Napoléon III et la maladie de la pierre
Il y a 150 ans, Napoléon III s’éteint le 9 janvier 1873 sur son lieu d'exil, l'Angleterre. Aux yeux de l’Histoire, il est à la fois l’homme du coup d’Etat mais aussi celui de la débâcle de Sedan. Comment expliquer une image aussi contrastée ?
A l’origine de la maladie
Neveu de Bonaparte, Napoléon III élabore plusieurs tentatives de coups d’Etat, mais suite à l’échec de la seconde, il est emprisonné au Fort de Ham (Somme) durant six années. Ses conditions de détention vont contribuer à dégrader sa santé (crises de rhumatisme, anémie). Après s’être évadé, il réussit enfin à s’emparer du pouvoir. Mais il a la malencontreuse idée de confier le soin de sa santé à son compagnon de jeunesse et d’infortune, Henri Conneau (1803-1877), incompétent et pusillanime. Afin de complaire à l’Empereur, il ne cessera de lui dissimuler la vérité sur son état. N’oublions pas que dans la bonne société corsetée, les fonctions corporelles sont perçues comme honteuses : on évite de parler ouvertement de la maladie uro-génitale dont la pathologie est en rapport avec les activités sexuelles.
Une fois parvenu au pouvoir, son train de vie ne va pas contribuer à rétablir sa santé : gros mangeur, il a une alimentation très riche et ne pratique pas d’exercice si ce n’est une sexualité débridée. Il a de nombreuses maîtresses afin de satisfaire d’importants besoins : on parle même de priapisme. Rien d’étonnant à ce que son médecin personnel Conneau lui diagnostique une blennoragie compliquée d’un rétrécissement de l’urètre et décide de pratiquer sur lui des sondages. Effectués par ce praticien manifestement peu doué, les examens se révèlent douloureux, provoquant chez le souverain de la fièvre : échaudé par l’expérience, il s’y soustraira chaque fois qu’il le peut.
Un curiste assidu
A partir de 1856, le souverain se plaint de douleurs abdominales. On lui conseille les eaux de Plombières réputées pour soigner les troubles digestifs. Pendant plusieurs années, il va y séjourner de quatre à six semaines pendant la période estivale et s’en trouve très bien, d’autant plus que cela lui sert de couverture pour ses nombreuses aventures galantes. Puis en 1861, afin de lutter contre son anémie due à des pertes de sang, l'aéropage attaché à sa personne décide de l’envoyer à Vichy. En effet, le médecin Charles Petit ne tarit pas d'éloges sur la vertu curative de ses eaux sur la gravelle ; cette prescription médicale est totalement erronée car ferrugineuses et alcalines, elles vont au contraire accroître les maux dont souffre Napoléon III – à savoir augmenter la taille du calcul. La maladie lui offre cependant encore quelques années de rémission.
La maladie de la pierre ou néphrite
En 1863, Napoléon III est victime d’un accident de calèche qui déclenche une crise d’hématurie, c’est-à-dire la présence de globules rouges dans ses urines. A partir de l'année suivante et jusqu’à sa mort, la maladie ne lui laisse plus beaucoup de répit. Appelé à son chevet, Hippolyte Larrey (1808-1895), fils du grand chirurgien, diagnostique un calcul dans les voies urinaires et veut effectuer un sondage. Se souvenant de ses mauvaises expériences, l'Empereur s'y refuse et exige le secret médical. Sa méfiance viscérale vis-à-vis des médecins ne va cesser de compliquer la tâche de ces derniers, d'autant que le calcul localisé dans les reins, a grossi et est tombé dans la vessie.
En 1866, lors d’un séjour thermal à Vichy, le souverain souffre d'une rétention d’urine. On fait alors venir en consultation l’urologue François-Gabriel Guillon père (1793-1882), lui-même en cure. Il effectue des sondages, se prononce pour une exploration supplémentaire de la vessie par cystoscopie et la nécessité probable d’une intervention chirurgicale, mais se heurte au déni de l’intéressé.
En 1869, coliques et hémorragies néphrétiques se compliquent d'une grave infection de tout l'appareil urinaire (pyurie), décelable par la présence de pus dans les urines.
En 1870, Eugénie fait transporter son époux en chaise roulante au Conseil des ministres où il s’évanouit dès son entrée. Des rumeurs commencent à circuler, bien que la Cour tente de dissimuler la vérité en alléguant des douleurs rhumatismales. Cela ne trompe pas le journaliste Henri Rochefort :
Sonder un rhumatisme ! Jamais depuis Le Médecin malgré lui, on n'avait assisté à une médication pareille.
La consultation de la dernière chance
En 1870, on fait venir aux Tuileries, dans le plus grand secret, le professeur Germain Sée (1818-1896) titulaire de la chaire de pathologie médicale à l’'Académie de médecine. Il interroge des confrères mais est finalement le seul à signer un rapport concluant à l'existence d'un calcul vésical dans la vessie impériale et insistant sur la nécessité d'une exploration approfondie avant une éventuelle opération. Deux techniques se font concurrence pendant plus de 20 ans. A l’origine, les chirurgiens effectuent une opération de taille vésicale sur les « pierreux », autrement dit on ouvre la vessie par l'abdomen. En 1824, Jean Civiale pratique la première lithotritie en percevant la pierre. Mais les méthodes employées lors de ce type d'intervention vont ensuite diverger : certains brisent le calcul, ou bien l'écrasent puis on sort les débris par les voies naturelles.
Parmi ces sommités de la médecine sollicitées par Sée, figurent :
- Lucien Corvisart (1824-1882) physiologiste spécialisé surtout en maladies digestives
- Pierre Fauvel (1830-1895) chirurgien assistant de Velpeau
- Philippe Ricord (1800-1889) chirurgien et dermato-vénérologue, spécialiste des sondages délicats à effectuer.
- Auguste Nélaton (1807-1873), le plus célèbre des cinq, se trouve dans une situation inconfortable. Partisan de la lithotritie, il vient de perdre deux patients - un sénateur et le maréchal Niel - de complications post-opératoires à la suite d'une opération de leur vessie. Un troisième échec - a fortiori sur la personne impériale - serait fatal à sa réputation.
En juillet 1870, quelques jours avant la déclaration de la guerre, ils sont placés devant une équation insoluble : la présence de Napoléon III à la tête des troupes est nécessaire, il n’est pas en état de monter à cheval ni de faire la guerre. Conscients des enjeux politiques, ils optent pour la raison d’Etat en temporisant. Mais on pourrait en l’occurrence parler de non-assistance à personne en danger car il aurait fallu opérer l’Empereur dès 1865 lorsque l’infection était limitée au bas-appareil (vessie, prostate, urètre). Ajourner l’intervention sine die c'était donner libre cours à l'infection de s'étendre aux uretères, au bassinet et aux reins.
Bien que Sée soit très apprécié par l’impératrice, on retrouvera plus tard le fameux rapport encore cacheté chez Conneau. Pourquoi cette rétention d’information ? Eugénie avait-elle été mise au courant ? Les protagonistes se renvoyant la faute, le mystère subsiste. Seule certitude : l’intéressé déclara en 1873 que, alerté de la gravité de sa maladie, il se serait abstenu de déclarer la guerre à la Prusse.
L’influence de la maladie sur le caractère impérial
A partir de 1865, le caractère de Napoléon le Petit - ainsi que le désigne Victor Hugo - change. On ne reconnaît plus l’ancien chef de guerre avisé et conquérant qui mena deux campagnes victorieuses en Crimée et en Italie. L’impératrice Eugénie, autrefois régente en son absence, détient désormais en réalité le pouvoir à temps complet car son époux offre la vision d’un homme muet, apathique et velléitaire. Il gouverne de façon intermittente, donnant même parfois les signes d’une certaine confusion de l’esprit à ses interlocuteurs ; le général Ducrot va jusqu’à évoquer une débibilité sénile précoce. Miné par la douleur, le souverain est assommé par un lourd traitement pharmaceutique. Chaque sondage déclenchant chez lui un état fébrile, on lui donne de la quinine. Pour diminuer ses souffrances, il reçoit des doses massives de calmants :
- opium
- laudanum (dérivé de morphine)
- chloral : nouveau médicament pour l'époque, qui agit sur ses capacités intellectuelles et l'endort.
Napoléon III est devenu progressivement un opiomane médical.
La défaite de Sedan
Le souverain, incapable de décider, se laisse influencer par l’impératrice qui, à l'instar d'une partie de l'opinion belliciste, veut « sa guerre » contre la Prusse alors que la France n'est pas prête. Fiévreux, incontinent, le pantalon rembourré par des serviettes - afin de supporter les cahots - il part à la guerre. Trois ans plus tard, son ultime chirurgien exprimera son étonnement devant le courage physique phénoménal dont il a fait montre en chevauchant dans ces conditions. Epuisé, l’empereur délègue le commandement des opérations militaires à des généraux incapables et/ou en concurrence. Qui plus est, dans un état aussi lamentable, sa présence est surtout une gêne pour l'état-major : on rapporte qu’à Sedan, il aurait uriné du sang presque pur.
Dans la Débâcle, Emile Zola se livre à une description magistrale de cet épisode :
[..] il fut arrêté un instant dans la Grande-Rue, devant l'hôtel de l'Europe, par un lent cortège, des cavaliers couverts de poussière, dont les mornes chevaux marchaient au pas. Et, à la tête, il reconnut l'empereur, qui rentrait après avoir passé quatre heures sur le champ de bataille. La mort n'avait pas voulu de lui, décidément. Sous la sueur d'angoisse de cette marche au travers de la défaite, le fard s'en était allé des joues, les moustaches cirées s'étaient amollies, pendantes, la face terreuse avait pris l'hébétement douloureux d'une agonie.[..] Du reste, l'empereur ne s'était pas arrêté, cédant quand même à son besoin de retourner devant cette fenêtre, où il défaillait, dans le tonnerre continu de la canonnade. Sa pâleur avait grandi encore, sa longue face, morne et tirée, mal essuyée du fard du matin, disait son agonie.
Moi, je le trouve superbe, ce fard, digne d'un héros de Shakespeare, haussant la figure de Napoléon III à une mélancolie tragique d'une infinie grandeur.
Envahi par un sentimentalisme inopportun, Napoléon III s'apitoie devant le sort de ses soldats et accélère donc la reddition du pays sans plus de résistance devant l’ennemi. Ses tentatives pour se faire tuer sur le champ de bataille ayant échoué, il est fait prisonnier et connaît une période d’accalmie due au repos forcé en Allemagne pendant sept mois. En 1871, il part en exil en Angleterre où il est victime en décembre 1872 d'une violente crise. Il est pris en charge par Sir Henry Thompson (1820-1904) urologue et professeur de chirurgie clinique. L’exploration de la vessie sous anesthésie au chloroforme confirme la présence d’un calcul. Il subit deux opérations de lithotritie qui procèdent au broyage du calcul, puis à une semi-évacuation par pompage. Juste avant la troisième intervention prévue, ses douleurs le reprennent, on le bourre de chloral, son état s'aggrave et il meurt le 9 janvier 1873, à l'âge de 64 ans.
L’autopsie révèle un énorme calcul vésical et une inflammation de tout l'appareil urinaire. La nature phosphatique du calcul extrait des entrailles impériales serait due aux eaux de Vichy.
Querelle franco-britannique
Suite aux circonstances de cette mort, médecins français et anglais se rejettent la responsabilité, ressuscitant la rivalité ancestrale entre les deux pays.
Les Anglais s’étonnent que l’on ait tant tardé à opérer Napoléon III : leurs homologues seraient passés à côté du diagnostic. Les Français en ont autant à leur service et multiplient les chefs d'accusation à leur égard :
- L'ex-empereur aurait succombé empoisonné par la trop forte dose de chloral prescrite après la deuxième opération.
- Les chirurgiens et leurs aides ne maîtrisaient pas encore l'anesthésie au chloroforme qui venait d’être inventée à l'occasion de l’accouchement de la reine Victoria. Le chloroforme utilisé pendant les deux opérations est plus dangereux pour le coeur que l'éther et/ou la chloroformisation a été trop prolongée.
- L'opération de la taille aurait été préférable à la lithotritie telle qu'elle était pratiquée à l'époque, en plusieurs épisodes et surtout sans antiseptie. En effet, l’évacuation non immédiate des débris par aspiration était propre à créer des accidents. Même si grâce à leur compatriote Joseph Lister (1827-1912), les chirurgiens anglais étaient en avance en matière de stérilité des champs opératoires.
Plus tard, les spécialistes incrimineront comme cause réelle de la mort une septicémie ou une infection urinaire suivie d'un choc septique. Opérer trois fois dans un laps de temps aussi rapproché cet organisme délabré, usé par une souffrance permanente était très risqué.
La vie de Napoléon III illustre parfaitement l’influence décisive de la maladie d’un souverain sur le destin de ses sujets. En 1870, la défaite de Sedan et l’emprisonnement du souverain mettent un terme définitif au Second Empire. Pascal évoque un cas similaire quelques siècles plus tôt :
Cromwell alloit ravager toute la chrétienté: la famille royale étoit perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même alloit trembler sous lui; mais ce petit gravier, qui n'étoit rien ailleurs, mis en cet endroit, le voilà mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli.
Commentaires
1863
Bonjour Madame, j'admire cette synthèse de 20 ans d'ennuis, avec une vingtaine de médecins.
Par contre, je m'interroge sur l'accident de calèche et l'hématurie de 1863;.. elle m'a échappé.
Je dis cela car j'ai écrit une biographie de Nélaton et ^pense voir à peu près tout vu
Est ce que vous me diriez d'où cela vient ?
Merci
Bien à vous
Denis Hannotin
PS
J'ignorai l'existence de cette rubrique gallica. Cela me semble fort bien
réponse à votre demande de sources
Bonjour Monsieur,
Voici les différentes sources où est mentionné cet accident de voiture :
La captivité de Napoléon III en Allemagne (septembre 1870-mars 1871) / Paul Guériot
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3372203s/f21.item
La maladie de l'Empereur : avec des pièces et des documents nouveaux / par M. Alfred Darimon,...
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6507201p/f143.image
Les indiscrétions de l'histoire. Série 2 / Docteur Cabanès
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9781188q/f212.image
Le Petit parisien du 18-06-1910
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5636428/f1.item
J'espère avoir répondu à votre question et vous remercie pour votre intérêt.
F. Deherly
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