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Franchir La Porte des rêves

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6 octobre 2017

Le blog de Gallica participe au Vendredi Lecture ! Laissez-vous transporter par notre Gallicanaute du jour, Mealin, qui nous fait traverser La Porte des rêves...

Recueil de 15 contes déjà publiés par ailleurs,  La Porte des rêves n’est pas à mettre entre les mains des enfants... Cet ensemble d’histoires, écrites par Marcel Schwob et illustrées par Georges de Feure, fut publié en 1899 aux éditions des Bibliophiles Indépendants, qui en commandèrent 220 exemplaires pour leurs souscripteurs. Il s’agit donc d’un ouvrage rare et cher de nos jours, mais que vous pouvez découvrir facilement et gratuitement sur Gallica. Elle n’est pas belle la vie ? Pour la petite anecdote, cette société d’amoureux du livre fut fondée par un certain Octave Uzanne qui était un ami d’Albert Robida sujet du précédent Epub de chevet.
L’ouvrage que je vous présente pour ma part aujourd’hui est donc issu du travail de deux hommes qui, chacun à leur manière, chacun avec leurs outils et sensibilité, cherchèrent à repousser l’ordinaire et à toucher à l’extraordinaire. C’est dans cet état d’esprit que je voudrais vous faire passer la porte des rêves...

L’auteur, Marcel Schwob est un homme de lettres de la fin du XIXe siècle. Né dans une famille d’intellectuels, il baigne dès sa jeunesse dans un milieu où le verbe est roi. Un de ses compagnons d’école n’est autre que le fils d’Alphonse Daudet, auteur des célèbres Lettres de mon moulin, qui le soutiendra dans ses débuts. Il écrit pour des journaux avant d’être reconnu pour ses poésies et contes aux teintes fantastiques.
D’une santé précaire, Schwob décède en 1905 après avoir passé ses dernières années à essayer de fuir la maladie. On retrouve d’ailleurs en ouverture de La Porte des rêves une dédicace à Samuel Pozzi, médecin l’ayant soigné, comme de nombreux artistes au tournant du XXe siècle, et qui participera d’ailleurs à fonder la gynécologie moderne.

Mon cher Docteur. Les Anciens croyaient que deux portes s’ouvrent sur le royaume noir de l’Erèbe ; l’une, légère, laisse s’envoler parmi nous les songes ailés ; l’autre, massive, se referme sur ceux qui l’ont franchie, pour toujours. J’étais descendu jusqu’au seuil de la porte inexorable. Vous m’avez saisi de votre main "qui guérit tout ce qu’elle touche" et vous m’avez ramené vers le soleil. Grâce à vous, j’ai pu encore rêver ces rêves. Qu’ils vous soient donnés comme un faible témoignage de ma reconnaissance éternelle. Votre ami. Marcel Schwob

Difficile de ne pas remarquer dès ces premiers mots toute l’exaltation et la verve symboliste de Schwob, ainsi qu’une sensibilité particulière à la mort…

Cette dédicace est une excellente introduction à l’ambiance et l’univers de Schwob qui, dans les écrits choisis ici, tisse une toile faite de mystères, leçons de vie apprises dans la douleur et autres drames dont les protagonistes peuvent être hauts en couleurs ou froid comme la glace, mais jamais d’une légèreté qui prêterait à rire. D’ailleurs, plusieurs de ses personnages féminins ne possèdent qu’un nom lié à un objet auquel elles sont associées : Cruchette, Buchette, Bargette. Ceci est un indice plutôt probant que ce n’est pas la personnalité qui prime mais l’idée ou le symbole derrière le personnage.
Schwob passa son enfance à Nantes, comme Jules Verne, fasciné par ce port ouvert sur l’océan (La flûte) et le monde, cet étrange "ailleurs" où tant de ses contes vont prendre place. L’idée même du voyage était un sujet en soi, incarné dans le conte éponyme par le personnage de Bargette, petite fille ne pensant qu’à s’en aller voir les merveilles des terres lointaines. Cette thématique aux accents symbolistes, puisqu’elle permet d’évoquer les attentes, rêves et espoirs, se retrouve d’ailleurs à de multiples reprises dans La porte des rêves.
Ses œuvres empreintes de symbolisme, d’une charge érotique souvent latente (Béatrice), Éros rarement bien loin de Thanatos, et son amour du langage argotique (Le Loup), attirèrent et inspirèrent nombre de grands auteurs qu’il ne manquait pas d’encourager également tels que Paul Valéry, Alfred Jarry ou André Gide.

L’illustrateur, Georges de Feure, pseudonyme du néerlandais George Joseph van Sluijters, est un artiste aux talents multiples, mais plutôt connu de nos jours pour son travail d’affichiste.
Il accouchera ici d’un ouvrage entièrement illustré au diapason du texte : sensualité prégnante, une certaine naïveté du dessin entre un trait enfantin et des compositions sophistiquées pleinement Art nouveau.
Chaque conte est d’abord introduit par un titre mis en image. Prenons l’exemple de Cruchette.
Un dessin moins imposant reste présent en haut des pages suivantes tout en servant de cadre au texte.
Des illustrations occupant une page entière viennent également ponctuer les histoires.

Pour finir les contes en beauté, Georges de Feure rajoute un petit quelque chose quand même, histoire d’avoir épuisé toutes les possibilités de mise en page sans doute !

Si vous avez aimé le style de Georges de Feure, de petits trésors de son trait sont à retrouver sur Gallica, comme une variation sur le thème des parfums de Guerlain ou une illustration pour Cocorico, un bimensuel lancé par Paul Boutigny entre 1898 et 1902 pour soutenir l’Art nouveau et la figure de Mucha, ami du fondateur …
Si vous souhaitez découvrir d’autres écrits de la plume de Marcel Schwob, je vous conseille un autre un recueil illustré (on ne se refait pas) : Coeur double.

Mealin (Thomas Godfrin)

  • Mealin

    Mealin, alias Thomas Godfrin, est médiateur de musée. Il est aussi  l'auteur du blog Pour une image, où il partage ses plus belles découvertes de Gallicanaute assidu !

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