélangées sans distinction. Ils étaient parfois le cadre d'actes de violence ou de mutineries de la part de leurs pensionnaires. Le directeur de l'asile chargé du budget et du recrutement du personnel et le médecin-chef veillant à ce que les malades soient bien traités avaient chacun leur part de responsabilité dans le climat régnant au sein de l'établissement. Il arrivait aussi que le médecin-chef cumulât les deux fonctions. Les aliénistes procédaient chaque jour à la visite de leurs centaines de patients, donc forcément au pas de course. Il est fort probable qu'ils ne les distinguaient pas les uns des autres, seuls les cas les plus intéressants ayant pu retenir leur attention.
 

La Salpêtrière, quartier des agitées. Extr. de L'Assistance publique en 1900

Une situation explosive

A partir de 1915, la situation déjà explosive se compliqua avec l'arrivée des milliers de soldats dont la guerre avait fait vaciller la raison. D'abord envoyés dans les centres militaires de neuropsychiatrie, les grands nerveux jugés incurables furent alors expédiés vers les asiles avec le statut peu enviable d'aliénés de guerre. L'Etat français peu scrupuleux avec des commotionnés sans défense avait décrété que l'on préleverait sur leur maigre pension le coût de leur séjour à l'asile ainsi que des indemnités pécuniaires versées à leurs femmes et enfants. C'est pourquoi les hommes mariés se retrouvèrent à l'état d'indigents, en quatrième classe.

Dans un article paru en 1924, Constanza Pascal attira l'attention de l'opinion publique sur les conditions de travail tout aussi éprouvantes pour le personnel :

En effet, que dire de ce personnel astreint à vivre jour et nuit au milieu de ces pauvres déments qui se livrent, soit à de véritables hurlements, soit à des gémissements sans arrêts soit, enfin, aux pires injures suivies souvent de voies de fait qui ont parfois entraîné la mort. Que penser de ces infirmiers qui, sans trêve ni repos, doivent soigner ces malades inconscients, les alimenter même par force, les retenir à la vie malgré leurs tentatives de suicide; il y a là des dévouements et des sacrifices de tous les instants qu'on ne saurait jamais assez reconnaitre.

Pour maîtriser des individus violents, parfois dangereux, on ne disposait pas encore de camisoles chimiques, mais de force. On avait aussi recours aux manchettes, aux douches, à la séquestration en cellule. Dès que Constanza Pascal fut en mesure de diriger un asile, elle interdit l'utilisation de la camisole de force et des châtiments corporels.  A l'asile de Prémontré où le personnel civil avait été réquisitionné sur le front, le personnel soignant était composé de religieuses peu charitables, très enclines à châtier les fous. Les heurts incessants avec celles-ci contraignirent la jeune femme à demander sa mutation.

Première femme directrice d'asile

Elle continua à progresser dans sa carrière professionnelle en réussissant en 1908 le concours d'adjuvat qui lui procura le titre de médecin-adjoint et donc l'opportunité de devenir la première femme aliéniste à diriger un asile. Puis en 1925, première femme à passer avec succès le concours prestigieux de médecin-chef des asiles de la Seine, donnant accès à des postes proches de la capitale, enviés par les directeurs des asiles provinciaux toujours situés en pleine campagne. En 1933, elle fut même membre du jury au concours du médicat des asiles. En outre, elle produisit une abondante littérature médicale, preuve incontestable de ses compétences en psychiatrie. Sa thèse Les Formes atypiques de la paralysie générale se vit attribuer la mention Très bien et la médaille de bronze de la Faculté de Paris. En 1911, elle rédigea  La Démence précoce. étude saluée par la profession.
 

En 1926, l'ouvrage co-écrit avec son confrère J. Davesne : Traitement des maladies mentales par les chocs, reçoit un prix de l'Académie nationale de médecine.

Jusqu'à sa mort en 1937 après une longue maladie, la liste de ses différentes affectations pendant 29 ans de services semble infinie :

Faut-il voir dans ce cursus mouvementé un mal-être de la jeune femme dans ses premiers postes ? Ou bien la fonctionnaire avide d'avancement dans les grades avait-elle pris le pas sur la doctoresse ? En réalité, c'était une pratique habituelle à l'époque : les aliénistes étaient même accusés de sacrifier allègrement le suivi médical de leurs patients à un état d'esprit carriériste. Qui plus est, Constanza Pascal se refusa à s'affranchir des conventions. Suite à sa liaison avec un officier marié, elle dissimula sa grossesse puis son lien biologique avec la petite fille qu'elle adopta. S'afficher fille-mère aurait signifié une réputation entachée et par contrecoup la fin de son parcours jusque-là sans faute.

Une salle d'isolement dans un asile,1933

En 1933, parut une grande enquête : Le sort des fous. On y décrivait plus particulièrement l'organisation et la population de l'Asile de Maison-Blanche. Le journaliste Louis Roubaud y parle d'une thérapie mise au point par la doctoresse : la psychanalyse pharmacodynamique à base de cocktails de cocaïne, gaz hilarant, haschich, champagne, permettant de déclencher une catharsis chez les mutiques.  Une occasion supplémentaire pour sa médiatique médecin-en-chef d'avoir les honneurs de la presse. Parvenue au faîte de sa carrière, elle déclara

A l'époque lointaine, où je me suis présentée à l'adjuvat, on discutait encore si la femme avait une âme. Au dernier concours, on ne discuta que la valeur des épreuves, et j'ai eu la conviction nette, que si tous mes collègues n'étaient pas féministes, ils n'avaient aucune hostilité envers les candidates. Au point de vue professionnel, on a agité une question intéressante mais résolue depuis longtemps : la femme peut-elle diriger un service d'hommes ? Or, j'ai débuté à Clermont  dans un service d'hommes; ensuite j'ai dirigé à Prémontré un autre service d'hommes, à Châlons, à Moisselles où j'étais directrice, j'ai eu des aliénés à soigner et des hommes sous mes ordres. Jamais je n'ai eu à me plaindre de leur désobéissance. Je crois qu'on peut donner, sans inconvénient, un service d'hommes et une direction à certaines femmes.

Des soi-disants progressistes prétendirent voir dans des qualités inhérentes aux femmes (intuition, douceur, patience, dilettantisme) leurs seuls atouts dans le travail de thérapeute des malades mentaux. Une distorsion bien ancrée, même chez certaines d'entre elles.

En 1937, un décret sonne la fin de la dénomination asile d'aliénés. On parlera désormais d'hôpital psychiatrique. Les femmes s'y feront leur place à égalité avec les hommes, leurs compétences intellectuelles et scientifiques étant désormais pleinement reconnues.
 

Membres du XIVe congrès des médecins aliénistes de France et des pays de langue française, 1906
(Collections de la BIU Santé)

Pour aller plus loin : 

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité.
Voir tous les billets de la série.

     

Commentaires

Soumis par Françoise DEHERLY le 05/07/2021

Merci pour cette suggestion très pertinente. Nous allons la rajouter à notre bibliographie sur les pionnières de la médecine ainsi qu'à ce billet de blog.
Bien cordialement

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