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Transition : une revue anglophone de la modernité

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14 novembre 2017

C’est dans un contexte de circulation des valeurs et de partage des cultures que la revue anglophone d’avant-garde transition, chantre de la modernité artistique et littéraire, fut publiée à Paris dans les années 1920, à une période particulièrement favorable au foisonnement de petites revues cosmopolites.

Contrairement à des titres de presse anglophones importants, comme The New York Herald Tribune (édition européenne) ou le Chicago Tribune, piliers de l’establishment et souvent prisonniers de leur tradition, les petites revues anglophones publiées en France comme transition ou Jazz ne sont pas soumises au bon vouloir des mécènes ni aux interdits de la censure. Libres d’attaches institutionnelles, elles sont des lieux d’expérimentation et de pluridisciplinarité, dont le système de diffusion constitue un réseau certes marginal mais aussi solidaire. Publiée mensuellement de 1927 à 1938 à Paris par la librairie et maison d’édition Shakespeare and Co., fondée par l’américaine Sylvia Beach propose à ses lecteurs de découvrir des talents nouveaux. 

En 1927, le premier numéro est vendu 10 francs (ou 50 cents). Entièrement rédigé en anglais, il comprend quelques illustrations. Toutefois, transition est une revue à la nationalité ambiguë car son administration, sa rédaction, son imprimeur et son diffuseur principal, la librairie Shakespeare and Co, se trouvent à Paris. Eugene Jolas, son fondateur, journaliste américain né en 1894, a fait le choix de publier à Paris afin d’offrir une diffusion sur le continent, car il voit dans Paris un carrefour cosmopolite, propice au foisonnement d’auteurs représentatifs de la modernité littéraire, tels James Joyce ou William Carlos William mais aussi des auteurs plus confidentiels ou de pays non anglophones comme Franz Kafka ou Kurt Schwitters qui partagent tous le goût d’une contre-culture et une volonté de renouveler les valeurs morales alors admises. Cette écriture volontairement subversive est celle des écrivains de la modernité, de la « lost generation ». En publiant dans leur langue d’origine, les poètes et écrivains semblent pouvoir ainsi résister à la morale américaine et donner le ton de l’avant-garde littéraire tout en se libérant du carcan conservateur.

Sans surprise, les numéros de la revue étaient régulièrement refusés par les Douanes américaines. Jolas en témoigne dans l’éditorial de sa revue en novembre 1927 : « Puisque les journalistes américains ont décrété notre revue inintelligible et ont montré, par leurs commentaires, qu’elle n’a aucun sens pour eux, on se demande comment elle pourrait corrompre la jeunesse américaine ».

Il faut rappeler que la revue transition est à la fois une revue étrangère et une revue d’exil, qui autorise des rencontres exceptionnellement fertiles avec le monde culturel français et européen des années 1920 et 1930 et n’hésite pas à publier des auteurs parfois violemment critiqués ou encore ignorés. Haut lieu d’échange, elle fait donc du dialogue interculturel une priorité. Très favorable à cette forme de modernité littéraire, la revue de Jolas n’en oublie pas moins d’autres modes d’expression, comme l’innovation musicale et la création visuelle, avec la participation de photographes et d’artistes surréalistes. Elle vise ainsi à présenter les avant-gardes de la manière la plus transdisciplinaire qui soit.

Au fil des années et des numéros, transition va connaître des évolutions, que ce soit dans son format, qui passe de 19,5 x 14,5 cm du n°1 au n°12, à 23 x 17 cm à partir du n°13, mais également dans l’apport de nouveaux contributeurs. Si le rythme mensuel est tenu en 1927, la revue devient trimestrielle à partir de 1928 et s'ouvre aux plasticiens comme Man Ray, Fernand Léger, László Moholy-Nagy, Piet Mondrian, etc…

Mais transition est surtout connue pour la publication de l’œuvre majeure de James Joyce : Finnegan’s Wake sous la forme d’un Work in Progress, dans lequel il véhicule une forme d’expérimentation du langage, sans rencontrer les difficultés de soumettre à un éditeur l’ensemble finalisé de son texte. Rappelons que quelques années auparavant, en 1922, la librairie de Sylvia Beach éditait Ulyssespermettant aux français de découvrir l’auteur irlandais. Les lecteurs, comme les rédacteurs de la revue, furent avant tout séduits par les néologismes de Joyce et par sa quête d’une syntaxe et d’un lexique nouveaux.

De la sorte, transition s’avère un lieu de passage des plus grands textes de la modernité internationale, véritable laboratoire de la prose contemporaine. Il faut dire que dès le numéro 18, en novembre 1929, paraît le manifeste « The Novel is Dead Long Live the Novel » signé par Eugène Jolas (sous son pseudonyme Theo Rutra), ainsi que par ses co-rédacteurs : Harry Crosby, Stuart Gilbert et Robert Sage, prônant une « Révolution du Mot » et l’exploration du langage comme matériau artistique :

Au final, transition a permis à des lecteurs français, anglais et américains de découvrir des textes iconiques de la modernité et d’assister à une expérience collective. De fait, la petite revue a également assuré la liaison entre les écrivains et artistes américains exilés en France, et ceux vivant aux États-Unis, tout en favorisant les relations avec les diverses formes de création européennes. Bien plus qu’une simple revue d’exil, transition s’est appuyée sur cette expérience collective forgée au fil du temps, qui dépasse de loin d’autres revues de la modernité. Elle peut ainsi se donner à lire comme un gigantesque panorama rétrospectif des avant-gardes historiques.

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