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Olympe Audouard (1832-1890)

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9 juin 2021

Journaliste, conférencière, féministe, infatigable voyageuse, Olympe Audouard a aussi été une romancière populaire. Même si ses romans sont peu nombreux, et n’ont pas été publiés en feuilletons, leur écriture s’inscrit dans le droit fil de celle des feuilletonistes.

 
« En réclamant pour la Française la jouissance de ses droits civils et politiques, que pouvez-vous craindre ? Qu'elle soit électrice et éligible ? Quel préjudice cela porterait-il à la grandeur de la France et à la sécurité du pays ? Craindriez-vous, par hasard, messieurs les Députés, que votre dignité et celle de la Chambre fussent compromises si des femmes venaient y siéger à côté de vous ? ». Et aussi : [nous demandons] « le droit commun, l'égalité devant la loi, avec toutes ses conséquences, rien de plus, mais aussi rien de moins. Tout est préférable à une exclusion systématique, aussi blessante qu'humiliante pour notre sexe. ». Qui parle ainsi ? Olympe Audouard, dans une Lettre aux députés, en date de 1867. Déjà ! Cette écrivaine qui se présentait elle-même comme romancière, voyageuse et conférencière (elle tenait à cette dernière dénomination) reste surtout dans les mémoires comme une des plus importantes féministes françaises du XIXe siècle.

Olympe Félicité Jouval voit le jour à Marseille le 11 mars 1832. Après une enfance sans histoire, elle se marie le 11 avril 1850 avec un cousin germain, un notaire du nom d’Henri-Alexis Audouard. Après avoir eu deux enfants (qui mourront jeunes), elle accuse son mari de libertinage et demande une séparation de corps. Elle le quitte assez vite d’ailleurs, dès 1858. Elle est toutefois pendant près de 25 ans en butte aux tracasseries légales et financières dues à son statut de « femme séparée ». Il lui faudra attendre 1885, près d’un an après la loi Naquet instaurant le divorce, pour qu’elle puisse légaliser cette séparation. Montée à Paris, en partie à cause d’une conversation avec un certain Alexandre Dumas, elle décide de devenir femme de lettres, à l’instar de George Sand. Elle fréquente alors dans la capitale, outre Dumas lui-même, un cénacle d’écrivains, dont certains furent au demeurant ses collaborateurs dans la presse, comme par exemple Théophile Gautier, Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Joseph Méry, Jules Janin, ou encore Jules Michelet.
 

Avec un tel parrainage, elle devient vite une journaliste renommée et qui écrit dans de nombreux titres de presse. Jusqu’au jour où elle crée le sien, Le Papillon , bimensuel puis hebdomadaire mondain et humoristique, qui ne tient que trois ans (1861-1863). Sans se décourager, elle crée un autre journal, La Revue Cosmopolite, à la durée de vie encore plus courte, quelques mois seulement en 1867. Mais c’est l’occasion pour Olympe Audouard, son nom de plume, d’intervenir avec fracas dans le débat public : voulant transformer ce périodique en organe politique, cela lui est refusé par le ministre de l’Intérieur … au prétexte qu’elle est femme ! D’où sa lettre aux députés déjà signalée. Elle tente à nouveau de créer une revue en 1879, Les Deux mondes illustrés : journal des grands voyages, hebdomadaire relatant des expéditions plus ou moins lointaines. En 1881, suite aux nouvelles lois sur la Presse de la IIIe République, elle relance Le Papillon : « Notre programme ! Ni naturalistes, ni pornographes, ni réactionnaires, bons patriotes et bons républicains. Notre consigne ! Avoir de l’esprit. Nous la suivrons si nous pouvons ». Qu’elle doit arrêter en 1883, suite à des problèmes de santé. Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire aussi dans d’autres journaux tout au long de sa vie. Une partie des publicistes, essentiellement masculins, tout en célébrant sa beauté, ne se privèrent pas d’ironiser sur ses qualités intellectuelles, en firent souvent une femme légère, tout en se moquant de son spiritisme, et attaquèrent surtout son féminisme.

Elle voyage aussi beaucoup, dès sa séparation avec son mari et après la mort de ses fils : Égypte, Turquie, Russie et aussi États-Unis, avec un ou plusieurs livres sur ses périples. Tout en rédigeant des diatribes sur le divorce, des pamphlets sur l’égalité nécessaire entre les sexes, des adresses à différentes personnalités (par exemple à Haussmann en 1868, ou à Barbey d’Aurevilly  en 1870), ou encore des essais sur le spiritisme (Les Mondes des esprits, ou la Vie après la mort, en 1874). « Superstition, je le veux bien, mais elle m'est chère. Car c'est par elle que j'ai le bonheur d'être en communication directe et permanente avec l'âme de mes fils ! », avait-elle coutume de dire. Sans oublier la littérature, avec pour commencer un roman épistolaire en 1862, Comment aiment les hommes (fort mal, selon elle), et qui se fit remarquer. Elle fait également de nombreuses conférences (on y revient !), prenant la parole pour dénoncer les conditions sociales, économiques et juridiques des femmes. Au point qu’elle est un temps interdite de parole (dans les années 1860), car jugée séditieuse selon le ministre de l’Intérieur (« les théories de Mme Olympe Audouard sont subversives, dangereuses et immorales »). Elle continue cependant, notamment après son retour d’Amérique, prises de paroles qui seront au début parrainées par Alexandre Dumas lui-même, sur les femmes, la vie après la mort, le droit sur les réunions publiques, ou sur le théâtre.

Très patriote, elle est infirmière pendant la guerre de 1870. En 1884, elle arrête presque toutes ses activités, à cause d’une santé qui devient chancelante. Elle se replie sur Nice, où elle continue à fréquenter des célébrités : Rochefort, Offenbach ou encore Alphonse Karr. Elle meurt dans cette ville le 12 janvier 1890, d’une congestion pulmonaire. Elle n’était pas loin de la soixantaine.

Olympe Audouard s’est fait connaitre par sa bataille obstinée pour l’égalité entre les sexes. Sa Lettre aux députés de 1867  est marquante à cet égard. Mais aussi son pamphlet Guerre aux hommes (1865 ), qui souligne l’injustice et l’hypocrisie du système social, en mêlant anecdotes, références historiques et même humour. Elle se bat aussi beaucoup pour introduire le divorce dans la loi. Ainsi La Femme dans le mariage, la séparation et le divorce, conférence faite le 28 février 1870. Ou encore sa nouvelle Suicide ou infamie ! (publiée avec le roman Les Roses sanglantes), qui se termine ainsi : « le divorce, cette loi saine, morale et juste, n’existant pas en France, Blanche de Tourdis devait choisir, comme elle l’a dit elle-même, entre le suicide ou l’infamie ».

Elle est aussi une infatigable voyageuse. Son autobiographie (Voyage à travers mes souvenirs, 1884) se termine d’ailleurs ainsi :

« Ma vie a eu deux parties bien distinctes l'une terne, douloureuse, c'est celle qui s'est passée en France ; l'autre ensoleillée, gaie, c'est celle que j'ai passée à voyager. J'ai fini avec la première, c'est avec bonheur que je vais me ressouvenir de la seconde ».

Que ce soit les gens d’Islam (Les Mystères du sérail et des harems turcs, 1863 ; Les Mystères de l’Egypte dévoilée, 1865 ; L'Orient et ses peuplades, 1867), les États-Unis (Le Far-West, 1869 ; À travers l’Amérique, 1871) ou la Russie (Les Nuits russes, 1876 ; Voyage aux pays des boyards, 1881), elle mêle descriptions parfois bien tournées, anecdotes de voyage mais surtout réflexions sur le sort des femmes de ces différentes régions. C’est pour elle une autre façon de s’attaquer sans le dire (et parfois en le disant) à la situation française et son code Napoléon. Ainsi elle explique en quoi la justice turque est en bien des points supérieure au droit français, notamment parce qu’y existe le divorce ! Même le harem vaut mieux que l’hypocrite duo français femme légitime / maitresse, qui les laisse l’une et l’autre sans recours face au mâle en cas de conflit. En Amérique, la femme travaille et y est (presque) l’égale de l’homme : « Avec leur gros bon sens et leur esprit pratique, les Américains ont compris que, forte ou faible, l’intelligence féminine serait une valeur, et qu'il était de bonne économie de laisser se produire et d'utiliser toutes les valeurs de la nature humaine. Croyez-vous, messieurs les Français, que ce raisonnement-là n'est pas plus intelligent que vos éternelles plaisanteries sur la femme ? ».

Elle rejette ainsi la vision binaire civilisation/barbarie pour rêver à un cosmopolitanisme égalitaire. Même si Olympe Audouard est pétrie de paradoxes : elle parle notamment des orientales comme des femmes qui se plaisent à subir et non à se battre, qui acceptent la polygamie et non la combattent. Si pour elle chauvinisme et misogynie sont les deux faces d’une même chose, elle ne peut s’empêcher d’avoir un très fort patriotisme. Une de ses spécialistes, Bénédicte Monicat, considère que « ses récits nous révèlent un certain quotidien bourgeois, des aspirations intellectuelles marquées et un souci d’améliorer la condition féminine qui n’est pas exempte de contradiction » (« Écritures du voyage et féminismes », French Review, octobre 1995).
 

Et la littérature ? Souvent ce sont les péripéties de sa vie et de ses voyages qui lui offrent la matière de ses romans. Et on voit à travers certains de ses titres ses préoccupations sur le couple et la famille : Il n'y a pas d'amour sans jalousie et de jalousie sans amour, comédie en un acte et en prose (1863), L’Amie intime (histoire de l’emprise d’une confidente sur une jeune femme, 1873), L’Homme de quarante ans (1868), Singulière nuit de noces (1886), Un Mari mystifié (1863) ou Les Secrets de la Belle-Mère (1876). Si une partie de la critique est mauvaise, parce que femme elle est et s’en revendique, une partie plus importante l’accepte bien et lui est même assez favorable. Par exemple, l’Intransigeant rend compte des Escompteuses , le 7 avril 1883 : « C'est peint d'après nature, d'une main très sûre, très fine et très habile ». Le Gil Blas du 13 mars 1883 parle d'« une série d'intéressantes études parisiennes, données par Mme Olympe Audouard sous une forme comique ou dramatique, un livre fort piquant, en somme, et qui vaut la peine d'être lu. ». Pour rire à deux  est ainsi chroniqué dans le Rappel du 1er mars 1884 : « Ce sont des contes lestement enlevés, — lestement dans les deux sens du mot quelquefois. La mère n'en recommandera peut-être pas la lecture à sa fille, mais le sexe et le nom de l'auteur disent assez que la liberté du récit ne dépasse jamais les bornes de la gaîté permise ». Ses personnages féminins sont parfois antipathiques voire perfides, mais cela est essentiellement dû au système social. C’est en tout cas ce qu’elle indique dans sa préface d’Une amie intime :

 
Il arrive parfois qu’elle fasse un récit plus ou moins engagé. C’est le cas des Soupers de la Princesse Louba d'Askoff : drame d'amour et de nihilisme (1880), qui relate les aventures amoureuses de la fille d’un ministre russe qui s’éprend d’un anarchiste, se marie avec lui mais finira sous les balles de la police politique. Si les révolutionnaires sont vus d’un bon œil par Olympe Audouard, elle souligne cependant leur peu d’avenir, selon elle, les renvoyant dos à dos avec la répression tsariste. Elle se sert de ses voyages pour l’écriture de son roman, expliquant que « rien, dans ce livre n'est inventé, tout est rigoureusement vrai : drame d'amour, but des nihilistes, leurs théories, leur manière de conspirer, tortures, chaînes des déportés ». Par exemple sa description de la sauvagerie d’un convoi de prisonniers politiques : « Après ces hommes, en venaient d'autres, ayant, eux, les pieds et les mains enchainés à deux longues barres de fer ; si l'un d'eux faisait un faux pas, ou tombait de fatigue, toute la carrée entrainée tombait, et, ces hommes, pieds et mains liés, se blessaient, sans pouvoir parvenir à se relever ». Néanmoins, certains lui reprochent assez souvent son écriture, qu’on trouve sans grâce. Ainsi Camille Delavigne, une amie pourtant, écrivait en 1882, sous le pseudonyme de Pierre de Chatillon :

Olympe Audouard a-t-elle été un écrivain populaire ? On peut légitimement se poser la question. Si elle a beaucoup publié dans la presse, ses romans parurent directement en librairie, pratiquement jamais en épisodes dans des quotidiens, contrairement à la plupart de ses confrères. Elle n’a pas été très prolifique, du moins au niveau romanesque, à peine plus d’une dizaine de fictions. Le succès de ses récits, qui se sont relativement bien vendus, n’a pas été faramineux, et quasiment aucun n’a eu droit à des rééditions, même après sa mort. D’un autre côté, son écriture s’inscrit dans le droit fil des feuilletonistes, quand bien même les siens sont courts : écriture simple voire simpliste, sans recherche, trames linéaires, personnages univoques qui n’évoluent pas vraiment durant le récit, thématiques réduites où surnagent des histoires d’amour. Mais ses narrations sont néanmoins bien menées. Et on y retrouve toutes ses obsessions, notamment sa volonté de voir exister légalement le divorce, et sa lutte incessante pour l’égalité entre hommes et femmes.

« Olympe Audouard est, à plus d’un titre, un personnage d’exception », estime Isabelle Ernot (« Olympe Audouard dans l’univers de la presse »,‎ 2014), « ses centres d’intérêt pluriels, l’écriture, la presse, son combat pour l’égalité, ses voyages et même sa pratique du spiritisme ont été vécus avec passion. Son engagement pour l’égalité entre les hommes et les femmes s’est exprimé par des conférences et dans des livres […] Ainsi a-t-elle eu le courage d’affronter la diffamation masculine sur la scène publique et ce malgré le tribut à payer en termes d’image médiatique ». En effet, elle n’a pas hésité à braver l’opinion commune, au risque d’être dénigrée, calomniée et ridiculisée. Sans être une révolutionnaire (on a vu ses contradictions et sa quasi indifférence aux luttes sociales, contrairement à une André Léo), sa vie et ses combats pour l’égalité des sexes ont marqué largement la lutte des femmes dans la France du XIXe siècle, probablement plus que sa littérature.

 

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