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La chocolaterie Menier

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Pour un automne des plus gourmands, Gallica a concocté une série de billets dédiés aux chocolateries. Premier épisode : l’usine Menier de Noisiel et ses campagnes publicitaires originales, sous forme d’affiches devenues célèbres, mais aussi, dès 1898, d’objets promotionnels sonores.

Firmin Bouisset, Chocolat Menier pour croquer. Sa tablette « Rialta » pour croquer : affiche, Imprimerie de Vaugirard, Paris. [Variante en 194 x 125 cm avec la couleur rouge]

Connu des Européens depuis le XVIe siècle, le chocolat se démocratise seulement avec la révolution industrielle. Les fabriques de chocolat cèdent progressivement la place aux usines hydrauliques ou à vapeur (voir le billet de blog Gallica sur le développement de l’industrie chocolatière).

De la droguerie parisienne au moulin de Noisiel

Article sur la famille Menier, Le Miroir, 3 mai 1914

La Maison Menier est fondée à Paris en 1816 par Jean Antoine Brutus Menier (1795-1853), qui tient d’abord une droguerie. Conscient que certains pharmaciens n’ont pas les moyens de préparer eux-mêmes leurs produits, il décide de mettre sur pied une centrale d’approvisionnement. Le succès de ses sachets pharmaceutiques ne se fait pas attendre. Pour broyer une quantité croissante de poudres, il a rapidement besoin d’un manège à chevaux, puis d’un moulin.

En 1824, il rassemble des capitaux et installe une usine au moulin de Noisiel, sur la Marne, qui a une très forte capacité de production : outre les produits pharmaceutiques, l’usine produit aussi de la farine de blé, du gruau d’avoine et du chocolat.

Complément de la notice rétrospective sur le moulin de Noisiel, impr. de J. Claye (Paris)

L’usine et la cité ouvrière

Fils de Brutus, Émile-Justin Menier (1826-1881) prend la direction des manufactures de Paris et de Noisiel à la mort de son père. Il a alors 27 ans. Il s’entoure d’éminents spécialistes (dont Marcelin Berthelot ou Jules Logre) et engage d’importants travaux pour moderniser l’usine de Noisiel. En 1871, le bâtiment de fer et de brique, conçu par Jules Saulnier et toujours visible aujourd’hui, est mis en chantier. L’ossature de fer porte tout le poids de la bâtisse et repose sur 4 piliers placés dans le lit de la Marne. Dotée de tout le confort moderne, l’usine hydraulique devient l'une des chocolateries les plus importantes de France.

« Vue générale de l’usine de Noisiel et de ses dépendances », Le Génie civil, 2 novembre 1889

Si l’usine de Noisiel est exceptionnelle, c’est aussi pour son esthétique, dont témoignent ses décorations en céramiques colorées, insérées dans les murs et le toit de tuiles vernissées.

Fragment d'archivolte appartenant à la lucarne du cadran de l'usine de Noisiel ; frise placée au-dessous du cadran de l'usine de Noisiel ; détails des chambranles des fenêtres de l'usine de Noisiel. Fragments décoratifs de l’usine de Noisiel. Figures 4, 6 et 10, planche LXXX, dans Pierre Chabat, La Brique et la terre cuite, May et Motteroz (Paris), 1881-1882

« Pans de fer de l’usine de Noisiel », dans J. Denfer , Architecture et constructions civiles. Charpenterie métallique 2, Baudry (Paris) ; Gauthier-Villars (Paris), 1891-1897

Ces travaux d’envergure permettent à la Maison Menier de rationaliser et d’augmenter sa productivité. Grâce à l’achat de plantations et de bateaux, elle contrôle désormais toute la chaîne de production du chocolat. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, elle édite une brochure qui décrit le fonctionnement de l’usine. La même année, le Génie civil reproduit dans ses pages cette précieuse documentation, richement illustrée : atelier de torréfaction, broyage, pesage, moulage, démoulage, pliage et empaquetage des tablettes s’y trouvent minutieusement décrits.

Vue d’un des ateliers de pliage et d’empaquetage des tablettes, dans Le Génie civil, 2 novembre 1889

En 1889, plus de 1500 ouvriers, dont 600 ouvrières, travaillent à Noisiel. Afin de retenir la main-d’œuvre, la Maison Menier a construit, à partir de 1874, une cité ouvrière à proximité de l’usine. La Cité comporte 200 habitations indépendantes. Les rues sont éclairées au gaz. La cité inclue jardin potager, lavoirs, bains, bibliothèque, médecin, école gratuite pour 250 garçons et filles. Une caisse de secours, en cas de maladie, est alimentée par les Menier. Le curieux trouvera le récit d’une visite de ces maisons ouvrières dans le Bulletin du syndicat des employés du commerce et de l’industrie (1900).

L’entreprise Menier est primée dans plusieurs expositions universelles, comme celle de 1889 dans laquelle elle remporte trois grands prix, quatre médailles d'or et deux médailles d'argent. 

La firme familiale poursuit son développement sous l’égide de la troisième génération : Henri Menier (1853-1913), Gaston Menier (1855-1934) et Albert Menier (1858-1899).

« Méfiez-vous des contrefaçons ! »

L’une des clefs du succès du fabricant est, dès les origines, la conscience de l’importance de la publicité. Celle-ci est d’abord employée par Brutus Menier pour lutter contre de nombreuses contrefaçons en circulation dès 1845. En 1849, ce dernier dépose sa tablette et son étiquette afin d’en conserver la propriété exclusive. Les premières campagnes de la marque intègrent déjà l’argument de la méfiance envers les contrefaçons.

« Chocolat-Menier. Les contrefaçons nombreuses du Chocolat-Menier nous engagent à présenter ci-contre un dessin des deux faces d'une tablette », affiche pour le chocolat Menier, typographie Henri Plon, imprimeur de l’Empereur, rue Garancière, 8 (Paris), 1860

Cet argument, on le retrouve sur certaines des versions de l’affiche imaginée en 1892 par l’illustrateur Firmin Bouisset (1859-1925), également auteur des célèbres affiches pour les biscuits LU mettant en scène un écolier. Mais le slogan comme le visuel connaîtront, au fil du temps, un grand nombre de variantes. En voici ici quelques-unes, avec une constante : une petite fille à nattes (dont le modèle est Yvonne, fille de l’artiste) portant un panier contenant des tablettes de chocolat.

Firmin Bouisset, Chocolat Menier : affiche. [Variante d’image : sans parapluie ; variante de tirage : Mention Affiches Camis en bas à gauche de l’affiche]. Affiches Camis 58 r. St Sabin (Paris), 1892
Voir aussi cette variante de tirage, cette variante de texte, cette variante en arabe (1893), cette variante avec parapluie.

En 1896, une variante de l’affiche présente également la fillette de face.

D’après Firmin Bouisset, Chocolat Menier : affiche. Affiches Camis (Paris), retirage de 1978.

  

Firmin Bouisset, Chocolat Menier pour croquer. Sa tablette « Rialta » pour croquer : affiche, Imprimerie de Vaugirard, Paris. [Variante avec (194 x 125 cm) et sans (138 x 88 cm) la couleur rouge]

En 1895, c’est Auguste Roedel (1859-1900) qui propose sa relecture du même sujet :

Auguste Roedel, Chocolat Menier, 5c, 10c en vente partout : affiche. Imp. Farradesche (Paris), 1895

L’enseigne Menier s’affiche partout : dans la presse comme dans la rue, et même… sur des menus !

Amer Picon / Absinthe Joanne / Cholocat Menier : affiche, 1889

24 juillet 1916, menu de deux pages, manuscrit, imprimé, illustré : représentation d’un fuselier en 1860 (publicité pour le chocolat Menier). Provenance : Maurice Piat. Collections de la bibliothèque de Dijon

La réclame parlée par le phonographe 

En plus des affiches, des plaques en tôle des rues, des tampons-buvards et autres objets classiques diffusés dans toute bonne campagne publicitaire (jumelles, éventails, piluliers, boîtes en fer…), l’entreprise Menier va s’intéresser rapidement à l’une des innovations technologiques marquantes de la toute fin du XIXe siècle : l’enregistrement sonore. Et pour cela, on s’adresse à l’homme de la situation : Henri Lioret.

Horloger de talent, Henri Lioret connaît un tournant majeur dans sa carrière lorsque le créateur des célèbres poupées Emile Jumeau lui demande son aide pour la conception d'un phonographe miniature à insérer dans son Bébé Jumeau.

Henri Lioret, néophyte dans ce domaine mais curieux et ingénieux, conçoit en quelques mois le système tant attendu par Emile Jumeau. Pour Noël 1893, le Bébé Jumeau Phonographe est prêt, il parle et chante en quatre langues et le succès commercial est au rendez-vous. Henri Lioret va ainsi progressivement délaisser l'horlogerie pour se consacrer entièrement à la conception et à la production de phonographes et de cylindres enregistrés. 

Réclame parlée par le phonographe, système lioret (La Vie scientifique du 5 septembre 1896)

Dès 1894, Henri Lioret comprend donc que ce nouveau média peut répondre aux besoins de secteurs friands de technologies novatrices et originales pour capter l’attention de leurs clients et se démarquer de la concurrence : ceux du commerce et de la publicité. L’aventure commence avec son phonographe baptisé Le Merveilleux, "le phonographe parlant à haute voix" et Henri Lioret perfectionne très rapidement sa technique afin de permettre la diffusion de messages courts et en boucle, format idéal pour les réclames publicitaires.

Publicité pour le Phonographe système Lioret, Le Photo-programme : revue artistique illustrée, 1896
 

On trouve dès 1895 dans les écrits de Lioret l’idée d’un kiosque à journaux, miniaturisé (d’un cinquantaine de centimètre de hauteur) et équipé d’un petit phonographe : cette idée brillante séduit Gaston Menier qui signe un contrat avec Henri Lioret et fait fabriquer les kiosques en tôle lithographiée par la société Revon & Paul Kahn, située au 93 rue Oberkampf à Paris. Le kiosque Menier est né.

lioretgraphekiosque.jpg

Le Lioretgraph kiosque. Catalogue Lioret de 1899. Collections BnF

Ces kiosques parlants seront réservés aux revendeurs des produits Menier : on peut voir sur certains exemplaires conservés par des collectionneurs des encoches à la base du kiosque qui permettaient très probablement de le fixer sur un comptoir, comme celui d'un épicier. Ces kiosques promotionnels sont couverts de plusieurs publicités Menier, visuels familiers des consommateurs de l’époque. Deux modèles successifs seront créés, proposant deux systèmes différents pour accéder au phonographe. Si de nombreuses publicités Menier seront donc visibles sur les colonnes Morris de Paris, il faut remarquer que le modèle du kiosque de Lioret est construit sur le modèle du kiosque à journaux créé par la société Grant et Cie, certainement plus simple à réaliser dans sa forme et à utiliser par sa surface facettée.

Publicité Menier sur un kiosque à journaux de Paris. Journaux Place St Sulpice : [photographie] / Eugène Atget, 1910-1912

Mais une question technique s’est posée à l’ingénieur perfectionniste qu’est Lioret : quel est le meilleur support sonore pour ce projet, le cylindre ou le disque ? En effet, à la fin de ces années 1890, le disque plat et noir commence à « concurrencer » le cylindre. La Bibliothèque nationale de France conserve dans ses collections un disque test daté de 1898, disque de 90/100 tours à gravure verticale et à rebord réalisé par Lioret pour la maison Menier.

« Le chocolat Menier est le meilleur de tous les chocolats ! Demandez le chocolat Menier ! »

L’enregistrement d’une dizaine de secondes permet d’entendre une partie de ce slogan qui reste dans toutes les mémoires : « Le Chocolat Menier est le meilleur de tous les chocolats ! Demandez le chocolat Menier ! ». Les enregistrements sur cylindres précisent en effet un point important évoqué précédemment, que l’on n’entend pas sur ce disque : « Surtout, évitez les contrefaçons ! ». Mais, comme sur les enregistrements sur cylindre, on peut entendre aussi sur le disque que le nom Menier est prononcé « Ménier », pour éviter toute confusion avec son concurrent : François Meunier.
 

 

Chocolat Menier : [disque test publicitaire] , Henri Lioret, 1898  

L’ingénieur a certainement proposé cet enregistrement sur disque afin d’en comparer la qualité avec un enregistrement réalisé sur un de ses cylindres, et de choisir après ces tests le support le mieux adapté à l’objet publicitaire et le plus satisfaisant pour son client. Dès 1893, Henri Lioret avait déposé un brevet sur sa méthode de duplication de ses cylindres en celluloïd : la matière innovante de ces cylindres rendait ces derniers beaucoup moins fragiles que ceux de son contemporain Pathé notamment, et permettait une gravure d'une grande finesse. Peut-être sans surprise pour Henri Lioret et certainement pour sa plus grande satisfaction, le cylindre l’emporta pour le système sonore du kiosque publicitaire Menier. Le disque devra attendre la fin des années 1900 pour prendre le pas progressivement sur le cylindre dans l’histoire de l’enregistrement sonore.
 

Publicité pour le phonographe Lioret, Jeanne d'Arc : revue mensuelle, littéraire et scientifique, 1899

Gaston Menier demandera l’exclusivité sur ce kiosque miniature parlant et son procédé technique : le Lioretgraph Kiosque sera donc la propriété exclusive de la maison Menier. Cette invention, figurant officiellement au catalogue Lioret de 1899, contribuera à son époque à confirmer la notoriété de son concepteur, et nous rappelle encore aujourd’hui le talent et l’inventivité trop souvent et injustement méconnus d’Henri Lioret.
 

Pour aller plus loin

- Visiter la cité ouvrière de l'ancienne chocolaterie Menier à Noisiel pour les Journées du Patrimoine (samedi 17 et dimanche 18 septembre 2022)
- A lire en salles C et R de la BnF :
La chocolaterie Menier, Noisiel, Seine-et-Marne. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris, Association pour le patrimoine d'Ile-de-France, 1994
Bernard Logre, Chocolat Menier, évitez les contrefaçons !, Boulogne-Billancourt : Du May, 2005
- « Le développement de l’industrie chocolatière en France » sur le blog Gallica
- « La chocolaterie Menier » sur le site Passerelles de la BnF
- Bibliographie de la BnF sur le chocolat
- Voir le Lioretgraph Kiosque en fonctionnement : site du Phonorama
- Les cylindres Henri Lioret dans les collections de la BnF

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