Raymond Radiguet : un destin trop rapide
Il y a cent ans, le 12 décembre 1923, disparaissait à l’âge de 20 ans un auteur précoce au talent prometteur, auteur de deux romans remarqués, Le bal du comte d’Orgel et Le diable au corps, Raymond Radiguet.
Né le 18 juin 1903 à Saint-Maur-des-Fossés, Raymond Radiguet est l’aîné d’une fratrie de six fils. Son père, Maurice Radiguet (1866-1941), est un illustrateur connu. Très jeune, il s’adonne à la littérature dans la bibliothèque familiale.
Sa liaison, à 14 ans, avec la jeune institutrice Alice Saunier, de 9 ans plus âgée, est romancée dans son roman le plus célèbre, le Diable au corps. Elle est suivie de nombreuses aventures, avec des hommes et avec des femmes. Le plus connu est Jean Cocteau, qu'il rencontre à 15 ans. La romancière Monique Lange évoque ainsi « le passage météorite de Raymond Radiguet dans la vie de Cocteau. » (p. 191). Une lettre de Raymond Radiguet envoyée à Jean Cocteau en mars 1922 indique : « Il suffit à Jean Cocteau de prendre son porte-plume comme une baguette magique pour qu’il jaillisse une eau fraîche… » (Lettres retrouvées, 2012, p. 271). Sa relation avec le poète se vérifie dans la préface rédigée par Jean Cocteau pour son deuxième roman, publié à titre posthume, Le bal du comte D’Orgel. Cocteau y exprime toute son admiration et raconte les derniers jours du jeune écrivain.
Les années 1920 constituent un tournant dans la perception de l’homosexualité masculine en France : Marcel Proust publie Sodome et Gomorrhe en 1922, André Gide Le Corydon en 1924, Jean Cocteau Le Livre blanc en 1928, trois plaidoyers en faveur des amours socratiques. Une scène homosexuelle se développe d’autant plus que la France ne pénalise pas l’homosexualité.
Le Diable au corps
Le Diable au corps, publié par Grasset en 1923, est le premier roman de Raymond Radiguet. Ce roman de la passion adolescente est en partie autobiographique et commence ainsi :
Je vais encourir bien des reproches, mais qu'y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d’une sorte qu’on n'éprouve jamais à cet âge ; (p. 5)
Il parle de lui-même et explique par la guerre sa précocité et le décalage entre ses expériences et sa maturité. Le cadre de ce roman est la Première guerre mondiale. Il mentionne les origines de ce conflit, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg-Lorraine, héritier du trône d’Autriche-Hongrie le 28 juin 1914, puis fait référence à la bataille de la Marne en septembre 1914.
Ce roman parle du désir, de l’insouciance, de l’adolescence, sur fond de guerre. La rencontre amoureuse du héros adolescent avec Marthe, dont le mari est au front, constitue le cœur du récit : « Ce mari commençait à me gêner plus que s’il avait été là » (p.103).
La publication de ce roman, ressenti comme une injure face aux sacrifices de la Grande guerre, fait scandale. Son adaptation au cinéma en 1947 par Claude Autant-Lara suscite encore plus de polémiques.
Le Bal du comte d’Orgel
Le deuxième roman de Raymond Radiguet, Le Bal du comte d’Orgel est publié par Grasset après sa mort, en 1924, accompagné d'une préface de Jean Cocteau.
Transposition moderne de la Princesse de Clèves de Madame de la Fayette, il décrit un univers mondain, aristocratique, une fête permanente dans un milieu de privilégiés, évoluant sur lui-même autour du comte et de la comtesse D’Orgel. Le roman raconte un triangle amoureux entre un jeune aristocrate de vingt ans, François François de Séryeuse, et un couple à la mode. Dès que le jeune François rencontre la comtesse D’Orgel le ton est posé :
Il la trouvait belle, méprisante et distraite. Distraite, en effet ; presque rien n'arrivait à la distraire de son amour pour le comte. (p. 19)
Avant la publication de ce deuxième roman, son auteur est mort prématurément, emporté par la fièvre typhoïde le 12 décembre 1923, à l’âge de 20 ans. Raymond Radiguet aura été un auteur précoce au destin trop rapide. Son œuvre contient nombre d'éléments autobiographiques. Un thème marquant de son œuvre est le désir couplé à l’adultère, à la fougue et à la transgression. Sa carrière littéraire fut marquée par sa rencontre avec Jean Cocteau. Gallica nous permet de redécouvrir ce jeune auteur disparut trop vite.
Jacques Lipchitz. Portrait de Raymond Radiget (I920). Collection Lucien Daudet
Quelques autres textes de Raymond Radiguet
On peut lire dans Gallica quelques uns des premiers poèmes de Radiget, par exemple :
- « Poème », Sic, 1er novembre 1918
- « Histoire de France », Les Écrits nouveaux, 1 juin 1921
Raymond Radiguet et Jean Cocteau fondent en mai 1920 Le Coq : société d'admiration mutuelle, une éphémère revue fantaisiste et avant-gardiste :
- « Depuis 1789 on me force à penser. J'en ai mal à la tête. ». Le Coq, 1, 1er mai 1920
- « Halte » et « La marchande de fleurs », Le Coq, 2, 1er juin 1920
- « Le Journal quotidien », Le Coq, 3, 1er juillet 1920
- Annonce de Paul et Virginie et « Conseils aux grands poètes », Le Coq, 4, 1er novembre 1920
En mars 1923, Radiguet remercie son éditeur Bernard Grasset et s'exprime avec nuance sur le caractère autobiographique du Diable au corps :
« Ce petit roman d'amour n'est pas une confession, et surtout au moment où il semble davantage en être une. [...] le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse autobiographie qui semble la plus vraie. »
dans « Mon premier roman » (Les Nouvelles littéraires, 10 mars 1923). L'article est illustré par une reproduction du portrait de Jacques-Emile Blanche ci-dessus.
Raymond Radiguet dans la presse
- André Chaumeix, Le Gaulois, 24 mars 1923
- Camille Aymard, « Un mort vivant », La Liberté, 7 juillet 1924
- Portait posthume par Roger Martin du Gard, Les Nouvelles littéraires, 6 septembre 2024. avec le portrait ci-dessous :
- Edouard Maynial, Chronique des lettres françaises, 1er septembre 1924, p. 691-693
- La Lanterne, 7 octobre 1925
- Bernard Grasset, « Radiguet le taciturne, Lettre à Jean Cocteau », Comoedia, 11 décembre 1943. Avec une photo :
- Bernard Grasset, L’Intransigeant, 28 septembre 1947
- « Trente ans après la publication du Diable au corps, j'ai retrouvé Marthe et les héros de Radiguet », Les nouvelles littéraires, 31 juillet 1952
- Dossier « A Saint-Maur dans les années 20… Raymond Radiguet », à l'occasion d'une exposition au Musée de Saint-Maur, Le Vieux Saint-Maur, 1er février 1974
- « Cocteau – Radiguet », Album Jean Cocteau. Masques, 19, septembre 1983. Avec des photographies de Raymond Radiguet : classique, à l'ombrelle en 1918 (ci-dessus) et nu à la plage du Piquey en 1921.
Bibliographie
- Denis Blanchard-Dignac. Cocteau, Radiguet : sous le soleil du Cap-Ferret. Cairn, 2017
- Monique Lange. Cocteau : prince sans royaume. Lattès, 1989
- Michel Larivière. Pour tout l’amour des hommes : anthologie de l’homosexualité dans la littérature. Delétraz, 1998
- Marilli de-Saint-Yves. Ces messieurs du sens interdit. GCK, 2021
- Monique Nemer. Raymond Radiguet. Fayard, 2002
- « Cocteau et Raymond Radiguet une relation fusionnelle », Carnets d'automne, 3 sept. 2013
Voir aussi
- Raymond Radiguet. Œuvres complètes / nouv. éd. établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres. Omnibus, 2012
- Raymond Radiguet. Lettres retrouvées / éd. établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres. Omnibus, 2012.
- Manuscrits de Raymond Radiguet en cours de numérisation
- Bibliographie sur Raymond Radiguet (1903-1923)
- Bibliographie sur Jean Cocteau (1889-1963)
Commentaires
Merci
Merci pour cet article très riche, qui me permet d'approfondir.
Je connais bien "Le Diable au corps" et assez bien le contexte des années d'après-guerre (en grand amateur de Proust, de Cocteau, de Colette), mais la carrière de Raymond Radiguet a été si courte dans les lettres qu'il est difficile d'en retrouver une chronologie fiable, étayée et documentée, comme ici.
Parmi les liens que vous proposez pour aller plus loin, j'ajouterais la biographie écrite par Chloé Radiguet et Julien Cendres : elle vient de paraître chez Robert Laffont pour le centenaire de la mort de l'auteur.
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