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Paul Fièvre, le "Pic de la Mirandole du théâtre classique" ?

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13 juin 2023

Après des études de lettres, Paul Fièvre s’est tourné vers l’informatique. Depuis 2007, sa passion pour le théâtre classique et son savoir-faire se rejoignent dans le site Theatre-classique.fr. Il se livre, aujourd’hui, sur son usage de Gallica et son attachement à la collection numérique nationale.

Daniel Cande, L'école des femmes, mise en scène de Jean-Luc Boutté, 1992

Bonjour, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

Je suis ingénieur de production au sein du département Informatique de la BnF depuis 1992 et passionné de théâtre classique. C’est Alain Viala, mon professeur à l’université, qui m’a mis sur ce chemin et qui m’a montré que l’on pouvait lier la littérature et l’informatique. Georges Forestier a été aussi un grand soutien surtout pour les textes de Molière et Racine.

En 2007, j’ai ouvert le site Théâtre classique qui regroupe aujourd’hui plus de 1730 œuvres de théâtre. L’objectif de cette entreprise est de mettre à disposition des chercheurs, étudiants et passionnés le texte brut, augmenté de quelques notes de vocabulaire, afin qu’il puisse être analysé et réutilisé. Tout le contenu produit est sous licence Creative Commons, c’est une base que tout un chacun peut se réapproprier.

Comment utilisez-vous Gallica pour vos recherches sur le théâtre classique ?

Sur Gallica, je recherche la première édition de chaque pièce de théâtre qui m’intéresse et, quand elle existe, je récupère le texte pour le retravailler. Par une succession de manipulations informatiques simples (control A, control C, control V), je dispose ainsi du texte brut de l’œuvre. J’effectue ensuite une relecture stricte, je corrige notamment les imperfections de l’impression et les pratiques ou erreurs orthographiques du XVIIe  siècle. Je m'appuie sur les règles énoncées dans Les Grands Courants orthographiques au XVIIe siècle et la formation de l’orthographe moderne de Liselotte Biedermann-Pasques. Les coquilles historiques existent, il n’y en a pas beaucoup mais un nombre tout de même significatif. Je simplifie la graphie mais je ne touche pas la ponctuation et parfois j'ajoute une note pour expliquer une modification. comme les virgules en fin de répliques..

Dans Gallica, on peut ne pas trouver une première édition facilement. Les notices suivent l’usage des bibliothèques et du catalogue général : en vertu des normes de catalogage du livre ancien, on y a conservé la graphie de l’époque pour les les titres et noms d’auteurs. C’est le cas notamment de L’Ecole des femmes de Molière, dont le titre est écrit 
"E[s]cole des femmes".

L'Escole des femmes, J. B. P. Molière, C. Barbin, Paris, 1665

En complément de cette relecture, je pose des balises XML-TEI qui structurent le texte permettant ensuite l’édition du texte ainsi que certains traitements sur les données. Autant que faire se peut, toutes les indications de lieux sont repérées, tous les noms des personnages sont répertoriés comme désignant un personnage, etc.

Je pousse même le travail plus loin en catégorisant tous les mots de la pièce de théâtre. J’offre aussi la possibilité de comptabiliser instantanément le nombre de répliques par personnage et par acte. Il y a plus d’un million de vers numérotés sur le site, et j’ai le rêve (un peu fou) d’écrire un programme qui syllabiserait un texte.

Je fais ainsi le lien entre le texte brut et les éditions présentes dans Gallica.

Une anecdote au sujet d'un document découvert dans Gallica ?

Il y a un exemplaire des Précieuses ridicules, créée au Petit Bourbon le 18 novembre 1659, qui est en fait une édition pirate. D’ailleurs, la préface de l’édition originelle de Molière 1660  parle d’une "édition sans consentement", sans nommer l’indélicat. 

Les Precieuses ridicules, Molière, Charles de Sercy, Paris, 1663

A l’époque, la pièce était donnée en représentation au théâtre avant que l’édition papier du texte soit publiée. Certains spectateurs retranscrivaient le texte de certaines pièces à succès et les éditaient avant la publication officielle de l’auteur. Il s’agit certainement de celle d'Antoine Baudeau de Somaize et imprimée par Jean Ribou, (achevé d’imprimer du 12 avril 1660). Somaize avait pris soin de mettre en vers le texte (Molière de Georges Forestier, Editions Gallimard, 2018, coll. Biographie NRF,  page 134-135).  

Un document Gallica fétiche à recommander ?

L'œuvre dramatique de Racine est enivrante mais Bérénice, à jamais, remue toute âme qui a connu l'amour ou qui le connaît encore.

Berenice, gravure de F Chauveau, 1697, Paris

 Le mot de la fin ?

Gallica est une forêt sans chemin ni sentier : on s'y perd volontiers. Non, disons plutôt : c'est un océan. On y jette son filet, on y attrape de belles pièces, du menu fretin, des algues improbables, des coquillages étranges. Il faut alors explorer son filet dans lequel, parfois, on trouve une huître perlière. Gallica est un lieu de découverte.

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